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Date : 20201224

Dossier : T-2023-18

Référence : 2020 CF 1189

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 24 décembre 2020

En présence de monsieur le juge en chef

ENTRE :

ALLERGAN INC.

demanderesse

et

SANDOZ CANADA INC.

défenderesse

et

KISSEI PHARMACEUTICAL CO., LTD.

défenderesse/propriétaire de brevet

ET ENTRE :

SANDOZ CANADA INC.

demanderesse reconventionnelle

et

ALLERGAN INC. et KISSEI PHARMACEUTICAL CO., LTD.

défenderesses reconventionnelles


JUGEMENT ET MOTIFS - VERSION PUBLIQUE

(Identique au jugement confidentiel et aux motifs publiés le 23 décembre 2020)

Table des matières

I. Introduction 4

II. Contexte 5

A. Les parties 5

B. Hypertrophie bénigne de la prostate, dysurie et silodosine 7

III. Le brevet 002 8

IV. Questions en litige 11

V. Témoins 11

A. Témoins d’Allergan 11

(1) Mme Linda Felton 11

(2) Mme Jenna Wilson 12

(3) M. MacGregor 13

B. Témoins de Sandoz 14

(1) M. Reza Fassihi 14

(2) M. Michael I. Stewart 15

VI. Analyse 16

A. Interprétation des revendications 16

(1) Principes juridiques 16

(2) La personne versée dans l’art 20

(3) Connaissances générales courantes 22

(4) Les éléments essentiels du brevet 002 26

(a) Revendication 1 28

(i) Le premier volet du critère : Une interprétation téléologique des éléments relatifs à la granulation par voie humide 29

(ii) Le deuxième volet du critère : La personne versée dans l’art aurait‑elle constaté qu’un procédé par voie sèche pouvait être remplacé sans que cela ne modifie le fonctionnement de l’invention? 44

(iii) L’historique de la poursuite de la demande visant le brevet 002 48

(iv) Résumé : Éléments essentiels de la revendication 1 56

(b) Revendications 2 et 3 58

(c) Revendication 6 58

B. Le brevet 002 est-il invalide pour cause d’évidence? 61

(1) Introduction 61

(2) Le critère juridique 63

(3) Évaluation 66

(a) Première étape - La personne versée dans l’art et les connaissances générales courantes pertinentes 66

(b) Deuxième étape : concept inventif 67

(c) Troisième étape : les différences entre l’état de la technique et le concept inventif 71

(d) Quatrième étape - Les différences entre le concept inventif et l’état de la technique étaient-elles évidentes? 73

(i) Est-il plus ou moins évident que l’essai sera fructueux? Existait-il un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes versées dans l’art? 73

(ii) Quels efforts — leur nature et leur ampleur — ont été requis? Les essais étaient-ils courants ou l’expérimentation a-t-elle été longue et ardue de telle sorte que les essais ne peuvent être qualifiés de courants? 78

(iii) La technique antérieure fournit-elle un motif de rechercher la solution au problème qui sous-tend le brevet 002? 90

(iv) L’expérience d’Allergan 92

(v) Résumé de l’évaluation de l’« essai allant de soi » 95

(e) Conclusion concernant l’allégation d’évidence 95

C. Contrefaçon 96

D. La défense Gillette 96

VII. Dépens 96

ANNEXE 1 - Législation pertinente 100

 

I. Introduction

[1] La présente action comporte trois grandes questions. La première consiste à savoir si la défenderesse Sandoz Canada Inc. [Sandoz] enfreindra le brevet relatif au médicament d’ordonnance RAPAFLO®, pour lequel la demanderesse Allergan Inc. [Allergan] est la titulaire de licence canadienne exclusive. La deuxième consiste à déterminer si les observations qui ont été faites au cours du processus de demande de brevet au nom de la propriétaire de brevet, la défenderesse Kissei Pharmaceutical Co. Ltd. [Kissei], peuvent être présentées comme éléments de preuve dans la présente instance conformément à l’article 53.1 de la Loi sur les brevets, LRC 1985, c P-4 [la Loi]. La troisième consiste à savoir si le brevet est invalide pour cause d’évidence.

[2] Pour les raisons qui suivent, j’ai conclu que le médicament de remplacement générique à RAPAFLO® dont Sandoz demande l’approbation de produire [le produit de Sandoz] ne violera pas le brevet en cause, à savoir le brevet canadien no 2,507,002 [le brevet 002]. En effet, certains éléments essentiels des revendications 1 à 3 et 6 de ce brevet ne sont pas enfreints par le produit de Sandoz. La prétention d’Allergan à l’effet contraire repose sur une lecture du brevet qui, si elle est maintenue, nuirait à la certitude et à la prévisibilité du système des brevets et freinerait la concurrence commerciale.

[3] J’ai également conclu que l’article 53.1 de la Loi ne peut être invoqué dans la présente instance. En effet, Allergan n’est pas un « titulaire d’un brevet » au sens de la Loi. Par conséquent, les observations présentées au Bureau des brevets au nom de Kissei et les modifications apportées au brevet proposé au cours du processus de demande de brevet sont des preuves extrinsèques irrecevables.

[4] Enfin, j’ai conclu que le brevet 002 en question n’est pas invalide pour cause d’évidence. En effet, i) il n’était pas plus ou moins évident que l’invention revendiquée devait fonctionner; ii) la personne versée dans l’art du brevet 002 n’aurait probablement pas pensé que l’invention revendiquée pourrait être réalisée relativement rapidement, par expérimentation de routine; iii) l’expérimentation réellement entreprise pour réaliser l’invention revendiquée a été longue et ardue; iv) la personne versée dans l’art n’aurait eu aucun motif de rechercher l’objet de l’invention revendiquée.

II. Contexte

A. Les parties

[5] Allergan est une société pharmaceutique constituée en vertu des lois du Canada. Son adresse principale est située à Markham, en Ontario. Allergan est une « première personne » au sens des paragraphes 4(1) et 6(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 [le Règlement].

[6] Allergan est autorisée à fabriquer, à commercialiser et à vendre les capsules RAPAFLO® au Canada conformément à une série d’avis de conformité délivrés par Santé Canada et datés respectivement des 11 janvier 2011, 29 janvier 2015, 5 avril 2017 et 12 mars 2018. Les capsules RAPAFLO® contiennent de la silodosine en tant que principe actif et sont vendues à des doses de 4 mg et de 8 mg de silodosine. RAPAFLO® est indiqué dans le traitement de l’hypertrophie bénigne de la prostate.

[7] Kissei est une société pharmaceutique établie au Japon. Elle a été jointe à la présente action en application du paragraphe 6(2) du Règlement. Kissei ne prend pas position sur la question de savoir si le produit de Sandoz enfreindra le brevet 002. Toutefois, elle nie que les revendications du brevet 002 soient invalides, nulles ou sans force ni effet. Elle adopte les observations d’Allergan à cet égard et s’y fonde, et elle n’a pas comparu au procès.

[8] Sandoz est une société pharmaceutique constituée en vertu des lois du Canada. Son bureau principal est situé à Boucherville, au Québec. Il s’agit d’une « seconde personne » au sens des paragraphes 5(1) et 6(1) du Règlement.

[9] Afin que Santé Canada autorise la mise en marché du produit de Sandoz au Canada par la délivrance d’un avis de conformité, Sandoz a déposé une présentation abrégée de drogue nouvelle visant des capsules de 4 mg et de 8 mg de silodosine, indiquées dans le traitement des signes et symptômes de l’hypertrophie bénigne de la prostate [HBP]. Puisque la présentation abrégée de drogue nouvelle de Sandoz se fondait sur l’avis de conformité délivré à Allergan pour RAPAFLO®, Sandoz a signifié un avis d’allégation à Allergan conformément au paragraphe 5(3) du Règlement le 16 octobre 2018 approximativement.

[10] Allergan a intenté la présente action en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement peu de temps après.

B. Hypertrophie bénigne de la prostate, dysurie et silodosine

[11] L’HBP est une modification anatomique de la prostate d’un homme. Il est généralement entendu que l’abréviation HBP désigne l’hypertrophie bénigne de la prostate, soit une affection caractérisée par l’augmentation du volume des cellules de la prostate. Parfois, le terme HBP est également utilisé pour désigner l’hyperplasie bénigne de la prostate, soit une affection caractérisée par l’augmentation du nombre de cellules dans la prostate.

[12] L’HBP est la tumeur bénigne la plus courante chez l’homme. Elle est souvent liée à l’âge et touche surtout les hommes âgés de plus de 50 ans. L’HBP se manifeste cliniquement par des troubles liés au stockage de l’urine (comme des mictions fréquentes ou impérieuses), des perturbations de l’évacuation (dont diverses difficultés liées à la miction) et des douleurs à la miction. Si elle n’est pas traitée, l’HBP peut entraîner d’autres symptômes et des infections.

[13] La silodosine, administrée sur ordonnance par voie orale, est indiquée dans le traitement des signes et symptômes de l’HBP. Elle appartient à une classe de médicaments appelés « alpha1-bloquants ». Ces médicaments agissent en inhibant les récepteurs alpha1 qui se trouvent dans la vessie et la prostate et qui induisent la contraction des muscles lisses de ces organes. En permettant aux muscles de la vessie et de la prostate de se détendre, les alpha1-bloquants comme la silodosine peuvent atténuer les symptômes de l’HBP et faciliter la miction.

[14] La silodosine est fabriquée, commercialisée et vendue au Canada et aux États-Unis sous la marque nominative RAPAFLO®. Les numéros d’identification numérique (DIN) attribués par Santé Canada à RAPAFLO® sont 02361663 (4 mg) et 02361671 (8 mg).

III. Le brevet 002

[15] Le brevet 002 est intitulé « Médicament solide administré par voie orale ». Les personnes nommées comme inventeurs sont Tsuyoshi Naganuma et Mitsuo Muramatsu [les inventeurs].

[16] Le brevet 002 a été délivré à la suite d’une demande déposée le 11 décembre 2003 revendiquant la priorité du brevet japonais JP2002-364238, dont la demande a été déposée le 16 décembre 2002 [la date de la revendication]. Il a été publié (« mise à la disponibilité du public ») le 1er juillet 2004 [la date de publication] et délivré le 18 septembre 2012.

[17] À titre d’observation préliminaire, je tiens à préciser qu’ Allergan et Sandoz reconnaissent que la traduction anglaise du brevet 002 est sous-optimale et que cela peut expliquer certaines des ambiguïtés du document. Bref, la traduction contient des passages peu clairs, utilise des termes incohérents et présente des lacunes grammaticales. Néanmoins, comme Allergan l’a fait remarquer au cours de la procédure, la traduction est néanmoins [traduction] « suffisante [...] pour nous permettre de comprendre de quoi parle le brevet » : transcription publique, à la p 636.

[18] Dans une courte section du brevet 002 qui aborde la technique antérieure (« Background Art »), il est indiqué qu’il était établi que la silodosine, incluse comme principe actif dans une forme pharmaceutique solide, contribuait au traitement de la dysurie sans avoir d’effet hypotensif marqué et sans provoquer d’hypotension orthostatique. Toutefois, la documentation antérieure mentionnée dans ce brevet ne divulguait pas comment préparer une forme pharmaceutique solide en capsule au moyen des méthodes classiques ou même de toute autre méthode. Le brevet précise que la préparation d’une telle capsule était extrêmement difficile à réaliser, en raison des propriétés adhésives puissantes de la silodosine qui y sont divulguées. Compte tenu de ces propriétés, un lubrifiant doit être utilisé dans la préparation des capsules de silodosine. Toutefois, l’ajout de lubrifiant [traduction] « entraîne un problème, soit le ralentissement du temps de dissolution ».

[19] De manière générale, l’invention revendiquée dans le brevet 002 est une forme pharmaceutique orale solide en capsule qui est destinée au traitement de la dysurie, qui renferme de la silodosine comme principe actif et des excipients précis et qui est fabriquée selon des méthodes garantissant un profil de dissolution rapide défini. Selon la divulgation du brevet, l’invention a également [traduction] « un haut degré de précision pour ce qui est de l’uniformité du contenu, une bonne stabilité et d’excellentes propriétés de dissolution ». Il y est en outre indiqué qu’un objectif important des inventeurs était d’atteindre [traduction] « une grande uniformité du contenu entre les lots de préparation ».

[20] Les excipients précisés dans le brevet sont les suivants : i) D-mannitol, ii) amidon partiellement prégélatinisé, iii) lubrifiant sélectionné dans le groupe comprenant le stéarate de magnésium, le stéarate de calcium et le talc, et iv) laurylsulfate de sodium. La description du profil de distribution rapide précise un temps de dissolution de 85 % de la capsule qui [traduction] « ne dépasse pas 15 minutes dans un essai de dissolution effectué suivant la méthode 2 (méthode utilisant un appareil à palette) de la pharmacopée japonaise dans une situation où l’eau est utilisée comme milieu d’essai avec une vitesse de rotation de la palette de 50 tr/min » [la méthode 2].

[21] Sandoz a admis, aux fins de la présente action, que le produit de Sandoz contenait de la silodosine, du D-mannitol, de l’amidon partiellement prégélatinisé, du stéarate de magnésium et du laurylsulfate de sodium, et que la dissolution des capsules atteignait 85 % en au plus 15 minutes selon la méthode 2.

[22] Toutefois, le produit de Sandoz ne contient pas de « granulés » et ne fait intervenir aucune « granulation » ni aucun « procédé de granulation par voie humide » [ensemble, les éléments relatifs à la granulation par voie humide], lesquels font partie des revendications indépendantes en litige en l’espèce, à savoir les revendications 1 et 6 du brevet 002. Le produit de Sandoz est fabriqué au moyen d’une méthode de formulation « par voie sèche ».

[23] Les revendications contestées sont reproduites et examinées ci-dessous à la partie VI.A.(4) des présents motifs.

IV. Questions en litige

[24] La présente instance comporte trois principales questions en litige. Les voici :

  • 1) Les éléments relatifs à la granulation par voie humide dans les revendications 1 à 3 et 6 sont-ils essentiels?

  • 2) L’historique de poursuite relatif au brevet 002 est-il admissible contre Allergan au titre de l’article 53.1 de la Loi? Dans l’affirmative, quelles sont les conséquences éventuelles des modifications apportées aux revendications et aux observations correspondantes présentées au Bureau des brevets par un représentant de Kissei?

  • 3) Le brevet 002 est-il invalide pour cause d’évidence?

V. Témoins

[25] Allergan et Sandoz se sont entendus sur les qualifications des quatre témoins experts qui ont témoigné en l’espèce.

A. Témoins d’Allergan

(1) Mme Linda Felton

[26] Mme Felton est professeure de sciences pharmaceutiques et directrice du département des sciences pharmaceutiques à la Faculté de pharmacie de l’Université du Nouveau-Mexique. Elle se spécialise dans la formulation pharmaceutique, principalement les formes pharmaceutiques orales solides, et est qualifiée pour émettre des avis sur les méthodes de formulation (notamment la granulation par voie humide, la granulation par voie sèche et le mélange à sec), le rôle des excipients utilisés dans la formulation, l’évaluation et l’analyse de la dissolution, ainsi que les propriétés physiques et chimiques des excipients et des compositions pharmaceutiques.

[27] Mme Felton a témoigné au sujet des questions relatives à la « contrefaçon » et à l’« évidence » dans la présente instance. Plus précisément, elle a témoigné au sujet des éléments essentiels des revendications 1, 2, 3 et 6 du brevet 002 et de la question de savoir si ce brevet est invalide pour cause d’évidence. Elle s’est également penchée sur des questions connexes telles que la personne versée dans l’art à qui le brevet 002 s’adresse [la personne versée dans l’art], les connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art, la façon dont le brevet 002 aurait été compris par cette personne, la technique antérieure, certains documents internes de Kissei et l’invention visée par le brevet. De plus, elle a commenté les essais expérimentaux réalisés par M. MacGregor.

[28] Le témoignage de Mme Felton était, de façon générale, franc et direct. Elle a volontiers fait certaines concessions en contre-interrogatoire. Bien que l’avocat ait eu du mal à obtenir des réponses de sa part à d’autres occasions, il semble que ce soit parce qu’elle s’efforçait d’être précise ou de trouver des nuances potentiellement importantes. D’une manière générale, son témoignage a été mieux appuyé et plus utile en ce qui concerne la question de l’évidence que pour ce qui est de la question des éléments essentiels du brevet 002.

(2) Mme Jenna Wilson

[29] Mme Wilson est une avocate inscrite en exercice et agente de brevets au Canada et aux États-Unis comptant plus de 20 ans d’expérience dans la pratique en matière de brevets. Elle possède une expertise en rédaction, dépôt et poursuite des demandes de brevet devant l’Office de la propriété intellectuelle du Canada [OPIC] et de l’United States Patent and Trademark Office [USPTO], ainsi qu’en analyse et interprétation des communications entre l’Office canadien des brevets et le demandeur de brevet en vue de l’octroi d’un brevet.

[30] Mme Wilson a témoigné au nom d’Allergan au sujet de l’historique législatif de l’article 53.1 de la Loi et de l’historique de la poursuite de la demande relative au brevet 002. Son témoignage concernant l’historique législatif de l’article 53.1 était généralement direct, simple et utile. Toutefois, étant donné la conclusion à laquelle je suis parvenu au sujet de l’interprétation de l’article 53.1, son témoignage concernant l’historique de la poursuite de la demande du brevet 002 n’a eu aucune incidence sur ma décision.

(3) M. MacGregor

[31] M. MacGregor est président et doyen de la Faculté au Toronto Institute of Pharmaceutical Technology, institut dédié à la formation en pharmacie industrielle. Il a donné un éventail de cours à cet institut sur une période d’environ 28 ans et effectue des essais de dissolution depuis quelque 30 années.

[32] M. MacGregor a comparu comme témoin de fait et sa déposition a porté sur des expériences d’essais de dissolution qu’il a menées au nom d’Allergan.

[33] Le témoignage de M. MacGregor était franc, très ouvert et pertinent.

B. Témoins de Sandoz

(1) M. Reza Fassihi

[34] M. Fassihi est professeur de biopharmaceutique et de pharmacie industrielle à l’Université Temple. Il se spécialise dans les domaines suivants : conception de systèmes d’administration de médicaments; méthodes de préformulation et de formulation pour les systèmes d’administration de médicaments; excipients et ingrédients non médicinaux utilisés dans les systèmes d’administration de médicaments; évaluation des systèmes d’administration de médicaments, dont les essais de biodisponibilité et de dissolution; exigences réglementaires liées aux systèmes d’administration de médicaments. Dans chacun de ces cinq domaines, M. Fassihi possède une expertise particulière à l’égard des formes pharmaceutiques orales solides.

[35] M. Fassihi a témoigné au sujet des mêmes questions que celles qui ont été abordées par Mme Felton. D’une manière générale, son témoignage était moins direct que celui de Mme Felton, car il avait plusieurs trous de mémoire (bien qu’il ait été très clair sur d’autres questions), mais il semblait réticent à répondre à des questions qui semblaient simples et son témoignage n’était pas toujours cohérent. De plus, son témoignage concernant la question de l’évidence n’était pas aussi bien étayé ou convaincant que celui de Mme Felton. En outre, son témoignage dénotait à de nombreuses reprises une certaine prise de position, lorsqu’il faisait plus qu’apporter une réponse en ajoutant des commentaires hors contexte pour exprimer son point de vue selon lequel quelque chose était évident. Compte tenu de ce qui précède, j’ai conclu de façon générale que le témoignage de Mme Felton méritait un plus grand poids et qu’il était plus convaincant que celui de M. Fassihi sur la question de l’évidence.

[36] Néanmoins, j’ai trouvé que le témoignage de M. Fassihi était très utile et direct à l’égard de l’expérience menée par M. MacGregor. Il a également été franc et utile pour certaines questions qui ont une incidence sur la question du caractère essentiel des éléments relatifs à la granulation par voie humide. J’ai en général jugé son témoignage plus convaincant que celui de Mme Felton sur ces deux questions.

(2) M. Michael I. Stewart

[37] M. Stewart est un agent de brevets canadien et américain enregistré qui possède plus de 40 ans d’expertise dans : 1) la préparation, le dépôt et la poursuite de demandes de brevet auprès de l’OPIC, de l’USPTO et d’autres offices étrangers de brevets dans des domaines tels que la chimie et la pharmacologie; et 2) l’analyse et l’interprétation des communications entre l’Office des brevets et le demandeur de brevet en vue de la délivrance d’un brevet.

[38] M. Stewart a témoigné pour le compte de Sandoz au sujet du processus de poursuite du brevet 002, de son interprétation des positions adoptées par l’examinateur de brevets et par Kissei (par l’intermédiaire de son agent Kirby Eades Gayle Baker) et de la conformité de certaines opinions de Mme Felton avec l’historique de la poursuite de la demande relative au brevet 002. Son témoignage était franc et direct. Toutefois, étant donné la conclusion à laquelle je suis parvenu au sujet de l’interprétation de l’article 53.1 de la Loi, son témoignage n’a eu aucune incidence sur ma décision.

