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Date : 20201230


Dossier : IMM‑977‑20

Référence : 2020 CF 1194

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 30 décembre 2020

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

OLUFEMI ABDULKABIR IMAM

LATEEFAT ADEBIMPE OLATUNDUN HAMMED IMAN

ASIYAH YETUNDE OLUWABUSAYO IMAN

AHSAN ADESHINA OLUWASUNMIBARE IMAM

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section d’appel des réfugiés [la SAR] datée du 16 janvier 2020, laquelle confirmait le rejet de leur demande d’asile au motif que ceux‑ci n’avaient pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

[2]  Le demandeur principal [le DP], son épouse et leurs enfants mineurs sont citoyens du Nigéria et demandent l’asile puisqu’ils craignent qu’un membre de leur famille leur cause un préjudice et d’y être victimes de persécution fondée sur le sexe. En octobre 2014, le DP a quitté le Nigéria et est parti pour les États‑Unis [les É.‑U.]. Sa famille est venue le rejoindre en juillet 2017 et son épouse a alors présenté une demande d’asile, mais le DP n’a pas fait de même. En janvier 2018, les demandeurs ont demandé l’asile au Canada.

[3]  La Section de la protection des réfugiés a jugé que les demandeurs n’étaient pas crédibles et que leur comportement était incompatible avec leurs craintes alléguées. La SAR a confirmé la décision pour des motifs liés à la crédibilité, au retard et au défaut du DP de demander l’asile aux É.‑U.

[4]  Le présent contrôle judiciaire concerne le caractère raisonnable des conclusions de la SAR quant à l’allégation des demanderesses relative à la persécution fondée sur le sexe et au défaut par le DP de demander l’asile aux É.‑U. Une décision raisonnable est intrinsèquement cohérente, rationnelle et justifiée à la lumière des contraintes juridiques et factuelles (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65).

[5]  Les demandeurs soulèvent un certain nombre de préoccupations. Ils soutiennent que les demanderesses auraient dû voir leurs demandes d’asile examinées séparément de la demande d’asile du DP et que les Directives numéro 4 du président : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe (les Directives) n’ont pas été respectées. Ils allèguent également que le défaut du DP de demander l’asile aux É.‑U. n’était pas incompatible avec une crainte subjective au vu de l’explication raisonnable s’appuyant sur le climat politique qu’ils ont fournie.

[6]  D’emblée, des conclusions quant à la crédibilité peuvent influencer l’évaluation de la demande d’asile dans son ensemble. Il ne suffit pas de démontrer que des conclusions différentes auraient pu être tirées au vu de la preuve pour requérir une intervention. Le fardeau de preuve requiert plutôt de démontrer que les conclusions sont abusives, arbitraires ou tirées sans égard à la preuve (Zhu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1139, aux para 47 et 49).

[7]  La SAR a conclu, en l’espèce, que les omissions importantes du DP n’avaient pas été expliquées de manière raisonnable. Celui‑ci n’a pas mentionné craindre que son épouse, ses enfants ou lui‑même subissent un préjudice au Nigéria durant ses entrevues avec l’agent de l’ASFC, tout comme il a omis de déclarer à l’Annexe A son travail à la ferme, alors que ce lieu est à l’origine de sa crainte qu’un membre de sa famille lui cause un préjudice.

[8]  Les demandeurs ne contredisent pas cette conclusion autrement qu’en réitérant leur désaccord envers le rejet de leur explication selon laquelle leur situation de détention, leur croyance qu’il leur suffisait de dresser un portrait général de leur situation ainsi que le manque de sommeil et l’état dépressif du DP étaient à la source de leurs omissions.

[9]  Ces explications ne réussissent pas à satisfaire le seuil exigé par la jurisprudence pour justifier une intervention à l’égard d’une conclusion portant sur la crédibilité. Ce constat s’étend à l’explication fournie par le DP selon laquelle le climat politique justifiait son défaut de présenter une demande d’asile à la première occasion.

