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Date : 20201130


Dossier : T‑1315‑18

Référence : 2020 CF 1096

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 30 novembre 2020

En présence de monsieur le juge A.D. Little

ENTRE :

CHRIS HUGHES

demandeur

et

LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

Commission

et

TRANSPORTS CANADA

défendeur


ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] Les présents motifs concernent une requête écrite de M. Hughes visant à modifier un exposé conjoint des faits établi dans le cadre de la présente instance et déposé à la Cour le 10 octobre 2019.

I. Contexte de la requête

[2] Le contexte procédural de la présente requête est décrit dans les motifs rendus par la Cour le 20 octobre 2020 concernant un appel interjeté en vertu de l’article 51 des Règles des Cours fédérales (les Règles) dans le cadre de la présente instance : Hughes c Canada (Commission des droits de la personne), 2020 CF 986. Un bref aperçu mettra en contexte la présente requête.

[3] La présente instance tire sa source d’une décision rendue en 2014 par le Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal). Le Tribunal a conclu que Transports Canada avait fait preuve de discrimination fondée sur une déficience envers M. Hughes dans le cadre d’un processus de sélection visant à pourvoir un poste d’analyste de la sûreté maritime (PM‑04) : Hughes c Transports Canada, 2014 TCDP 19.

[4] Le 1er juillet 2018, le Tribunal a rendu sa décision sur les mesures de redressement : Hughes c Transports Canada, 2018 TCDP 15 (la décision sur les mesures de redressement). Notamment, le Tribunal ordonnait à Transports Canada d’intégrer M. Hughes au poste d’analyste du renseignement au groupe et au niveau PM‑04 et de lui verser une indemnité pécuniaire. L’ordonnance du Tribunal contenait la condition suivante :

1. L’intimé intégrera le plaignant, sous réserve de la cote de sécurité requise, à la première occasion raisonnable et sans concours, au poste d’analyste du renseignement au groupe et au niveau PM‑04, de pair avec tous les avantages sociaux connexes. Le poste sera situé à Esquimalt (Colombie‑Britannique) ou à Vancouver (Colombie‑Britannique), à la condition que le plaignant soit disposé à déménager.

[Non souligné dans l’original.]

[5] Après que le Tribunal eut rendu sa décision sur les mesures de redressement, M. Hughes a entrepris des démarches pour que ces mesures soient mises en œuvre. Son avocat a écrit à l’avocat de Transports Canada pour exiger le paiement immédiat de l’indemnité pécuniaire accordée par le Tribunal. Par l’entremise de son avocat, Transports Canada a répondu qu’il contestait le montant de l’indemnité du fait de sa demande de contrôle judiciaire à l’égard de la décision sur les mesures de redressement du Tribunal.

[6] Le 8 août 2018, le demandeur a déposé un avis de requête pour outrage relativement à l’ordonnance du Tribunal. Il demandait une ordonnance enjoignant à Transports Canada de comparaître à une audience de justification en application de l’article 467 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106. M. Hughes a modifié la requête pour outrage le 13 novembre 2018.

[7] Les parties ont élaboré un exposé conjoint des faits devant être utilisé à l’audition de la requête pour outrage, qu’elles ont déposé à la Cour le 10 octobre 2019 (l’ECF).

[8] Le 8 novembre 2019, la protonotaire Ring a entendu la requête pour outrage. Dans une ordonnance avec motifs datée du 28 novembre 2019, elle a rejeté la requête.

[9] M. Hughes a fait appel à notre Cour en vertu de l’article 51 des Règles des Cours fédérales. Il a déposé son avis de requête en vertu de l’article 51 le 18 décembre 2019 et un dossier de requête comprenant des observations écrites datées du 31 mars 2020. Le défendeur a déposé son dossier de requête en réponse le 16 juillet 2020 et le demandeur a déposé une réplique le 20 juillet 2020.

[10] Au début de juillet 2020, M. Hughes a également déposé une requête en vertu de l’article 431 des Règles des Cours fédérales, dans laquelle il demandait une ordonnance exigeant que le défendeur mette en œuvre la décision sur les mesures de redressement rendue par le Tribunal le 1er juin 2018. La Cour a entendu cette requête le 7 août et a rendu une ordonnance la rejetant le 20 août 2020 : Hughes c Transports Canada, 2020 CF 843 (la juge McVeigh).

[11] M. Hughes a soulevé la question de l’erreur alléguée dans l’ECF auprès de l’avocat du défendeur par courriel le 10 août 2020, indiquant qu’il était [traduction] « embarrassé de ne pas l’avoir remarquée plus tôt ». Dans ce courriel, il affirmait qu’il avait mal lu le paragraphe 76 [traduction] « pendant tout ce temps », pensant que l’expression [traduction] « étape initiale obligatoire » signifiait « sous réserve de ». Il déclarait que l’expression n’était pas un fait convenu entre les parties, mais bien la position ou l’argument de Transports Canada, alors que la position du demandeur était que la première étape obligatoire était une lettre d’offre.

[12] Dans une lettre datée du 12 août 2020, M. Hughes a écrit à la Cour au sujet de l’erreur alléguée. L’avocat du défendeur a répondu dans une lettre datée du 21 août 2020.

[13] M. Hughes a introduit la présente requête en déposant un avis de requête le 21 septembre 2020, pendant que la Cour était saisie de l’appel en vertu de l’article 51 des Règles.

II. La requête en modification de l’exposé conjoint des faits présentée par le demandeur

[14] L’avis de requête de M. Hughes daté du 21 septembre 2020 demandait une ordonnance ayant pour effet de supprimer une [traduction] « erreur mutuelle » ou une [traduction] « erreur commune » en modifiant le paragraphe 76 de l’ECF, ainsi libellé [non souligné dans l’original] :

[TRADUCTION]

76. En date du présent exposé conjoint des faits, Transports Canada n’a pas reçu les formulaires d’autorisation de sécurité dûment remplis par M. Hughes, une étape initiale obligatoire pour la nomination au poste d’analyste du renseignement.