VI. Analyse

A. Interprétation des revendications

(1) Principes juridiques

[39] L’interprétation des revendications d’un brevet doit précéder l’examen de la validité ou de la contrefaçon du brevet : Whirlpool Corp c Camco Inc, 2000 CSC 67 au para 43 [Whirlpool].

[40] Dans le cadre de cet exercice, le libellé des revendications doit être interprété de façon éclairée et en fonction de l’objet, du point de vue d’une personne versée dans l’art : Free World Trust c Électro Santé Inc, 2000 CSC 66 au para 44 [Free World].

[41] La personne versée dans l’art est présumée avoir un esprit désireux de comprendre les revendications, mais être dépourvue d’imagination et d’esprit inventif. Cette « personne » est souvent un être hypothétique ou une combinaison de personnes ayant des compétences différentes. C’est sur la base des « connaissances usuelles » de la personne versée dans l’art, parfois appelées « connaissances générales courantes », que les revendications du brevet doivent être interprétées : Free World, précité, aux para 20, 31e) et 44; Bell Helicopter Textron Canada Limitée c Eurocopter, société par actions simplifiée, 2013 CAF 219 aux para 64‑65 [Bell Helicopter]; Hospira Healthcare Corporation c Kennedy Trust for Rheumatology Research, 2020 CAF 30 au para 79 [Hospira Healthcare (CAF)]; Teva Canada Limitée c Janssen Inc, 2018 CF 754 aux para 64‑66, conf par 2019 CAF 273 [Teva-Janssen].

[42] Pour interpréter les revendications d’un brevet, la Cour peut exiger l’assistance d’un témoin expert, par exemple, en ce qui concerne le sens technique des termes et concepts utilisés dans les revendications, et la façon dont ils auraient été compris par la personne versée dans l’art : Free World, précité, au para 51. Cependant, en fin de compte, l’interprétation des revendications est une question de droit qu’il appartient à la Cour de trancher : Whirlpool, précité, au para 61.

[43] Lorsque le libellé des revendications dans un brevet est clair et sans ambiguïté, il n’est en général pas approprié de recourir à d’autres parties du brevet pour interpréter ces revendications : Mylan Pharmaceuticals ULC c Eli Lilly Canada Inc, 2016 CAF 119 aux para 39 et 43 [Mylan Pharmaceuticals].

[44] Toutefois, pour assurer une interprétation raisonnable et équitable tant pour le titulaire du brevet que pour le public, la Cour peut tenir compte du mémoire descriptif dans son ensemble. En bref, ce document peut éclairer le sens des termes utilisés dans les revendications ou révéler une ambiguïté qui n’est pas apparente à la lecture seule des revendications : Whirlpool, précité, aux para 48, 49 g) et 52‑53; Teva-Janssen, précitée, aux para 73‑76.

[45] L’évaluation doit néanmoins rester axée sur le libellé des revendications : Free World, précité, aux para 39‑40 et 66. Le public doit pouvoir s’en remettre à ce libellé à condition qu’il soit interprété « de manière équitable et éclairée » : Free World, précité, au para 51. Une fois que le libellé des revendications est interprété de la sorte, on ne peut pas s’appuyer sur un autre libellé du brevet pour élargir ou restreindre la portée des revendications telle qu’elle est écrite, ou pour obtenir le résultat souhaité : Whirlpool, précité, au para 52; Free World, précité, au para 32. En effet, « ce sont les revendications, et non le reste du mémoire descriptif, qui définissent le monopole » : Whirlpool, précité, au para 18. Essentiellement, ces revendications représentent les « clôtures » et les « frontières » du brevet qui délimitent « clairement les champs faisant l’objet du monopole » : Free World, précité, au para 14. Pour cette raison, il est interdit de s’en remettre à des indications de ce qui aurait pu être l’« esprit de l’invention » : Free World, précité, au para 31d).

[46] Pour déterminer quels éléments d’une revendication sont essentiels et quels ne le sont pas, la Cour commence par présumer que tous les éléments sont essentiels. Il incombe donc à la partie qui soutient le contraire d’établir le caractère non essentiel : Free World, précité, au para 57; Teva-Janssen, précitée, au para 70.

[47] Cette obligation peut être remplie par la démonstration que i) suivant une interprétation téléologique des termes employés dans la revendication, l’inventeur n’a manifestement pas voulu qu’un élément donné soit essentiel, ou que ii) à la date de publication du brevet, la personne versée dans l’art aurait constaté qu’un élément donné pouvait être substitué sans que cela ne modifie le fonctionnement de l’invention. Une autre façon d’indiquer la dernière partie du critère consiste à déterminer si la personne versée dans l’art aurait jugé manifeste que l’invention « fonctionner[ait] de la même manière » que la variante, en ce sens qu’elle « accomplirait essentiellement la même fonction, d’une manière essentiellement identique pour obtenir essentiellement le même résultat » : Free World, précité, au para 55.

[48] Je suis conscient que, dans Shire Canada Inc c Apotex Inc, 2016 CF 382, au para 137, la Cour a écrit que la Cour suprême du Canada avait vraisemblablement l’intention de considérer comme conjonctif le critère disjonctif décrit aux points i) et ii) du paragraphe précédent. Toutefois, vu les conclusions auxquelles je suis parvenu à la partie VI.A.(4) des présents motifs en ce qui concerne les deux volets du critère relatif au caractère essentiel, la question de savoir si ce critère est disjonctif ou conjonctif n’a aucune incidence pour la présente décision.

[49] Pour vérifier l’intention de l’inventeur, la Cour doit se limiter aux manifestations objectives de cette intention dans les revendications du brevet, interprétées par la personne versée dans l’art à la date pertinente et sans recours à une preuve extrinsèque (sauf dans la mesure maintenant permise par l’article 53.1 de la Loi) : Free World, précité, au para 66.

[50] Lorsqu’elle se livre à une interprétation téléologique des revendications, la Cour doit garder à l’esprit que la portée de la protection par brevet doit être raisonnablement prévisible et que l’incertitude doit être maintenue au minimum. Il s’ensuit que « les éléments subjectifs ou discrétionnaires d’interprétation des revendications [...] doivent être tenus au minimum compatible avec l’octroi à l’inventeur de [TRADUCTION] “l’exclusivité de ce qu’il a inventé de bonne foi” [...] », Free World, précité, au para 43, citant Western Electric Co c Baldwin International Radio of Canada, [1943] RCS 750, à la p 574. Entre autres, cela évite de geler les investissements potentiels et la concurrence : Free World, précité, aux para 41‑42 et 50.

[51] Aux fins de l’interprétation des revendications du brevet 002, la date pertinente est la date de publication, c’est-à-dire le 1er juillet 2004. Il est entendu que les revendications d’un brevet reçoivent une seule et même interprétation à toutes les fins, peu importe qu’il y ait ou non des dates pertinentes différentes pour ces fins : Whirlpool, précité, au para 49b).

(2) La personne versée dans l’art

[52] Allergan et Sandoz, ainsi que leurs experts (Mme Felton et M. Fassihi, respectivement), s’entendent en général sur les titres de compétence de la personne versée dans l’art par rapport au brevet 002. Toutefois, M. Fassihi a estimé que la personne versée ans l’art (qu’il a appelée un « formulateur versé dans l’art ») aurait un peu plus d’expérience ou de formation pertinente.

[53] Selon Mme Felton, ce désaccord mineur n’est pas pertinent. Elle a soutenu que ses opinions sur les questions en litige resteraient inchangées même si la personne versée dans l’art était considérée comme ayant l’expérience ou la formation additionnelle décrite par M. Fassihi.

[54] M. Fassihi n’a pas expliqué pourquoi il estimait que la personne versée dans l’art devait avoir une formation additionnelle ou une expérience supplémentaire d’au moins deux ans, par rapport à la personne versée dans l’art décrite par Mme Felton. Pour sa part, Mme Felton a présenté la description suivante de la personne versée dans l’art :

[traduction]

Tous les excipients et leur fonction générale dans les formulations sont enseignés aux étudiants de premier cycle dans les programmes de pharmacie ou de sciences pharmaceutiques. Les essais de dissolution et de compatibilité des excipients décrits dans le brevet 002 présenteraient un intérêt pour les étudiants de premier cycle de cette discipline et seraient compris par ceux-ci. Les fonctions des différents excipients et la volonté d’obtenir une vitesse de dissolution précise sont expliquées dans les manuels que j’ai utilisés pour enseigner.

[55] Au vu de l’explication ci-dessus, j’accepte la position de Mme Felton quant à l’expérience et à la formation de la personne versée dans l’art. En résumé, cette personne serait titulaire d’un baccalauréat en sciences pharmaceutiques, en chimie ou dans une discipline scientifique connexe et posséderait d’une à trois années d’expérience en laboratoire pendant lesquelles elle aurait mis en pratique les connaissances acquises durant sa formation. L’expérience en laboratoire se rapporterait à la formulation de médicaments et pourrait avoir été acquise dans le cadre d’études de cycle supérieur ou d’un emploi dans l’industrie pharmaceutique.

[56] Pendant l’instruction de la présente action, Mme Felton a affirmé que si la personne versée dans l’art savait comment préparer des formulations, elle n’était pas nécessairement responsable du choix des excipients à utiliser dans un médicament, sauf dans le cas de [traduction] « produits médicamenteux peu complexes dont la formulation est facile, soit une substance chimique stable, hautement hydrosoluble [...] » : transcription publique, à la p 62. Sandoz a interprété cette déposition comme laissant entendre que la personne versée dans l’art, telle qu’elle a été définie par Mme Felton et Allergan, était [TRADUCTION] « incapable de formuler un médicament à faible solubilité sans aide – le problème même que le brevet 002 réglerait ». Ce n’est pas ainsi que j’interprète le témoignage de Mme Felton. Je suis d’avis que Mme Felton affirmait simplement que la personne versée dans l’art ne serait pas nécessairement responsable du choix des excipients utilisés dans la version définitive du médicament, qui serait destinée à l’utilisation. Mme Felton ayant confirmé que la personne versée dans l’art savait comment formuler des médicaments, on peut supposer que cette personne, telle qu’elle a été définie par l’experte, serait [traduction] « suffisamment versée dans l’art dont relève le brevet pour être en mesure, techniquement parlant, de comprendre la nature et la description de l’invention et de la mettre en pratique » : Donald H. MacOdrum, Fox on the Canadian Law of Patents, 5e éd, Toronto, Thomson Reuters, 2019 (feuillet mis à jour 2020-6), § 4.13.

[57] En tout état de cause, compte tenu du fait que « [l]a Cour doit avoir une attitude équitable et ouverte quant aux qualités qui font qu’une personne est versée dans l’art » (Janssen-Ortho c Novopharm, 2006 CF 1234 au para 90, conf par 2007 CAF 217), je considère que la personne versée dans l’art connaît bien les excipients indiqués dans le brevet 002, ainsi que leurs fonctions et les autres excipients disponibles pour effectuer ces fonctions. Il est entendu que la personne versée dans l’art est aussi une personne qui est en mesure de [traduction] « faire des recherches raisonnables et logiques » : Apotex Inc c Syntex Pharmaceuticals International Ltd, [1999] ACF no 548au para 39 (CF 1re inst), citant John Bochnovic, « Invention/Inventive Step/Obviousness » dans Patent Law of Canada, G.F. Henderson (éd.), Scarborough, Ontario, Carswell, 1994, aux pp 47‑48.

(3) Connaissances générales courantes

[58] Les connaissances générales courantes [CGC] s’entendent des connaissances que possède généralement une personne versée dans l’art au moment considéré : Apotex Inc c Sanofi-Synthelabo Canada, 2008 CSC 61 [Sanofi] au para 37. Elles ne concernent qu’un sous-ensemble des brevets, d’articles de journaux et de renseignements techniques qui sont généralement reconnus comme faisant partie des CGC dans le domaine auquel le brevet se rapporte. Toutefois, elles ne comprennent pas les connaissances de la totalité des articles de journaux ou des autres renseignements de nature technique : Bell Helicopter, précité, aux para 64‑65; Janssen Inc c Teva Canada Ltd, 2020 CF 593 au para 109. Aux fins de l’interprétation d’un brevet, le moment pertinent est la date de publication du brevet, soit, en l’espèce, le 1er juillet 2004.

[59] De manière générale, Allergan et Sandoz s’entendent sur les CGC de la personne versée dans l’art. En particulier, elles s’accordent à reconnaître, de même que leurs experts respectifs (Mme Felton et M. Fassihi), que ces connaissances comprendraient notamment une connaissance générale de ce qui suit :

  • les formes pharmaceutiques orales solides et les exigences générales relatives aux formes pharmaceutiques, notamment les comprimés, les capsules, les poudres et les granulés, ainsi que le fait que les poudres et les granulés sont souvent mis en capsules pour des raisons de commodité;

  • les excipients courants (ingrédients inactifs) utilisés dans les comprimés et les capsules, ainsi que les raisons pour lesquelles certains excipients peuvent être utilisés, soit pour faciliter la fabrication ou les procédés pharmaceutiques, accroître l’efficacité du produit et améliorer la vitesse de dissolution du médicament ou sa stabilité. Les excipients courants sont les diluants/agents de remplissage (y compris le lactose et le mannitol), les liants (y compris les amidons et les amidons prétraités), les lubrifiants (y compris le stéarate de magnésium), les agents tensio-actifs (y compris le laurylsulfate de sodium) et les désagrégeants (y compris les amidons prétraités);

  • le fait que certains excipients courants peuvent jouer plusieurs rôles dans une formulation;

  • le fait que les excipients et le temps de mélange peuvent avoir une incidence sur la vitesse de dissolution;

  • l’importance de la vitesse de dissolution, des essais de dissolution et des méthodes utilisées pour mesurer le profil de dissolution d’un médicament;

  • les lignes directrices et manuels courants sur les formulations pharmaceutiques, tels que : Alfonso R. Gennaro, Remington: The Science and Practice of Pharmacy, 20e éd, Baltimore, Alfonso R. Gennaro, Lippincott Williams & Wilkins, 2000 [Remington]; Arthur H. Kibbe, Handbook of Pharmaceutical Excipients, 3e éd, Washington, Arthur H. Kibbe, American Pharmaceutical Association Press, 2000; The Pharmacopeia of the United States, 25e éd, Rockville (Maryland), United States Pharmacopeial Convention, 2011; lignes directrices de l’International Council for Harmonisation of Technical Requirements for Pharmaceuticals for Human Use; lignes directrices relatives aux principes actifs et aux formes pharmaceutiques finales de la Food and Drug Administration;

  • les essais effectués pour évaluer l’activité du médicament et l’uniformité du contenu, et la capacité à interpréter les résultats de tels essais;

  • les différentes méthodes de fabrication, notamment i) la granulation par voie humide, y compris la granulation des poudres, la granulation humide en lit fluidisé et la granulation avec séchage par atomisation; ii) la granulation par voie sèche; et iii) le mélange à sec (qui peut être utilisé tout à fait séparément ou simplement en tant que première étape de la granulation par voie humide ou par voie sèche).

[60] Allergen et Sandoz, appuyées respectivement par Mme Felton et M. Fassihi, semblent également s’accorder à reconnaître que les CGC de la personne versée dans l’art comprendraient ce qui suit :

  • la connaissance du fait que, dans un procédé de granulation par voie humide, un lubrifiant est généralement ajouté vers la fin du procédé de formulation, avant la mise en forme des comprimés ou le remplissage des capsules;

  • une compréhension des étapes habituelles de préformulation, à savoir les procédures d’optimisation, les modèles statistiques, les protocoles expérimentaux ou les plans factoriels, ainsi que les essais ou procédures visant à déterminer comment un principe actif interagira avec les excipients courants et se comportera dans des conditions de formulation, telles que le mélange à sec et la granulation par voie humide;

  • une compréhension de l’effet que pourraient avoir les forces de compression (qui interviennent dans la mise en forme des comprimés) sur un principe actif;

  • une compréhension du fait que, s’il y avait sur le marché d’autres produits appartenant à la même famille de médicaments (structure chimique similaire), une recherche serait menée afin de connaître les excipients utilisés dans ces formulations.

[61] Toutefois, malgré la déclaration dans la Liste conjointe des questions en litige selon laquelle leurs [traduction] « experts respectifs s’accordent de façon générale sur les [CGC] de la personne versée dans l’art », Allergan et Sandoz n’étaient pas d’accord sur la question de savoir si 13 articles traités dans le premier rapport de M. Fassihi faisaient partie des CGC pertinentes ou de l’« état de la technique » plus large. Quatre de ces articles portent sur des questions relatives à la lumière et à la décoloration qui ne sont plus pertinentes dans la présente instance. Les neuf articles restants traitent des questions abordées dans les paragraphes précédents. Mme Felton a fait valoir que ces articles ne font pas partie des CGC pertinentes, puisqu’ils concernent différentes catégories thérapeutiques, différentes cibles biologiques et différentes structures chimiques. Pour cette raison, elle a ajouté qu’ils n’auraient probablement pas été trouvés par la personne versée dans l’art lors d’une recherche raisonnablement diligente. Je ne considère pas que ce désaccord entre Mme Felton et M. Fassihi à l’égard de ces articles ait une incidence importante sur la question de l’interprétation des revendications dans la présente instance. Toutefois, conformément à l’arrêt récent Hospira Health (CAF), précité, au para 86, je suis d’avis que ces articles doivent être pris en compte dans l’analyse de l’évidence, peu importe qu’ils n’aient pas été trouvés par la personne versée dans l’art au cours d’une recherche raisonnablement diligente, car ils font partie de l’information « devenue accessible au public au Canada ou ailleurs » visée à l’article 28.3 de la Loi. La question de savoir si la personne versée dans l’art aurait trouvé ces articles dans le cadre d’une recherche raisonnablement diligente et aurait ensuite pensé combiner ses enseignements collectifs avec les autres CGC et avec l’autre technique antérieure examinée plus loin dans les présents motifs est un élément pertinent pour la quatrième étape de l’analyse de l’évidence : Hospira Health (CAF), précité, au para 86; Biogen Canada Inc c Taro Pharmaceuticals, 2020 CF 621 au para 153 [Biogen].

[62] Allergan et Sandoz sont également en désaccord sur certains autres aspects des CGC de la personne versée dans l’art. Les principaux désaccords à cet égard sont fondés sur des désaccords entre Mme Felton et M. Fassihi qui seront traités aux parties VI.A.(4) et VI.B des présents motifs, portant respectivement sur les éléments essentiels du brevet 002 et l’évidence.

(4) Les éléments essentiels du brevet 002

[63] Le brevet 002 contient six revendications. Seulement quatre d’entre elles font l’objet du litige. Il s’agit des revendications 1 à 3 et 6, qui sont rédigées comme suit :

[TRADUCTION]

1. Une capsule qui comprend :

1) un granulé préparé par granulation par voie humide à partir d’un mélange contenant a) en tant que principe actif, un composé indoline représenté par la formule suivante :

b) du D-mannitol et c) de l’amidon partiellement prégélatinisé; et 2) d) un lubrifiant sélectionné dans le groupe comprenant le stéarate de magnésium, le stéarate de calcium et le talc et e) du laurylsulfate de sodium, de sorte que le temps de dissolution de 85 % de la capsule ne dépasse pas 15 minutes dans un essai de dissolution effectué suivant la méthode 2 (méthode utilisant un appareil à palette) de la pharmacopée japonaise dans une situation où l’eau est utilisée comme milieu d’essai avec une vitesse de rotation de la palette de 50 tr/min.

2. La capsule selon la revendication 1, pour laquelle le lubrifiant est du stéarate de magnésium.

3. La capsule selon la revendication 2, qui contient également de 0,1 à 2 parties de laurylsulfate de sodium pour 1 partie de stéarate de magnésium.

[…]

6. Une méthode de préparation d’une capsule, comportant les étapes suivantes : 1) la granulation d’un composé représenté par la formule :

b) de D-mannitol et c) d’amidon partiellement prégélatinisé par un procédé de granulation par voie humide; et 2) le mélange du granulé obtenu à l’étape 1) avec d) un lubrifiant choisi parmi le stéarate de magnésium, le stéarate de calcium et le talc, et e) du laurylsulfate de sodium.

[64] Le sens des termes employés dans les revendications précédentes ne fait l’objet d’aucune contestation notable en l’espèce. Allergan et Sandoz divergent plutôt sur la question de savoir si les éléments relatifs à la granulation par voie humide sont essentiels. Il est entendu qu’ils reconnaissent tous deux que le « composé » décrit dans les revendications 1 et 6 est la silodosine.

