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Date : 20201223


Dossier : T‑151‑16

Référence : 2020 CF 1185

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 23 décembre 2020

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

LES DÉVELOPPEMENTS ANGELCARE INC.

ET

EDGEWELL PERSONAL CARE CANADA ULC ET

PLAYTEX PRODUCTS, LLC

ET ANGELCARE CANADA INC.

 

demanderesses/

défenderesses reconventionnelles

 

et

MUNCHKIN, INC.

ET

MUNCHKIN BABY CANADA, LTD.

 

défenderesses/

demanderesses reconventionnelles

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une requête qu’ont déposée les demanderesses/défenderesses reconventionnelles (ci‑après appelées « Angelcare ») en vue d’obtenir l’autorisation de signifier le rapport en réplique de M. Michel Morelli, daté du 27 octobre 2020.

[2] La requête est liée à une action en contrefaçon de brevet. Les parties se font concurrence au sein du marché des produits de soins pour bébés. Dans la présente affaire, le litige porte sur six brevets canadiens que détient Angelcare pour des seaux à couches et des [TRADUCTION] « cassettes-recharges pour seaux à couches ». Comme il est aujourd’hui de coutume, les défenderesses non seulement nient la contrefaçon, mais elles répliquent aussi par voie reconventionnelle que, pour diverses raisons, les brevets en litige sont invalides. Le procès est censé commencer le 25 janvier 2021 et durer six semaines.

[3] Les rapports d’experts concernant l’action et la demande reconventionnelle sont datés du 14 août 2020 et du 2 octobre 2020 :

  • Rapport d’expert principal de M. Michel Morelli : 14 août 2020 (contrefaçon);

  • Rapport d’expert principal de M. Kevin Bailey : 14 août 2020 (validité);

  • Rapport d’expert en réponse de M. Michel Morelli : 2 octobre 2020 (validité);

· Rapport d’expert en réponse de M. Kevin Bailey : 2 octobre 2020 (contrefaçon).

[4] M. Michel Morelli souhaite répliquer à la réponse de M. Bailey au sujet de la violation de divers brevets en litige. Il indique, au paragraphe 4 de son rapport en réplique, qu’on lui a donné instruction de relever les parties du rapport en réponse de M. Bailey auxquelles il souscrit et celles auxquelles il s’oppose. Il doit indiquer si son opinion a changé ou est restée la même.

I. Introduction

[5] Le 8 décembre 2020, les parties ont comparu à l’audience prévue pour l’instruction de la requête en vue de débattre de la demande d’autorisation des demanderesses concernant le dépôt d’une preuve d’expert en réplique, sous la forme d’un rapport écrit par le témoin expert Michel Morelli. Les défenderesses sont d’avis que ce rapport n’est pas une réplique appropriée, car il [TRADUCTION] « fait double emploi avec des opinions déjà exprimées, ou il comporte des éléments qui peuvent être réglés par voie de contre-interrogatoire ou de plaidoirie [...] Angelcare tente simplement de réitérer sa preuve, d’avoir le dernier mot ou, pire, de scinder sa preuve » (observations écrites des défenderesses, au para 4). Pour les motifs qui suivent, je souscris en grande partie à la thèse des défenderesses. Je ferai d’abord un bref survol de la jurisprudence récente sur la portée de la preuve en réplique [aussi appelée, ci-après, « contre-preuve »] et sur les facteurs auxquels la Cour peut recourir pour déterminer s’il y a lieu d’admettre une telle preuve. J’analyserai ensuite le document contesté, c’est‑à‑dire le rapport en réplique de M. Morelli, en procédant section par section pour expliquer pourquoi son contenu excède ce qui constitue, comme l’explique la jurisprudence actuelle, la juste portée d’une preuve en réplique.

II. Cadre juridique : jurisprudence récente sur la preuve en réplique

[6] L’alinéa 274c) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles], offre aux parties la possibilité de présenter une « contre-preuve » au cours d’une instruction :

274 (1) Sous réserve du paragraphe (2), à l’instruction d’une action, sauf directives contraires de la Cour :

274 (1) Subject to subsection (2), at the trial of an action, unless the Court directs otherwise,

[...]

...

c) après que le défendeur a présenté sa preuve, le demandeur peut présenter une contre-preuve.

(c) when the defendant’s evidence is concluded, the plaintiff may adduce reply evidence.

[7] Cependant, comme l’a signalé le juge Pelletier au paragraphe 7 de la décision Halford c Seed Hawk Inc., 2003 CFPI 141 [Halford], ces dispositions « ne précisent pas le champ d’application de la contre-preuve. Elles permettent simplement au demandeur de présenter les éléments de preuve qui répondent à la définition de “contre-preuve” ».

[8] Dans la décision Halford, la Cour se penche sur la portée d’une contre‑preuve, et elle explique le principe général selon lequel une partie qui prend l’initiative doit d’abord présenter au complet la preuve qu’elle souhaite produire (para 13). Cela veut dire que les parties ne peuvent pas se livrer à un « fractionnement de leur preuve », un processus par lequel une partie présente en premier sa preuve, attend d’entendre celle de la partie adverse et y répond ensuite en produisant une preuve supplémentaire qui ne fait que renforcer sa position initiale, en justifiant les lacunes, quelles qu’elles soient, que la partie adverse a relevées (para 13).