[15] Dans la présente requête en modification, M. Hughes demande que les mots soulignés soient remplacés par [traduction] « une étape du processus de nomination ».

[16] Pour étayer sa position, M. Hughes s’est appuyé sur les doctrines du droit des contrats relatives aux erreurs. Dans ses observations écrites, M. Hughes a soutenu qu’une erreur mutuelle [traduction] « survient lorsque les parties à un contrat se trompent toutes deux au sujet du même fait important dans le cadre de leur contrat. Elles sont en désaccord. Il y a rencontre des volontés, mais les parties se trompent. »

[17] Dans son affidavit relatif à la présente requête, M. Hughes a déclaré qu’il avait remarqué une erreur dans l’ECF le 6 ou 7 août 2020 et qu’il en avait promptement informé la Cour (la juge McVeigh) saisie de sa requête en vertu de l’article 431. Il n’avait pas remarqué l’erreur lorsque la protonotaire Ring a rendu sa décision relativement à la requête pour outrage (c’est‑à‑dire fin novembre 2019). M. Hughes a affirmé qu’il avait mal lu le paragraphe 76 et l’avait compris comme signifiant [traduction] « qu’une autorisation de sécurité devait être soumise à un moment donné, mais pas qu’elle devait être soumise en premier lieu ». Il a expliqué qu’une partie du retard mis à remarquer l’erreur était attribuable à une médiation globale durant laquelle tous les dossiers avaient été mis en suspens. Dans ses observations écrites, il a également soutenu que les tribunaux avaient été [traduction] « fermés en raison de la COVID jusqu’en juillet 2020 ».

[18] M. Hughes a aussi déclaré que le défendeur avait rédigé l’ECF, que lui‑même n’était pas représenté par un avocat et qu’aucun avocat n’avait lu l’ECF pour son compte, et qu’il s’agissait d’une erreur manifeste, mais qu’il ne l’avait pas remarquée. Il a remarqué trois autres erreurs, mais n’a pas remarqué l’erreur au paragraphe 76. Il a également soutenu que deux paragraphes précédents contredisent le paragraphe 76. De plus, M. Hughes a affirmé que, depuis juin 2019, sa position a été qu’une lettre d’offre était requise avant l’autorisation de sécurité et que cela se reflétait dans les paragraphes 74 et 75 de l’ECF.

[19] M. Hughes a caractérisé la présente instance comme étant un [traduction] « dossier relatif à la mise à exécution » qui pourrait [traduction] « être utilisé à nouveau pour d’autres accusations d’outrage ». Il [traduction] « prévoit déposer prochainement d’autres accusations d’outrage ». Dans ses observations écrites, M. Hughes a indiqué que l’ECF [traduction] « doit être corrigé en vue de futures accusations d’outrage et requêtes en non‑respect ». Au paragraphe 29 de ses observations écrites, M. Hughes a déclaré qu’il [traduction] « ne croit pas que le défendeur ait délibérément introduit des faits inexacts dans » l’ECF, quoique si tel était le cas, ce serait répréhensible.

[20] Le défendeur a soutenu que M. Hughes avait accepté l’ECF en octobre 2019 et ne pouvait pas maintenant se rétracter. Le défendeur a d’abord fait remarquer que le demandeur n’avait fourni aucun autre fondement juridique pour la modification du paragraphe 76 de l’ECF que celui d’une erreur mutuelle en droit des contrats. Toutefois, le défendeur n’a pas tenté de répondre aux arguments du demandeur concernant l’erreur. Il a plutôt prétendu que l’ECF n’est ni un contrat ni analogue à un contrat, mais qu’il s’agit d’un aveu pour les besoins d’une instance et qu’en l’espèce, cet aveu ne peut pas maintenant faire l’objet d’une rétractation, compte tenu en particulier de la décision de la protonotaire et de la décision du 20 août 2020 de la juge McVeigh, lesquelles se fondaient toutes deux sur l’ECF. Le défendeur a en outre fait valoir que M. Hughes tentait de créer un [traduction] « nouveau front d’attaque » pour saper l’ordonnance de la protonotaire et l’ordonnance rendue par la juge McVeigh en vertu de l’article 431. Les deux décisions, selon ce que soutenait le défendeur, mentionnaient le paragraphe 76, mais le paragraphe 76 n’a été déterminant dans aucun des deux cas.

[21] Les longues observations du demandeur en réponse soulevaient de nombreux arguments nouveaux (auxquels le défendeur n’a pas eu l’occasion de répondre) et contenaient des allégations supplémentaires contre l’avocat qui, semble‑t‑il, était un auteur de l’ECF. M. Hughes a soutenu que le point abordé dans le paragraphe 76 est fortement controversé entre les parties et que le défendeur n’aurait pas dû [traduction] « introdui[re] une affirmation controversée et non factuelle » dans l’ECF. Il a en outre indiqué qu’il était en vacances dans un hôtel au moment où il a accepté l’ECF et qu’il s’était senti pressé par le temps pour donner son accord.

[22] De plus, M. Hughes a fait valoir que son consentement avait été attribuable à l’inadvertance, à l’erreur ou à la précipitation ainsi qu’à l’ignorance du sens de l’expression [traduction] « initiale obligatoire ». Il a nié tenter d’adopter un [traduction] « nouveau front d’attaque » pour saper les décisions de la protonotaire et de la juge McVeigh. Il a également soutenu que l’ECF était destiné à être utilisé seulement dans le cadre de la requête pour outrage devant la protonotaire, et non pas dans le cadre d’une requête ultérieure. Il a en outre prétendu que l’expression soulignée dans le paragraphe 76 est en réalité fausse et qu’elle ne devrait donc pas être invoquée.

[23] Après le dépôt de la réplique du demandeur en l’espèce, le défendeur s’est opposé à cette réplique dans son intégralité au motif qu’elle était inappropriée. Le défendeur a aussi soutenu que bon nombre des faits allégués par M. Hughes dans la réplique étaient inexacts, que les observations étaient répétitives ou non pertinentes et que les allégations soulevées par M. Hughes concernant le prétendu comportement de l’avocat étaient dénuées de fondement et vexatoires.