[65] Pour les motifs qui suivent, je considère que les éléments relatifs à la granulation par voie humide sont essentiels dans chacune des revendications 1 à 3 et 6.

(a) Revendication 1

[66] Entre autres, la revendication 1 vise une formulation en capsules qui comprend [traduction] « un granulé préparé par granulation par voie humide à partir d’un mélange contenant » de la silodosine et certains excipients précisés. Comme mentionné plus haut, ne sont en litige en l’espèce ni les excipients précisés ni la mention [traduction] « de sorte que le temps de dissolution de 85 % de la capsule ne dépasse pas 15 minutes dans un essai de dissolution effectué suivant [la méthode 2] ». Le seul point en litige s’agissant de l’interprétation des revendications est la question de savoir si les éléments relatifs à la granulation par voie humide sont essentiels.

[67] À la lecture simple de la revendication 1, les termes [traduction] « granulé » et [traduction] « préparé par granulation par voie humide » sont sans ambiguïté. Rien dans le libellé même de la revendication 1 ne laisse entendre que ces éléments, qui ont pour effet de limiter la portée de la revendication, n’étaient pas censés être essentiels. En conséquence, ces éléments sont présumés essentiels. Cette présomption se maintiendra à moins qu’il ne soit établi i) qu’à des fins d’interprétation de la divulgation du brevet et des revendications dans leur ensemble, ces éléments n’étaient pas censés être essentiels (Whirlpool, précité, aux para 48, 49g)), ou ii) qu’à la date de publication, la personne versée dans l’art aurait constaté que ces éléments pouvaient être substitués sans que cela ne modifie le fonctionnement de l’invention : Free World, précité, au para 55. (Voir les paragraphes 46 à 48 ci-dessus.) Je vais maintenant examiner chacun des deux volets de ce critère séparément.

(i) Le premier volet du critère : Une interprétation téléologique des éléments relatifs à la granulation par voie humide

[68] Allergan et Mme Felton soutiennent qu’il existe un certain nombre d’indicateurs dans le brevet 002 qui révèlent que les éléments relatifs à la granulation par voie humide n’étaient pas censés être essentiels. Je ne suis pas d’accord.

[69] Allergan et Mme Felton insistent sur le fait que la personne versée dans l’art aurait compris que les revendications du brevet 002 décrivaient et visaient une combinaison précise d’excipients et de silodosine, formulée en capsules et présentant un profil de dissolution bien défini. Ce profil correspond à une dissolution de 85 % en au plus 15 minutes dans un essai réalisé selon la méthode 2. Autrement dit, l’obtention d’une dissolution de 85 % de la silodosine en 15 minutes, selon les modalités décrites, constituerait l’essence de l’invention. L’obtention de cette dissolution était importante, car le profil de dissolution d’un médicament et l’uniformité entre les lots peuvent déterminer à la fois l’efficacité et l’innocuité. De plus, le profil de dissolution rapide permettait à la forme pharmaceutique solide revendiquée de se comporter, en principe, comme une solution et, par conséquent, de ne présenter de manière générale aucun problème sur le plan de la biodisponibilité, comme en posent parfois les formes solides. Allergan soutient que lorsque le brevet 002 est compris de cette manière, il est évident que les éléments relatifs à la granulation par voie humide de la revendication 1 ne sont pas essentiels.

[70] Mme Felton est d’avis qu’une personne versée dans l’art comprendrait que les éléments relatifs à la granulation par voie humide de la revendication 1 ne sont pas essentiels pour cinq raisons.

[71] En premier lieu, Mme Felton a fait observer qu’à la page 3 de la section sur le domaine technique (« Technical Field ») du brevet 002, une capsule contenant [traduction] « un granulé préparé par granulation par voie humide à partir d’un mélange » de silodosine et des excipients précisés est décrite tout simplement comme [traduction] « un mode de réalisation particulier de l’invention ». Il s’agissait de la première mention des éléments relatifs à la granulation par voie humide, et celle-ci figurait après la description de [traduction] « la présente invention » dans les deux pages précédentes. Mme Felton a affirmé que la personne versée dans l’art en aurait déduit que les inventeurs établissaient une distinction entre [traduction] « la présente invention » et [traduction] « un mode de réalisation particulier » de l’invention. Je conviens que cette distinction donne à penser, dans une certaine mesure, que les inventeurs n’avaient peut-être pas l’intention que les éléments relatifs à la granulation par voie humide soient jugés essentiels. Toutefois, comme il est expliqué ci-dessous, une lecture du brevet dans son ensemble tend assurément à démontrer le contraire.

[72] En deuxième lieu, Mme Felton était d’avis que la personne versée dans l’art présumerait qu’il est possible de recourir à d’autres méthodes de fabrication (comme la granulation par voie sèche et le mélange à sec) sans que cela ne modifie le fonctionnement de l’invention. Cette question sera examinée dans la prochaine section.

[73] En troisième lieu, Mme Felton estimait que la personne versée dans l’art comprendrait que les lubrifiants précisés dans la revendication 1 permettraient de régler les difficultés divulguées qui sont associées aux procédés de production à sec. Cette question sera également examinée dans la prochaine section. Aux fins qui nous occupent, il suffit de noter qu’il ne s’agit pas là d’un élément qui traduise une intention quelconque, explicite ou implicite, que les éléments relatifs à la granulation par voie humide ne soient pas essentiels. En tout état de cause, s’agissant des autres indicateurs de l’intention examinés ci-dessous, la présence de lubrifiants dans la revendication 1 constituerait un faible indicateur de l’intention des inventeurs à cet égard.

[74] En quatrième lieu, Mme Felton a observé que le brevet 002 ne précise aucunement la façon d’effectuer la granulation par voie humide, même s’il existait différentes méthodes connues de granulation par voie humide. Elle était d’avis que [traduction] « [s]i la granulation par voie humide était importante, la personne versée dans l’art s’attendrait à trouver des renseignements détaillés expliquant i) le liant à choisir, ii) la quantité de liant à utiliser, iii) la façon de choisir le liquide utilisé pour la granulation (solvant), iv) la teneur en eau résiduelle voulue » : premier rapport de Mme Felton, au para 131. Allergan a ajouté que les revendications du brevet 002 ne traitaient pas non plus des conditions de séchage qui sont apparemment nécessaires pour préparer le granulé par voie humide, même si ces conditions étaient décrites lorsque ce procédé était clairement utilisé dans les essais analysés dans le brevet 002 (p. ex. exemple d’essai 4 et exemples 1 à 3). Toutefois, comme l’a admis Mme Felton, le brevet ne présente pas non plus de détails concernant le mannitol et l’amidon prégélatinisé, qu’elle considère être des éléments essentiels : transcription publique, aux pp 157‑160. (Par exemple, différents types de mannitol peuvent être utilisés, et l’amidon prégélatinisé peut être utilisé en tant que diluant, liant et parfois désagrégeant : transcription publique, à la p 48.) Qui plus est, ailleurs dans son premier rapport, Mme Felton a explicitement affirmé que les instructions concernant la granulation par voie humide n’étaient pas requises pour que la personne versée dans l’art sache comment préparer un médicament au moyen d’un procédé de granulation par voie humide. Le passage suivant montre son avis à cet égard :

[traduction]

73. La personne versée dans l’art aurait eu une bonne connaissance de la granulation par voie humide, car il s’agissait d’une méthode de formulation bien connue, utilisée dans l’industrie pharmaceutique depuis des décennies. Aucun renseignement n’est donné dans le brevet 002 sur la façon de réaliser le procédé de granulation par voie humide, bien que des renseignements soient fournis sur le séchage des granulés en lit fluidisé. Quoi qu’il en soit, de multiples techniques de granulation par voie humide étaient familières à la personne versée dans l’art et auraient pu être choisies et utilisées sans difficulté. Le brevet 002 n’avait pas à fournir d’instructions pour que la personne versée dans l’art sache comment préparer un médicament au moyen d’un procédé de granulation par voie humide.

[75] À la lumière de ce qui précède, j’estime que l’absence de renseignements détaillés concernant la granulation par voie humide est, au mieux, une faible indication du fait que les inventeurs n’avaient peut-être pas l’intention que les éléments relatifs à la granulation par voie humide soient considérés comme essentiels.

[76] En cinquième lieu, Mme Felton a signalé que le brevet 002 ne comporte aucune mention d’études indiquant à la personne versée dans l’art que la granulation par voie humide était un procédé de fabrication nécessaire. Bien qu’il soit précisé dans le brevet que [traduction] « les méthodes pour la préparation de formulations selon les procédés classiques » avaient été analysées, aucune comparaison n’était présentée entre la granulation par voie humide et les autres procédés classiques, c’est-à-dire la granulation par voie sèche et le mélange à sec. Mme Felton a affirmé que la personne versée dans l’art en déduirait que la granulation par voie humide n’était pas la seule méthode pouvant être utilisée pour produire la formulation revendiquée. La personne versée dans l’art comprendrait effectivement que d’autres méthodes pourraient être utilisées.

[77] J’estime que l’absence de mention des études décrites ci-dessus dans le brevet 002 est un indicateur relativement faible du fait que les inventeurs n’avaient peut-être pas l’intention que les éléments relatifs à la granulation par voie humide soient considérés comme essentiels. Comme nous le verrons plus loin, il existe d’autres indications plus concluantes d’une intention contraire.

[78] Outre les arguments susmentionnés, Allergan a soutenu que le brevet 002 comportait d’autres indications importantes selon lesquelles les éléments relatifs à la granulation par voie humide n’étaient pas jugés essentiels. En particulier, dans ses observations écrites, Allergan affirme que le brevet 002 divulgue une seule fois l’utilisation de la granulation par voie humide au lieu d’un procédé par voie sèche (brevet 002, à la p 14) et que la mention en question portait sur une tentative de formulation [la première formulation] qui concernait un comprimé et qui n’a pas permis d’obtenir une formulation en capsules acceptable, en raison d’un problème lié au remplissage.

[79] Je ne considère pas que cette mention particulière de l’utilisation de la granulation par voie humide au lieu d’un procédé par voie sèche se rapportait uniquement à la supposée première formulation pour deux raisons distinctes. Tout d’abord, la phrase en question indique explicitement que le procédé de granulation par voie humide est utilisé pour obtenir une [traduction] « grande précision de remplissage [1] ». Cet énoncé concerne implicitement les capsules. Comme Allergan l’a reconnu ailleurs, les comprimés font l’objet d’une compression et non d’un remplissage : transcription publique, à la p 640.

[80] Ensuite, il est manifeste que la mention de la supposée première formulation fait partie d’une divulgation plus générale qui incite à éviter l’utilisation de procédés par voie sèche en lien avec l’invention revendiquée, et ce, malgré la qualité sous-optimale de la traduction du texte original en langue japonaise.

[81] Le texte défavorable à l’utilisation de procédés par voie sèche commence à la page 8 du brevet, au passage suivant :

[traduction]

Le composé KMD-3213 [soit la silodosine] contenu en tant que principe actif dans une forme pharmaceutique orale solide de la présente invention a de puissantes propriétés électrostatiques et adhésives. En particulier, lorsque les formulations sont préparées au moyen d’un procédé par voie sèche, des charges électrostatiques sont produites par les frottements mécaniques inhérents aux procédés comme la pulvérisation, l’agitation, le mélange et la granulation, ce qui provoque une diminution de la fluidité des matériaux pulvérisés, mélangés ou granulés, réduit la maniabilité et diminue la précision pour ce qui est de l’uniformité du contenu d’un principe actif. (Non souligné dans l’original.)

[82] Ce passage est suivi d’une analyse des résultats obtenus pour divers additifs ayant fait l’objet de recherches (y compris des liants, des lubrifiants et des agents tensio-actifs), puis le brevet présente une analyse des méthodes utilisées pour la préparation de formulations selon les procédés classiques envisagés. Une fois de plus, le brevet incite à éviter l’utilisation d’un procédé par voie sèche. Plus précisément, le brevet indique ce qui suit (à partir du bas de la page 12) :

[traduction]

D’abord, dans les cas où les formulations sont préparées par des procédés par voie sèche, les matériaux pulvérisés, mélangés ou granulés, qui sont préparés dans le cadre des procédés de pulvérisation, de mélange ou de granulation, produisent des charges électrostatiques et diminuent la fluidité des matériaux. De ce fait, en particulier dans le cas de la préparation de capsules, la maniabilité ainsi que l’uniformité du volume et la précision sont réduites dans les procédés de remplissage. (Non souligné dans l’original.)

[83] Au paragraphe suivant (à la page 13), la divulgation porte sur une analyse des lubrifiants et, une fois encore, elle amène à s’écarter de l’utilisation des procédés par voie sèche. En ce qui concerne l’importance des lubrifiants et la complexité qu’ils ajoutent au procédé (pour la préparation de comprimés et de capsules), la divulgation est formulée comme suit :

[traduction]

Le KMD-3213 possède des propriétés adhésives intrinsèques puissantes, et en particulier dans le cas des procédés par voie sèche, des charges électrostatiques sont produites et la fluidité des matériaux mélangés ou granulés diminue comme indiqué ci‑dessus, ce qui se solde par l’utilisation d’une quantité bien plus importante de lubrifiants. Cependant, les lubrifiants possèdent généralement des propriétés hydrofuges et leur utilisation entraîne un allongement du temps de dissolution. (Non souligné dans l’original.)

[84] En plus d’indiquer sans équivoque les raisons pour lesquelles les procédés par voie sèche seraient à éviter, la divulgation du brevet favorise explicitement le recours à un procédé de granulation par voie humide. Deux passages permettent de l’affirmer, le second figurant à la page 14 (examiné aux paragraphes 78 et 79 des présents motifs). Au premier passage (à la page 10), la divulgation est rédigée comme suit :

[traduction]

De plus, les présents inventeurs ont étudié divers procédés pour la préparation de formulations et ont découvert que des formulations, ayant une uniformité de contenu satisfaisante sans subir l’effet de charges électrostatiques, une bonne stabilité et d’excellentes propriétés de dissolution, sont préparées par granulation par voie humide, en contrôlant la quantité de lubrifiant et le temps de mélange. (Non souligné dans l’original.)

[85] Comme pour le passage cité à la page 14 du brevet 002, Allergan soutient que ce passage ne vise que la supposée première formulation, réalisée sous forme de comprimé, car il n’est aucunement fait mention d’une capsule ou du laurylsulfate de sodium.

[86] Je ne suis pas d’accord. Il est évident que le dernier passage cité, lu dans son contexte, vise l’invention revendiquée, qui ne comprend pas les comprimés. Après avoir relevé (dans ce passage) la question du procédé de fabrication, le paragraphe en question divulgue deux conclusions supplémentaires, puis indique ceci : [traduction] « Compte tenu de ces conclusions, la présente invention est réalisée. » (Non souligné dans l’original.)

[87] Les deux autres conclusions sont les suivantes : i) [traduction] « dans le cas des capsules, des formulations présentant d’excellents profils de dissolution sont préparées en mélangeant un lubrifiant dans une proportion particulière avec un autre additif solide ayant des propriétés hydrophiles ou tensio-actives »; ii) [traduction] « l’oxyde de titane empêche efficacement la photodégradation du KMD-3213, et des formulations photostables peuvent être préparées en utilisant une capsule contenant de l’oxyde de titane ou un agent d’enrobage qui contient de l’oxyde de titane ». (Non souligné dans l’original.)

[88] En résumé, bien avant le passage de la page 14 du brevet à propos duquel Allergan déclare qu’il se limite à la supposée première formulation (qui concernait des comprimés), le brevet 002 décourage explicitement l’utilisation des procédés par voie sèche et préconise l’emploi d’un procédé de granulation par voie humide (pour les capsules). Je suis d’accord avec M. Fassihi qu’au vu de ces indications, la personne versée dans l’art n’aurait pas jugé qu’à la page 14, la référence à [traduction] « un procédé de granulation par voie humide au lieu d’un procédé par voie sèche » se limitait à la supposée première formulation et aux comprimés.

[89] Ma conclusion à cet égard est confortée par le fait que la divulgation du brevet 002 préconise aussi de recourir à une granulation par voie humide dans le passage suivant (qui figure à la page 19), pour lequel Mme Felton a admis qu’il décrivait un procédé de granulation par voie humide : transcription publique, à la p 136.

[TRADUCTION]

Les produits pharmaceutiques de forme orale solide de la présente invention, tels que les capsules, peuvent être préparés comme suit. Le KMD-3213, un sel acceptable de celui-ci ou un solvate acceptable de celui-ci d’un point de vue pharmacologique, est mélangé avec un diluant, de préférence du D-mannitol, et au besoin, un liant et désagrégeant approprié. Puis, le mélange est malaxé en y ajoutant une solution aqueuse de liant à une concentration appropriée et, au besoin, tamisé pour préparer un granulé. Ensuite, un lubrifiant, de préférence du stéarate de magnésium, et un additif solide ayant des propriétés hydrophiles ou tensio-actives, de préférence du laurylsulfate de sodium, sont ajoutés au granulé. Dans le cas présent, le lubrifiant est utilisé dans une proportion de 0,5 à 2,0 %, et l’additif solide dans une proportion d’un à vingt pour dix par rapport au stéarate de magnésium, en privilégiant une proportion de cinq à dix pour dix entre les deux composés ou, mieux encore, une proportion de cinq pour dix. Les capsules sont alors obtenues par le mélange et le remplissage d’une capsule appropriée, contenant de préférence de l’oxyde de titane dans une proportion approximative d’au moins 3 % ou, mieux encore, de 3,4 à 3,6 %.

[90] De plus, à une exception près, les formulations à l’essai discutées dans le brevet utilisaient toutes le procédé de granulation par voie humide. Mme Felton l’a reconnu et elle a admis que la seule exception était une formulation mélangée à sec qui ne contenait pas tous les excipients essentiels, puisque le laurylsulfate de sodium en était absent : transcription publique, aux pp 176 et 195. Elle a en outre admis que le brevet 002 ne contient aucun exemple de fabrication d’une capsule au moyen d’un procédé de granulation par voie sèche : transcription publique, à la p 137. De même, le seul mode de réalisation de l’invention abordé dans la partie « Domaine technique » du brevet reposait sur la granulation par voie humide.

[91] À mon avis, l’ensemble de ce qui précède indique clairement que les inventeurs avaient l’intention que les éléments relatifs à la granulation par voie humide soient essentiels. Il est entendu que cette indication claire écarte les indications relativement faibles d’une intention contraire, dont il est question aux paragraphes 71 , 73 , 75 et 77 ci-dessus.

[92] Allergan affirme aussi que l’exposé sur ce qu’elle appelle [traduction] « la deuxième tentative de formulation » [la deuxième formulation], qui commence à la ligne 13 de la page 14 du brevet 002, montre que les inventeurs n’avaient pas l’intention que les éléments relatifs à la granulation par voie humide de la revendication 1 soient essentiels. À cet égard, Allergan soutient que la divulgation de la supposée deuxième formulation qui, selon elle, s’est soldée par l’invention revendiquée, enseigne une solution qui fonctionne non seulement pour la granulation par voie humide, mais aussi pour le mélange à sec et la granulation par voie sèche. Allergan prétend que cette solution a été révélée en divulguant la possibilité d’utiliser [traduction] « des quantités inhabituellement élevées de lubrifiant », conjointement avec le laurylsulfate de sodium comme tensio-actif, pour contrebalancer l’effet hydrofuge du lubrifiant. Allergan fait observer qu’une personne versée dans l’art aurait compris qu’en permettant l’utilisation d’une quantité inhabituellement élevée de lubrifiant, le brevet n’exige pas que la formulation revendiquée soit produite par un procédé de granulation par voie humide. Allergan explique qu’il n’y a pas lieu d’utiliser une quantité inhabituelle de lubrifiant dans un procédé de granulation par voie humide, même pour des capsules. Allergan insiste sur le fait qu’il n’aurait pas été nécessaire de faire des recherches et de donner des éclaircissements à propos de l’utilisation de quantités inhabituellement élevées de lubrifiant si les inventeurs avaient eu l’intention que les éléments relatifs à la granulation par voie humide soient essentiels. Allergan ajoute que l’absence de toute discussion sur la granulation par voie humide en lien avec la deuxième formulation aurait donné une raison supplémentaire à la personne versée dans l’art de comprendre que cette formulation pouvait être obtenue [TRADUCTION] « indifféremment », quel que soit le procédé de fabrication.

[93] Je ne souscris pas à cette interprétation de la divulgation par rapport à la supposée deuxième formulation.

[94] Même si l’on accepte la suite d’événements telle qu’elle est présentée par Allergan, la raison invoquée pour expliquer la décision des inventeurs de continuer leurs recherches au-delà de la supposée première formulation est qu’il subsistait un risque élevé de [traduction] « problème lors du remplissage, par exemple un problème d’adhérence ». Par conséquent, ils ont cherché à utiliser des lubrifiants dans une proportion [traduction] « d’au moins 1 % » pour résoudre le problème (en lien avec les capsules), tout en atteignant le profil de dissolution souhaité [2] .