[9] La Cour suprême du Canada a mis en garde contre le fractionnement de la preuve et a justifié la raison d’être de la règle interdisant cette pratique dans l’arrêt R c Krause, [1986] 2 RCS 466, 1986 CanLII 39 (CSC), qui s’applique aussi bien dans le contexte criminel que dans le contexte civil. À la page 473 du recueil, le juge McIntyre écrit :

D’abord, on peut remarquer que la règle applicable en matière de présentation d’une contre‑preuve dans les affaires criminelles découle au départ des règles de droit et de pratique qui régissent la procédure suivie dans les procès civils et criminels, et elle demeure généralement compatible avec celles‑ci. La règle générale porte que le ministère public, ou le demandeur dans les affaires civiles, ne sera pas autorisé à scinder sa preuve. Le ministère public ou le demandeur doit produire et inclure dans sa preuve tous les éléments clairement pertinents dont il dispose ou sur lesquels il a l’intention de se fonder pour établir sa preuve relativement à toutes les questions soulevées dans les débats; dans une affaire criminelle, l’acte d’accusation et tous les renseignements : voir R. v. Bruno (1975), 27 C.C.C. (2d) 318 (C.A. Ont.), le juge Mackinnon, à la p. 320, et pour une affaire civile voir : Allcock Laight & Westwood Ltd. v. Patten, Bernard and Dynamic Displays Ltd., [1967] 1 O.R. 18 (C.A. Ont.), le juge d’appel Schroeder, aux pp. 21 et 22. Cette règle empêche les surprises injustes, les préjudices et la confusion qui pourraient résulter si le ministère public ou le demandeur était autorisé à scinder sa preuve, c’est‑à‑dire, à présenter une partie de ses éléments de preuve‑‑autant qu’il l’estime nécessaire au départ‑‑pour ensuite terminer la présentation de sa preuve et, après la fin de l’argumentation de la défense, ajouter d’autres éléments de preuve à l’appui de la position présentée au début. La raison d’être de cette règle est que le défendeur ou l’accusé a le droit à la fin de la présentation de la preuve du ministère public de disposer de la preuve complète du ministère public de manière à savoir, dès le début, ce à quoi il doit répondre.

[Non souligné dans l’original.]

[10] S’inspirant du principe interdisant le fractionnement de la preuve, le juge Pelletier énonce, dans la décision Halford, une règle générale au sujet de la portée de la contre-preuve, indiquant, au paragraphe 14, ce qui suit :

14. [...] [L]es éléments de preuve qui ne font que confirmer ou reprendre des éléments de preuve qui ont déjà été présentés à titre de preuve principale ne sont pas admissibles à titre de contre-preuve. Ils doivent comporter de nouveaux éléments. Mais comme le demandeur n’a pas le droit de scinder sa preuve, ces nouveaux éléments doivent être des éléments de preuve qui ne faisaient pas partie de la preuve principale. Il ne reste donc plus que les éléments de preuve se rapportant à des aspects invoqués en défense que le demandeur n’avait pas soulevés dans sa preuve principale. [...]

[Non souligné dans l’original.]

La règle générale interdisant le fractionnement de la preuve signifie que la partie est tenue de présenter la totalité des éléments de preuve qu’elle veut produire au départ; il ne lui sera pas permis de suppléer dans sa réplique à son omission de le faire. Cela dénote qu’une contre-preuve doit être courte et pertinente.

[11] Le juge Pelletier énonce donc, au paragraphe 15, quatre facteurs qui ont été souvent réitérés dans la jurisprudence de notre Cour et qui doivent guider la décision à rendre à propos de la portée appropriée d’une contre-preuve, aidant ainsi la Cour à différencier ce qui faisait partie – ou aurait dû faire partie – de la preuve principale de ce qui est nouveau et a donc été présenté de manière appropriée en réplique :

1- La preuve qui sert uniquement à corroborer une preuve déjà soumise au tribunal n’est pas admissible.

2- La preuve qui porte sur une question qui a été soulevée pour la première fois en contre-interrogatoire et qui aurait dû faire partie de la preuve principale du demandeur n’est pas admissible. Toute autre nouvelle question qui se rapporte à une des questions en litige et qui ne vise pas uniquement à contredire un des témoins de la défense est admissible.

3- La preuve qui sert uniquement à réfuter un élément de preuve qui a été présenté en défense et qui aurait pu être présenté dans le cadre de la preuve principale n’est pas admissible.

J’ajoute un autre principe à ceux que je viens d’exposer. Le tribunal acceptera d’examiner la preuve qui est exclue parce qu’elle aurait dû être présentée dans le cadre de la preuve principale, pour déterminer s’il doit admettre cette preuve en vertu de son pouvoir discrétionnaire.

[12] Les quatre facteurs énoncés dans la décision Halford sont devenus ceux qui permettent de déterminer la portée d’une contre-preuve, et ils ont été récemment cités et appliqués par le juge Fothergill dans la décision Swist c Meg Energy Corp, 2020 CF 759 [Swist], au paragraphe 9, par le juge Grammond dans la décision Bauer Hockey Ltd. c Sport Maska Inc., 2020 CF 212 [Bauer], au paragraphe 15, ainsi que par le juge Manson dans la décision Janssen Inc. c Teva Canada Limited, 2019 CF 1309 [Janssen], au paragraphe 16. Dans la décision Janssen, le juge Manson indique clairement que ces facteurs s’appliquent aux rapports d’expert aussi (para 17).

[13] Ces décisions récentes clarifient aussi quels éléments peuvent être présentés valablement à titre de contre-preuve et lesquels peuvent être réglés de manière plus efficace au cours des plaidoiries ou d’un contre-interrogatoire. Dans la décision Janssen, le juge Manson donne les explications suivantes au paragraphe 17 :

[17] Un simple désaccord avec les énoncés d’un autre témoin ne peut faire l’objet d’une contre-preuve. Les désaccords entre experts peuvent être réglés par voie de contre-interrogatoire.