[24] Au début d’octobre 2020, M. Hughes a demandé à la Cour de « retirer » la requête en modification de l’ECF afin que l’appel en vertu de l’article 51 des Règles puisse être tranché en premier, car, selon lui, la décision concernant l’appel aurait pour effet de corriger l’erreur au paragraphe 76. Il a indiqué à la Cour qu’il préférerait attendre l’issue de l’appel et, en cas d’échec, déposer à nouveau une requête modifiée pour corriger l’erreur. Il a fait référence (erronément) à l’article 397 des Règles des Cours fédérales.

[25] Le défendeur s’est opposé à la proposition du demandeur de [traduction] « retirer » la requête, la qualifiant de gaspillage de ressources et soulignant que les parties bénéficieraient de la clarté de la décision de la Cour.

[26] M. Hughes n’a pris aucune mesure formelle immédiate en vertu des Règles des Cours fédérales pour abandonner sa requête.

[27] Le 20 octobre 2020, la Cour a rendu sa décision relative à la requête fondée sur l’article 51 des Règles.

[28] Après cette décision, la Cour a émis le 4 novembre 2020 une directive invitant M. Hughes à confirmer ses intentions concernant sa requête déposée en modification de l’ECF. S’il avait l’intention d’abandonner la requête, la Cour l’invitait à prendre des mesures formelles pour le faire en vertu des Règles des Cours fédérales dans les 7 jours civils suivant la directive. La Cour indiquait que, si de telles mesures n’étaient pas prises dans ce délai, elle rendrait sa décision concernant la requête en se fondant sur les documents déposés par les parties.

[29] Le 5 novembre 2020, M. Hughes a avisé la Cour qu’il entamerait une nouvelle requête de vaste portée. Il n’a pris aucune mesure pour abandonner la présente requête dans les délais prescrits par la Cour. La requête en modification de l’ECF reste donc déposée et n’a pas été abandonnée.

[30] La Cour rendra donc sa décision sur la requête.

III. L’exposé conjoint des faits devrait‑il être modifié?

A. Les exposés conjoints des faits

[31] Un exposé conjoint des faits n’est pas un document expressément visé par les Règles des Cours fédérales. Il s’agit toutefois d’un document bien connu des tribunaux canadiens et utilisé dans notre Cour. Les exposés conjoints des faits sont couramment utilisés dans toutes sortes d’instances devant les tribunaux canadiens, qu’il s’agisse de requêtes, de procès ou d’audiences. Ils peuvent être très précieux et utiles pour un tribunal de première instance.

[32] Grâce à une bonne communication et à la coopération des avocats et des parties, les parties à une procédure judiciaire peuvent convenir par écrit de certains faits. Les faits convenus peuvent se rapporter aux événements qui ont donné lieu à l’instance et peuvent également dresser l’historique procédural de ce qui s’est déjà passé relativement à l’instance et décrire comment une question à trancher a été soulevée. Les parties structurent souvent les faits en un récit chronologique qui aide la Cour à se mettre efficacement à jour. Elles déposent leurs faits convenus en vue de leur utilisation dans le cadre d’une requête, d’une demande, d’un procès ou d’une audience. Le tribunal peut alors se fonder sur ces faits convenus pour analyser et trancher l’affaire.

[33] Une partie peut accepter non seulement des faits qui appuient sa position, mais aussi des faits qui n’ont pas d’importance pour elle ou pour l’issue de l’instance, ou dont la démonstration entraînerait des difficultés ou des coûts considérables. La partie peut également concéder ou admettre un fait — c’est‑à‑dire accepter un fait qui nuit à sa position — s’il est raisonnable de le faire (par exemple, si la démonstration de ce fait par l’autre partie est inévitable). Les faits convenus peuvent renvoyer à des éléments de preuve documentaire à l’appui de l’exposé. Dans certaines circonstances, une instance peut reposer en totalité sur des faits et documents convenus, de telle sorte que les parties puissent se concentrer sur les questions de droit qui les opposent.

[34] Dans un exposé conjoint des faits, les parties peuvent également énoncer, caractériser ou convenir de préciser les questions en litige à l’intention du tribunal. L’exposé des parties peut donc inclure davantage que les simples faits concernant les questions « qui, quoi, où, quand et pourquoi ».

[35] Les avantages des faits convenus sont légion. L’accord entre les parties peut permettre d’éviter à certains témoins de souscrire des affidavits ou de comparaître, ou leur permettre de témoigner uniquement sur des questions précises. Les informations ou données personnelles confidentielles produites lors de la communication préalable peuvent demeurer confidentielles ou privées si les parties conviennent d’un résumé agrégé. Les parties ne paient pas leurs avocats pour parler ou écrire au sujet de points non contestés. Le tribunal a besoin de moins de temps de préparation. Le temps consacré à l’audience n’est pas accaparé par des questions qui ne sont pas en litige. Les communications entre les parties peuvent conduire à une meilleure compréhension de la question litigieuse, et parfois même à un règlement consensuel. Les faits convenus simplifient le processus et font économiser du temps et de l’argent à tous.

[36] Les parties en l’espèce doivent être félicitées pour avoir convenu de l’ECF détaillé qu’elles ont déposé en octobre 2019, qui comportait 90 paragraphes exposant le contexte procédural et les faits dans l’ordre chronologique.

B. Compétence et exigences juridiques relatives à une modification

[37] Une question initiale est de savoir si notre Cour a le pouvoir d’accorder la réparation demandée par M. Hughes et, dans l’affirmative, sur quel fondement. Pour répondre à ces questions, j’examinerai l’article 75 des Règles des Cours fédérales et la prétention du défendeur selon laquelle la modification proposée constitue la rétractation d’un aveu formel fait par M. Hughes.

(1) Les Règles des Cours fédérales

[38] Comme je l’ai déjà mentionné, les Règles des Cours fédérales ne traitent pas expressément des exposés conjoints des faits ni de la manière dont un tel accord peut être modifié après avoir été déposé à la Cour. Aucune des parties n’a invoqué une disposition des Règles des Cours fédérales qui permette expressément des modifications à un exposé conjoint des faits.