[95] À mon avis, le simple fait que les inventeurs aient poursuivi ces recherches ne veut pas forcément dire, comme le laisse entendre Allergan, qu’ils étaient [traduction] « indifférents » au procédé de fabrication des capsules : transcription publique, à la p 637. Même s’il était généralement connu que l’utilisation d’une quantité accrue de lubrifiant concernait surtout les procédés de formulation par voie sèche, une personne versée dans l’art lisant la divulgation aurait compris qu’il était tout à fait possible que les inventeurs aient souhaité résoudre le problème de remplissage et d’adhérence en recourant à la granulation par voie humide, surtout au vu des problèmes qu’ils avaient découverts concernant les procédés par voie sèche. La personne versée dans l’art aurait aussi compris que l’effet négatif d’une augmentation de la quantité de lubrifiant sur la dissolution pourrait potentiellement être contrebalancé par l’emploi d’un agent tensio-actif, comme le laurylsulfate de sodium, que ce soit dans un procédé de granulation par voie humide ou dans un procédé par voie sèche : transcription publique, aux pp 471‑473; Remington, précité, à la p 861.

[96] Il s’ensuit que la personne versée dans l’art ne déduirait pas nécessairement du fait que les inventeurs aient décidé de faire des recherches sur l’utilisation d’un lubrifiant dans des proportions [traduction] « d’au moins 1 % » qu’ils entendaient clairement faire comprendre que les éléments relatifs à la granulation par voie humide de la revendication 1 n’étaient pas essentiels.

[97] À vrai dire, la personne versée dans l’art aurait compris en examinant les essais en rapport avec les recherches sur ce qu’Allergan appelle la deuxième formulation que plusieurs de ces essais, ainsi que l’exemple d’essai 3, recouraient au procédé de granulation par voie humide pour les formulations en capsules mises à l’épreuve. Mme Felton l’a reconnu : transcription publique, aux pp 155 et 195. La personne versée dans l’art aurait aussi compris que la description du procédé de granulation par voie humide dans plusieurs de ces exemples (où la quantité de lubrifiant dépassait 1 %) ne s’accompagnait d’aucune description semblable d’un procédé par voie sèche où que ce soit dans le brevet.

[98] De plus, bien qu’il était généralement connu que [traduction] « la plupart des lubrifiants [...] sont utilisés à des concentrations inférieures à 1 % », il était également connu que [traduction] « la quantité de lubrifiant varie, pouvant être aussi basse que 0,1 % et, dans certains cas, aussi élevée que 5 % » : Remington, précité, à la p 861. Au cours de la procédure, personne n’a soutenu que cet élément particulier des CGC concernait exclusivement les procédés par voie sèche.

[99] En résumé, eu égard à ce qui précède, j’estime que la divulgation en ce qui concerne la supposée deuxième formulation ne traduit aucune intention, claire ou autre, de décision de la part des inventeurs de réexaminer la possibilité d’utiliser un procédé par voie sèche qui, selon ce qu’ils avaient déjà découvert, réduisait la fluidité des matériaux mélangés ou granulés. En d’autres termes, cette divulgation, y compris en ce qui a trait aux recherches connexes réalisées, ne traduit nullement une intention d’affirmer que les inventeurs ont jugé non essentiels les éléments relatifs à la granulation par voie humide. Je parviens à la même conclusion quand Allergan affirme que l’absence de description explicite concernant l’uniformité, la fluidité et la stabilité du contenu, en lien avec la supposée deuxième formulation, traduit une intention d’affirmer que les éléments relatifs à la granulation par voie humide n’étaient pas jugés essentiels : exposé des plaidoiries de la demanderesse (Allergan), aux paragraphes 20(g) et (h).

[100] Quoi qu’il en soit, l’interprétation par Allergan de cette divulgation exige une lecture si subtile du brevet qu’elle n’atteint pas le niveau de transmission d’une intention claire que les éléments relatifs à la granulation par voie humide ne soient pas des éléments essentiels de la revendication 1 : Free World, précité, au para 55. En effet, permettre une indication aussi subtile et peu claire de l’intention de remplacer le libellé non ambigu de la revendication 1, ainsi que les enseignements beaucoup plus clairs du brevet 002 et écarter les procédés par voie sèche et préconiser la granulation par voie humide, porterait atteinte aux objectifs importants de la promotion de la prévisibilité et de la réduction de l’incertitude : Free World, précité, aux para 41‑42. Plutôt que de révéler clairement une ambiguïté dans le libellé de la revendication 1, elle introduirait une ambiguïté en suggérant une intention qui n’est pas évidente selon une interprétation téléologique de la revendication 1, compte tenu de l’ensemble du mémoire descriptif.

[101] Il est entendu que le fait que les inventeurs (et la personne versée dans l’art) aient compris que le profil de dissolution revendiqué pouvait également être obtenu par mélange à sec ou par granulation par voie sèche, comme Allergan l’indique, ne suffit pas à fournir une indication claire que les inventeurs n’avaient pas l’intention que les éléments relatifs à la granulation par voie humide soient essentiels : Free World, précité, au para 55. À cet égard, je rejette la prétention d’Allergan selon laquelle M. Fassihi a reconnu que, dans l’exposé sur la deuxième formulation, on envisageait la possibilité d’utiliser un procédé par voie sèche. Selon mon interprétation de son témoignage, il a simplement reconnu que la supposée première formulation, qui n’incluait pas de laurylsulfate de sodium, présentait un risque élevé de problème lors du remplissage, comme il est indiqué à la page 14 du brevet. Ailleurs, M. Fassihi était très clair que, selon son interprétation, la divulgation relative à la supposée deuxième formulation envisageait un procédé de granulation par voie humide : voir, par exemple, la transcription publique, aux pp 493‑494.

[102] Je souscris également à l’argument de Sandoz selon lequel l’utilisation des termes limitants [traduction] « granulé » et [traduction] « préparé par granulation par voie humide » à la revendication 1, alors que les options de mélange à sec et de granulation par voie sèche étaient connues, tend à indiquer que les inventeurs voulaient que ces termes soient des éléments essentiels : Teva c Janssen, précitée, au para 312.

[103] En résumé, en ce qui concerne l’intention des inventeurs, il ressort d’une interprétation téléologique de la revendication 1 et de l’ensemble du mémoire descriptif du brevet que les éléments relatifs à la granulation par voie humide étaient censés être essentiels. Les affirmations contraires d’Allergan constituent une tentative d’augmenter la portée du libellé de la revendication 1 pour englober tout ce qui atteint le même résultat souhaité comme étant ce qui a été réellement revendiqué. Or, ce n’est pas permis : Free World, précité, au para 32.

(ii) Le deuxième volet du critère : La personne versée dans l’art aurait‑elle constaté qu’un procédé par voie sèche pouvait être remplacé sans que cela ne modifie le fonctionnement de l’invention?

[104] Allergan et Mme Felton soutiennent qu’à la date de publication, la personne versée dans l’art qui lisait le brevet 002 aurait compris que la méthode de fabrication n’avait pas d’incidence et ne constituait pas un élément essentiel du fonctionnement de l’invention revendiquée dans le brevet. À cet égard, elles affirment que la personne versée dans l’art aurait compris que les lubrifiants mentionnés dans la revendication 1 permettraient de surmonter les difficultés divulguées liées aux procédés par voie sèche. Elles insistent sur le fait qu’il aurait été évident pour la personne versée dans l’art qu’un procédé par voie sèche pourrait remplacer le procédé de granulation par voie humide décrit dans le brevet, par une expérimentation de routine. Allergan ajoute que le fait que les capsules de Sandoz, qui contiennent les mêmes principes actifs et excipients que cette invention mais qui n’ont pas été fabriquées à l’aide d’un procédé de granulation par voie humide, parviennent néanmoins à une dissolution rapide similaire à celle de l’invention, permet d’affirmer que la personne versée dans l’art comprend que les éléments relatifs à la granulation par voie humide ne sont pas essentiels pour atteindre le taux de dissolution revendiqué.

[105] Je ne suis pas d’accord.

[106] Comme discuté aux paragraphes 80 à 91 ci-dessus, le mémoire descriptif du brevet nous incite à écarter l’utilisation d’un procédé de fabrication par voie sèche et à adopter un procédé de granulation par voie humide. En l’occurrence, on y mentionne précisément les problèmes associés aux procédés par voie sèche. Aux fins des présentes, les passages suivants revêtent un intérêt particulier :

[TRADUCTION]

  • En particulier, lorsque les formulations sont préparées au moyen d’un procédé par voie sèche, des charges électrostatiques sont produites par les frottements mécaniques inhérents aux procédés comme la pulvérisation, l’agitation, le mélange et la granulation, ce qui provoque une diminution de la fluidité des matériaux pulvérisés, mélangés ou granulés, réduit la maniabilité et diminue la précision pour ce qui est de l’uniformité du contenu d’un principe actif. (Page 8, non souligné dans l’original.)

  • D’abord, dans les cas où les formulations sont préparées par des procédés par voie sèche, les matériaux pulvérisés, mélangés ou granulés, qui sont préparés dans le cadre des procédés de pulvérisation, de mélange ou de granulation, produisent des charges électrostatiques et diminuent la fluidité des matériaux. De ce fait, en particulier dans le cas de la préparation de capsules, la maniabilité ainsi que l’uniformité du volume et la précision sont réduites dans les procédés de remplissage. (Pages 12 et 13, non souligné dans l’original.)

  • Le KMD-3213 possède des propriétés adhésives intrinsèques puissantes, et en particulier dans le cas des procédés par voie sèche, des charges électrostatiques sont produites et la fluidité des matériaux mélangés ou granulés diminue comme indiqué ci-dessus, ce qui se solde par l’utilisation d’une quantité bien plus importante de lubrifiants. Cependant, les lubrifiants possèdent généralement des propriétés hydrofuges et leur utilisation entraîne un allongement du temps de dissolution. (Page 13, non souligné dans l’original.)

[107] Après avoir décrit les problèmes susmentionnés, la divulgation explique précisément que [traduction] « des formulations avec une bonne fluidité des matériaux mélangés, une maniabilité satisfaisante et une grande précision de remplissage peuvent être préparées par un procédé de granulation par voie humide au lieu d’un procédé par voie sèche, en utilisant des lubrifiants dans une proportion ne dépassant pas 1 % et en mélangeant pendant environ trois minutes » : brevet 002, à la p 14 (non souligné dans l’original).

[108] Au vu de ce qui précède, j’estime qu’il n’aurait pas semblé évident, pour la personne versée dans l’art, qu’un procédé par voie sèche puisse être substitué au procédé de granulation par voie humide décrit dans le brevet, dans le contexte d’une expérimentation courante. À vrai dire, dans la mesure où un procédé par voie sèche nécessiterait vraisemblablement une plus grande quantité de lubrifiant, ainsi qu’une modification de la quantité de laurylsulfate de sodium ou d’un autre agent tensio-actif convenable, le point de vue de Mme Felton à ce sujet diverge quelque peu d’autres points de vue qu’elle exprime, à savoir que [traduction] « le choix des excipients et de leurs proportions pour atteindre un profil de dissolution particulier n’était pas une opération courante ou prévisible », et que la personne versée dans l’art saurait que [traduction] « différentes formulations peuvent diminuer ou améliorer la vitesse de dissolution et l’efficacité du médicament, en particulier des médicaments peu solubles dans l’eau », comme la silodosine : deuxième rapport de Mme Felton, aux para 86 et 99(4).

[109] En tenant compte de la mise en garde de Mme Felton concernant l’effet potentiel de changements apportés à une formulation, et eu égard aux problèmes relatifs aux procédés par voie sèche qui ont été décrits dans la divulgation du brevet 002, j’accepte l’avis de M. Fassihi selon lequel la personne versée dans l’art aurait compris que les propriétés adhésives et électrostatiques de la silodosine [traduction] « pouvaient poser problème dans un procédé par voie sèche et diminuer la précision en termes d’uniformité du contenu » : premier rapport de M. Fassihi, au para 62. J’accepte aussi la déclaration connexe de M. Fassihi, à savoir que ces propriétés étaient telles que [traduction] « ce serait probablement difficile de préparer [une formulation en capsules à l’aide d’une méthode autre que la granulation par voie humide] avec une uniformité de contenu acceptable pour une approbation réglementaire » : deuxième rapport de M. Fassihi, au para 22.

[110] En outre, j’accepte le témoignage de M. Fassihi concernant une autre propriété de la silodosine qui complique l’utilisation d’un procédé de granulation par voie sèche. Il s’agit de la transformation polymorphique de la silodosine lorsqu’elle est soumise à la force de compression employée dans le procédé de granulation par voie sèche : transcription publique, aux pp 479‑481. Je note au passage que ce témoignage est corroboré par les dossiers internes de Kissei, dans lesquels il est expliqué que, comme il était connu que la silodosine en vrac subit [traduction] « une conversion polymorphique si elle est soumise à une forte pression [...] aucune étude de la granulation suivant la méthode par voie sèche n’a été effectuée, et la granulation par voie humide (méthode par voie humide) a été adoptée » : dossier de production n° 229 de Kissei, au para 5.2.4.

[111] Vu la façon dont le brevet 002 incitait à éviter l’utilisation de procédés par voie sèche, et étant donné les preuves apportées par M. Fassihi concernant la compréhension par la personne versée dans l’art des propriétés de la silodosine et de leurs répercussions sur un procédé par voie sèche, j’estime que la personne versée dans l’art n’aurait pas imaginé qu’un procédé par voie sèche pouvait être substitué au procédé de granulation par voie humide sans modifier de manière importante le fonctionnement de l’invention. En d’autres termes, la personne versée dans l’art n’aurait pas jugé que l’invention [traduction] « pouvait manifestement fonctionner de la même manière » : arrêt Free World, précité, au para 55. La divulgation du brevet laissait entendre le contraire.

[112] Par souci d’exhaustivité, j’ajouterai simplement de façon incidente que je ne souscris pas à la prétention d’Allergan (exposée au paragraphe 104 ci‑dessus) concernant l’importance du produit de Sandoz pour interpréter la revendication 1. En bref, le fait qu’un tiers tel que Sandoz aurait pu obtenir une dissolution rapide similaire à l’invention, avec les mêmes principes actifs excipients, n’est pas particulièrement pertinent si le produit qui serait contrefait n’enfreint pas chacun des éléments essentiels de l’invention : Free World, précité, au para 32.

(iii) L’historique de la poursuite de la demande visant le brevet 002

[113] Sandoz fait valoir que sa position, selon laquelle les éléments relatifs à la granulation par voie humide ne sont pas des éléments essentiels dans la revendication 1, est étayée par l’historique de la poursuite de la demande visant le brevet 002. Elle fait valoir un argument similaire à l’égard des autres revendications en litige dans la présente instance.

[114] Les éléments de preuve relatifs à l’historique de la poursuite de la demande visant un brevet sont également connus sous le nom de preuve de [traduction] « l’enveloppe du dossier » en raison du fait qu’aux États‑Unis, les observations devant le Bureau des brevets ont historiquement été notées sur la couverture ou l’« enveloppe » du dossier. En vertu de la doctrine de la « préclusion fondée sur les notes apposées au dossier », parfois appelée « préclusion fondée sur l’examen de la demande de brevet », les titulaires de brevets pouvaient être empêchés de reprendre le terrain cédé lors des négociations avec le Bureau des brevets : Free World, précité, au para 63.

[115] Toutefois, dans Free World, précité, au paragraphe 66, la Cour suprême du Canada a confirmé qu’il n’y a pas de doctrine préclusion fondée sur les notes apposées au dossier au Canada et que l’historique de la poursuite de la demande visant un brevet est une preuve extrinsèque qui ne peut être prise en compte dans l’interprétation du brevet.

[116] Nonobstant ce qui précède, Sandoz soutient que les observations faites par un demandeur de brevet constituent des faits objectifs qui peuvent être examinés par la Cour. À l’appui de cette position, Sandoz invoque Distrimedic Inc c Dispill Inc, 2013 CF 1043 au para 210 [Distrimedic]. La Cour y a déclaré qu’une « modification du libellé d’une revendication pour donner suite à une objection provenant du Bureau des brevets est un fait objectif à partir duquel une conclusion peut être tirée et qui ne saurait être assimilée à des observations présentées au Bureau des brevets ».

[117] Dans Distrimedic, la modification et l’objection en question ont eu lieu après le retrait d’un avis d’acceptation qui avait été délivré à l’égard d’une version antérieure du brevet de la défenderesse, après qu’un autre brevet eut été porté à l’attention du Bureau des brevets. Pour surmonter l’objection du Bureau des brevets et distinguer son invention de celle visée par l’autre brevet, la défenderesse a modifié le brevet.

[118] Distrimedic semble avoir été écarté par l’adoption de l’article 53.1 de la Loi, qui codifie maintenant les circonstances limitées dans lesquelles le législateur a voulu que l’historique de la poursuite de la demande visant un brevet soit admissible dans une action ou une procédure relative à un brevet. En tout état de cause, la Cour a clairement indiqué dans Distrimedic que « les déclarations ou les admissions faites au cours du traitement de la demande de brevet ne peuvent être utilisées pour interpréter une revendication » : Distrimedic, précitée, au para 210. C’est précisément ce que Sandoz cherche à faire dans la présente procédure. En outre, les faits dans Distrimedic se distinguent des faits dans la présente instance. Cela s’explique par le fait que les observations et les modifications sur lesquelles Sandoz souhaite se fonder dans la présente procédure ont été faites dans le cadre de la poursuite du brevet 002, par opposition au type de situation en cause dans Distrimedic.

[119] Après Free World et Distrimedic, le Parlement a édicté l’article 53.1 de la Loi. Le texte de cette disposition est le suivant :

53.1 (1) Dans toute action ou procédure relative à un brevet, toute communication écrite ou partie de celle-ci peut être admise en preuve pour réfuter une déclaration faite, dans le cadre de l’action ou de la procédure, par le titulaire du brevet relativement à l’interprétation des revendications se rapportant au brevet si les conditions suivantes sont réunies :

a) elle est produite dans le cadre de la poursuite de la demande du brevet ou, à l’égard de ce brevet, d’une renonciation ou d’une demande ou procédure de réexamen;

b) elle est faite entre, d’une part, le demandeur ou le titulaire du brevet, et d’autre part, le commissaire, un membre du personnel du Bureau des brevets ou un conseiller du conseil de réexamen.

[120] Le Résumé législatif relatif à cette disposition, qui figure dans le projet de loi C-86, indique ce qui suit :

Les articles 187, 191, 197 et 201 du projet de loi rendent admissibles en preuve, dans le cadre d’un litige relatif à un brevet, les communications écrites entre le Bureau des brevets et une personne dans le contexte de la demande de brevet de cette dernière. Auparavant, toute communication entre un titulaire de brevet et le Bureau des brevets effectuée au cours d’une demande de brevet ne pouvait pas être considérée comme un élément de preuve dans un litige ultérieur concernant ce brevet. Par conséquent, les titulaires de brevet n’étaient pas liés, lorsqu’ils faisaient valoir leur brevet, par ce qu’ils avaient dit au Bureau des brevets au sujet de celui‑ci, ce qui leur permettait de faire valoir devant les tribunaux une portée plus grande à leur brevet que ce qu’ils avaient initialement affirmé dans leur demande [3] . (Non souligné dans l’original.)

[121] Sandoz affirme que les mots « une personne » aux deuxième et troisième lignes du résumé cité ci-dessus tendent à indiquer que le législateur voulait qu’on puisse appliquer l’article 53.1 pour admettre la preuve relative à l’historique de la poursuite de la demande, non seulement pour réfuter les observations faites par le titulaire de brevet dans une action ou une procédure, mais aussi par d’autres personnes qui présentent des observations dans le cadre d’une poursuite à l’égard d’un brevet. Sandoz soutient qu’une telle interprétation serait conforme au libellé suivant de la Loi no 2 d’exécution du budget de 2018, LC 2018, c 27, qui est rédigé comme suit :

La sous-section A de la section 7 de la partie 4 modifie la Loi sur les brevets afin :

[…]

d) d’assurer, à certaines fins, l’admissibilité en preuve de communications produites dans le cadre de poursuites antérieures à l’égard d’un brevet; [...]

[122] Sandoz ajoute que le fait de permettre l’application de l’article 53.1 aux observations faites par un titulaire de licence dans le cadre de la poursuite d’une demande relative à un brevet serait conforme à la définition de « breveté ou titulaire d’un brevet » à l’article 2 de la Loi, qui dispose : « Le titulaire ayant pour le moment droit à l’avantage d’un brevet. (patentee) ». Étant donné qu’Allergan est la titulaire exclusive de la licence du brevet 002, Sandoz fait valoir qu’elle est la seule société qui a droit à l’avantage de ce brevet au Canada.