Après avoir appliqué ces principes, le juge Manson rejette l’admissibilité d’une preuve d’expert produite en réplique qui revient à rectifier des déclarations faites dans le rapport d’expert du défendeur ou à confirmer la preuve d’expert présentée dans le cadre de la preuve principale (voir, par exemple, les para 30‑34). Souvent, ces désaccords étaient attribuables à des énoncés de faits contradictoires qui éclairaient des principes juridiques, comme celui de la personne versée dans l’art ou celui de l’idée originale, de même que l’interprétation de revendications ou de termes particuliers qui y étaient employés (voir, par exemple, les para 41 et 46‑47). Il a été jugé, dans la décision Swist, au paragraphe 34, que les tentatives que fait un expert pour clarifier, dans un rapport en réplique, les erreurs de compréhension ou d’interprétation de son opinion, par l’expert de la partie adverse, constituent une réplique inappropriée. En fait, il faudra essentiellement voir s’il s’agit d’un rapport de nature argumentative, plutôt que d’une contre‑preuve véritable.

[14] Dans la décision Bauer, le juge Grammond fait écho à la notion énoncée par le juge Manson dans la décision Janssen, à savoir qu’il ne convient pas d’admettre une contre-preuve pour susciter des désaccords entre experts. Il écrit, au paragraphe 16, que les parties ne devraient pas chercher à faire admettre une contre-preuve « simplement pour souligner les lacunes perçues dans la preuve d’expert de la partie adverse ». À l’instar du juge Manson dans la décision Janssen, le juge Grammond indique qu’il existe pour les désaccords et les lacunes perçues à soumettre à l’attention du tribunal d’autres mécanismes procéduraux, mieux adaptés, notamment le contre-interrogatoire ou les plaidoiries (para 16). En fait, le juge Grammond met en lumière le principe selon lequel une contre-preuve a pour objet de « permettre au demandeur de répondre à des questions imprévues qui découlent des éléments de preuve du défendeur » et qu’il faudrait donc que sa portée soit restreinte (para 12).

[15] Pour aider davantage la Cour à déterminer la portée admissible d’une contre-preuve dans la présente affaire, le juge Stratas, dans l’arrêt Amgen Canada Inc. c Apotex Inc., 2016 CAF 121 [Amgen], préconise une démarche qui, à la base, consiste à se demander s’il serait dans l’intérêt de la justice d’admettre la preuve (para 13). Il affirme que la prise en compte de l’équité procédurale et le besoin de rendre une décision appropriée peuvent inciter, dans certaines circonstances, à admettre une « preuve en réplique ». Cependant, les commentaires formulés dans cet arrêt sont d’une utilité restreinte, compte tenu des faits de la présente espèce. Ces commentaires peuvent servir d’indication générale, même si l’affaire Amgen concernait une requête écrite. Il y était question d’une requête en rejet pour cause de caractère théorique, introduite par Apotex à l’égard d’un appel. Amgen avait soulevé en réponse une question qui, si Apotex n’en traitait pas, pouvait amener la Cour d’appel à rejeter sa requête. Comme la Cour l’a fait remarquer, les Règles ne prévoient pas la preuve en réplique dans le cas d’une requête écrite. Amgen faisait valoir que les dispositions des Règles concernant les nouveaux éléments de preuve produits dans le cadre d’un appel devaient être appliquées, un critère manifestement difficile à remplir. La Cour craignait donc d’être privée d’éléments de preuve susceptibles de l’aider à trancher une requête écrite. Il peut être nécessaire que le tribunal admette une telle preuve lorsque la requête est écrite, puisqu’il n’y a pas d’instruction qui permettrait de compléter le dossier. Toutefois, le dépôt d’une preuve en réplique dans le cadre d’une telle requête n’est permis que dans des « “circonstances inhabituelles”, lorsque des considérations de procédure ou de fond se présentent : [...] Cependant, la prudence s’impose » (para 11). À l’évidence, le pouvoir discrétionnaire à exercer, dans le cas de l’affaire Amgen, est de la nature d’une soupape de sûreté. Voici de quelle façon le juge Stratas décrit les deux considérations, au paragraphe 10 :

Équité procédurale : parfois, il faut donner à une partie l’occasion de déposer une preuve sur une question que la partie ne pouvait pas traiter plus tôt de façon pratique ou significative.

Besoin de prendre une décision appropriée : lorsqu’une question soulevée lors d’une requête pourrait déterminer son issue, la Cour doit parfois autoriser le dépôt d’éléments de preuve supplémentaires pour pouvoir trancher la question en tenant compte de tous les faits pertinents, et non de la version des faits d’une seule partie.

[En italiques dans l’original.]

Le juge Stratas, au paragraphe 13, énonce trois facteurs qui aident à décider s’il convient, sur ce fondement restreint, d’admettre une preuve en réplique :

si l’élément de preuve aidera la Cour (plus particulièrement sa pertinence et sa valeur probante suffisante);

si l’admission de l’élément de preuve causera un préjudice grave à l’autre partie;

si l’élément de preuve était disponible lors du dépôt des affidavits ou s’il aurait pu être découvert en démontrant une diligence raisonnable.

Dans la décision Swist, au paragraphe 10, le juge Fothergill traite également de ces aspects. À ces derniers il ajoute un examen de la pertinence de la preuve contestée, ainsi que le fait de savoir si celle-ci pourrait retarder indûment l’instance, et « la reconnaissance du fait qu’on ne peut pas s’attendre à ce que les parties prévoient chaque argument » (para 11).

