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Date : 20051220

Dossier : IMM-2466-05

Référence : 2005 CF 1652

ENTRE :

ALEXEY TKACHENKO

LIUDMILA TKACHENKO

ARTEM TKACHENKO

demandeurs

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD :

[1]         Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire qui vise une décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut du réfugié (la Commission) a conclu en date du 29 mars 2005 que les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention, ni des « personnes à protéger » suivant les définitions respectivement contenues aux articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.

[2]         Alexey Tkachenko (le demandeur principal ), son épouse, Liudmila Tkachenko, et leur fils Artem Tkachenko, citoyens de Russie, prétendent craindre avec raison d'être persécutés du fait de la croyance religieuse du demandeur principal. L'enfant est mineur, et son père, le demandeur principal, est son représentant désigné. L'avocat des parties a convenu de ne pas inclure les noms des filles du demandeur principal, Diana et Anastasia, toutes deux citoyennes des États-Unis, dans l'intitulé de la présente affaire.

[3]         À titre préliminaire, le défendeur fait valoir que les paragraphes 20, et 22 à 31 de l'affidavit du demandeur renferment une opinion et un argument, et partant, devraient être radiés ou n'avoir aucune force probante. L'avocat des demandeurs reconnaît que les paragraphes 20, 23, 25, 26, 27, 28, 29, 30 et 31 doivent être radiés. Pour ce qui est des paragraphes 22 et 24 contenant des faits et des arguments, ils ne seront pris en considération que dans la mesure où ils portent sur des allégations de fait.

[4]         Quant à l'autre question préjudicielle, le défendeur a raison de souligner que l'affidavit du demandeur principal n'était pas accompagné d'un serment d'interprète comme l'exige le paragraphe 80(2.1) des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, et ses modifications (les Règles). En l'espèce, rien n'indique que le demandeur a compris ce qu'il avait signé lorsqu'il a souscrit son affidavit.

[5]         Dans l'affaire Ahmada c. Canada (M.C.I.), [2002] A.C.F. no 265 (QL), la Cour fédérale a conclu, sur le fondement du paragraphe 80(2), et précisément parce que le paragraphe 80(2.1) n'avait pas encore été adopté, que la valeur probante à accorder à l'affidavit était en cause vu l'absence du serment de l'interprète.

[6]         Dans l'affaire Liu c. Canada (M.C.I.) (2003), 231 F.T.R. 148, la Cour fédérale n'a accordé aucune valeur probante à l'affidavit de la demanderesse parce qu'il n'était pas accompagné du serment de l'interprète, et elle a fait observer que si le cas d'espèce avait été fortement tributaire des faits énoncés dans l'affidavit, l'absence d'une certification de la traduction aurait pu amener la Cour à conclure que cette demande devait être rejetée.

[7]         Dans l'affaire Fibremann Inc. c. Rocky Mountain Spring (Icewater 02) Inc., [2005] A.C.F. no 1238 (QL), la Cour fédérale a accepté les affidavits du demandeur (le premier n'était pas accompagné d'un certificat de traduction et le deuxième, identique au premier et qui visait à corriger le vice qui l'entachait, avait été produit sous serment seulement trois jours avant l'audience) parce qu'elle a estimé que la requête était fortement tributaire des faits et qu'un verdict de non-admissibilité des deux affidavits aurait mené au rejet de la requête, et par le fait même à un résultat inéquitable.

[8]         Je suis d'avis que comme la situation en l'espèce est fortement tributaire des faits, l'absence du certificat de traduction compromettra sérieusement la force probante de l'affidavit du demandeur. Cependant la présente demande ne saurait être rejetée pour ce seul motif. Il serait injuste de rejeter la présente affaire au motif qu'il manque un serment d'interprète. Quoi qu'il en soit, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée pour d'autres motifs.

[9]         La Commission a fondé sa décision sur une conclusion défavorable quant à la crédibilité. En matière de crédibilité, la Cour ne peut pas substituer son opinion à celle de la Commission à moins que le demandeur puisse démontrer que la Commission a commis une erreur de droit ou que la décision de la Commission était fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait (paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7). De plus, la décision de la Commission ne peut être modifiée que si elle est suffisamment déraisonnable pour amener la Cour à intervenir. Il a été établi que la Commission est un tribunal spécialisé capable d'apprécier la vraisemblance et la crédibilité d'un témoignage dans la mesure où les inférences qu'elle en tire ne sont pas déraisonnables (arrêt Aguebor c. Canada (M.E.I.) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.)) et où ses motifs sont énoncés de façon claire et compréhensible (arrêt Hilo c. Canada (M.E.I.) (1991), 130 N.R. 236 (C.A.F.)).