[39] L’article 75 des Règles des Cours fédérales permet à une partie de modifier un « document », à certaines conditions :

75 (1) Sous réserve du paragraphe (2) et de la règle 76, la Cour peut à tout moment, sur requête, autoriser une partie à modifier un document, aux conditions qui permettent de protéger les droits de toutes les parties.

(2) L’autorisation visée au paragraphe (1) ne peut être accordée pendant ou après une audience que si, selon le cas :

a) l’objet de la modification est de faire concorder le document avec les questions en litige à l’audience;

b) une nouvelle audience est ordonnée;

c) les autres parties se voient accorder l’occasion de prendre les mesures préparatoires nécessaires pour donner suite aux prétentions nouvelles ou révisées.

[40] L’article 75 figure dans la Partie 3 des Règles des Cours fédérales, qui s’applique à toutes les instances. Une partie peut déposer une requête demandant à la Cour de l’autoriser à modifier un « document ». Ce terme n’est pas défini à des fins générales dans les Règles. Mais l’utilisation fréquente et variée du terme « document » dans les Règles laisse penser qu’il a un sens large : voir par exemple les articles 21 et 23, les articles 65 à 70 sur la forme des documents, l’article 71 sur le dépôt des documents et les paragraphes 198(2) et 192(2). Les Règles visent différents types de documents, tels que les actes de procédure (ainsi définis : « [a]cte par lequel une instance est introduite, les prétentions des parties sont énoncées ou une réponse est donnée »), les actes introductifs d’instance (voir les articles 62 et 63) et les documents qui doivent être énumérés dans un affidavit de documents et produits dans le cadre de la communication préalable (« document » est défini à l’article 222, mais uniquement pour les besoins de la communication de documents au titre des articles 223 à 232 et de l’article 295). Le contenu d’un acte de procédure peut faire mention d’un document (article 177). Il y a aussi d’autres exemples.

[41] Les affaires tranchées en vertu de l’article 75 concernent généralement des modifications demandées à des actes de procédure, conformément aux dispositions des articles 76 à 79 : voir Janssen Inc. c AbbVie Corporation, 2014 CAF 242; Canada (Revenu national) c Friedman, 2019 CF 1583 (le juge Pamel), au para 19; Boakye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 831 (le juge Southcott), aux para 17 et 19.

[42] L’utilisation fréquente du terme « document » dans différentes dispositions des Règles des Cours fédérales n’implique pas nécessairement qu’une partie puisse modifier tout document par requête en vertu de l’article 75. La protonotaire Aronovitch a conclu dans l’affaire Sun World International Inc. c Parmalat Dairy & Bakery Inc., 2007 CF 641, [2008] 2 RCF 120 aux paragraphes 22 à 29, qu’un « document » aux termes de l’article 75 désigne une plaidoirie, un document introductif d’instance ou un document qui doit être déposé devant notre Cour en application des Règles des Cours fédérales. La protonotaire affirme, au paragraphe 26 :

Il ressort clairement d’une lecture objective des articles 71 à 79 que, un « document » au sens de l’article 75 des Règles des Cours fédérales est une plaidoirie, un document introductif d’instance ou un document qui doit être produit en vertu des Règles des Cours fédérales, dans une instance tenue devant la Cour fédérale. Il ne comprend pas la déclaration d’opposition, lequel est un document introductif d’instance qui doit être déposé et, en effet, ne peut être déposé qu’au Bureau des marques de commerce pour les fins d’une procédure d’opposition. Par conséquent, la Cour fédérale, selon moi, n’a pas compétence, en vertu de l’article 75 des Règles des Cours fédérales, pour autoriser une modification d’une déclaration d’opposition, un document qui n’est pas déposé à la Cour et qui fait partie du dossier sur lequel la décision faisant l’objet du présent appel est fondée.

Bien que le juge Harrington ait autorisé un appel de cette décision, il a convenu que l’article 75 n’autorisait pas la modification proposée et il n’a fait aucune observation expresse sur la signification de « document » à l’article 75 : Sun World International Inc. c Parmalat Dairy & Bakery Inc., 2007 CF 861 au para 22.

[43] La question est donc de savoir si un exposé conjoint des faits déposé auprès de la Cour par les parties dans une instance est un « document » qui peut être modifié en vertu de l’article 75. Selon moi, oui. Un exposé conjoint des faits s’apparente suffisamment et remplit des fonctions importantes similaires aux documents qui sont expressément visés ou dont le dépôt est prescrit par les Règles des Cours fédérales tels que les actes de procédure. Les faits convenus sont préparés et convenus par les parties, généralement par l’intermédiaire de leurs conseillers juridiques, expressément pour les besoins de l’instance. Les faits convenus sont déposés dans l’intention que la Cour se fonde sur eux. Compte tenu de sa préparation, de ses utilisations et de ses fonctions, examinées ci‑dessus, il serait anormal que la Cour ne puisse pas connaître de modifications proposées à un exposé conjoint des faits déposé auprès d’elle.

[44] Il est important de noter qu’un exposé conjoint des faits est par nature très différent d’un accord commercial que deux parties concluent dans le cours de leurs affaires, avant un litige, et qui est ensuite produit dans une procédure lors de la communication préalable et déposé en tant qu’élément de preuve. Ma conclusion n’implique pas que l’article 75 puisse être utilisé pour modifier un tel accord (ou tout autre document créé par une partie avant un litige et produit lors de la communication préalable).

[45] Je reconnais également que l’article 75 permet à la Cour d’autoriser « une partie » (au singulier) à modifier un document déposé auprès d’elle. Un exposé conjoint des faits est par nature un document conjoint convenu par deux parties (ou plusieurs, dans le cadre d’une procédure multipartite). On s’attendrait à ce qu’une modification d’un document préparé conjointement soit normalement faite avec le consentement des deux parties (ou sans opposition de la partie non requérante) et proposée à la Cour par requête à des conditions acceptables pour les deux (ou, de nouveau, à tout le moins sans opposition). Toutefois, compte tenu en particulier de la nature des questions soulevées en l’espèce concernant l’erreur, à mon avis, l’utilisation du terme « une » partie à l’article 75 ne constitue pas un obstacle insurmontable à la présente requête.