[16] En outre, le juge Fothergill explique que l’admission d’une preuve relève du pouvoir discrétionnaire de la Cour et que les facteurs mentionnés plus haut pourraient être soupesés au cas par cas (décision Swist, au para 11). À titre d’exemple de ce pouvoir discrétionnaire, le juge Grammond, dans la décision Bauer, s’est servi de ces facteurs pour admettre quelques rapports en réplique, même en dépit d’un manquement possible aux règles régissant la contre-preuve, signalant au paragraphe 29 que le rapport en réplique qui était en litige était utile pour comparer les positions des parties et que le fait de l’admettre n’avait causé aucun préjudice à la partie adverse. Dans la décision Swist, le juge Fothergill, après avoir suivi une démarche souple semblable, a conclu que la contre-preuve était inadmissible, mais il a fait remarquer qu’il demeurerait prêt à réexaminer la portée de la contre-preuve à mesure que l’instruction se déroulait (para 16). C’est donc dire que le pouvoir discrétionnaire de la Cour joue un rôle qui l’aide à disposer des éléments dont elle a besoin pour rendre les décisions requises dans l’affaire qui lui est soumise, sans être indûment restreinte par des règles techniques régissant l’admissibilité d’une contre‑preuve. La preuve aidera‑t‑elle la Cour, ou s’agit‑il simplement d’une nouvelle mouture de la preuve déjà présentée?

[17] Je signale que le juge Grammond admet que le principe de la procédure contradictoire oblige à donner la possibilité d’examiner d’autres éléments de preuve, mais uniquement dans la mesure nécessaire pour répondre à l’objectif restreint de favoriser l’équité du procès, en veillant à ce que la preuve à réfuter soit connue, mais sans « une suite sans fin de présentation d’éléments de preuve par les parties » (para 13). Dans le même ordre d’idées, il ne faudrait pas que les rapports en réplique soient déposés « simplement pour souligner les lacunes perçues dans la preuve d’expert de la partie adverse. Ces lacunes peuvent être examinées au cours du contre‑interrogatoire ou mises en évidence dans les arguments » (para 16). Un rapport en réplique n’est pas conçu pour donner au demandeur la possibilité d’avoir le dernier mot.

[18] Pendant l’audition de la requête visant à faire admettre la contre-preuve de M. Morelli, j’ai demandé à l’avocat de Munchkin si, au procès, il élèverait une objection au moment où le témoin, M. Morelli, s’exprimerait sur ce que M. Bailey avait soulevé dans sa réponse. L’avocat a répondu que non. Sa réponse concorde avec la position que Munchkin a adoptée, à savoir qu’il n’y avait aucune question imprévue dans son rapport d’expert en réponse. Dans de telles circonstances, il serait surprenant que les éléments de preuve de M. Morelli ne soient pas admissibles s’il venait à témoigner sur son rapport ainsi que sur la réponse de M. Bailey.

III. Points qui ne sont pas en litige

[19] Il est entendu qu’Angelcare, à la suite des éléments concédés par son expert aux paragraphes 8, 15 à 22 et 57 à 60 de son rapport en réplique, n’invoque plus la revendication 1 du brevet 2,686,128 (le brevet 128) à l’encontre de certains des produits des défenderesses qui seraient contrefaits. Les produits de Munchkin des deuxième, troisième et quatrième générations ne contrefont plus la revendication 1 du brevet 128 et, par extension, les revendications 2, 20 et 21 (rapport en réplique de M. Michel Morelli, daté du 27 octobre 2020).

[20] De même, un certain nombre d’erreurs d’écriture ont été relevées dans le deuxième rapport de M. Morelli. Elles sont énumérées dans son rapport du 27 octobre, au paragraphe 81. Bien qu’il soit douteux qu’elles puissent faire partie d’un rapport en réplique, les avocats des deux parties se sont accordés pour dire que ces erreurs devraient être faciles à rectifier. Par souci de commodité, voici le paragraphe 81 du rapport de M. Morelli :

81. Mon Deuxième Rapport contient quelques erreurs cléricales de références croisées à certains paragraphes, qui doivent être corrigées ainsi :

(a) Au paragraphe 67, la référence au paragraphe 320 de mon Premier Rapport devrait être une référence aux paragraphes 323 et 324 de mon Premier Rapport.

(b) Aux sous-paragraphes l92(d)(1) et (2), la référence au paragraphe 224(c) du premier rapport de M. Bailey devrait être une référence au paragraphe 244(c) du premier rapport de M. Bailey.

(c) Au paragraphe 280, la référence aux paragraphes 263 et 264 de mon Deuxième Rapport devrait être référence aux paragraphes 263 à 267 de mon Deuxième Rapport.

(d) Au paragraphe 309, la référence au paragraphe (b) de mon Deuxième Rapport devrait être une référence au paragraphe 290(b) de mon Deuxième Rapport.

(e) Au paragraphe 404, la référence au paragraphe 401 de mon Deuxième Rapport devrait plutôt être une référence aux paragraphes 59 et 239 de mon Premier Rapport, et au paragraphe 79 de mon Deuxième Rapport.

[Souligné dans l’original.]

IV. Preuve d’expert en réplique qui est en litige

[21] Les catégories suivantes de contre-preuve dont font état les demanderesses dans le rapport en réplique de M. Morelli ont été considérées comme problématiques au paragraphe 16 du dossier de requête en réponse des défenderesses :

[traduction]

  1. Les impressions générales qui se dégagent du rapport en réponse de M. Bailey et un survol de certaines constatations faites en réponse à ce rapport, aux paragraphes 6 à 14 du rapport en réplique de M. Morelli;

  2. Les interprétations des mots « écart », « couvercle », « alignement », « dégagement » et « mécanisme de fermeture », aux paragraphes 15‑35 et 40‑56 du rapport en réplique de M. Morelli;

  3. Les commentaires généraux sur les brevets d’Angelcare, aux paragraphes 36‑39 du rapport en réplique de M. Morelli;

  4. Les analyses de contrefaçon concernant la totalité des brevets qui sont en litige devant la Cour, aux paragraphes 54 à 80 du rapport en réplique de M. Morelli.