[10]       Le demandeur allègue que la Commission a ignoré et a mal interprété la preuve documentaire. Il prétend plus précisément que la Commission a omis d'analyser la preuve documentaire fournie par les demandeurs, notamment les rapports médicaux, les lettres des aînés, les cartes de refus de transfusion sanguine et les plaintes à la police. La Commission a pourtant mentionné tous ces éléments dans sa décision. La Commission a exprimé des réserves quant aux lettres des aînés parce que rien ne démontre que leurs auteurs sont vraiment des Témoins de Jéhovah. En ce qui a trait aux cartes de refus de transfusion sanguine, la Commission a invoqué l'avis de la SRRP à ce sujet portant que les cartes de refus de transfusion sanguine ne peuvent à elles seules établir la qualité de membre. Les rapports médicaux, la lettre de licenciement de l'épouse du demandeur, les rapports de police et les lettres de réprimande de l'employeur du demandeur principal ont aussi été signalés dans la décision. Toutefois, la Commission a conclu que le demandeur n'était pas un témoin crédible et elle a préféré se fier à la preuve indépendante (une lettre des Témoins de Jéhovah et des rapports sur l'accès à des documents d'identification frauduleux en Russie).

[11]       Le demandeur a raison de souligner que la Commission ne s'est pas attardée sur les articles de journaux soumis à l'appui de sa prétention que les Témoins de Jéhovah sont persécutés en Russie. Il a cependant été établi qu'un tribunal est présumé avoir examiné l'ensemble de la preuve dont il a été saisi, et qu'il n'a pas l'obligation de mentionner dans ses motifs tous les éléments de preuve dont il a tenu compte avant de rendre sa décision (Taher c. Canada (M.C.I.), [2000] A.C.F. no 1433 (1re inst.) (QL)). L'évaluation de la valeur probante à accorder aux documents relève du pouvoir discrétionnaire du tribunal chargé de l'appréciation de la preuve (Aleshkina c. Canada (M.C.I.), [2002] A.C.F. no 784 (1re inst.) (QL)). Un examen de la transcription de l'audience de la Commission révèle que la Commission a tenu compte de toute la preuve documentaire avant de rendre sa décision. De plus, comme la Commission a conclu que le demandeur n'était pas un Témoin de Jéhovah, elle n'a pas jugé nécessaire de tenir compte desdits documents.

[12]       Le demandeur allègue que la Commission a omis d'analyser ses explications en ce qui a trait à leurs voyages. La décision démontre clairement que la Commission a bel et bien examiné la question et qu'elle n'a pas cru le demandeur qui expliquait que le voyage de 2002 en Espagne était un prétexte pour entrer au Canada, car tout porte à croire qu'il s'agissait de vacances. La Commission a aussi estimé que le demandeur ne craignait pas d'être persécuté puisqu'il a effectué trois voyages depuis que ses problèmes ont commencé et qu'il est rentré en Russie à chaque fois.

[13]       Le demandeur prétend que la Commission a omis d'analyser la lettre qu'il a écrite au sujet de sa conversation avec Misha Goldenberg. Cependant, la Commission fait précisément état de ce document et souligne qu'à aucun moment il n'a été demandé de citer soit Misha Goldenberg, soit M. Kirkland à comparaître pour que le contenu de la lettre de M. Kirkland (qui déclare que le demandeur n'est pas un Témoin de Jéhovah) puisse être réfuté.

[14]       Le demandeur allègue que la Commission n'a pas analysé l'autre élément de preuve qu'il a présenté à l'appui de la religion dont il se réclame, à savoir ses liens actuels avec les témoins de Jéhovah, et de ses connaissances des témoins de Jéhovah et de la bible, omettant ainsi de tenir compte de l'ensemble de la preuve en permettant qu'une lettre de M. Kirkland l'emporte sur toutes les preuves susmentionnées. Il est toutefois loisible à la Commission d'apprécier les éléments de preuve dont elle dispose. La Commission a clairement expliqué dans ses motifs, en renvoyant tout particulièrement à la preuve documentaire qu'elle a examinée, pourquoi elle a jugé, à la lumière de la preuve, la revendication du demandeur invraisemblable.

[15]       Le demandeur prétend que la Commission a ignoré les éléments de preuve de la demanderesse quant à ses craintes d'être persécutée du fait de son appartenance à un groupe social, étant l'épouse d'un Témoin de Jéhovah. Cependant, comme la Commission a conclu que le demandeur n'était pas un Témoin de Jéhovah, elle n'a pas eu à se pencher sur la revendication de l'épouse fondée sur l'appartenance à un groupe social.

[16]       Pour ces motifs, j'estime que la décision de la Commission ne comporte aucune erreur manifestement déraisonnable. La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

« Yvon Pinard »

JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 20 décembre 2005

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                       IMM-2466-05

INTITULÉ :                                                      ALEXEY TKACHENKO, LIUDMILATKACHENKO, ARTEM TKACHENKO c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                 Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                               Le 8 novembre 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                  LE JUGE PINARD

DATE DES MOTIFS :                          Le 20 décembre 2005

COMPARUTIONS :

Randolph Montgomery                          POUR LES DEMANDEURS

Martin Anderson                                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rodney L.H. Woolf                                           POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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