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Date : 20201223


Dossier : IMM‑5376‑19

Référence : 2020 CF 1186

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 23 décembre 2020

En présence de monsieur le juge McHaffie

ENTRE :

SANDEEP SINGH GREWAL

REPRÉSENTÉ PAR SON TUTEUR À L’INSTANCE

DILBAGH SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] À la fin de l’audience relative à l’appel interjeté par Sandeep Singh Grewal devant la Section d’appel de l’immigration (la SAI), le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration était convaincu que le mariage de celui‑ci avec Gurmeet Kaur était authentique. Le ministre a recommandé à la SAI qu’il soit fait droit à l’appel tout en laissant à la SAI le soin de rendre la décision définitive. Malgré le consentement du ministre, la SAI a rejeté l’appel en concluant que le mariage n’était pas authentique. La SAI a fourni un certain nombre de motifs pour appuyer sa conclusion, dont la plupart concernaient d’une façon ou d’une autre la déficience intellectuelle et les troubles de la parole connexes de M. Grewal. Entre autres, la SAI n’était pas convaincue que M. Grewal comprenait véritablement son mariage ou qu’il avait la capacité mentale de consentir à un mariage.

[2] Je suis d’accord avec M. Grewal pour dire que la décision de la SAI était inéquitable sur le plan procédural et que cela suffit pour trancher l’appel. Avant que le conseil de M. Grewal n’examine le père et tuteur à l’instance de M. Grewal, Dilbagh Singh, la SAI a effectivement informé les parties que le conseil ne devait questionner M. Singh que si le ministre ne consentait pas à ce qu’il soit fait droit à l’appel. Le ministre a donné son consentement et a recommandé qu’il soit fait droit à l’appel. Bien que la SAI ait indiqué qu’elle mettrait sa décision en délibéré, elle n’a fait mention d’aucune préoccupation ni d’un désaccord quelconque avec la position mutuelle des parties, et le conseil de M. Grewal n’a pas été invité à questionner M. Singh. Néanmoins, la SAI a ensuite rejeté l’appel pour des motifs au sujet desquels M. Singh aurait pu fournir des éléments de preuve pertinents. Je conclus que cette décision était inéquitable, puisque M. Grewal n’a pas eu la possibilité de présenter l’intégralité de sa preuve.

[3] La demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie, et l’appel interjeté par M. Grewal sera renvoyé à un tribunal différemment constitué de la SAI pour nouvelle décision. Cette conclusion suffit pour trancher la présente demande de contrôle judiciaire, mais je vais brièvement aborder certaines préoccupations quant à l’approche adoptée par la SAI pour apprécier l’authenticité d’un mariage où l’une des parties présente des incapacités intellectuelles ce qui, à mon avis, mérite d’être commenté.

II. Les questions en litige et la norme de contrôle

[4] M. Grewal a soulevé un certain nombre de questions dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, y compris l’applicabilité, dans le contexte de l’immigration, des principes régissant les recommandations conjointes qui ont été énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R c Anthony‑Cook, 2016 CSC 43, et le caractère raisonnable de la décision de la SAI relative à l’authenticité. Je vais brièvement traiter de ces autres questions ci‑dessous, mais je conclus que la question de l’équité soulevée par M. Grewal est déterminante à l’égard de la demande. Je considère donc que la seule question en litige est la suivante :

Le déroulement de l’audience relative à l’appel et le rejet subséquent de l’appel par la SAI étaient‑ils équitables sur le plan procédural?

[5] Les questions d’équité procédurale ne font pas l’objet d’un contrôle selon la norme déférente de la décision raisonnable. La Cour examine plutôt la question de savoir si, eu égard à l’ensemble des circonstances, un processus juste et équitable a été suivi : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 23, 77. À proprement parler, aucune norme de contrôle n’est appliquée, bien que cet exercice de contrôle soit « particulièrement bien reflété dans la norme de la décision correcte » : Canadien Pacifique, au para 54, citant Eagle’s Nest Youth Ranch Inc v Corman Park (Rural Municipality #344), 2016 SKCA 20 au para 20.