[46] Par conséquent, à mon avis, l’article 75, de par ses propres termes ou, si nécessaire, par analogie au moyen de l’article 4 des Règles des Cours fédérales, permet à la Cour de trancher la présente requête en modification de l’ECF.

[47] Sur quelle base une modification peut‑elle être autorisée en vertu de l’article 75? La décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Janssen fournit des orientations sur les facteurs à prendre en considération pour autoriser la modification d’un document; dans cette affaire, il s’agissait d’un acte de procédure. Ces facteurs comprennent : le moment où la requête est présentée; la mesure dans laquelle la modification proposée peut retarder l’instance; la mesure dans laquelle la partie défenderesse s’appuie sur le contenu du document ainsi que le préjudice subi par cette partie; si les modifications faciliteront l’examen par la Cour du véritable fond du différend; si une injustice envers l’autre partie est susceptible d’être corrigée par l’adjudication de dépens; et si les intérêts de la justice seront servis : voir Janssen aux para 3 à 9 et 15 à 17. En définitive, le tribunal doit tenir compte de la simple équité, du sens commun et de l’intérêt à ce que justice soit faite : Janssen au para 3, citant Continental Bank Leasing Corp. c La Reine, [1993] ACI n° 18, (1993) 93 DTC 298 à la p. 302; Enercorp Sand Solutions Inc. c Specialized Desanders Inc., 2018 CAF 215 aux para 19 à 21. Comme le juge Stratas l’a signalé au paragraphe 18 de l’arrêt Janssen, aucun facteur n’est à lui seul déterminant et la liste des facteurs n’est pas exhaustive.

[48] Je conclus donc que la Cour a compétence en vertu de l’article 75 (ou par analogie en vertu de l’article 4, si nécessaire) pour modifier un exposé conjoint des faits. Les facteurs décrits par le juge Stratas dans l’arrêt Janssen guident la Cour dans l’examen de l’opportunité d’autoriser une modification proposée.

(2) Rétractation d’un aveu formel?

[49] Le défendeur a soutenu que le paragraphe 76 de l’ECF contenait un aveu formel dont le demandeur ne pouvait se rétracter sans autorisation de la Cour. Pour les besoins présents, je supposerai que l’expression [traduction] « étape initiale obligatoire » au paragraphe 76 était en substance un aveu formel quant aux faits de la part de M. Hughes.

[50] Une partie peut faire un aveu formel quant aux faits de plusieurs manières, par exemple dans un acte de procédure déposé à la Cour au titre de l’article 183, ou en réponse à une demande de reconnaître des faits signifiée en application de l’article 255. Le défendeur a soutenu que le demandeur ne satisfaisait pas au critère de la rétractation d’un aveu formel, en se fondant sur des cas relatifs à des aveux dans des actes de procédure : Apotex Inc. c Astrazeneca Canada Inc., 2012 CF 559 au para 19; et Morin c La Reine, 2002 CFPI 1312 au para 109, se fondant sur le critère énoncé dans la décision Andersen Consulting c La Reine, [1998] 1 CF 605 (CA) aux para 13 et 14.

[51] Dans l’arrêt Andersen, la Cour d’appel fédérale a examiné des modifications qui incluaient la rétractation d’aveux faits dans une défense. La Cour d’appel a préféré un critère de rétractation des aveux posant que « dans toutes les circonstances de la cause, il doit y avoir un point jugeable, qui devrait passer en jugement dans l’intérêt de la justice et qui ne devrait pas se résoudre par une admission de fait. Selon ce critère, l’inadvertance, l’erreur, la précipitation, l’ignorance des faits, la découverte de faits nouveaux, et l’introduction en temps opportun de la requête sont autant de facteurs à prendre en considération pour examiner s’il ressort des circonstances qu’il y a un point jugeable, lequel devrait passer en jugement dans l’intérêt de la justice » : au para 13. Ce critère assurait « la souplesse nécessaire pour faire en sorte que les points jugeables passent en jugement, sans que les parties n’aient à subir d’injustice » : au para 14. La Cour d’appel a appliqué ce passage dans l’arrêt Charette c Delta Controls, 2003 CAF 425. Des décisions de la Cour fédérale renvoient également à ce passage, notamment les décisions Morin et Apotex Inc. c Astrazeneca Canada Inc.

[52] Dans ses motifs dans l’arrêt Andersen, la Cour d’appel traitait également ensuite des modifications aux actes de procédure en général et de la nécessité d’une « souplesse » à l’égard de l’autorisation de telles modifications, « ce qui s’entend également [...] de la rétractation d’aveux » (au para 16), et elle énonçait le critère suivant provenant de la décision Canderel Ltée c Canada, [1994] 1 CF 3 aux p. 9 et 10 :

[...] même s’il est impossible d’énumérer tous les facteurs dont un juge doit tenir compte en décidant s’il est juste, dans une situation donnée, d’autoriser une modification, la règle générale est qu’une modification devrait être autorisée à tout stade de l’action aux fins de déterminer les véritables questions litigieuses entre les parties, pourvu, notamment, que cette autorisation ne cause pas d’injustice à l’autre partie que des dépens ne pourraient réparer, et qu’elle serve les intérêts de la justice.

[Non souligné dans l’original.]

[53] La Cour d’appel dans l’arrêt Andersen a appliqué ce critère aux modifications proposées visant à rétracter des aveux, en faisant remarquer qu’il était dans l’intérêt de la justice que les véritables questions litigieuses soient déterminées, que l’affaire « n’en [était] qu’à ses débuts » et que les interrogatoires préalables n’étaient pas encore terminés, et qu’aucun préjudice n’était subi par l’intimée (aux para 17 et 18).