Comme on peut le voir aisément, les défenderesses s’opposent pratiquement à la totalité du rapport que M. Morelli a produit.

[22] Les défenderesses font valoir que ces divers éléments d’un rapport en réplique à la réponse que M. Bailey a fournie ne peuvent pas constituer une réplique valable. Ces éléments sont, disent-elles, de nature argumentative et ils réitèrent les éléments de preuve que M. Morelli a déjà présentés, sans répondre à de nouvelles questions imprévues. De l’avis des défenderesses, le rapport étoffe les volumineux rapports d’opinion de l’expert d’Angelcare. Cela étant, l’intérêt de la justice n’est nullement servi si le rapport est admis en preuve en tant que rapport en réplique, car la réplique n’est d’aucune utilité supplémentaire à la Cour. Une contre‑preuve n’a pas pour but de donner le dernier mot à celui qui, en la présentant, cherche à réfuter des opinions d’expert et à confirmer ainsi des éléments de preuve déjà fournis.

[23] Angelcare adopte un point de vue plus large au sujet de la possibilité de présenter des éléments de preuve sous la forme d’un rapport en réplique. En bref, si un point quelconque est soulevé dans la réponse de M. Bailey, M. Morelli est en droit d’y répliquer. Même si les demanderesses concèdent qu’une contre-preuve n’est appropriée que dans certaines circonstances, elles ne sont pas d’accord avec les défenderesses sur ce que ces circonstances peuvent être.

[24] Les demanderesses font valoir que les quatre catégories déjà mentionnées (para 21) devraient être l’objet d’un rapport en réplique approprié.

V. Analyse

[25] Il me semble qu’un point de départ approprié peut fort bien être la conclusion tirée dans l’affaire Janssen, où mon collègue, le juge Michael Manson, fait le commentaire suivant sur la nécessité d’appliquer avec une certaine rigueur les indications relatives à la contre-preuve :

[57] La Cour ne peut permettre la scission de preuve ou la présentation d’une contre-preuve irrégulière qui vise à renforcer la preuve principale d’une partie ou à réfuter simplement la preuve d’une partie adverse, compte tenu surtout du « changement de culture au sujet des litiges prescrit par la Cour suprême du Canada dans la décision Hryniak c. Maudlin, 2014 CSC 7 » (Amgen, au par. 24).

Dans la décision Janssen, la Cour a plutôt fait, à plusieurs reprises, les remarques suivantes au sujet de ce qui devait constituer la réplique des experts : « Ce paragraphe ne fait que réfuter ou rejeter l’opinion de [...] », « l’exactitude de cet énoncé [peut être vérifiée] lors du contre-interrogatoire », « une tentative pour contredire la preuve de [...], tout en amplifiant [son propre rapport] », « confirme[r] en fait sa preuve initiale, tout en tentant de contredire l’opinion de [l’autre expert]. »

[26] Dans la décision Bauer, le juge Sébastien Grammond a souscrit à ce thème et a insisté pour dire, comme il a été signalé plus tôt, qu’une requête visant à produire un rapport d’expert en réplique ne devrait pas être présentée « simplement pour souligner les lacunes perçues dans la preuve d’expert de la partie adverse. Ces lacunes peuvent être examinées au cours du contre‑interrogatoire ou mises en évidence dans les arguments. Les requêtes inutiles ne font qu’entraver le règlement efficace de l’affaire » (para 16).

[27] Des conclusions du même genre ont été tirées dans la décision Swist. Par ailleurs, je fais écho au commentaire du juge Simon Fothergill, car je suis d’avis que sa mise en garde s’applique en l’espèce :

[15] Malheureusement, dans l’analyse qui suit, je conclus que la majeure partie de la preuve d’expert que les parties souhaitent déposer en réplique répète des opinions déjà exprimées, tente de clarifier de mauvaises interprétations, exprime simplement un désaccord avec les experts de la partie adverse ou porte sur des questions qui auraient dû être prévues et abordées dans les rapports en réponse. Une partie de la preuve d’expert proposée en réplique soulève également le risque de la scission de la preuve.

[16] Étant donné le temps limité dont on dispose, l’extraordinaire longueur des rapports d’expert, la nature technique de la preuve et mon rôle de gardien tel qu’il est décrit dans Hryniak, il est possible que j’aie dépeint la situation d’une façon trop générale. Je demeure disposé à examiner de nouveau la portée de la contre‑preuve à mesure que le procès se déroulera et si les circonstances le justifient.

[28] À mon avis, le rapport en réplique constitue essentiellement, pour l’expert, une occasion de réaffirmer les opinions exprimées antérieurement. La contre-preuve n’a pas pour objet de réfuter les opinions d’autres experts et de confirmer ainsi des opinions déjà exprimées. Une telle démarche n’aide pas la Cour et ne sert pas l’intérêt de la justice, surtout dans le contexte du changement de culture au sujet des litiges que les cours d’instance supérieure préconisent.