III. Analyse

A. La décision de la SAI était inéquitable sur le plan procédural

(1) La nature et le contexte de l’audience

[6] M. Grewal s’est marié avec Mme Kaur en février 2017, à Rajoana Kalan, en Inde. Le mariage a été arrangé par les familles des époux. M. Grewal, un résident permanent canadien, a présenté en juillet 2017 une demande pour parrainer Mme Kaur pour qu’elle obtienne la résidence permanente en tant qu’épouse au titre de la catégorie du regroupement familial, au titre de l’alinéa 117(1)a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le RIPR].

[7] Le paragraphe 4(1) du RIPR prévoit qu’un étranger ne sera pas considéré comme étant l’époux d’une personne si le mariage n’est pas authentique ou s’il visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] :

Mauvaise foi

Bad faith

4 (1) Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne si le mariage ou la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux, selon le cas :

4 (1) For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common‑law partner or a conjugal partner of a person if the marriage, common‑law partnership or conjugal partnership

a) visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi;

(a) was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act; or

b) n’est pas authentique.

(b) is not genuine.

[8] En 2018, un agent des visas a interviewé Mme Kaur et M. Grewal et a conclu que leur mariage était visé par le paragraphe 4(1). L’agent des visas a donc rejeté la demande de visa de résident permanent de Mme Kaur. M. Grewal a interjeté appel du rejet de la demande auprès de la SAI en vertu du paragraphe 63(1) de la LIPR. De tels appels sont examinés par la SAI dans le cadre d’une audience de novo : LIPR, art 67(2); Mendoza c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2007 CF 934 aux para 18‑20. Comme le ministre l’a souligné dans ses observations, et comme l’a confirmé la Cour suprême du Canada, les audiences de la SAI sont contradictoires par nature, et la SAI est une cour d’archives : Chieu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3 aux para 46, 82; LIPR, art 174.

[9] Avant l’audience, M. Grewal a présenté le rapport d’un psychiatre, le Dr Mohammed Sayeed Ahmed, qui a été préparé en 2017, après le mariage, mais avant la demande de parrainage. Dans son rapport, le Dr Ahmed a conclu que M. Grewal avait [traduction] « une déficience intellectuelle de sévérité probablement modérée, des troubles d’apprentissage ainsi qu’une éducation et un langage limités » et qu’il [traduction] « sembl[ait] comprendre ce qu’[était] un mariage ».

[10] M. Grewal a également présenté un rapport de psychiatre plus récent, préparé en 2019 par le Dr Christopher Richards‑Bentley, qui se penchait sur la capacité du demandeur de comprendre et d’apprécier le concept du mariage. Le Dr Richards‑Bentley était d’avis que M. Grewal [traduction] « pouvait comprendre et apprécier la décision de se marier et qu’il continuait à démontrer une capacité adéquate dans ce domaine », et il a parlé des conversations qu’il avait eues avec M. Grewal, lesquelles soutenaient cette conclusion. Le Dr Richards‑Bentley a également décrit les troubles de la parole de M. Grewal en supposant [traduction] qu’« il souffr[ait] peut‑être d’une aphasie motrice ». Le Dr Richards‑Bentley pensait que, compte tenu de ces troubles de la parole, M. Grewal répondrait aux critères définissant une « personne vulnérable » pour les besoins de son audience devant la SAI, lesquels sont énoncés dans les Directives numéro 8 du président : Procédures concernant les personnes vulnérables qui comparaissent devant la CISR, en date du 15 décembre 2012, publiées par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la CISR).

[11] Une représentante désignée a été nommée pour M. Grewal conformément au paragraphe 167(2) de la LIPR. À l’audience de la SAI, le ministre et M. Grewal étaient représentés par des conseils. M. Grewal, Mme Kaur et M. Singh ont tous témoigné à l’audience, à laquelle Mme Kaur a assisté par téléconférence depuis Rajwana, en Inde. Il était parfois difficile de comprendre le témoignage de M. Grewal, mais celui‑ci a été en mesure de répondre à un bon nombre questions posées par son conseil, la conseil du ministre et la SAI.