[54] Je constate que les décisions de la Cour d’appel fédérale à la fois dans Andersen, concernant les aveux faits dans un acte de procédure, et dans Janssen, en vertu de l’article 75 des Règles, ont décrit et appliqué des considérations similaires, notamment : le moment où la requête a été présentée; les circonstances qui ont donné lieu à l’erreur à modifier; l’objectif de recherche de la vérité du processus de la Cour; et la question de savoir si l’autre partie peut être indemnisée par l’adjudication de dépens, toujours eu égard à l’intérêt supérieur de la justice : Janssen au para 3; Andersen au para 16; voir aussi Canderel aux p. 10c‑e et 12d‑h, citant Continental Bank Leasing Corporation à la p. 302.

[55] Je vais à présent analyser les questions soulevées dans la requête.

C. La requête en modification du paragraphe 76 de l’ECF

[56] M. Hughes soutient que la Cour devrait ordonner qu’une correction soit apportée à l’ECF pour supprimer une erreur mutuelle ou commune au paragraphe 76. Selon moi, la Cour ne devrait pas le faire. Peu importe si la Cour applique les facteurs de l’arrêt Janssen en vertu de l’article 75 ou le critère similaire de l’arrêt Andersen pour la rétractation d’un aveu formel, il n’est pas dans l’intérêt de la justice de permettre la modification proposée à l’ECF. Au sujet des arguments juridiques de M. Hughes concernant l’erreur en particulier, il n’y a pas suffisamment de fondements juridiques et factuels pour le faire. Il y a quatre raisons à cette conclusion générale.

[57] Tout d’abord, beaucoup de temps s’est écoulé depuis le dépôt de l’ECF par les parties le 10 octobre 2019. Depuis, les parties ont utilisé l’ECF pour faire des observations sur la requête en outrage de M. Hughes (ce qui était le but de son élaboration à l’origine). M. Hughes a interjeté appel et n’a soulevé aucune question concernant une modification du contenu du paragraphe 76 dans son appel. Il n’a pris aucune mesure auprès de la Cour pour tenter de modifier le paragraphe 76 avant septembre 2020. Sa requête en modification de l’ECF n’a pas été déposée en temps opportun.

[58] Deuxièmement, depuis le dépôt de l’ECF, les parties et la Cour se sont fondées sur lui de manière générale et ont expressément invoqué le paragraphe 76. La protonotaire Ring a fait référence au paragraphe 76 et s’est expressément fondée sur ce paragraphe dans ses motifs en novembre 2019 (au para 57). M. Hughes a fait appel de cette ordonnance et a déposé des observations écrites et une réplique écrite sans soulever aucune préoccupation au sujet du paragraphe 76. Les deux parties ont débattu à fond des questions en litige lors de l’appel en vertu de l’article 51, que la Cour a tranché (après que M. Hughes eut déposé la présente requête, puis demandé qu’elle soit « retirée »). De plus, l’ECF a été utilisé dans le cadre de la requête présentée par M. Hughes en vertu de l’article 431 et la juge McVeigh a mentionné le paragraphe 76 dans ses motifs : voir 2020 CF 843 au para 16.

[59] Au présent stade de la procédure, après que des requêtes ont été débattues et tranchées sur la base d’un exposé conjoint des faits et, au moins dans une certaine mesure, sur la base du paragraphe 76, la modification proposée à l’ECF causerait un préjudice à la partie défenderesse et aurait une incidence apparente sur les décisions et le processus de la Cour. Après avoir accepté que l’ECF aide la Cour à trancher la requête pour outrage, les parties ne peuvent pas revenir en arrière et en débattre de nouveau le contenu, à moins qu’une partie n’obtienne gain de cause en appel (comme dans l’arrêt Janssen). Je constate qu’il n’y a par ailleurs aucune allégation ou preuve de fraude ou de faute grave à l’appui de la modification proposée.

[60] Troisièmement, ces deux raisons impliquent qu’il n’est pas possible d’établir des conditions en vertu du paragraphe 75(1) qui protègent les droits du défendeur. Les circonstances ne relèvent pas du paragraphe 75(2).

[61] La quatrième raison pour rejeter la requête du demandeur tient compte de la nature de l’erreur alléguée, des circonstances qui ont donné lieu à l’erreur à modifier, des raisons de la modification proposée à l’ECF et de la nécessité générale de s’assurer que la Cour s’appuie sur des éléments de preuve exacts. Comme je vais l’expliquer, les circonstances et les éléments de preuve n’étayent pas les observations de M. Hughes essentiellement concernant une erreur liée au paragraphe 76 de l’ECF.

[62] M. Hughes demande que les mots [traduction] « étape initiale obligatoire » soient supprimés du paragraphe 76. Il est important de comprendre cette expression dans le paragraphe 76 et dans l’ensemble de l’ECF.

[63] Plus tôt dans l’ECF, au paragraphe 51, les parties ont convenu que le 10 décembre 2018, l’avocat de Transports Canada avait [traduction] « envoyé des copies des formulaires requis d’autorisation de sécurité et de filtrage de sécurité du personnel à l’avocat de M. Hughes ». Au paragraphe 67, l’ECF indique que le 17 janvier 2019, l’avocat de Transports Canada [traduction] « a écrit à l’avocat de M. Hughes pour lui fournir de plus amples renseignements relatifs à la remise des formulaires d’autorisation de sécurité » et pour confirmer que M. Hughes serait remboursé des frais associés à la prise d’empreintes digitales sur présentation d’un reçu, ou encore que Transports Canada effectuerait un paiement direct à l’emplacement où M. Hughes choisirait de faire prendre ses empreintes.

[64] Le paragraphe 72 de l’ECF mentionne que, depuis le 1er juin 2018, [traduction] « un poste de PM04 est disponible » à Transports Canada. Le paragraphe 74 indique que, le 26 juin 2019, l’avocat de M. Hughes a demandé à l’avocat de Transports Canada de [traduction] « fournir à M. Hughes une lettre d’offre signée conformément à la décision sur les mesures de redressement ». Au paragraphe 75, il est affirmé que le 13 septembre 2019, l’avocat de M. Hughes a écrit à l’avocat de Transports Canada pour lui demander pourquoi [traduction] « il fallait autant de temps pour rendre effective [la nomination à un poste d’analyste du renseignement] ».