[29] Les demanderesses souhaitent réaffirmer leur opinion quant à l’interprétation de certains termes revendiqués. Elles allèguent que l’expert de Munchkin se contredit. Cet exercice devrait relever du contre-interrogatoire, s’il y a bel et bien des incohérences, et des plaidoiries. M. Morelli devrait pouvoir expliquer pourquoi il faudrait retenir son interprétation. Les demanderesses souhaitent également répondre aux erreurs d’interprétation de l’opinion de leur expert. Un témoin devrait pouvoir en traiter lors de l’instruction. Dans son ensemble, le rapport en réplique vise principalement à donner le dernier mot à son auteur. On constate, à la lecture de ce rapport, qu’il s’agit d’une réponse générale au rapport en réponse de M. Bailey, plutôt qu’une réplique véritable qui comporte clairement des questions qui ne pouvaient pas être anticipées (Bauer, para 21). Ce genre de démarche ne peut être qu’une invitation à permettre à la partie adverse de faire part de sa propre opinion sur la preuve en réplique.

A. Les impressions générales qui se dégagent du rapport en réponse de M. Bailey et un survol de certaines constatations faites en réponse à ce rapport aux paragraphes 6 à 14 du rapport en réplique de M. Morelli

[30] Ces impressions générales, à l’exception du paragraphe 8, constituent une réplique inappropriée. Les allégations de confusion, d’imprécision et d’interprétations contradictoires des revendications ne sont que de simples désaccords à propos des éléments de preuve que M. Bailey a présentés et des arguments contraires. Cela sert « simplement [à] souligner les lacunes perçues dans la preuve d’expert de la partie adverse » et constitue donc une réplique irrégulière, ainsi qu’il a été conclu dans la décision Bauer, au paragraphe 16. Les préoccupations entourant l’interprétation erronée qu’un expert fait de l’interprétation donnée par un autre expert, ainsi qu’il a été mentionné au paragraphe 34 de la décision Swift, sont également examinées de manière plus appropriée lors d’un contre-interrogatoire que dans un rapport en réplique. Il ne s’agit donc pas d’une réplique appropriée. L’exception est le paragraphe 8, qui sert à expliquer que M. Morelli a changé d’avis au sujet de l’interprétation des mots [TRADUCTION] « écart » et « couvercle », pour être d’accord sur les interprétations de M. Bailey. Les défenderesses indiquent au paragraphe 14 de leurs observations écrites qu’elles sont disposées à admettre un rapport des demanderesses qui comporte les rectifications qu’elles souhaitent faire, en particulier celles faites aux paragraphes 15‑22 et 57‑60 du rapport en réplique de M. Morelli, qui sont les rectifications auxquelles fait référence le paragraphe 8.

[31] Ces impressions générales donnent le ton pour la suite. Un désaccord entre experts ne devrait pas ouvrir la voie à une contre-preuve. Cela ne ferait que favoriser la production ad infinitum de répliques et de nouvelles répliques. Au paragraphe 10, M. Morelli reproche à M. Bailey de donner une interprétation indûment restrictive des revendications. Il prétend également que l’expert des défenderesses a mal interprété sa conclusion, ce qui justifie « une réponse additionnelle » (para 12). M. Morelli conteste l’interprétation des revendications, qu’il considère comme « confuse, en contradiction avec le premier rapport [de M.] Bailey, en contradiction avec la description des brevets en cause et contraire à l’interprétation à laquelle serait arrivée la personne versée dans l’art [...] », (para 12b). Il soutient que l’interprétation présentée se limite à des réalisations privilégiées. En fait, le paragraphe 14 du rapport en réplique constitue essentiellement une confirmation que M. Morelli a raison, en répliquant à des déclarations faites par M. Bailey qui ne peuvent guère être considérées comme des affirmations imprévues qui commandent une réplique se présentant sous la forme d’une réponse supplémentaire. Les questions de cette nature peuvent être examinées lors de l’instruction. Il s’agit d’arguments, et non de contre-preuve.

B. L’interprétation des mots « écart », « couvercle », « alignement », « dégagement » et « mécanisme de fermeture » aux paragraphes 15‑35 et 40‑56 du rapport en réplique de M. Morelli

[32] Les défenderesses indiquent expressément qu’elles ne contestent pas le fait que M. Morelli, aux paragraphes 15‑22 de son rapport en réplique, corrige son opinion pour la faire concorder avec celle de M. Bailey au sujet de l’interprétation des mots « couvercle » et « écart », en lien avec la revendication 1 du brevet 128. Cependant, les préoccupations de M. Morelli quant à l’interprétation erronée que fait M. Bailey des mots « alignement », « dégagement » et « mécanisme de fermeture » dans les paragraphes qui suivent n’ont pas à être l’objet légitime d’une contre-preuve (Swist, para 34). Lorsqu’il soulève ces préoccupations, M. Morelli attire l’attention sur les divergences entre son opinion et celle de M. Bailey (voir, par exemple, le paragraphe 25 : « Ce n’est cependant pas l’interprétation que j’ai donnée à la revendication 11 du brevet 128 dans mon Premier Rapport » ou le paragraphe 28, dans lequel il dit que « M. Bailey et moi sommes en désaccord sur la manière dont cet alignement doit être caractérisé »). Le bon endroit où le faire est lors des plaidoiries ou en contre-interrogatoire, et non dans le cadre d’une contre-preuve (Janssen, para 17; Bauer, para 16). En fait, il a été conclu dans la décision Janssen que les différends entourant la juste interprétation de termes contenus dans des revendications de brevet constituent une réplique inappropriée (para 41).

[33] La confusion ou les contradictions entourant l’interprétation du mot « dégagement » dont M. Bailey fait état dans son rapport, comme il est indiqué aux paragraphes 40‑50, semblent principalement mettre en lumière des lacunes perçues et, de la même façon, il serait plus approprié de les examiner en contre-interrogatoire (voir Bauer, para 16). En fait, la manière dont ces paragraphes sont structurés dans la réplique de M. Morelli dénote la nature confirmatoire de cette section, ce qui amène M. Morelli à confirmer sa position initiale au sujet de l’interprétation du mot « dégagement » au paragraphe 51 :

Pour les raisons qui précèdent, je maintiens l’interprétation du terme « dégagement » à laquelle je suis arrivé dans mon Premier Rapport et dans mon Deuxième Rapport.