[123] Enfin, Sandoz affirme qu’il peut être déduit de certaines observations qui ont été présentées au Comité sénatorial des Banques et du commerce [CSBC] que le Parlement a été [traduction] « averti de la possibilité que l’article 53.1 de la Loi introduise “un principe de préclusion de type américain” et a choisi de ne pas modifier la législation, acceptant ainsi que l’article s’applique aux titulaires de licence » [4] . Les observations en question ont été faites dans une présentation écrite de l’Institut de la propriété intellectuelle du Canada [IPIC] au CSBC. À cet égard, l’IPIC a déclaré que l’article 53.1 « altère la loi canadienne pour y appliquer un principe de préclusion de type américain » : Recommandations de l’Institut de la propriété intellectuelle du Canada (IPIC) sur d’éventuelles modifications aux sous-sections A, B, C, E et H du projet de loi C-86, Mémoire présenté au Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, 27 novembre 2018, à la p 4 [Mémoire de l’IPIC].

[124] À mon avis, aucun des arguments avancés par Sandoz ne peut écarter le libellé clair du paragraphe 53.1(1), une lecture contextuelle de la Loi ou la jurisprudence concernant la définition de l’expression « breveté ou titulaire d’un brevet » à l’article 2 de cette loi.

[125] Il est bien établi en droit qu’« il faut lire les termes d’une loi “dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’[économie] de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur” » : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 117, citant Rizzo & Rizzo Shoes Ltd (Re), [1998] 1 RCS 27 au para 21, et Bell ExpressVu Limited Partnership c Rex, 2002 CSC 42 au para 26, citant tous deux E. Driedger, Construction of Statutes, 2e éd, Toronto, Butterworths, 1983, à la p 87.

[126] Le chapeau du paragraphe 53.1(1) limite clairement la portée de cette disposition permettant l’admission en preuve de certaines communications écrites pour réfuter toute déclaration faite par le titulaire de brevet dans une action ou une procédure, relativement à l’interprétation d’une revendication dans un brevet qui est en cause dans l’action ou l’instance. Dans la présente procédure, il est admis que le titulaire du brevet est la défenderesse Kissei, qui n’a pas présenté d’observations à la Cour concernant l’interprétation du brevet 002. Par conséquent, en l’absence d’indication claire, ailleurs dans le cadre du régime ou de l’objet de la Loi, selon laquelle le législateur avait l’intention d’utiliser l’expression « breveté ou titulaire d’un brevet » pour désigner un titulaire de licence, le paragraphe 53.1(1) ne peut être invoqué en l’espèce.

[127] Je ne souscris pas à la position de Sandoz selon laquelle un titulaire de licence est visé par les termes « breveté ou titulaire d’un brevet » définis à l’article 2 de la Loi, à savoir le « titulaire ayant pour le moment droit à l’avantage d’un brevet ». Cette position a été expressément examinée et rejetée dans Electric Chain Co of Canadas Ltd c Art Metal Works Inc, [1933] RCS 581 aux pp 586‑587 [Electric Chain]. Cet arrêt a eu pour effet d’empêcher les titulaires de licence d’être parties à une action en contrefaçon au Canada. Par conséquent, le paragraphe 55(1) a été ajouté à la Loi : American Cyanamid Co c Novopharm, [1972] FC 739 aux para 23‑24 (CAF) [American Cyanamid]. Cette disposition, qui a fait l’objet de quelques modifications mineures qui ne sont pas pertinentes aux fins actuelles, est rédigée comme suit :

Quiconque contrefait un brevet est responsable envers le breveté et toute personne se réclamant de celui-ci du dommage que cette contrefaçon leur a fait subir après l’octroi du brevet.

[128] Les tribunaux ont depuis confirmé qu’une personne qui est titulaire d’une licence est une « personne se réclamant » du titulaire du brevet au sens du paragraphe 55(1) : Armstrong Cork Canada c Domco Industries Ltd, [1982] 1 RCS 907 à la p 914; American Cyanamid, précité, aux para 31‑32.

[129] Ce qui revêt de l’intérêt en l’espèce, c’est que même si la Loi a été modifiée pour permettre à un titulaire de licence d’intenter une poursuite pour contrefaçon, la définition de « breveté ou titulaire d’un brevet » n’a pas été modifiée à la suite de l’interprétation qui a été faite dans Electric Chain, précité.

[130] De plus, étant donné que le législateur a inclus les mots « le demandeur [...] du brevet » à l’alinéa 53.1(1)b), mais non dans le chapeau du paragraphe 53.1(1), on peut déduire que (i) le législateur connaissait la distinction entre un titulaire de brevet et une personne qui n’est pas un titulaire de brevet, et (ii) le législateur a décidé de limiter strictement la portée du chapeau de l’article à une personne qui est le titulaire du brevet.

[131] Cette interprétation de l’intention du législateur trouve un certain appui dans l’historique législatif. En particulier, dans le mémoire que l’IPIC a présenté au CSBC, dont il a été question au paragraphe 123 ci-dessus, l’IPIC a noté que le libellé de l’article 53.1 créait une « faille » qui permettrait au « titulaire de brevet de contourner l’application de cet article en agissant par le biais d’un titulaire de licence » : Mémoire de l’IPIC, précité, à la p 12. Pour corriger cette « faille », l’IPIC a recommandé que le paragraphe 53.1(1) soit modifié de façon à inclure « ou un particulier se réclamant du titulaire de brevet ». La modification précise proposée par l’IPIC est le libellé souligné dans le chapeau de cette disposition :

53.1 (1) Dans toute action ou procédure relative à un brevet, toute communication écrite ou partie de celle-ci peut être admise en preuve pour réfuter une déclaration faite, dans le cadre de l’action ou de la procédure, par le titulaire du brevet ou un particulier se réclamant du titulaire de brevet relativement à l’interprétation des revendications se rapportant au brevet si les conditions suivantes sont réunies : [...]

[132] Cependant, la recommandation de l’IPIC n’a pas été acceptée et le projet de loi C‑86 a été adopté sans modification du libellé du paragraphe 53.1(1). Cet historique législatif étaye l’opinion selon laquelle, au moment où le législateur a ajouté le paragraphe 53.1(1) à la Loi, il était au courant de la distinction entre un titulaire de brevet et une personne qui n’est pas un titulaire de brevet, mais il a choisi de limiter la portée de l’article 53.1 aux observations faites par les titulaires de brevet.

[133] En résumé, le sens simple et ordinaire du libellé du paragraphe 53.1(1) ainsi qu’une lecture contextuelle de la Loi et de la jurisprudence examinée ci-dessus appuient l’opinion que l’expression « titulaire du brevet » au paragraphe 53.1(1) ne comprend pas les titulaires de licence. L’historique législatif fournit également un appui supplémentaire à cette interprétation. Sandoz n’a indiqué aucune considération contextuelle pour soutenir l’autre interprétation qu’elle a avancée. Par conséquent, étant donné qu’aucune observation n’a été présentée par le titulaire (Kissei) du brevet 002 dans la présente instance, l’historique de la poursuite de la demande n’est pas admissible en preuve dans le cadre de la présente action. Cet historique n’est pas admissible en raison de l’interdiction de la preuve extrinsèque : Free World, précité, au para 66.

[134] Je n’ai donc pas examiné l’historique de la poursuite de la demande qui, selon Sandoz, appuie sa position selon laquelle les éléments relatifs à la granulation par voie humide sont des éléments essentiels des revendications 1, 2, 3 et 6 du brevet 002.

[135] Je ferai simplement remarquer incidemment que l’historique de la poursuite de la demande en question constitue un exemple flagrant du méfait qui est implicitement permis par le libellé actuel du paragraphe 53.1(1).

(iv) Résumé : Éléments essentiels de la revendication 1

[136] Vu les conclusions que j’ai tirées dans les parties VI.A.(4)a)(i) et (ii) ci‑dessus, les éléments [traduction] « granulé » et [traduction] « préparé par granulation par voie humide » sont des éléments essentiels de la revendication 1.

[137] Il semble aussi que les parties s’accordent sur le fait que les excipients et la vitesse de dissolution décrits dans la revendication 1 sont des éléments essentiels. Sandoz et Mme Felton l’ont expressément déclaré. Il ne semble pas non plus y avoir de différend sur le caractère essentiel de la méthode d’essai pour la vitesse de dissolution, sur les termes [traduction] « capsule qui comprend » et [traduction] « mélange », ainsi que sur le composé représenté par la formule figurant dans la revendication 1 (la silodosine).

[138] Par conséquent, les éléments essentiels de la revendication 1 sont les suivants :

  • une capsule qui comprend

  • un granulé

  • préparé par granulation par voie humide

  • à partir d’un mélange contenant de la silodosine, du D-mannitol et de l’amidon partiellement prégélatinisé

  • un lubrifiant sélectionné dans le groupe comprenant le stéarate de magnésium, le stéarate de calcium et le talc

  • du laurylsulfate de sodium

  • de sorte que le temps de dissolution de 85 % de la capsule ne dépasse pas 15 minutes dans un essai de dissolution effectué suivant la méthode 2 (méthode utilisant un appareil à palette) de la pharmacopée japonaise dans une situation où l’eau est utilisée comme milieu d’essai avec une vitesse de rotation de la palette de 50 tr/min.

(b) Revendications 2 et 3

[139] Les parties conviennent que les revendications 2 et 3 doivent être interprétées dans leur sens ordinaire. Par conséquent, les éléments essentiels de ces revendications sont les suivants :

Revendication 2 :

  • La capsule selon la revendication 1 (ce qui vise les éléments essentiels de la revendication 1, hormis la possibilité de choisir du stéarate de calcium ou du talc comme lubrifiant)

  • pour laquelle le lubrifiant est du stéarate de magnésium.

Revendication 3 :

  • La capsule selon la revendication 2 (ce qui vise les éléments essentiels de la revendication 2, en plus de la condition suivante)

  • le laurylsulfate de sodium doit être présent dans une proportion d’un à vingt pour dix par rapport au stéarate de magnésium.

(c) Revendication 6

[140] La revendication 6 revendique une méthode pour préparer une capsule en deux étapes. Il ne semble pas y avoir de différend entre les parties au sujet de ses termes essentiel, sauf pour ce qui est de savoir si les éléments [traduction] « granulation » ou [traduction] « procédé de granulation par voie humide » sont essentiels.

[141] Dans son premier rapport, Mme Felton a affirmé (au paragraphe 97) que [traduction] « la revendication 6 n’introduit aucun nouvel élément qui n’est pas présent dans la revendication 1 et supprime la limite du profil de dissolution revendiquée dans la revendication 1 ». Toutefois, en contre-interrogatoire, elle a déclaré que le taux de dissolution précisé dans la revendication 1 est [traduction] « inhérent » dans la revendication 6 parce que la revendication 6 traite simplement [traduction] « d’une certaine façon » de préparer la composition décrite dans la revendication 1 : transcription publique, à la p 152.

[142] Plus loin dans son premier rapport (au paragraphe 173), Mme Felton a soutenu que les éléments essentiels de la revendication 6 comprenaient la silodosine, les excipients revendiqués et un [traduction] « mélange » en deux étapes des excipients. En contre-interrogatoire, elle a expliqué que la première de ces étapes consiste à mélanger la silodosine et les excipients indiqués à la revendication 6, et que la deuxième étape vise à poursuivre le mélange entrepris à la première étape, en y ajoutant un des lubrifiants proposés et le laurylsulfate de sodium : transcription publique, aux pp 141‑142. Plus tard, elle a déclaré que [traduction] « la revendication 6 concerne l’ordre dans lequel on doit ajouter les ingrédients du mélange, le mélange précis » : transcription publique, à la p 148. Lorsqu’elle a été questionnée sur le fait que la première des deux étapes figurant dans la revendication 6 est décrite en termes de [traduction] « granulation », alors que le terme [traduction] « mélange » est utilisé seulement pour décrire la deuxième étape, elle a affirmé qu’elle interprète le terme [traduction] « granulation » comme signifiant [traduction] « mélange » : transcription confidentielle, à la p 22.

[143] Je ne peux souscrire à cette interprétation. L’utilisation du mot [traduction] « granulation » dans la première étape et du mot [traduction] « mélange » dans la deuxième étape laisse penser que les inventeurs n’avaient pas l’intention que le mot [traduction] « granulation » signifie [traduction] « mélange ». En l’absence de toute indication convaincante d’une intention contraire ailleurs dans le brevet, j’estime raisonnable de conclure que les deux mots ont des significations différentes et que le mot [traduction] « granulation » est employé dans le sens ordinaire de ce terme, plutôt que dans celui de [traduction] « mélange ».

[144] De même, on peut également présumer qu’on voulait que les termes [traduction] « granulation » et [traduction] « procédé de granulation par voie humide » soient considérés comme étant essentiels, à moins qu’une intention contraire ne ressorte clairement à la lecture de la revendication 6 et du mémoire descriptif dans son ensemble : Teva‑Janssen, précitée, au para 70.

[145] Toutefois, à l’exception des arguments que j’ai déjà rejetés ci-dessus et en discutant de la revendication 1 (à la partie VI.A.(4)a) ci-dessus), ni Allergan ni Mme Felton n’ont fait état d’une telle intention contraire, claire ou autre. Par conséquent, la présomption selon laquelle les termes [traduction] « granulation » et [traduction] « procédé de granulation par voie humide » sont des éléments essentiels de la revendication 6 est maintenue.

[146] Il est entendu qu’à l’exception des arguments que j’ai déjà rejetés et dans le cadre des discussions sur la revendication 1, Allergan comme Mme Felton n’ont vu aucune raison de conclure que la personne versée dans l’art aurait constaté que les éléments [traduction] « granulation » et [traduction] « procédé de granulation par voie humide » puissent être remplacés sans que cela ne modifie le fonctionnement de l’invention envisagée par la revendication 6. Autrement dit, elles n’ont vu aucune raison de conclure que la personne versée dans l’art aurait compris qu’un procédé de fabrication par voie sèche fonctionnerait manifestement de la même façon.

[147] Par conséquent, les éléments essentiels de la revendication 6 sont les suivants :

  • Une méthode de préparation d’une capsule, comportant les étapes suivantes :

  • 1) - la granulation de silodosine, de D-mannitol et d’amidon partiellement prégélatinisé

- par un procédé de granulation par voie humide; et

  • 2) - le mélange du granulé obtenu à l’étape 1 avec :

- un lubrifiant choisi parmi le stéarate de magnésium, le stéarate de calcium et le talc, et

- du laurylsulfate de sodium.

B. Le brevet 002 est-il invalide pour cause d’évidence?

(1) Introduction

[148] À mi-chemin du procès relatif à la présente action, l’instance a été ajournée après que j’ai été informé qu’un différend avait surgi concernant une offre de règlement partielle faite par Sandoz. Allergan soutient que l’offre est devenue un contrat contraignant après son acceptation par Allergan. Allergan a alors présenté une requête visant à faire respecter ce prétendu contrat. Par souci de prudence, je n’ai pas examiné les documents déposés relativement à la requête ni tranché ce différend. La requête a été entendue et rejetée par le juge Barnes : Allergan Inc c Sandoz Canada Inc, 2020 CF 1047 [décision sur la requête d’Allergan].

[149] En résumé, selon la décision sur la requête d’Allergan, dans l’après-midi du 28 octobre 2020, Sandoz a offert par écrit de retirer sa demande reconventionnelle dans la présente instance sans dépens. Allergan a écrit quelques heures plus tard pour faire part de son acceptation. Le lendemain matin, un différend a surgi au sujet de la position de Sandoz selon laquelle sa défense d’invalidité demeurait active. Sandoz était d’avis que, bien qu’elle ait proposé de retirer sa demande reconventionnelle, qui à ce moment-là n’invoquait qu’un seul motif d’invalidité - l’évidence - elle n’avait jamais eu l’intention d’abandonner sa capacité à invoquer l’invalidité en tant que défense. Elle a soutenu que, bien qu’elle ait offert d’abandonner sa demande de réparation en matière réelle, elle n’avait pas l’intention de renoncer à sa capacité à invoquer la défense fondée sur l’arrêt Gillette : décision sur la requête d’Allergan, ci-dessus, aux pp 3‑4 et 9.

[150] En fin de compte, le juge Barnes a conclu qu’aucun accord n’avait été conclu entre Allergan et Sandoz, parce qu’il n’y avait pas eu une rencontre des volontés : décision sur la requête d’Allergan, précitée, aux pp 7 et 10. Je crois savoir qu’Allergan a demandé l’autorisation d’interjeter appel de cette décision.

[151] Entre-temps, Allergan a confirmé que la demande reconventionnelle de Sandoz fondée sur l’évidence demeurait une question en litige dans la présente instance. En fait, après la reprise du procès après la décision du juge Barnes, les parties ont continué de traiter de cette question.

(2) Le critère juridique

[152] En vertu de l’article 28.3 de la Loi, l’objet que définit la revendication d’une demande ne doit pas être évident pour une personne versée dans l’art ou la science dont relève l’objet, eu égard à deux types de communications, dont l’une est celle qui a été faite avant la date de la revendication de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs.

[153] Le critère pour évaluer l’évidence comporte les quatre volets suivants :

1. Identifier la personne versée dans l’art et déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

2. Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

3. Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale;

4. Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, évaluer si ces différences (i) constituent des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou (ii) dénotent quelque inventivité.

(Sanofi, précité, au para 67.)

[154] Le cadre qui précède vise une approche souple qui doit être appliquée en tenant compte du contexte, ainsi que des faits et des circonstances propres à chaque revendication : Amgen Inc et Amgen Canada Inc c Pfizer Canada ULC, 2020 CAF 188 au para 7. Elle doit également s’appliquer à la combinaison des éléments de l’invention comme ensemble, plutôt qu’à chacun de ses éléments pris isolément : Teva-Janssen, précitée, au para 86.

[155] Ce cadre prévoit un seuil élevé pour ceux qui sont accusés de contrefaçon : ils doivent démontrer que la personne versée dans l’art aurait réalisé l’invention directement et facilement : Bridgeview Manufacturing Inc c 931409 Alberta Ltd, 2010 CAF 188 au para 40 [Bridgeview], citant et approuvant Beloit Canada Ltée c Valmet Oy [1986] ACF no 87 au para 18 (CAF) [Beloit]. Il ne suffit pas de démontrer que l’invention revendiquée avait « quelque chose valant d’être tenté » ou que la personne versée dans l’art était justifiée de rechercher des solutions prévisibles ou des solutions qui comportent des chances raisonnables de succès : Pfizer Canada Inc c Apotex Inc, 2009 CAF 8 au para 28 [Pfizer-Apotex]; Eli Lilly Canada Inc c Mylan Pharmaceuticals ULC, 2015 CAF 286 au para 4; Bristol-Myers Squibb Canada Co c Teva Canada Ltd, 2016 CF 580 au para 458; Hospira Healthcare Corporation c Kennedy Trust for Rheumatology Research, 2018 CF 259 au para 225.

[156] En comparaison, le seuil d’inventivité (non-évidence) est faible : Beloit, précité; Teva-Janssen, précitée, au para 81.

[157] Dans les situations où les progrès sont souvent réalisés par l’expérimentation, la notion d’« essai allant de soi » pourrait être appropriée au regard de la quatrième étape mentionnée ci-dessus. Mentionnons, comme exemple, que les inventions du secteur pharmaceutique qui ont des compositions chimiquement semblables peuvent donner lieu à des réponses biologiques différentes, et peuvent ainsi être porteuses de progrès thérapeutiques notables : Sanofi, précité, au para 68. Il semble que les parties s’entendent sur le fait que l’invention revendiquée par le brevet 002 relève de cette catégorie et qu’il convient donc d’appliquer la notion d’« essai allant de soi ».

[158] Lors de l’application de ce critère, il faut tenir compte des facteurs suivants tirés de Sanofi :

  1. Est-il plus ou moins évident que l’essai sera fructueux? Existe-t-il un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes versées dans l’art?

  2. Quels efforts — leur nature et leur ampleur — sont requis pour réaliser l’invention? Les essais sont-ils courants ou l’expérimentation est-elle longue et ardue de telle sorte que les essais ne peuvent être qualifiés de courants?

  3. L’art antérieur fournit-il un motif de rechercher la solution au problème que sous‑tend le brevet?

  4. Quelles ont été les mesures concrètes ayant mené à l’invention?

[159] Étant donné le lien étroit entre le deuxième et le quatrième facteurs mentionnés ci‑dessus, on peut les examiner ensemble : Société Bristol‑Myers Squibb Canada c Teva Canada Limitée, 2017 CAF 76 au para 44; Biogen, précitée, au para 150; Teva-Janssen, précitée, au para 85.