[65] Puis, le paragraphe 76 signale qu’à la date de l’ECF, soit le 10 octobre 2019, [traduction] « Transports Canada n’a pas reçu les formulaires d’autorisation de sécurité dûment remplis par M. Hughes, une étape initiale obligatoire pour la nomination au poste d’analyste du renseignement ».

[66] Le fait que Transports Canada n’avait pas reçu les formulaires d’autorisation de sécurité remplis de M. Hughes le 10 octobre 2019 n’est pas contesté. Le paragraphe 76 indique que la réception de ces formulaires d’autorisation de sécurité remplis est une étape initiale obligatoire pour la nomination. Dans le contexte des passages précédents de l’ECF, le paragraphe 76 renseigne le lecteur sur la situation à ce moment‑là relativement aux formulaires d’autorisation de sécurité qui ont été envoyés à M. Hughes dix mois auparavant, en décembre 2018. Le paragraphe 76 fournit également une réponse partielle à la question naturelle qu’un lecteur se poserait concernant la raison pour laquelle M. Hughes n’a pas été nommé au poste qui, selon le paragraphe 72, était vacant depuis le 1er juin 2018.

[67] C’est en effet la question qui est posée au paragraphe 75 de l’ECF : pourquoi fallait‑il autant de temps pour rendre effective la nomination de M. Hughes au poste? La réponse du paragraphe 76 est que Transports Canada n’avait pas encore reçu les formulaires d’autorisation de sécurité remplis, ce qui constituait une étape initiale obligatoire pour la nomination de M. Hughes.

[68] Les éléments de preuve en l’espèce n’expliquent pas en détail toutes les étapes qui précèdent la nomination d’une personne au poste d’analyste du renseignement chez Transports Canada. Toutefois, il n’est pas surprenant qu’une personne ait à remplir un ou plusieurs formulaires afin qu’un employeur puisse faire enquête et procéder à des vérifications aux fins d’une autorisation de sécurité. Il est également très clair que l’autorisation de sécurité est nécessaire à la nomination ordonnée par le Tribunal. Au paragraphe 1 de sa décision sur les mesures de redressement, le Tribunal ordonne que Transports Canada intègre M. Hughes « sous réserve de la cote de sécurité requise, à la première occasion raisonnable et sans concours, au poste d’analyste du renseignement [...] ». Il ressort clairement de cet énoncé que la cote de sécurité est requise, et que la nomination de M. Hughes à ce poste est « sous réserve de » la cote de sécurité requise. Le paragraphe 272 de la décision sur les mesures de redressement va dans le même sens : le Tribunal conclut qu’« à condition que M. Hughes réponde à toutes les conditions d’embauche requises – y compris la cote de sécurité », Transports Canada doit l’intégrer dès la première occasion raisonnable à titre d’analyste du renseignement PM‑04.

[69] Les arguments de M. Hughes en l’espèce ont soulevé des questions relatives au déroulement de la négociation de l’ECF et ont allégué une erreur commune ou mutuelle dans cet exposé concernant l’expression qui figure au paragraphe 76. Je vais traiter de chacune de ces questions à tour de rôle.

[70] Les parties ont élaboré l’ECF à la suggestion de la protonotaire Ring, en sa qualité de juge responsable de la gestion de l’instance. Elles ont convenu d’en achever l’élaboration au plus tard le 10 octobre 2019. Les éléments de preuve produits dans la présente requête révèlent que l’avocat du défendeur a préparé un premier projet d’ECF. Il y a eu des échanges de courriels entre les parties avant sa mise au point définitive. D’après ces courriels :

  • Un premier projet d’ECF a été préparé et envoyé à M. Hughes par courriel par l’avocat du défendeur le 4 octobre 2019.
  • M. Hughes a annoncé par courriel le 8 octobre que son examen du projet d’ECF [traduction] « demand[ait] plus de temps que je ne le pensais » et a demandé si les parties pouvaient indiquer au tribunal que l’ECF serait déposé une semaine plus tard que prévu. L’avocat du défendeur a répondu par courriel le 8 octobre qu’il ne voyait pas d’inconvénient à une prolongation de délai, bien que cela puisse causer un retard dans l’audition à venir de la requête de M. Hughes pour outrage.
  • Toutefois, le lendemain matin (9 octobre), M. Hughes a affirmé par courriel qu’il pensait que [traduction] « nous pouvons l’achever à temps ». Il a proposé quelques modifications mineures à l’ébauche dans l’état où elle se trouvait alors, de même qu’un certain nombre de faits qu’il souhaitait ajouter. Peu après, il a demandé plusieurs autres ajouts, toujours par courriel.
  • L’avocat du défendeur a répondu en substance aux modifications proposées le 10 octobre. Certaines modifications étaient satisfaisantes, tandis que d’autres nécessitaient des changements ou ne pouvaient pas être incorporées pour une autre raison (par exemple, un point pouvait faire l’objet d’une argumentation devant la Cour par les deux parties).
  • Il n’y a pas eu de discussion ou de négociation particulière sur l’expression [traduction] « étape initiale obligatoire » ni sur le paragraphe 76 dans son ensemble.
  • En fin d’après‑midi le 10 octobre, le défendeur a présenté le projet final d’ECF par courriel, en demandant une signature à M. Hughes.
  • M. Hughes a indiqué par courriel vers 16 heures le 10 octobre 2019 qu’il acceptait cette version et a demandé au défendeur d’accepter son courriel comme signature électronique.
  • L’ECF final a été déposé à la Cour ce jour‑là.