(2) La recommandation du ministre et la fin de l’audience

[12] Après son témoignage et celui de Mme Kaur, M. Grewal voulait appeler M. Singh à témoigner. La conseil du ministre a fait mention d’une discussion avec le conseil de M. Grewal et a proposé d’interroger le témoin en premier :

[traduction]

CONSEIL DU MINISTRE : M. le commissaire, j’ai eu une brève conversation, plus tôt, avec le conseil de l’appelant, et je lui ai demandé si je pouvais juste poser quelques questions à son père pour savoir ce qu’il savait au sujet du premier mariage de son fils et des arrangements qui avaient été pris.

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Oui.

CONSEIL DU MINISTRE : Et au sujet de la demande de parrainage. Et j’ai informé le conseil que, s’il était d’accord, je pouvais me charger de poser les questions pour en quelque sorte régler ça, après quoi le ministre pourrait peut‑être présenter sa position.

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Bien sûr.

CONSEIL DU MINISTRE : Et j’ai ensuite laissé le conseil en décider.

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Pas de problème, entendu. C’est d’accord?

CONSEIL : Pas de problème.

[Non souligné dans l’original.]

[13] Comme prévu, le ministre a pu présenter sa position après avoir posé ses questions à M. Singh. L’échange suivant a eu lieu :

[traduction]

CONSEIL DU MINISTRE : D’accord. Je n’ai pas d’autres questions, M. le commissaire.

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Merci. Monsieur le conseil, des questions?

CONSEIL : Oui, j’aimerais poser une question au témoin. Quelle est la position du ministre?

CONSEIL DU MINISTRE : Je peux présenter ma position à ce stade‑ci, M. le commissaire, mais la décision revient ultimement au tribunal.

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Avant de continuer, Monsieur le conseil, avez des questions à poser?

CONSEIL : Oui, j’en ai.

CONSEIL DU MINISTRE : D’accord. Mais vous vous demandiez seulement si le ministre avait une position à présenter.

CONSEIL : C’est exact.

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : D’accord. Donc, si vous êtes pour donner votre consentement, Mme Sharma, je suis disposé à entendre ce que vous avez à dire, sinon, le conseil devrait bien entendu avoir la possibilité de poser des questions au témoin.

CONSEIL DU MINISTRE : Je suis en mesure de (inaudible).

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : D’accord.

CONSEIL DU MINISTRE : J’aimerais fournir quelques motifs pour les besoins du dossier.

[Non souligné dans l’original.]

[14] La conseil du ministre a ensuite présenté des observations pour expliquer pourquoi elle recommandait qu’il soit fait droit à l’appel. Entre autres, elle a fait référence aux affinités entre M. Grewal et Mme Kaur, a parlé de l’information concernant les arrangements pris pour le mariage et a souligné que le rapport du Dr Richards‑Bentley était [traduction] « très approfondi et traitait de sa capacité mentale de consentir ». La conseil a fait référence aux témoignages de M. Grewal et de Mme Kaur, et l’audience a pris fin ainsi :

[traduction]

CONSEIL DU MINISTRE : […] donc, par conséquent, selon la prépondérance des probabilités, je suis disposée à recommander qu’il soit fait droit à l’appel. Et je vous laisse le soin de rendre la décision définitive.

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Merci beaucoup. Monsieur le conseil, avez‑vous quelque chose à ajouter?

CONSEIL : Non, je suis d’accord avec le ministre.

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : D’accord. Très bien. Je vais mettre ma décision en délibéré; je veux réfléchir davantage aux témoignages que j’ai entendus et aux observations au ministre. Je dois réfléchir à beaucoup de choses. Je veux m’assurer d’avoir — de rendre la meilleure décision dans le cadre de l’appel, en fonction du témoignage de l’appelant.

Je n’ai pas obtenu de l’appelant autant de réponses que je l’aurais souhaité, mais il a tout de même témoigné, et j’en suis reconnaissant.

Je veux me pencher davantage sur le témoignage de la demandeure. Bien entendu, je souhaite examiner davantage le témoignage du père de l’appelant.