[160] Pour satisfaire au critère de l’« essai allant de soi », il faut établir, selon la prépondérance des probabilités, au moyen de la preuve qu’il allait plus ou moins de soi de tenter d’arriver à l’invention d’après l’art antérieur et les CGC : Sanofi, précité, aux para 66 et 85.

[161] Même lorsque le critère de l’« essai allant de soi » est rempli, il n’est pas nécessairement déterminant, car ce critère n’est que l’un des facteurs dont il faut tenir compte dans le cadre de l’examen de l’évidence : Sanofi, précité, au para 64. De même, dans le cadre de l’évaluation de l’« essai allant de soi », la démonstration qu’il était plus ou moins évident, d’après l’art antérieur et les CGC, que « l’essai sera fructueux » est simplement un facteur à considérer : Sanofi, précité, au para 69; Hospira Healthcare (CAF), précité, au para 90.

(3) Évaluation

(a) Première étape - La personne versée dans l’art et les connaissances générales courantes pertinentes

[162] Ces questions ont été examinées aux paragraphes 52 à 62 ci-dessus.

[163] Aux fins de l’analyse de l’évidence, les CGC sont évaluées à la date de revendication du brevet 002. Sandoz n’a pas contesté la position de Mme Felton selon laquelle il n’y a pas eu de changement important dans les CGC entre la date de la revendication et la date de publication : deuxième rapport de Mme Felton, au para 15. Par conséquent, les CGC aux fins de la présente affaire sont les CGC décrites aux paragraphes 59 et 60 ci-dessus.

[164] Allergan et Sandoz s’entendent pour dire que l’« état de la technique » comprend une unique antériorité qui était accessible au public avant la date de la revendication, à savoir la demande de brevet japonais no JP 2000-247998A [JP998], présentée par Kissei le 26 février 1999 et publiée le 12 septembre 2000. Comme pour Allergan, Sandoz et leurs experts respectifs, je me référerai à la traduction anglaise de la demande JP998, qui a été acceptée comme faisant foi.

[165] Allergan et Sandoz s’accordent pour dire que la demande JP998 représentait une divulgation antérieure du composé correspondant à la silodosine. L’objet de l’invention décrite dans la demande JP998 était présenté comme étant de [traduction] « fournir un agent thérapeutique contre la dysurie associée à une hypertrophie de la prostate, pour lequel l’apparition d’une résistance à la suite d’une utilisation continue peut être éliminée et les effets secondaires sur d’autres organes, comme l’hypertrophie du cœur, peuvent être évités » : demande JP998, au paragraphe 0009.

(b) Deuxième étape : concept inventif

[166] Allergan allègue que le concept inventif des revendications 1 à 3 et de la revendication 6 est tel que le présente Mme Felton. En ce qui concerne les revendications 1 à 3, Mme Felton a décrit le concept inventif comme étant [traduction] « une formulation en capsules contenant de la silodosine et les excipients indiqués, qui atteint une vitesse de dissolution rapide précise (dissolution de 85 % en l’espace de 15 minutes) selon la méthodologie de mesure décrite ». Pour ce qui est de la revendication 6, à son avis, le concept inventif est [traduction] « [une] méthode de préparation d’une capsule comprenant une formulation à base de silodosine avec une vitesse de dissolution améliorée ». Bien qu’il ne soit nullement fait mention d’une vitesse de dissolution dans la revendication 6, Mme Felton pensait que [traduction] « tout le brevet concerne l’obtention de cette vitesse de dissolution élevée » et que, si la composition décrite dans la revendication 1 était réalisée par le procédé de la revendication 6, [traduction] « vous obtiendriez inévitablement ce profil de dissolution aussi, puisque la composition est la même » : transcription publique, aux pp 143‑144.

[167] Allergan affirme que ce profil de dissolution est important car, en vertu d’une ligne directrice émise par la Food and Drug Administration [FDA] des États-Unis, intitulée Guidance for Industry – Dissolution Testing of Immediate Release Solid Oral Dosage Forms, un médicament qui atteint ce profil de dissolution dans du suc gastrique simulé (solution décinormale d’acide chlorhydrique) [traduction] « se comporte comme une solution et ne devrait en général poser aucun problème sur le plan de la biodisponibilité » (page 3). Il semble qu’Allergan et Sandoz s’accordent sur le fait qu’un médicament qui se dissout à 85 % dans l’eau en l’espace de 15 minutes atteindra aussi ce profil de dissolution dans une solution décinormale d’acide chlorhydrique : transcription publique, aux pp 103 et 404‑407.

[168] L’expert de Sandoz, M. Fassihi, estime qu’il n’y a aucune [traduction] « invention » dans les revendications 1 à 3 ou dans la revendication 6 du brevet 002 et que, par conséquent, il n’y a aucun concept inventif. Plus précisément, Sandoz et lui affirment que le composé correspondant à la silodosine, les excipients, leurs fonctions respectives et les procédés de fabrication classiques (dont la granulation par voie humide) étaient tous connus avant la date de revendication et que la sélection d’une vitesse de dissolution ne constitue pas une invention. Cela se pourrait bien, mais il est cependant tout à fait possible de créer une invention en combinant des composants et des procédés de fabrication connus pour atteindre un résultat nouveau et utile : Zero Spill Systems (Int’l) Inc c Heide, 2015 CAF 115 au para 95; The King c American Optical Co, 1950 Ex CR 344, à la p 355, 1950 CarswellNat 9 (Cour de l’Échiquier du Canada).

[169] À titre subsidiaire, et invoquant Ciba Specialty Chemicals Water Treatment Limited c SNF Inc, 2017 CAF 225 aux para 72‑77 [Ciba-SNF], Sandoz affirme que le concept inventif doit être complètement évité. L’examen devrait plutôt porter sur les éléments essentiels des revendications telles qu’elles ont été interprétées, et on ne devrait pas « s’engager dans un débat périphérique superflu » qui s’appuie sur le brevet dans son ensemble : Ciba-SNF, précité, au para 77.

[170] Dans la mesure où le concept inventif du brevet peut être distingué des éléments essentiels de ces revendications, je conviens qu’il s’agit de la méthode appropriée à suivre lorsqu’il y a un risque réel de se laisser entraîner dans un « débat périphérique ». Toutefois, lorsqu’il n’est pas possible de saisir pleinement la nature du concept inventif uniquement à partir de ces revendications, la Cour peut tenir compte du mémoire descriptif de brevet à cette fin : Teva Canada Ltd c Pfizer Canada Inc, 2012 CSC 60 au para 50; Sanofi, précité, au para 77; Apotex Inc c Allergan, 2012 CAF 308 aux para 72‑74; Allergan Inc c Canada (Ministre de la Santé), 2014 CF 567 au para 25, conf. par 2015 CAF 137.

[171] C’est le cas dans le présent contexte. En résumé, la revendication 1 du brevet 002 décrit une capsule qui comprend un granulé préparé par granulation par voie humide à partir d’un mélange de silodosine et d’excipients spécifiés, qui atteint une vitesse de dissolution rapide précise (dissolution de 85 % en l’espace de 15 minutes) selon la méthodologie de mesure décrite. La revendication 2 renvoie à la [traduction] « capsule selon la revendication 1 », puis désigne le stéarate de magnésium comme l’unique lubrifiant. À son tour, la revendication 3 renvoie à la [traduction] « capsule selon la revendication 2 », puis précise une proportion de laurylsulfate de sodium par rapport au stéarate de magnésium. La revendication 6 décrit ensuite une méthode en deux étapes pour préparer une capsule contenant les ingrédients présentés dans la revendication 1.

[172] Il ressort clairement de ce qui précède que les revendications à elles seules ne fournissent pas suffisamment de renseignements pour bien comprendre le concept novateur ou pour effectuer les évaluations envisagées aux troisième et quatrième étapes de l’analyse de l’évidence. Par conséquent, je considère qu’il est nécessaire de compléter cette information par des renseignements provenant du mémoire descriptif du brevet qui permettent de procéder à ces évaluations.

[173] À mon avis, il y a quatre détails supplémentaires dans le mémoire descriptif du brevet qui permettent de comprendre pleinement et équitablement le concept inventif, puis de le comparer à l’« état de la technique » antérieur dans la troisième étape de l’analyse globale. Ces détails sont les suivants : l’invention i) est un produit pharmaceutique de forme orale solide pour le traitement de la dysurie qui présente : ii) une grande précision de remplissage, iii) une grande uniformité du contenu pour assurer la bioéquivalence entre les lots, et iv) une bonne stabilité. Je ferai observer au passage que les points ii) à iv) sont mentionnés à plusieurs reprises et sont désignés successivement comme étant [traduction] « importants », « nécessaires » et « souhaités » : brevet 002, à la p 6 (lignes 3‑9), à la p 8 (lignes 12‑17 et 26), à la p 9 (lignes 25‑27), à la p 10 (lignes 12‑15), à la p 13 (lignes 4‑6 et 18‑20), à la p 14 (lignes 3‑4), à la p 21 (lignes 22‑23) et à la p 41 (lignes 2‑3).

[174] En m’appuyant sur ces détails supplémentaires et sur les éléments essentiels figurant dans les revendications 1 à 3, j’estime que le concept inventif de ces revendications est le suivant : une nouvelle formulation de forme pharmaceutique orale solide pour le traitement de la dysurie, à savoir une capsule qui comprend un granulé préparé par granulation par voie humide à partir d’un mélange de silodosine et d’excipients spécifiés, qui i) atteint une vitesse de dissolution rapide précise dans l’eau (dissolution de 85 % en l’espace de 15 minutes) selon la méthodologie d’essai décrite, ii) présente une grande précision de remplissage, iii) présente une grande uniformité du contenu pour assurer la bioéquivalence entre les lots et iv) présente une bonne stabilité.

[175] En ce qui concerne la revendication 6, le concept inventif est la préparation de la formulation décrite dans la revendication 1 par i) la granulation de la silodosine, du D-mannitol et de l’amidon partiellement prégélatinisé par un procédé de granulation par voie humide, puis par ii) le mélange du granulé obtenu à l’étape 1 avec l’un des lubrifiants désignés et le laurylsulfate de sodium.

(c) Troisième étape : les différences entre l’état de la technique et le concept inventif

[176] Sandoz affirme qu’il n’y a que de légères différences entre l’unique antériorité, la demande JP998, et l’invention revendiquée dans le brevet 002. En bref, il s’agit : i) d’amidon prégélatinisé qui a été substitué à la fécule de maïs, ii) de l’ajout de laurylsulfate de sodium à la formulation dans le brevet 002, et iii) du procédé relatif à la granulation par voie humide qui a été substitué à la méthode par voie sèche indiquée dans le seul exemple de formulation fourni dans la demande JP998.

[177] Allergan insiste sur le fait que les différences entre ce qui a été divulgué dans la demande JP998 et le concept inventif du brevet 002 sont plus importantes que ce que déclare Sandoz. Tout d’abord, Allergan fait observer que la demande JP998 est largement orientée vers une catégorie d’agents thérapeutiques (ciblant les récepteurs alpha1A-adrénergiques sans montrer d’activité agoniste inverse) et envisage une [traduction] « énorme » liste d’excipients individuels. Allergan ajoute qu’en plus des différences indiquées par Sandoz, la revendication 3 du brevet 002 précise une proportion de laurylsulfate de sodium par rapport au stéarate de magnésium, ce qui n’a pas été abordé dans la demande JP998. En outre, alors que la demande JP998 ne mentionne pas la très faible solubilité de la silodosine dans l’eau ni ses puissantes propriétés adhésives et électrostatiques, le brevet 002 traite de ces propriétés pour la première fois, puis apporte une solution de dissolution rapide aux problèmes connexes de remplissage et d’uniformité du contenu des capsules qu’il met en lumière.

[178] Je suis d’accord avec Allergan.

[179] Le brevet 002 divulgue pour la première fois la très faible solubilité de la silodosine dans l’eau ainsi que ses puissantes propriétés adhésives et électrostatiques et les problèmes de remplissage et d’uniformité du contenu associés à ces propriétés. Ni Sandoz ni M. Fassihi ne l’ont contesté : transcription publique, à la p 460. Le brevet 002 apporte ensuite une solution à ces problèmes jusqu’alors inconnus. Cette solution est une formulation en capsules particulière et nouvelle, préparée par un procédé de granulation par voie humide en deux étapes. La formulation contient deux excipients qui n’étaient pas mentionnés dans la demande JP998, et elle est préparée à l’aide d’un procédé précis qui n’apparaît pas dans ce brevet, lequel ne décrit qu’un procédé par voie sèche dans le seul exemple de formulation qu’il fournit. Le brevet 002 divulgue qu’un procédé par voie sèche est associé à une baisse de la fluidité, de la maniabilité et de l’uniformité du contenu.

[180] La solution préconisée par le brevet 002, qui fait partie de son concept inventif, permet d’arriver à des résultats qui ne sont mentionnés nulle part dans la demande JP998. Ces résultats sont les suivants : i) une vitesse de dissolution rapide précise dans l’eau (dissolution de 85 % en l’espace de 15 minutes) selon la méthodologie d’essai décrite, ii) une grande précision de remplissage, iii) une grande uniformité du contenu pour assurer la bioéquivalence entre les lots et iv) une bonne stabilité.

(d) Quatrième étape - Les différences entre le concept inventif et l’état de la technique étaient-elles évidentes?

[181] Comme il a été indiqué au paragraphe 157 ci-dessus, il semble que les parties s’entendent pour dire qu’il convient d’appliquer le critère de l’« essai allant de soi ». Je suis d’accord et je vais traiter des divers aspects de ce critère ci-dessous.

(i) Est-il plus ou moins évident que l’essai sera fructueux? Existait-il un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes versées dans l’art?

[182] Sandoz affirme qu’il allait plus ou moins de soi pour une personne versée dans l’art lisant la demande JP998 que les améliorations recherchées et revendiquées par les inventeurs devaient fonctionner. Sandoz admet que les problèmes de faible solubilité et les puissantes propriétés adhésives et électrostatiques de la silodosine n’avaient pas été divulgués avant la date de revendication. Toutefois, elle soutient que ces problèmes auraient été facilement détectés lors des essais de préformulation courants, bien connus de la personne versée dans l’art. Dès la détection de ces problèmes, la personne versée dans l’art aurait su qu’ils pouvaient être surmontés par la réalisation d’essais simples, comportant un petit nombre d’options connues.

[183] Plus précisément, Sandoz note que tous les excipients désignés dans le brevet 002, ainsi que leurs fonctions, étaient connus : le D-mannitol était un diluant connu, l’amidon prégélatinisé était un désagrégeant et liant connu, le stéarate de magnésium était un lubrifiant couramment utilisé et le laurylsulfate de sodium était un agent tensio-actif bien connu. De plus, Sandoz estime que la proportion de stéarate de magnésium par rapport au laurylsulfate de sodium qui est indiquée dans le brevet 002 se situe dans la fourchette classique figurant dans l’édition 2000 du Handbook of Pharmaceutical Excipients. En outre, le procédé de granulation par voie humide était un procédé bien connu pour la préparation de formulations pharmaceutiques orales solides, il était connu que des lubrifiants devaient être ajoutés à la fin du procédé de formulation et, en tout état de cause, l’ordre dans lequel on doit ajouter les ingrédients du mélange n’est pas inventif.

[184] Sandoz ajoute que Mme Felton a reconnu que les types d’études de préformulation qui ont été menées en 2002 auraient comporté des évaluations de la solubilité des médicaments dans divers systèmes de solvants ainsi que dans l’eau à divers pH. Mme Felton a aussi admis que l’écoulement d’un solide en poudre aurait été évalué dans de telles études, et que la personne versée dans l’art aurait su que les entreprises pharmaceutiques employaient des personnes qualifiées sachant comment réaliser des études de compatibilité du type présenté dans le brevet 002 : transcription publique, aux pp 50‑53.

[185] Sandoz fait en outre observer que Mme Felton a reconnu qu’une formulation standard contiendrait un diluant, un lubrifiant et un agent mouillant (notamment le laurylsulfate de sodium) et que la personne versée dans l’art aurait l’habitude d’effectuer des essais de dissolution à divers pH biologiques et avec la méthode utilisant un appareil à palette à 50 tr/min : transcription publique, aux pp 57‑61. Mme Felton a aussi convenu que la personne versée dans l’art aurait connaissance de diverses méthodes pour augmenter la vitesse de dissolution.

[186] Au vu de tout ce qui précède, Sandoz soutient, en substance, qu’il serait plus ou moins allé de soi pour la personne versée dans l’art qu’il devait y avoir un moyen de formuler la silodosine dans une capsule à libération rapide. La personne versée dans l’art aurait su que cela pouvait être fait d’une manière relativement simple, par de l’expérimentation courante.

[187] À cet égard, M. Fassihi a attesté que la formulation d’un médicament répondant à la norme de la FDA relativement à la libération immédiate (85 % en 15 minutes) est [traduction] « assez simple » et [traduction] « prend une demi-journée, deux ou trois formulations. Deux ou trois jours, peut-être une semaine, peut-être quelques semaines » : transcription publique, à la p 381. Plus tard dans son témoignage, il a souligné qu’on peut [traduction] « le faire en une demi-heure. Une demi-heure. » : transcription publique, à la p 563.

[188] En ce qui concerne les puissantes propriétés adhésives et électrostatiques de la silodosine qui n’avaient auparavant pas été divulguées, M. Fassihi a ajouté que la personne versée dans l’art les aurait vite découvertes, car [traduction] « il s’agit seulement de mélanger des poudres et de voir ce qui se passe » : transcription publique, à la p 455. En d’autres termes, M. Fassihi a déclaré que ces propriétés peuvent être déterminées [traduction] « par un simple mélange de quatre ou cinq composants de la formulation » : transcription publique, à la p 458. Il a ajouté que vérifier si un principe actif a des charges électrostatiques qui le font adhérer aux appareils de fabrication [traduction] « est un exercice très simple » qui peut être effectué en [traduction] « dix minutes » : transcription publique, à la p 459.

[189] En réponse, Allergan affirme qu’avant le brevet 002, la personne versée dans l’art n’aurait pas su si la silodosine pouvait être formulée de façon satisfaisante dans des capsules à libération immédiate qui se dissolvent rapidement, à la vitesse de dissolution revendiquée dans l’eau. Ce doute viendrait du fait que les [traduction] « puissantes propriétés adhésives et électrostatiques » et la très faible solubilité de la silodosine, qui ont été divulguées pour la première fois dans le brevet 002, étaient auparavant inconnues. Il en va de même pour les problèmes de remplissage des capsules qui ont été cernés dans le brevet 002, même lors de l’utilisation d’un procédé de granulation par voie humide. Même si la personne versée dans l’art aurait bien pu découvrir ces problèmes par la réalisation d’essais, le fait est qu’ils étaient inconnus avant la date de revendication. M. Fassihi l’a reconnu : transcription publique, aux pp 444, 449, 455, 457, 459, 460, 462 et 563‑564. Par conséquent, il n’allait pas plus ou moins de soi que l’emploi d’une capsule à libération rapide réglerait forcément ces problèmes inconnus.

[190] Je souscris à la position d’Allergan.

[191] Comme la Cour l’a reconnu, il peut être inventif de reconnaître l’existence d’un problème à résoudre : Bayer AG c Novopharm Ltd, 2006 CF 379 au para 44; Glaxosmithkline Inc c Canada (Ministre de la Santé), 2003 CF 899 au para 45.

[192] Avant de prendre connaissance des problèmes mentionnés ci-dessus qui ont été divulgués pour la première fois dans le brevet 002, il n’aurait pas été plus ou moins évident pour la personne versée dans l’art qu’une solution particulière à ces problèmes inconnus susmentionnés devrait fonctionner. Cela reste vrai même si, en théorie, il existait un petit nombre de solutions potentielles connues à ces problèmes.

[193] En effet, avant de connaître l’existence de problèmes résolus par l’invention revendiquée, il n’aurait pas été plus ou moins évident de tenter d’obtenir l’invention. Comme la Cour suprême l’a indiqué dans Sanofi, précité, au para 85, « [i]l n’est d’ailleurs pas tenu compte de l’existence de tels procédés lorsque aucun élément n’établit qu’il allait plus ou moins de soi d’y recourir ». De même, à défaut de connaître les propriétés problématiques de la silodosine, il n’allait pas de soi de tenter de les résoudre : Sanofi-Aventis c Apotex, 2013 CAF 186 au para 74. Dans la présente instance, il n’existe aucune preuve de ce genre, du moins aucune qui établit selon la prépondérance des probabilités que, avant la date de la revendication du brevet 002, « il allait plus ou moins de soi de tenter d’arriver à l’invention » : Sanofi, précité, au para 66. Bien que cela soit déterminant pour l’évaluation de la notion d’« essai allant de soi », je vais procéder ci-dessous à l’évaluation des autres parties du critère de l’« essai allant de soi ».