[71] À mon avis, la correspondance échangée par courriel pendant la négociation de l’ECF n’étaye pas l’allégation selon laquelle l’avocat du défendeur aurait tiré avantage de l’absence de représentation juridique de M. Hughes ou que M. Hughes n’a pas eu suffisamment de temps pour examiner le projet d’ECF. Sur ce dernier point, M. Hughes a d’abord demandé un délai et il aurait pu l’obtenir avec l’appui de l’avocat du défendeur. Toutefois, peu après, il a dit qu’il n’en avait pas besoin. En outre, il a proposé des ajouts et des modifications à l’ECF, que l’avocat du défendeur a traités raisonnablement, en acceptant certains d’entre eux et en refusant certains autres. Sur la base des courriels entre les parties, les parties ont négocié et accepté le contenu de l’ECF.

[72] Au sujet de l’allégation d’erreur, les éléments de preuve n’étayent pas la modification ou la correction de l’ECF en raison d’une erreur, mutuelle ou commune. La manière dont l’ECF a été élaboré, le contexte du paragraphe 76 au sein de l’ECF et la manière dont les parties ont négocié l’ECF indiquent tous qu’il n’y a pas eu d’erreur mutuelle ou commune. Au contraire, il y a eu rencontre des volontés pour accepter l’ECF et le paragraphe 76. Il n’y a pas de preuve d’une erreur concernant le paragraphe 76 dans les communications entre les parties en octobre 2019. Plus précisément, il n’y a pas eu d’erreur commune (les parties n’ont pas fait la même erreur sur un élément fondamental qui entacherait leur accord) et il n’y a pas eu d’erreur mutuelle (les deux parties ne se sont pas trompées sur des choses différentes; l’existence de l’ECF dans son ensemble n’est pas contestée).

[73] Il ressort du dossier de requête du demandeur et de ses observations que M. Hughes estime désormais, avec le recul, qu’il n’aurait pas dû accepter en octobre 2019 l’inclusion de l’expression [traduction] « étape initiale obligatoire » au paragraphe 76 de l’ECF. Il a affirmé qu’il avait mal compris cette expression et l’avait acceptée par erreur, dans la précipitation et par inadvertance. Toutefois, selon ses observations relatives à la présente requête, cette expression semble également être incompatible avec les arguments que le demandeur souhaite faire valoir en l’espèce, notamment que Transports Canada était tenu de lui remettre une lettre d’offre avant l’autorisation de sécurité (position dont il dit avoir fait état en juin 2019). Cette expression du paragraphe 76 semble également incompatible avec l’intention du demandeur de déposer à l’avenir des requêtes pour outrage ou « non‑respect » de la décision sur les mesures de redressement. J’accepte qu’une « erreur » puisse être découverte après la conclusion d’un accord; c’est en partie ce qui en fait une erreur. Toutefois, la doctrine de l’erreur ne permet pas à une partie de revenir sur un exposé conjoint des faits déposé à la Cour, bien après qu’il a été invoqué par les parties et la Cour, au motif que la partie se rend compte qu’un élément qui y est inclus peut porter préjudice à sa plus récente stratégie d’instance.

[74] Pour ces raisons, donc, M. Hughes n’a fourni aucun fondement lui permettant de faire modifier le paragraphe 76 de l’ECF en raison d’une erreur.

[75] Par souci d’exhaustivité, j’ajouterai que les circonstances de cette affaire ne satisfont pas non plus aux exigences de rectification d’un accord en equity en raison d’une erreur. En particulier, il n’existe aucune preuve qu’une erreur a été commise par les deux parties au moment de la conclusion de l’accord, de telle sorte que le paragraphe 76 de l’ECF puisse être rectifié aujourd’hui pour refléter leur intention commune en octobre 2019. En d’autres termes, il n’existe aucune preuve d’erreur de la nature d’une erreur de transcription au paragraphe 76 de l’ECF. Je ne pourrais pas non plus conclure que les circonstances (exposées ci‑dessus) appellent une rectification en raison d’une erreur unilatérale, compte tenu des préalables rigoureux auxquels cette réparation est assujettie. En bref, il n’y a aucun fondement justifiant la modification du paragraphe 76 pour reconstituer le marché original conclu par les parties : voir Canada (Procureur général) c Hôtels Fairmont Inc., 2016 CSC 56, [2016] 2 RCS 720 aux para 12 à 15; Performance Industries Ltd. c Sylvan Lake Golf & Tennis Club Ltd., 2002 CSC 19, [2002] 1 RCS 678.

IV. Conclusion

[76] Je ne puis conclure, eu égard à la preuve au dossier, qu’il y a un motif justifiant l’intervention de notre Cour pour modifier le paragraphe 76 de l’ECF, que ce soit en vertu de l’article 75 des Règles ou en considérant l’expression [traduction] « étape initiale obligatoire » comme un aveu formel dont la rétractation requiert l’autorisation de la Cour. Il n’est pas dans l’intérêt de la justice de modifier l’ECF déposé à la Cour le 10 octobre 2019.

[77] En conséquence, la requête du demandeur en modification du paragraphe 76 de l’ECF est rejetée, avec dépens.


ORDONNANCE dans le dossier T‑1315‑18

LA COUR ORDONNE :

  1. La requête du demandeur en modification du paragraphe 76 de l’exposé conjoint des faits déposé à la Cour le 10 octobre 2019 est rejetée.

  2. Le demandeur doit payer au défendeur les dépens afférents à la requête, fixés à 250,00 $.

Juge

« Andrew D. Little »

Juge

Juge

Traduction certifiée conforme

Isabelle Mathieu, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1315‑18

 

INTITULÉ :

CHRIS HUGHES c LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE et TRANSPORTS CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (Ontario)

 

REQUÊTE PRÉSENTÉE PAR ÉCRIT EXAMINÉE À TORONTO (ONTARIO), EN APPLICATION DE L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

Le juge A.D. LITTLE

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 30 novembre 2020

 

OBSERVATIONS ÉCRITES PAR :

Chris Hughes

POUR LE DEMANDEUR

REPRÉSENTÉ PAR LUI‑MÊME

 

Malcolm Palmer

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Chris Hughes

 

POUR LE DEMANDEUR

REPRÉSENTÉ PAR LUI‑MÊME

 

Daniel Poulin

Malcolm Palmer

Procureur général du Canada

POUR LA COMMISSION

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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