Donc, quand j’en serai arrivé à une décision en l’espèce, je vous en informerai tous le plus rapidement possible. Rendre une décision ne devrait pas me prendre plus d’un mois à partir de maintenant. Vous recevrez ma décision par courrier, et elle sera écrite, bien entendu.

Je voudrais aussi confirmer l’adresse de l’appelant, est‑ce que c’est [adresse mentionnée]?

CONSEIL : Oui.

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : D’accord. Je vous remercie tous pour votre temps : l’appelant, les conseils, le témoin, l’interprète, sans oublier la représentante désignée. Merci à tous, l’audience est à présent terminée, merci.

[Non souligné dans l’original.]

[15] Lorsque la SAI a rendu sa décision écrite, elle a fait mention du consentement du ministre et des raisons fournies pour ce consentement. Cependant, pour un certain nombre de motifs qu’elle a exposés, la SAI a conclu que le mariage n’était pas authentique et qu’il visait l’acquisition par Mme Kaur d’un statut ou d’un privilège au Canada. Ces motifs comprenaient la conclusion de la SAI selon laquelle elle n’était pas convaincue que M. Grewal « compren[ait] vraiment son mariage et le but de celui‑ci » ou qu’il « avait la capacité mentale de consentir à un mariage ». La SAI a donc déclaré qu’elle ne souscrivait pas aux observations du ministre et a conclu que M. Grewal ne s’était pas acquitté du fardeau qui lui incombait de persuader le tribunal que son mariage n’était pas visé par le paragraphe 4(1) du RIPR.

(3) L’audience était inéquitable

[16] Je suis d’accord avec M. Grewal pour dire que la SAI a agi de manière inéquitable. Au début de l’instance, la SAI a reconnu que le témoignage de M. Singh était important, en indiquant qu’il [traduction] « fournirait la plus grande partie de la preuve ». Après l’interrogatoire par la conseil du ministre, le conseil de M. Grewal a déclaré avoir des questions à poser à M. Singh. En réponse, la SAI a indiqué clairement aux conseils des deux parties qu’à son avis, ces questions ne devraient être posées que si le ministre ne donnait pas son consentement. Le ministre a donné son consentement, et le conseil de M. Grewal n’a donc posé aucune question à M. Singh. Dans de telles circonstances, cette décision défavorable rendue sans que le reste du témoignage de M. Singh n’ait été entendu, comme l’avait demandé le conseil de M. Grewal, a fait en sorte que M. Grewal n’a pas pu présenter l’intégralité de sa preuve. Si la SAI envisageait, soit à l’audience, soit après, de conclure que le mariage n’était pas authentique, elle devait au moins s’assurer que M. Grewal le savait et qu’il avait la possibilité de compléter sa preuve, soit ce jour‑là, soit à une reprise de l’audience.

[17] L’incidence de cette façon de procéder peut se refléter dans la remise en question de la capacité mentale de M. Grewal de comprendre le mariage ou d’y consentir. Au début de l’audience, la conseil du ministre a indiqué qu’elle avait eu une rencontre préliminaire avec le conseil de M. Grewal et avait exposé ses préoccupations quant à la capacité mentale de ce dernier. Elle a dit que le rapport du Dr Richards‑Bentley était assez approfondi, mais qu’elle voulait tout de même poser quelques questions à M. Grewal sur sa compréhension du mariage pour saisir l’étendue de cette compréhension. Ils ont ensuite discuté un peu, et le conseil de M. Grewal a notamment précisé que M. Singh aborderait, entre autres points, la question de l’incapacité mentale.

[18] À la fin de l’audience, le ministre a indiqué qu’il était satisfait quant à la question de la capacité mentale. La SAI n’a pas précisé si cette question, à propos de laquelle M. Grewal devait expressément présenter de la preuve, était toujours « non réglée », malgré le fait que le ministre ne la considérait plus comme une question en litige. Pourtant, dans sa décision, la SAI a conclu que M. Grewal n’avait pas la capacité de comprendre le mariage ou d’y consentir.