[10]  À cet égard, la SAR a tenu compte, en s’appuyant sur des articles relatifs au climat politique, du défaut par le DP de s’enquérir à propos des options qui lui auraient permis de dissiper sa crainte de subir un préjudice, ou d’explorer ces options, notamment au cours de la période de sept mois s’étant écoulée entre l’expiration de son visa de visiteur et son parrainage par un citoyen américain, ainsi qu’après la fin de ce parrainage à compter de janvier 2017. On demande essentiellement à la Cour de soupeser de nouveau la preuve, ce qu’elle ne peut faire dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

[11]  En ce qui concerne les arguments des demandeurs au sujet des allégations des demanderesses liées à la persécution fondée sur le sexe, il est évident que celles‑ci renvoient à des expériences personnelles et à des craintes qui diffèrent de celles que le DP a fait valoir, bien qu’il s’agisse de la même cellule familiale et que leurs exposés soient similaires. La SAR a, à juste titre, examiné les allégations des demanderesses séparément, comme en témoignent l’analyse distincte réservée à cette prétention dans sa décision ainsi que le fait qu’elle ait expressément requis que le fardeau de preuve afférent à ces allégations soit satisfait indépendamment de celui afférent à la crainte d’un membre de la famille invoquée collectivement par les demandeurs.

[12]  L’analyse s’est concentrée sur le fardeau de preuve des demanderesses d’établir que leur appartenance à un groupe social les expose à une possibilité sérieuse de persécution fondée sur le sexe au Nigéria. Cette façon de procéder est conforme aux Directives qui ont été prises en compte par la SAR.

[13]  Bien que la documentation sur le pays fasse état de persécutions généralisées au Nigéria, ce fait ne peut à lui seul suffire à étayer la demande d’asile à cet égard. En conformité avec les Directives et avec le Country Information and Guidance, la SAR a indiqué que les demanderesses doivent démontrer qu’elles craignent véritablement de subir un préjudice, ce qui dépendra de leurs situations particulières (voir aussi Alkurd c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 298, au para 23). Cette preuve n’a pas à être étayée par un ensemble de faits qui leur sont propres; l’emploi, par la SAR, des termes « personnellement exposées à un risque » et « crainte subjective de préjudice » n’est pas contraire à cette analyse lorsque ces termes sont contextualisés.

[14]  À ce stade, la SAR a jugé qu’il n’existait pas de preuve de crainte de subir un préjudice, outre ce qui était allégué dans le formulaire Fondement de la demande d’asile. Dans celui‑ci, l’épouse affirme craindre l’un des membres de sa famille, les hommes qui l’ont agressée en 2014 ainsi que l’homme qui l’a suivie en 2017. La SAR n’a pas remis en cause sa crédibilité ou l’exposé concernant l’agression sexuelle. La SAR n’était pas tenue de référer aux éléments de preuve de la demande qui portaient sur ce sujet – celle‑ci admettant la chronologie, les témoignages antérieurs et les éléments de preuve au dossier – au vu de la preuve circonstancielle provenant des voisins, du témoignage de l’épouse du DP et d’un rapport médical, tous versés antérieurement au dossier des demandeurs.

[15]  Enfin, la SAR a indiqué que la preuve documentaire sur le pays n’apporte rien à la prétention des demanderesses selon laquelle elles courent un risque sérieux d’être persécutées. L’épouse du DP est une professionnelle instruite et mariée et elle ne vit pas seule dans le sud du Nigéria.

[16]  La SAR a par conséquent conclu que les demanderesses n’ont pas établi que leur profil les exposait à une possibilité sérieuse qu’elles soient victimes de persécution fondée sur le sexe au Nigéria.

[17]  En l’absence de preuve contraire, il existe une présomption selon laquelle la SAR a tenu compte de l’ensemble des éléments de preuve dont elle disposait. Elle n’est pas tenue de faire référence à la totalité du dossier. Les conclusions de la SAR en ce qui a trait à la crédibilité du DP, à son défaut de demander l’asile aux É.‑U. et aux allégations des demanderesses quant à leur crainte de subir de la persécution fondée sur leur sexe sont raisonnables. Pour les motifs exposés précédemment, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑977‑20

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« Michel M.J. Shore »

Juge

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑977‑20

 

INTITULÉ :

OLUFEMI ABDULKABIR IMAM ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 DÉCEMBRE 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 30 DÉCEMBRE 2020

 

COMPARUTIONS :

Kate Forrest

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Zoé Richard

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Kate Forrest

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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