[194] Les constatations qui précèdent sont favorables à une conclusion négative quant à l’évaluation de la notion d’« essai allant de soi ».

[195] Je vais m’interrompre un instant pour faire observer que M. Fassihi a également reconnu qu’il n’avait connaissance d’aucune antériorité abordant la question de la compatibilité de la silodosine avec l’un quelconque des excipients présentés dans le brevet 002 : transcription publique, à la p 559. M. Fassihi a aussi semblé admettre qu’il n’allait pas de soi que la silodosine pouvait être formulée d’une manière respectant l’exigence d’une dissolution rapide de 85 % en moins de 15 minutes établie par la FDA : transcription publique, aux pp 563‑564. À vrai dire, l’exemple d’essai 3 du brevet 002 indique que, lors des essais visant à surmonter l’effet hydrofuge du stéarate de magnésium, une seule des cinq tentatives faites par les inventeurs a fonctionné, celle avec le laurylsulfate de sodium.

(ii) Quels efforts — leur nature et leur ampleur — ont été requis? Les essais étaient-ils courants ou l’expérimentation a-t-elle été longue et ardue de telle sorte que les essais ne peuvent être qualifiés de courants?

[196] Sandoz allègue que combler l’écart entre la technique antérieure (la demande JP998) et l’invention revendiquée dans le brevet 002 faisait partie du travail courant de la personne versée dans l’art. Elle répète que les seules différences entre l’unique formulation divulguée dans la demande JP998 (au paragraphe 0051) et la formulation revendiquée dans le brevet 002 sont les suivantes : i) du laurylsulfate de sodium, qui était connu pour contrebalancer les propriétés hydrophobes du stéarate de magnésium, a été ajouté; ii) de l’amidon prégélatinisé, qui était un désagrégeant connu et pouvait remplacer l’amidon de maïs, a été substitué à ce dernier excipient. En ce qui a trait au procédé, Sandoz souligne que l’une des trois méthodes classiques (la granulation par voie humide) a simplement été substituée à un autre procédé classique (le mélange à sec) qui était divulgué dans la formulation figurant dans la demande JP998. De plus, le procédé retenu (la granulation par voie humide) est mentionné au paragraphe 0030 de la demande JP998, lequel traite des préparations sous forme de capsules. Par ailleurs, pour ce qui est de la séquence du mélange, il était connu qu’il fallait ajouter un lubrifiant après la granulation par voie humide. En ce qui concerne la vitesse de dissolution, Sandoz note que Mme Felton a attesté qu’elle résulte forcément de l’utilisation des excipients connus.

[197] En outre, Sandoz répète que la faible solubilité et les propriétés adhésives et électrostatiques de la silodosine auraient été vite découvertes lors des études courantes de préformulation et des essais décrits aux paragraphes 184 à 186 ci-dessus. En tout cas, comme l’explique M. Fassihi (voir les paragraphes 187 et 188 ci-dessus), la personne versée dans l’art aurait facilement et rapidement détecté ces propriétés dès qu’elle aurait commencé à travailler avec la silodosine et les excipients en question.

[198] Quant à l’avis de Mme Felton qui dit que la formulation revendiquée dans le brevet 002 n’aurait pas été évidente pour la personne versée dans l’art qui connaissait la demande JP998, Sandoz soutient que Mme Felton a mal compris les exigences relatives à l’évidence. À cet égard, Sandoz déclare que l’avis de Mme Felton reposait sur le fait que la personne versée dans l’art ne connaîtrait pas l’effet des excipients sur la dissolution avant que les essais soient effectués. Sandoz fait remarquer à juste titre qu’une invention revendiquée peut être jugée comme ayant été évidente même quand l’expérimentation courante et les essais sont réalisés. Sandoz ajoute que le fait que la personne versée dans l’art puisse avoir dû évaluer plusieurs options ou voies n’empêche pas de conclure à l’évidence : AstraZeneca Canada Inc. c Teva Canada Limitée, 2013 CF 245 au para 79; Gilead Sciences Inc. c Canada (ministre de la Santé), 2013 CF 1270 au para 82.

[199] Sandoz soutient également que la conduite réelle des inventeurs de l’invention revendiquée étaye elle aussi la conclusion d’évidence. En particulier, elle note que le travail de préformulation effectué par les inventeurs était le type de travail enseigné dans les manuels scolaires et que Mme Felton a décrit ce travail comme étant [traduction] « le genre de travail effectué par les grandes sociétés pharmaceutiques » : deuxième rapport de Mme Felton, au para 7(9). Sandoz note en outre que Mme Felton n’a relevé aucun aspect particulier des travaux des inventeurs ni des revendications qui aurait été considéré comme inventif en 2002.

[200] Enfin, Sandoz note qu’Allergan n’a appelé aucun des inventeurs à témoigner pour savoir si les travaux qu’ils ont effectivement menés étaient longs ou ardus. En tout état de cause, elle soutient qu’il n’y a donc aucune preuve à l’appui de la position d’Allergan selon laquelle les inventeurs ont emprunté plusieurs voies sans issue et que cela est incompatible avec certains documents internes produits par Kissei. Sandoz ajoute que la première fois qu’elle a entendu parler de l’argument de la [traduction] « voie sans issue », c’était au cours du contre-interrogatoire de M. Fassihi.

[201] Je vais ouvrir une parenthèse pour faire remarquer que, même si l’expression [traduction] « voies sans issue » n’a peut-être pas été invoquée dans la présente instance avant le contre-interrogatoire de M. Fassihi, Allergan a allégué dans ses actes de procédure que [traduction] « qu’elle a consacré beaucoup de temps, fait preuve de beaucoup d’ingéniosité, déployé beaucoup d’efforts et engagé des dépenses importantes pour parvenir aux découvertes qui ont mené au brevet de 002 » : Réponse modifiée et défense à la demande reconventionnelle, au para 39. En outre, la Liste conjointe des questions en litige déposée par Allergan et Sandoz mentionne [traduction] « le comportement des inventeurs » comme étant l’une des questions en litige, en lien avec l’allégation d’invalidité de Sandoz. De plus, la présentation par diapositives résumant les exposés préliminaires d’Allergan indiquait expressément que [traduction] « Kissei a mis plusieurs années pour développer ses médicaments ».

[202] En réponse aux points de vue de Sandoz concernant la nature évidente et courante du travail requis pour combler l’écart entre la demande JP998 et l’invention revendiquée, Allergan réplique que la personne versée dans l’art aurait su qu’il existait plusieurs méthodes possibles pour modifier la vitesse de dissolution d’un médicament. Ces méthodes, toutes citées par Mme Felton, comprenaient notamment :

  • l’étude de différents excipients dans une approche de la formulation;

  • la réduction de la taille des particules du principe actif;

  • l’utilisation d’un sel de la substance pharmaceutique;

  • l’utilisation de promédicaments.

[203] Comme l’a expliqué Mme Felton, l’approche de la formulation est la méthode décrite dans le brevet 002. Cependant, la personne versée dans l’art aurait compris que cette approche ne serait ni évidente ni courante. Mme Felton a donné plus de détails de la manière suivante :

[traduction]

[...] l’approche de la formulation nécessitait généralement une dose importante d’expérimentation pour déterminer quel excipient ou quelle combinaison d’excipients, et en quelles quantités, pourrait augmenter la dissolution d’une substance pharmaceutique particulière. Ces variables dépendaient des propriétés physicochimiques de la substance pharmaceutique étudiée. De ce fait, les formulations de différents médicaments ne donnent en général pas directement des renseignements utiles pour étudier la dissolution d’une substance pharmaceutique précise.

(Deuxième rapport de Mme Felton, au para 43.)

[204] Le point de vue de Mme Felton selon lequel l’approche de la formulation nécessite généralement une dose importante d’expérimentation est corroboré par certains des articles que M. Fassihi a désignés comme faisant partie de « l’état de la technique » à l’époque de la date de revendication. Par exemple, voici ce qu’indique à la page 696 l’article intitulé Selection of Solid Dosage Form Composition through Drug-Excipient Compatibility Testing, qui figure à l’onglet P du premier rapport de M. Fassihi :

[traduction]

Malgré l’importance des essais de compatibilité entre médicaments et excipients, aucune méthode généralement reconnue n’est disponible à cette fin. La plupart des méthodes figurant dans la documentation ont des valeurs prédictives médiocres. Elles exigent beaucoup de temps et de main-d’œuvre, et le nombre de variables étudiées est limité.

[205] Un article coécrit par M. Fassihi, intégré à l’onglet I de son premier rapport et intitulé Solid state interactions of bromazepam with polyvinylpryrrolidone in the presence of moisture, affirme même ceci (à la page 167) : [traduction] « Des difficultés ont souvent été observées dans la formulation d’une nouvelle forme pharmaceutique à cause d’interactions [à l’état solide]. » Il ajoute que [traduction] « les interactions à l’état solide sont habituellement compliquées par de nombreuses réactions parallèles et consécutives ». Un troisième article, intitulé Drug-Excipient Interactions Resulting from Powder Mixing III : Solid State Properties and Their Effect on Drug Dissolution et figurant à l’onglet H du premier rapport de M. Fassihi, précise au début de la conclusion : [traduction] « Les résultats de cette étude confirment des résultats antérieurs indiquant que les interactions entre médicaments et excipients sont le facteur principal qui influe sur le temps de désagrégation et la vitesse de dissolution des capsules non compactées remplies à la main. »

[206] Au vu de ce qui précède, j’accepte l’avis de Mme Felton selon lequel, à la lumière de l’imprévisibilité associée à la formulation d’un médicament avec différents excipients, [traduction] « la personne versée dans l’art n’aurait pas été d’accord avec M. Fassihi pour dire que l’ajout d’un désagrégeant (l’amidon prégélatinisé) et d’un agent tensio-actif (le laurylsulfate de sodium) à toute substance pharmaceutique était une panacée pour arriver à une dissolution rapide » : deuxième rapport de Mme Felton, au paragraphe 163. En d’autres termes, bien que les excipients mentionnés dans le brevet 002 soient standards et bien connus, [traduction] « leur utilisation dans une formulation peut avoir une incidence importante sur la dissolution et les effets sur celle-ci sont imprévisibles » : deuxième rapport de Mme Felton, au para 84. Ni Sandoz ni M. Fassihi n’ont mis en lumière une technique antérieure particulière, certaines CGC ou une combinaison des deux montrant le contraire. Le fait que certaines techniques antérieures citées par M. Fassihi aient peut-être incité les inventeurs à ne pas utiliser de lactose, et leur aient donc permis d’éviter de faire des essais incluant le lactose, n’aurait pas modifié la compréhension de ce principe de base par la personne versée dans l’art. Ce principe aurait continué à s’appliquer aux autres étapes nécessaires pour combler l’écart entre la demande JP998 et l’invention revendiquée.

[207] J’accepte aussi l’avis de Mme Felton selon lequel [traduction] « obtenir [...] une vitesse de dissolution élevée poserait particulièrement problème pour un médicament peu soluble dans l’eau comme la silodosine », ce qui fait que [traduction] « la personne versée dans l’art comprendrait qu’avec une solubilité aussi faible, la dissolution de la silodosine ne serait probablement pas rapide et limiterait sans doute le taux d’absorption dans l’organisme » : deuxième rapport de Mme Felton, aux para 82 et 80. Là encore, ni Sandoz ni M. Fassihi n’ont mis en lumière une technique antérieure particulière, certaines CGC ou une combinaison des deux montrant que surmonter le problème ne serait vraisemblablement pas trop difficile.

[208] Le point de vue de Mme Felton concernant l’imprévisibilité de la formulation des médicaments et les défis auxquels les inventeurs auraient été confrontés en formulant l’invention revendiquée est corroboré par la démarche concrète des inventeurs, comme l’indiquent à la fois le brevet 002 et la documentation interne de Kissei. Par exemple, dans le brevet 002, on affirme ce qui suit :

[traduction]

  • « [...] il est extrêmement difficile de préparer des produits pharmaceutiques de forme orale solide utilisables en pratique, comprenant comme principe actif [la silodosine], son promédicament, ou un sel ou un solvate acceptable de ce composé d’un point de vue pharmacologique, par des méthodes de formulation classiques. » (page 5, lignes 3‑8);

[traduction]

  • « Les présents inventeurs ont étudié intensivement le type, la combinaison ou la proportion des additifs, les procédés de fabrication, etc., et ont découvert des formulations parfaitement utilisables en pratique, qui présentent une maniabilité convenable pour les procédés de fabrication, une grande précision en termes d’uniformité du contenu et d’excellentes propriétés de dissolution, et qui sont utiles pour tirer efficacement parti des activités biologiques de [la silodosine]. » (page 13, lignes 16‑23);

[traduction]

  • « En ce qui concerne [les puissantes propriétés adhésives de la silodosine], les présents inventeurs ont étudié un procédé pour éviter un allongement du temps de dissolution, même avec l’utilisation d’un lubrifiant dans une proportion d’au moins 1 %, et ont découvert que le temps de dissolution peut être nettement raccourci en mélangeant un additif solide ayant des propriétés hydrophiles ou tensio-actives, ce qui permet de préparer des formulations ayant de bonnes propriétés de dissolution. » (page 14, lignes 8‑19).

[209] Le brevet 002 décrit également les recherches et les problèmes qui ont conduit au remplacement du lactose par le D-mannitol, à l’intégration du laurylsulfate de sodium dans la formulation et à son ajout à l’issue du procédé de granulation : brevet 002, à la p 10 (lignes 1‑8) et à la p 15 (lignes 12‑16).

[210] En ce qui concerne la documentation interne de Kissei, Mme Felton donne les descriptions suivantes :

[traduction]

  • « Aux paragraphes 194 à 197, M. Fassihi dit que les essais décrits dans les parties 4 et 5 du dossier de production n° 229 de Kissei étaient des “essais standards courants”. Il est vrai que les essais eux-mêmes n’étaient pas innovants, mais je ne suis pas d’accord pour dire que les efforts décrits auraient été courants pour la personne versée dans l’art. Comme je l’explique ci-dessus, ces essais ont été menés par une grande entreprise pharmaceutique mettant au point une nouvelle entité chimique, et le document lui-même cite d’autres rapports individuels qui décrivent des essais sur [la silodosine]. Comme l’indique M. Fassihi au paragraphe 195 de son rapport, ce travail englobait la taille des particules et les propriétés physiques, la solubilité, l’hygroscopicité, la stabilité à la lumière, le point de fusion et l’analyse thermique, la constante de dissociation et le rapport de distribution, ainsi que les formes cristallines (c’est-à-dire la transition cristalline, la solubilité des différentes formes cristallines et leur stabilité). L’effort nécessaire pour exécuter tout ce travail a été considérable. » (deuxième rapport de Mme Felton, au para 326);

  • « Comme je l’explique ci-dessus, la personne versée dans l’art aurait dû faire preuve d’une ingéniosité inventive pour parvenir aux concepts inventifs du brevet 002. À l’annexe V, partie 5.2.5, page 21 sur 32, le document semble résumer certains essais de dissolution et de compatibilité de Kissei. Cette partie indique que Kissei a examiné divers diluants, désagrégeants et lubrifiants, et a finalement déterminé que le D-mannitol, “l’amidon partiellement prégélatinisé” (PCS), le stéarate de magnésium et le laurylsulfate de sodium conféraient les meilleures caractéristiques de dissolution et de compatibilité. » (deuxième rapport de Mme Felton, au para 332);

  • « Dans le cas de [la silodosine], comme je le fais remarquer ci-dessus, l’annexe V indique que Kissei a découvert le KMD-3213 en 1993, et le rapport lui-même résume l’effort de mise au point pour préparer la formulation en vue d’une étude clinique de phase III. Il semble que Kissei réalisait des essais de phase III en 2004. Par conséquent, le rapport paraît résumer un effort qui a duré dix ans. Au fil de ces années, de nombreux renseignements ont été recueillis par les inventeurs et ces connaissances ont été utilisées pour mettre au point la formulation finale. » (deuxième rapport de Mme Felton, au para 330);

  • « [...] les essais décrits dans [le dossier de production n° 229 de Kissei] s’étendent sur près de 100 pages, et comme le précise l’introduction, ils couvrent plusieurs domaines : formulation finale des capsules, étude de transposition d’échelle, étude des procédés à l’échelle de la production et stabilité. Le travail qui apparaît dans 38 autres rapports de Kissei est cité lors des essais, et certains de ces rapports étaient nécessaires pour orienter les essais, ce que décrit M. Fassihi dans ses annexes W et V. Par conséquent, les essais présentés dans ces documents sont importants et auraient requis un investissement important à la fois en fonds et en ressources. » (deuxième rapport de Mme Felton, au para 334).

[211] Après avoir examiné la documentation interne de Kissei, Mme Felton a conclu que les essais effectués par les inventeurs de l’invention revendiquée étaient [traduction] « considérables » et non [traduction] « courants ou prévisibles » : deuxième rapport de Mme Felton, au para 86.

[212] À mon avis, le résumé de Mme Felton sur l’expérimentation effectuée par les inventeurs et sa conclusion selon laquelle elle était [traduction] « considérable » et non [traduction] « courante ou prévisible » est juste, corroboré et plus convaincant que l’examen et la conclusion de M. Fassihi à cet égard. Pour le motif énoncé au paragraphe 35 ci-dessus, j’estime que le témoignage de Mme Felton sur cette question était aussi plus impartial que celui de M. Fassihi. En fait, une partie du témoignage de M. Fassihi, décrite aux paragraphes 187 à 188 ci-dessus, est douteuse.

[213] Je m’arrête pour signaler que, lors du contre-interrogatoire, M. Fassihi a convenu que les problèmes d’adhérence et de remplissage rencontrés par les inventeurs n’auraient pas pu être prévus, et qu’en constatant les propriétés de la silodosine, la personne versée dans l’art aurait su qu’il serait peut-être nécessaire d’étudier plusieurs options, y compris relativement au laurylsulfate de sodium et au stéarate de magnésium : voir par exemple la transcription publique, aux pp 587 et 593‑594. M. Fassihi a aussi admis que la personne versée dans l’art ne se serait pas attendue à rencontrer des problèmes de remplissage avec le procédé de granulation par voie humide : transcription publique, à la p 478. De plus, M. Fassihi a convenu que la personne versée dans l’art aurait su que la silodosine était une base faible avec un pH élevé (supérieur à 7,0), et il a admis qu’aucun des articles qu’il avait repérés en lien avec le laurylsulfate de sodium ne faisait référence à l’utilisation de celui-ci avec une base faible : transcription publique, à la p 592. À cet égard, M. Fassihi a reconnu que la personne versée dans l’art saurait qu’une base faible comme la silodosine [traduction] « se dissoudrait bien mieux dans un milieu acide et moins bien dans un milieu au pH neutre ou alcalin » : transcription publique, à la p 389.

[214] En résumé, j’accepte l’avis de Mme Felton selon lequel il n’y avait [traduction] « rien dans la demande JP998 ou les [CGC] qui donnait à penser qu’il aurait été possible de parvenir à la dissolution rapide [revendiquée] pour une substance pharmaceutique peu soluble comme la silodosine » : deuxième rapport de Mme Felton, au para 144. J’estime raisonnable d’en conclure qu’en découvrant la faible solubilité de la silodosine, la personne versée dans l’art n’aurait probablement pas pensé que l’invention revendiquée pouvait être obtenue relativement vite, à travers l’expérimentation courante. C’est particulièrement vrai au vu des [traduction] « puissantes propriétés adhésives et électrostatiques » de la silodosine. Ni Sandoz ni M. Fassihi n’ont mis en lumière une quelconque technique antérieure particulière ou de quelconques CGC montrant le contraire.

[215] En outre, à la lumière du témoignage de Mme Felton et de la documentation interne de Kissei dont il a été question ci-dessus, je conclus que les inventeurs se sont probablement engagés dans un travail difficile et non routinier et ont surmonté plusieurs obstacles inattendus pour réaliser l’invention revendiquée. En fait, ces difficultés ressortent dans une certaine mesure à la lecture du brevet 002. Contrairement aux affirmations de M. Fassihi, les inventeurs ne semblent pas avoir réalisé l’invention revendiquée « rapidement, facilement, directement et à relativement peu de frais, compte tenu de l’art antérieur » : Sanofi, précité, au para 71. Au contraire, leur tâche semble avoir été « longue et ardue » (Sanofi, au para 69) et a consisté à surmonter de multiples obstacles avant d’arriver finalement à l’invention revendiquée.

[216] Ces résultats militent en faveur d’une conclusion négative dans l’analyse du critère de l’« essai allant de soi ».