En conséquence, le contenu de cette section, qui est de nature confirmatoire et axé sur les désaccords, situe le témoignage de M. Morelli en grande partie en dehors du cadre d’une réplique appropriée (voir, par exemple, Amgen, para 12; Janssen, para 16; Bauer para 16). Il va sans dire que M. Morelli sera autorisé à témoigner à l’instruction sur toutes ses divergences de vues à l’égard de la position, ou des positions, que M. Bailey avance.

C. Les commentaires généraux faits sur les brevets d’Angelcare aux paragraphes 36‑39 du rapport en réplique de M. Morelli

[34] Dans cette section, il est question des interprétations erronées qu’aurait faites M. Bailey de l’opinion de M. Morelli et de la méthode qu’il a suivie. Ces paragraphes sont présentés sur un ton défensif, et M. Morelli réitère la méthode qu’il a suivie pour interpréter les revendications des brevets des demanderesses. Une preuve de nature simplement confirmatoire est un exemple de contre-preuve inappropriée et elle ne devrait donc pas être admissible (voir, p. ex., Halford, para 15; Amgen, para 12; Janssen, para 13). De plus, comme nous l’avons vu plus tôt, les erreurs d’interprétation de la contre-preuve d’un expert ne sont pas l’objet approprié d’une réplique (Janssen, para 41). M. Morelli pourra tenter de rectifier les erreurs d’interprétation concernant son opinion ainsi que la méthode qu’il a suivie (article 280 des Règles).

D. Les analyses de contrefaçon concernant la totalité des brevets en litige devant la Cour aux paragraphes 54 à 80 du rapport en réplique de M. Morelli

[35] Là encore, ces analyses de contrefaçon sont de nature principalement argumentative, et M. Morelli s’en sert pour exprimer son désaccord face à l’interprétation de diverses revendications et des termes que celles-ci contiennent, ce qui déborde le cadre de la contre-preuve (Bauer, para 16; Janssen, para 17). Il emploie diverses formulations qui le démontre, comme : « Je suis plutôt d’avis que [...] », au para 54, ou « Je ne suis pas d’accord avec cette interprétation », au para 62. Si l’on prend pour exemple les paragraphes 76 à 80, M. Morelli ne fait rien de plus qu’exprimer son désaccord avec l’opinion de M. Bailey sur l’interprétation des revendications relatives aux brevets 312 et 415 et confirmer sa propre opinion, qui est déjà exposée dans son premier rapport, comme il l’indique au paragraphe 80 :

Pour les raisons qui précèdent, et en tenant compte de l’interprétation des revendications des brevets 312 et 415 à laquelle serait arrivée la personne versée dans l’art telle que rapportée dans mon Premier Rapport, je maintiens les conclusions auxquelles je suis arrivé dans mon Premier Rapport quant à la contrefaçon des revendications des brevet [sic] 312 et 415 par les produits des Défenderesses.

[Non souligné dans l’original.]

M. Morelli continue aussi d’analyser les erreurs d’interprétation de son opinion que M. Bailey aurait commises et, ce faisant, il présente une preuve de nature confirmatoire, en s’inspirant de son premier rapport pour contredire ces erreurs (voir, par exemple, para 66-67). Cela dénote de plus que cette section constitue une réplique inappropriée, dans la mesure où M. Morelli s’en sert pour faire part de son désaccord, mettre en garde contre les erreurs d’interprétation et réitérer des opinions déjà formulées dans ses rapports qui figurent au dossier.

[36] En fait, une partie de la difficulté que suscite l’examen du rapport en réplique de M. Morelli est que ce document est étroitement lié à des commentaires que M. Bailey a faits dans son rapport en réponse, ainsi qu’à ses propres commentaires, dont l’objet est d’essayer d’avoir le dernier mot en réaffirmant l’exactitude de ses propres conclusions. Il est préférable que cet exercice soit fait dans le cadre du témoignage principal fait à l’instruction, du contre-interrogatoire des experts ainsi des plaidoiries.

[37] À l’audience, les avocats des demanderesses ont fait valoir que si l’on autorise M. Morelli à témoigner à l’instruction sur diverses déclarations que M. Bailey a faites, il n’y a pas de mal à permettre que le rapport en réplique soit déposé en preuve. La Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire en faveur des demanderesses.

[38] Avec égards, je n’examinerais pas un tel argument, car il a l’effet regrettable de brouiller les cartes. À moins que la preuve soit nécessaire pour trancher comme il se doit les questions en litige, de façon à mieux servir l’intérêt de la justice, il est préférable de laisser le procès se dérouler sans autres documents qui constituent essentiellement une nouvelle mouture des rapports antérieurs, déguisée en contre‑preuve. Une preuve de nature confirmatoire ne réfute rien, et sa place est à l’instruction, où l’on donne au témoin la latitude nécessaire pour traiter de ce qu’un autre expert a avancé. Je note en passant qu’il y a en fait une grande partie du rapport de « réplique » qui est de la nature d’un argument, et ce sont les avocats qui traitent le mieux des éléments qui sont essentiellement de nature argumentative. En fait, pour éviter une trop longue analyse de ce qui constitue une contre-preuve appropriée, il serait peut-être bon de songer à faire témoigner les témoins experts à titre de groupe d’experts (articles 282.1 et 282.2 des Règles), et d’entendre les arguments plus tard au cours de l’instruction.