[217] Ma conclusion à ce propos est confortée par les preuves apportées par Mme Felton selon lesquelles si la personne versée dans l’art cherchait à modifier la formulation divulguée dans la demande JP998, elle se serait d’abord tournée vers d’autres médicaments de la catégorie des alpha1-bloquants, notamment les médicaments Flomax et Hytrine, qui sont des formulations très différentes de ce qui est revendiqué dans le brevet 002 : transcription publique, aux pp 41‑42. J’accepte l’avis de Mme Felton selon lequel le fait de suivre les formulations de ces médicaments [traduction] « aurait éloigné la personne versée dans l’art des concepts inventifs du brevet 002 » : deuxième rapport de Mme Felton, au para 7(6).

(iii) La technique antérieure fournit-elle un motif de rechercher la solution au problème qui sous-tend le brevet 002?

[218] Sandoz soutient que la personne versée dans l’art aurait eu un motif de mener des essais sur la vitesse de dissolution de la formulation divulguée dans la demande JP998. Elle affirme que si ces essais avaient mis en lumière certains problèmes (par exemple, si la vitesse de dissolution ne satisfaisait pas les critères applicables aux formulations à libération immédiate), la personne versée dans l’art aurait alors eu un motif pour tenter d’améliorer la vitesse de dissolution. Sandoz déclare qu’un tel motif aurait existé, car la dissolution d’un médicament a des implications importantes quant à son absorption et son effet thérapeutique.

[219] Je ne suis pas d’accord.

[220] Mme Felton est d’avis que la personne versée dans l’art n’aurait eu aucun motif d’améliorer le taux de dissolution de la formulation divulguée dans la demande JP998, parce que la technique antérieure ne permettait pas à la personne versée dans l’art de croire qu’une amélioration était nécessaire. À mon avis, cela est confirmé par une lecture de la demande JP998.

[221] Cela est par ailleurs confirmé par les témoignages rendus par Mme Felton et M. Fassihi en contre-interrogatoire indiquant que la formulation divulguée dans la demande JP998 serait considérée comme une formulation à libération immédiate : transcription publique, aux pp 113 et 446‑448. M. Fassihi a admis que la personne versée dans l’art en déduirait qu’il [traduction] « ne devrait pas y avoir de problème de biodisponibilité » et qu’elle n’aurait aucun motif pour essayer d’améliorer la vitesse de dissolution de la formulation figurant dans la demande JP998 : transcription publique, aux pp 446 et 448‑449.

[222] M. Fassihi a poursuivi en ajoutant que si la formulation divulguée dans la demande JP998 ne se dissolvait pas effectivement à 85 % en 15 minutes, la personne versée dans l’art aurait eu un motif d’améliorer la vitesse de dissolution. Cependant, cela soulève la question de savoir avant tout si la demande JP998 fournissait un quelconque motif à la personne versée dans l’art qui l’aurait poussée à mener des essais sur la formulation divulguée. J’accepte la preuve apportée par Mme Felton quant à l’absence de motif de cette nature.

[223] J’accepte aussi l’avis de Mme Felton selon lequel une autre raison aurait dissuadé la personne versée dans l’art de chercher à réaliser l’invention revendiquée dans le brevet 002 : la faible solubilité dans l’eau de la silodosine. Concernant ce fait, Mme Felton a expliqué que rien dans la demande JP998 ou les CGC n’aurait motivé la personne versée dans l’art à faire le travail nécessaire pour réaliser l’invention revendiquée : deuxième rapport de Mme Felton, au para 192.

[224] Sandoz fait valoir que la présente affaire concorde avec la décision Eli Lilly Canada Inc c Mylan Pharmaceuticals ULC, 2015 CF 178 au para 149 [Eli Lilly c Mylan], où notre Cour a conclu que « [l]e choix [des] excipients [en question] ainsi que de leur quantité précise faisait nettement partie des [CGC] de la personne versée dans l’art ». Toutefois, cette affaire se distingue de la présente du fait qu’un facteur important pour la Cour était qu’un manuel type recommandait les excipients « précisément » revendiqués dans le brevet contesté et que le laurylsulfate de sodium avait été expressément divulgué pour utilisation avec le principe actif en question (tadalafil) dans deux autres brevets : Eli Lilly c Mylan, précitée, au para 144.

[225] Compte tenu de ce qui précède, je considère que la personne versée dans l’art n’aurait eu aucune motivation pour poursuivre l’invention revendiquée dans le brevet 002. Elle n’aurait eu aucune raison de croire qu’une amélioration de la formulation divulguée dans la demande JP998 était nécessaire ou souhaitable. En outre, après avoir découvert la faible solubilité de la silodosine et le fait que la formulation ne satisfaisait pas au profil de dissolution rapide de 85 % en 15 minutes, la personne versée dans l’art n’aurait eu aucun motif d’effectuer le travail nécessaire pour réaliser l’invention revendiquée. En bref, il n’y avait aucune raison pour la personne versée dans l’art de rechercher une solution améliorée; il n’y aurait pas eu de solution prévisible; et il n’y aurait pas de solutions qui comportent « des chances raisonnables de succès » à l’égard d’une telle solution : Apotex c Pfizer Canada, 2009 CAF 8 au para 44; Amgen Canada Inc c Apotex, 2015 CF 1261 au para 102. Compte tenu de ce qui précède, le facteur « motivation » mérite une pondération négative dans l’évaluation du critère de l’« essai allant de soi ».

(iv) L’expérience d’Allergan

[226] En réponse au point de vue de M. Fassihi qui affirme que les différences entre la demande JP998 et le brevet 002 constituent des étapes que la personne versée dans l’art aurait trouvées évidentes, Allergan a retenu les services de M. MacGregor pour effectuer une série d’essais expérimentaux. L’objet de ces essais était de déterminer la vitesse de dissolution de la formulation divulguée dans la demande JP998 et d’autres formulations où, respectivement, i) l’amidon de maïs était remplacé par de l’amidon prégélatinisé, et ii) du laurylsulfate de sodium était ajouté.

[227] En résumé, M. MacGregor a produit trois séries distinctes de différentes formulations de silodosine avec les excipients divulgués dans la demande JP998 et le brevet 002. Chacune des trois formulations contenait un milligramme de silodosine au même pourcentage, et différentes proportions d’excipients. Six capsules ont été mises à l’épreuve dans chaque série, soit 18 capsules en tout. La série 1 contenait les ingrédients divulgués dans la demande JP998, la série 2 était une variante de ce mélange où l’amidon de maïs était remplacé par de l’amidon prégélatinisé et la série 3 contenait en plus 0,04 mg de laurylsulfate de sodium par capsule. La vitesse moyenne de dissolution pour chacune des trois séries était respectivement de 31,3 %, 34,26 % et 33,5 %. À une exception près, aucune capsule n’avait une vitesse de dissolution dépassant 38 %. La seule vitesse de dissolution supérieure atteignait 44,2 %.

[228] M. Fassihi a notamment indiqué que les essais expérimentaux effectués par M. MacGregor ne répondaient à aucun scénario présenté dans le premier rapport de M. Fassihi et ne produisaient pas de résultats significatifs. Je suis d’accord.

[229] Au paragraphe 118 de son premier rapport, M. Fassihi a laissé entendre que la personne versée dans l’art aurait su qu’il fallait faire des essais sur une formulation contenant i) de l’amidon prégélatinisé à la place de l’amidon de maïs et ii) du laurylsulfate de sodium, ce qui n’a été le cas dans aucune des séries d’essais de M. MacGregor.

[230] De plus, la façon dont les essais ont été effectués n’a pas produit de résultats fiables en ce qui concerne la vitesse de dissolution des formulations mises à l’épreuve. Comme le montrent des photographies prises par M. Fassihi, des amas de la formulation mélangée adhéraient aux parois latérales des contenants d’essai, tandis que d’autres amas sont restés sur la balance ou sont tombés au cours du remplissage des capsules. Par conséquent, j’accepte l’avis de M. Fassihi quand il dit qu’il [traduction] « est probable qu’une quantité importante des poudres plus fines et “plus collantes” comme la silodosine et le laurylsulfate de sodium ait été perdue en raison de leur adhérence sur les contenants et les tamis » et que la [traduction] « perte de ces matériaux pourrait avoir un effet important sur les résultats de dissolution » : troisième rapport de M. Fassihi, au para 38.

[231] J’accepte aussi l’avis de M. Fassihi selon lequel il [traduction] « n’est pas possible de dire si les quantités visées de silodosine se trouvaient dans chaque capsule » : troisième rapport de M. Fassihi, au para 39. C’est en partie parce que la quantité de mélange préparée aurait permis de remplir environ 40 capsules, alors que seules six capsules de chacune des trois formulations ont fait l’objet d’essais. Les vitesses de dissolution indiquées par M. MacGregor reposaient donc sur la quantité de silodosine qui était censée se trouver dans les capsules. Cependant, au vu des problèmes cernés ci-dessus, cette supposition n’avait pas de justification solide. En outre, les mesures qui auraient permis de vérifier quelle quantité de silodosine et des autres excipients se trouvait dans chaque capsule n’ont pas été prises : troisième rapport de M. Fassihi, aux para 43‑44.

[232] Compte tenu de ce qui précède, je conclus que les essais expérimentaux effectués par M. MacGregor n’ont pas été utiles pour appuyer la position d’Allergan sur l’évidence.

(v) Résumé de l’évaluation de l’« essai allant de soi »

[233] Il résulte des conclusions tirées aux points i) à iii) ci-dessus que l’invention revendiquée n’est pas quelque chose qui correspondrait à un « essai allant de soi » pour la personne versée dans l’art. Bref, i) il n’était pas plus ou moins évident que les étapes qui ont été entreprises pour réaliser l’invention revendiquée devaient fonctionner; ii) la personne versée dans l’art n’aurait probablement pas pensé que l’invention revendiquée pourrait être réalisée relativement rapidement, par expérimentation de routine; iii) l’expérimentation réellement entreprise pour réaliser l’invention revendiquée a été longue et ardue; iv) la personne versée dans l’art n’aurait eu aucune motivation pour poursuivre l’invention revendiquée, compte tenu en particulier des incertitudes importantes qui existaient quant au temps et au coût associés à l’expérimentation requise, ainsi qu’à son issue.

(e) Conclusion concernant l’allégation d’évidence

[234] Étant donné les conclusions que j’ai tirées au sujet du critère de l’« essai allant de soi », je conclus que les différences entre l’« état de la technique » et le concept inventif du brevet 002 ne constituent pas des étapes qui auraient été évidentes pour la personne versée dans l’art. À mon avis, la preuve établit que ces étapes exigeaient un degré important d’invention, comme le prévoit le quatrième volet de l’enquête sur l’évidence : Sanofi, précité, au para 67.

[235] Par conséquent, la demande reconventionnelle par laquelle Sandoz fait valoir que le brevet 002 est invalide pour cause d’évidence est rejetée.

C. Contrefaçon

[236] Allergan et Sandoz s’entendent pour dire que le produit de Sandoz ne contient pas de granulés et n’est pas fabriqué au moyen du procédé de granulation par voie humide.

[237] Étant donné que j’ai conclu à la partie VI.A.(4) ci-dessus que les éléments relatifs à la granulation par voie humide sont des éléments essentiels dans les revendications 1 à 3 et 6 du brevet 002, le produit de Sandoz ne portera pas atteinte au brevet 002 : Free World, précité, aux para 31(f) et 68(4).

[238] Par conséquent, je rendrai le jugement déclaratoire demandé par Sandoz, selon lequel le produit de Sandoz ne contrefera aucune des revendications 1 à 3 ou 6 du brevet 002.

D. La défense Gillette

[239] Au cours du procès de la présente action, Sandoz a déclaré qu’il ne serait pas nécessaire de traiter de la défense Gillette qu’elle a invoquée, si je conclus que le produit de Sandoz ne contrefera pas le brevet 002. Je suis d’accord.

VII. Dépens

[240] La Cour traitera de cette question après avoir reçu des observations d’Allergan et de Sandoz. Pour aider la Cour, ces observations devraient tenir compte (i) des conclusions que j’ai tirées à l’égard des trois principales questions en litige dans la présente action, (ii) de l’issue des requêtes qui ont été présentées et (iii) des dépens qui ont été engagés à l’égard des questions soulevées et qui n’ont finalement été traitées ni par Allergan ni par Sandoz. Étant donné que nous sommes à la veille de la période fériée de fin d’année, ces mémoires doivent être déposés au plus tard le 15 janvier 2021 et ne doivent pas dépasser cinq pages pour chacune des parties.

[241] La Cour encourage Allergan et Sandoz à tenter de parvenir à un règlement concernant les dépens, à défaut de parvenir à un montant forfaitaire qui tient compte des facteurs susmentionnés ainsi que d’autres facteurs pertinents, y compris ceux qui sont reconnus par l’article 400 des Règles des Cours fédérales et la jurisprudence.


JUGEMENT DANS T-2023-18

LA COUR STATUE que :

  1. La déclaration demandée par la demanderesse Allergan dans la présente instance conformément au paragraphe 6(1) du Règlement ne sera pas accordée.

  2. En application du paragraphe 60(2) de la Loi sur les brevets, la Cour déclare que le produit de Sandoz, tel qu’il est défini dans les motifs de jugement ci-joints, ne contrefera pas le brevet canadien no 2507002.

  3. La demande reconventionnelle par laquelle Sandoz fait valoir que le brevet 002 est invalide pour cause d’évidence est rejetée.

  4. Allergan et Sandoz auront jusqu’à midi, le 24 décembre 2020, pour fournir toute observation qu’elles pourraient avoir concernant les caviardages de la présente version confidentielle du jugement et des motifs dans la présente instance, aux fins d’arrêter la version publique.

  5. Allergan et Sandoz doivent présenter des observations concernant les dépens qui tiennent compte (i) des conclusions que j’ai tirées à l’égard des trois principales questions en litige dans la présente action, (ii) de l’issue des requêtes qui ont été présentées, sauf si la Cour a indiqué qu’il n’y aurait aucune conséquence ou décision associée à la requête et (iii) des dépens qui ont été engagés à l’égard des questions soulevées et qui n’ont finalement été traitées ni par Allergan ni par Sandoz.

  6. Ces observations doivent être fournies au plus tard à la fermeture des bureaux le 15 janvier 2021 et ne doivent pas dépasser cinq (5) pages pour chacune des parties, soit Allergan et Sandoz.

  7. La Cour encourage Allergan et Sandoz à tenter de parvenir à un règlement concernant les dépens, à défaut de parvenir à un montant forfaitaire qui tient compte des facteurs susmentionnés ainsi que d’autres facteurs pertinents, y compris ceux qui sont reconnus par l’article 400 des Règles des Cours fédérales et la jurisprudence.

« Paul S. Crampton »

Juge en chef

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


ANNEXE 1 - Législation pertinente

Loi sur les brevets, LRC, 1985, c P-4

Définitions

Definitions

2 Sauf disposition contraire, les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

2 In this Act, except as otherwise provided,

[…]

breveté ou titulaire d’un brevet Le titulaire ayant pour le moment droit à l’avantage d’un brevet. (patentee)

patentee means the person for the time being entitled to the benefit of a patent; (breveté ou titulaire d’un brevet)

[…]

Objet non évident

Invention must not be obvious

28.3 L’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas, à la date de la revendication, être évident pour une personne versée dans l’art ou la science dont relève l’objet, eu égard à toute communication

28.3 The subject-matter defined by a claim in an application for a patent in Canada must be subject-matter that would not have been obvious on the claim date to a person skilled in the art or science to which it pertains, having regard to

a) qui a été faite, soit plus d’un an avant la date de dépôt de la demande, soit, si la date de la revendication est antérieure au début de cet an, avant la date de la revendication, par le demandeur ou un tiers ayant obtenu de lui l’information à cet égard de façon directe ou autrement, de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs;

(a) information disclosed before the one-year period immediately preceding the filing date or, if the claim date is before that period, before the claim date by the applicant, or by a person who obtained knowledge, directly or indirectly, from the applicant in such a manner that the information became available to the public in Canada or elsewhere; and

b) qui a été faite par toute autre personne avant la date de la revendication de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs.

(b) information disclosed before the claim date by a person not mentioned in paragraph (a) in such a manner that the information became available to the public in Canada or elsewhere.

[…]

Admissibilité en preuve

Admissible in evidence

53.1 (1) Dans toute action ou procédure relative à un brevet, toute communication écrite ou partie de celle-ci peut être admise en preuve pour réfuter une déclaration faite, dans le cadre de l’action ou de la procédure, par le titulaire du brevet relativement à l’interprétation des revendications se rapportant au brevet si les conditions suivantes sont réunies :

53.1 (1) In any action or proceeding respecting a patent, a written communication, or any part of such a communication, may be admitted into evidence to rebut any representation made by the patentee in the action or proceeding as to the construction of a claim in the patent if

a) elle est produite dans le cadre de la poursuite de la demande du brevet ou, à l’égard de ce brevet, d’une renonciation ou d’une demande ou procédure de réexamen;

(a) it is prepared in respect of

[EN BLANC]

(i) the prosecution of the application for the patent,

[EN BLANC]

(ii) a disclaimer made in respect of the patent, or

[EN BLANC]

(iii) a request for re-examination, or a re-examination proceeding, in respect of the patent; and

b) elle est faite entre, d’une part, le demandeur ou le titulaire du brevet, et d’autre part, le commissaire, un membre du personnel du Bureau des brevets ou un conseiller du conseil de réexamen.

(b) it is between

[EN BLANC]

(i) the applicant for the patent or the patentee; and

[EN BLANC]

(ii) the Commissioner, an officer or employee of the Patent Office or a member of a re-examination board.

[…]

Contrefaçon et recours

Liability for patent infringement

55 (1) Quiconque contrefait un brevet est responsable envers le breveté et toute personne se réclamant de celui-ci du dommage que cette contrefaçon leur a fait subir après l’octroi du brevet.

55 (1) A person who infringes a patent is liable to the patentee and to all persons claiming under the patentee for all damage sustained by the patentee or by any such person, after the grant of the patent, by reason of the infringement.

[…]

Déclaration relative à la violation

Declaration as to infringement

60 (2) Si une personne a un motif raisonnable de croire qu’un procédé employé ou dont l’emploi est projeté, ou qu’un article fabriqué, employé ou vendu ou dont sont projetés la fabrication, l’emploi ou la vente par elle, pourrait, d’après l’allégation d’un breveté, constituer une violation d’un droit de propriété ou privilège exclusif accordé de ce chef, elle peut intenter une action devant la Cour fédérale contre le breveté afin d’obtenir une déclaration que ce procédé ou cet article ne constitue pas ou ne constituerait pas une violation de ce droit de propriété ou de ce privilège exclusif.

60 (2) Where any person has reasonable cause to believe that any process used or proposed to be used or any article made, used or sold or proposed to be made, used or sold by him might be alleged by any patentee to constitute an infringement of an exclusive property or privilege granted thereby, he may bring an action in the Federal Court against the patentee for a declaration that the process or article does not or would not constitute an infringement of the exclusive property or privilege.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2023-18

 

INTITULÉ :

ALLERGAN INC c SANDOZ CANADA INC et KISSEI PHARMACEUTICAL CO., LTD.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATES DE L’AUDIENCE :

Du 26 au 29 OCTOBRE 2020 et les 5, 6, 13 NOVEMBRE 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE EN CHEF CRAMPTON

 

date du JUGEMENT ET des MOTIFS CONFIDENTIELS :

Le 23 DÉCEMBRE 2020

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS PUBLICS :

le 24 décembre 2020

COMPARUTIONS :

David Tait

Steven Tanner

Sanjaya Mendis

Kendra Levasseur

Daanish Pasricha

 

POUR LA DEMANDERESSE

Carol Hitchman

Meghan Dureen

Annissa Kwok

Rae Daddon

 

POUR LA DÉFENDERESSE (SANDOZ cANADA iNC)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McCarthy Tétrault LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Sprigings IP

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE (SANDOZ cANADA iNC)

Smart & Biggar LLP

POUR LA DÉFENDERESSSE (KISSEI
PHARMACEUTICAL CO., LTD.)

 



[1] La phrase complète est la suivante : [traduction] « Ensuite, des formulations avec une bonne fluidité des matériaux mélangés, une maniabilité satisfaisante et une grande précision de remplissage peuvent être préparées par un procédé de granulation par voie humide au lieu d’un procédé par voie sèche, en utilisant des lubrifiants dans une proportion ne dépassant pas 1 % et en mélangeant pendant environ trois minutes. » (Non souligné dans l’original.)

[2] Je note au passage que Mme Felton a expliqué que si elle voulait préparer des comprimés à partir des ingrédients revendiqués, elle ne saurait pas comment ils se comporteraient face à la force de compression de la presse à comprimés et elle ne saurait pas quel effet la force appliquée lors de la fabrication des comprimés aurait sur la vitesse de dissolution : transcription publique, à la p 141.

[3] L’article pertinent en l’espèce est l’article 191.

[4] Sandoz soutient que la doctrine de la préclusion peut s’appliquer aux titulaires de licence aux États-Unis.

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