VI. Conclusion

[39] Les corrections d’erreurs d’écriture faites au paragraphe 81 du rapport en réplique de M. Morelli devraient être admises. D’après ce qu’elles indiquent au paragraphe 14 de leurs observations écrites, les défenderesses semblent souscrire aux corrections présentées dans le rapport de M. Morelli et ne s’opposent pas à l’idée qu’il dépose un bref rapport indiquant, s’il le souhaite, les corrections en question. Quoi qu’il en soit, elles font partie du dossier. Le paragraphe 81 du rapport en réplique de M. Morelli n’est pas expressément mentionné parmi les paragraphes que les défenderesses accepteraient, mais cela ne semble pas être un point litigieux, vu que les défenderesses sont généralement disposées à accepter des corrections. Par ailleurs, il serait dans l’intérêt de la justice de permettre à M. Morelli d’effectuer de légères corrections d’erreurs d’écriture dans son rapport, car elles permettront à la Cour de cerner avec exactitude les paragraphes auxquels M. Morelli fait référence. Les défenderesses n’allèguent pas que cela leur porterait préjudice, et je ne vois pas en quoi le fait d’autoriser ces corrections n’aura d’autre résultat que celui de faciliter le déroulement de l’instance.

[40] Sauf pour ce qui est des corrections apportées aux paragraphes 8, 15‑22, 57‑60 et 80‑81, auxquelles souscrivent les deux parties, il demeure pas moins que le rapport en réplique de M. Morelli n’entre pas dans les limites permises de la contre-preuve appropriée, et que son admission ne semble pas être dans l’intérêt de la justice. La Cour ne sera pas privée d’informations essentielles pour arriver à un juste résultat. Le rapport contesté se compose principalement d’éléments de preuve de nature confirmatoire et argumentative; les questions d’incohérence, de confusion et de désaccord sont analysées de manière plus appropriée à l’étape des contre-interrogatoires ou des plaidoiries de l’instruction, et le fait de les introduire au mauvais moment ne sert qu’à compliquer l’instance. Des informations de nature confirmatoire supplémentaires sont répétitives, et s’ajoutent inutilement à un dossier déjà volumineux et complexe. En fait, le mandat de M. Morelli lui-même, décrit au paragraphe 4 de son rapport en réplique, éclaire la raison pour laquelle ce rapport n’est pas une contre-preuve appropriée. M. Morelli a eu pour instruction de relever les aspects du rapport avec lesquels il était d’accord ou non et d’indiquer si son opinion avait changé en réponse au rapport de M. Bailey. Ces instructions ont donné lieu à un rapport en réplique d’une longueur de 31 pages. La nature même de ce mandat était donc de faire part de son désaccord ou de produire des éléments de preuve de nature confirmatoire, deux aspects qui débordent le cadre de la contre-preuve appropriée. Autoriser les demanderesses à soumettre le rapport contesté serait également inéquitable pour les défenderesses, car les demanderesses se verraient ainsi accorder la possibilité d’avoir le dernier mot, contrairement aux défenderesses, vu que le rapport en réplique est un autre moyen pour les demanderesses de s’opposer à la thèse des défenderesses. En résumé, l’essentiel du rapport en réplique de M. Morelli ne semble pas correspondre à la portée de la contre-preuve appropriée et il n’y a pas lieu de l’admettre.

[41] Cependant, comme l’ont admis les avocats des défenderesses, s’il est vrai que M. Bailey n’a pas soulevé de questions véritablement imprévues, il doit être possible qu’à l’instruction un expert explique en détail « tout passage de l’affidavit ou de la déclaration qu’il a lu » (alinéa 280(1)b) des Règles). Il est possible que la longueur des divers rapports d’expert et la nature technique de la preuve (de pair avec le rôle de gardien que joue le juge du procès, comme il est décrit dans l’arrêt Hryniak c Mauldin, 2014 CSC 7, [2014] 1 RCS 87) favorisent le fait que la Cour soit disposée à considérer que certains aspects précis de la contre-preuve produite par les demanderesses à l’instruction sont appropriés, au cas où la Cour aurait jugé de manière trop générale le rapport en réplique. Quoi qu’il en soit, si besoin est, la Cour peut recourir au paragraphe 280(1.1) des Règles, le cas échéant.

 


JUGEMENT dans le dossier T‑151‑16

LA COUR ORDONNE :

  1. La requête des demanderesses en vue de produire le rapport en réplique de M. Morelli est rejetée dans son intégralité, à l’exception des paragraphes 8, 15 à 22, 57 à 60 et 80‑81 du rapport.

  2. Comme les parties ont convenu que le montant des dépens qu’il convient de fixer pour la requête devrait être de 1 500 $, débours et taxes compris, les défenderesses ont droit aux dépens liés à la présente requête, soit la somme de 1 500 $, tout compris.

« Yvan Roy »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑151‑16

INTITULÉ :

LES DÉVELOPPEMENTS ANGELCARE INC. ET AL

c MUNCHKIN, INC. ET AL

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VidÉoconfÉrence ENTRE OTTAWA (oNTARIO) ET mONTRÉAL (qUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 dÉCEMBRE 2020

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ROY

DATE DES MOTIFS :

LE 23 DÉcembrE 2020

COMPARUTIONS :

Guillaume Lavoie Ste‑Marie

Denise Felsztyna

POUR LES DEMANDERESSES/

DÉFENDERESSES RECONVENTIONNELLES

Vincent M. de Grandpré

 

POUR LES DÉFENDERESSES/

DEMANDERESSES RECONVENTIONNELLES

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Smart & Biggar, S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDERESSES/

DÉFENDERESSES RECONVENTIONNELLES

Osler, Hoskin & Harcourt LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

POUR LES DÉFENDERESSES/

DEMANDERESSES RECONVENTIONNELLES

 

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