[19] À cet égard, je suis d’accord avec M. Grewal pour dire que l’arrêt de la Cour d’appel fédérale, dans Velauthar c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] ACF no 425 (CA), est pertinent. Dans cette affaire, le tribunal a informé le conseil, avant les observations, que la seule question à trancher était de savoir si le demandeur d’asile craignait d’être persécuté pour un motif prévu dans la Convention. Cela impliquait que la crédibilité n’était pas une question en litige, et les parties n’ont donc pas abordé cette question dans leurs observations. La Cour d’appel fédérale a conclu qu’il y avait eu « un grave déni de justice naturelle » du fait que le tribunal avait ensuite rendu une décision défavorable fondée sur des motifs de crédibilité : Velauthar, au para 4.

[20] La Cour a appliqué l’arrêt Velauthar dans des cas où un tribunal avait directement ou implicitement donné la fausse impression qu’une affaire ou une question avait été résolue : Sivamoorthy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 408 aux para 40‑44; Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1031 aux para 30‑38. À mon avis, ces principes s’appliquent en l’espèce. Les déclarations directes ou implicites de la SAI ont donné l’impression que M. Grewal n’avait pas à présenter de nouveaux éléments de preuve concernant la question de l’authenticité si le ministre donnait son consentement.

[21] Le ministre fait valoir qu’il avait toujours été clair que la SAI pouvait rendre une décision défavorable à l’égard de M. Grewal. Citant le juge Zinn dans la décision Fong, il affirme qu’une recommandation conjointe, comme la recommandation du ministre à la SAI de faire droit à l’appel, ne lie pas la SAI et ne décharge pas un appelant de son obligation de présenter sa cause : Fong c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CF 1134 au para 31. Le ministre souligne également qu’il a expressément laissé le soin à la SAI de trancher la question, et que la SAI a mis sa décision en délibéré, déclarant qu’elle voulait examiner davantage les observations et la preuve.

[22] À mon avis, le ministre ne peut pas compter, dans ces circonstances, sur le fait que le consentement était non contraignant ou sur la déclaration générale du ministre selon laquelle il laissait [traduction] « [à la SAI] le soin de rendre la décision définitive ». Le fait que la SAI a indiqué que M. Grewal ne devait interroger M. Singh que si le ministre n’accordait pas son consentement empêchait d’invoquer ces éléments, puisque cela donnait au conseil un signal direct que le témoignage n’était pas nécessaire. Le fait que la SAI a mis sa décision en délibéré ne change pas non plus la situation. La SAI a avisé les parties qu’elle les [traduction] « informerai[t] [de la décision] », et cela pouvait laisser entendre qu’elle envisageait de tirer une conclusion défavorable à l’égard de l’authenticité, mais elle a fait cette déclaration après que l’audience avait effectivement pris fin et que la décision avait été mise en délibéré. Dans les circonstances, le conseil de M. Grewal n’a pas eu une possibilité raisonnable de faire alors valoir que, si la SAI allait rendre une décision défavorable, le reste du témoignage de M. Singh devrait d’abord être entendu.

[23] Par conséquent, je conclus que le déroulement de l’audience était inéquitable envers M. Grewal. Cela suffit pour disposer de la demande de contrôle judiciaire. Néanmoins, compte tenu du contexte et des arguments présentés, il serait justifié d’analyser davantage la question connexe du rôle du consentement du ministre et de sa recommandation de faire droit à l’appel.

(4) La nécessité d’examiner sérieusement les recommandations conjointes

[24] Les deux parties ont fait référence à la jurisprudence découlant du contexte d’une recommandation conjointe présentée à la SAI concernant un sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi. Ces précédents établissent que la SAI n’est pas tenue d’accepter une recommandation conjointe relative à un sursis, mais qu’elle devrait l’examiner sérieusement : Nguyen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 16488 (CF) au para 14; Malfeo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 193 aux para 12‑19; Hussain c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 334 aux para 20‑21; Fong, au para 31.

[25] Dans la décision Nguyen, le juge Lemieux de notre Cour a mentionné et adopté le raisonnement tenu dans des affaires criminelles relativement aux recommandations conjointes sur la peine. Il a souligné que le contexte des renvois en matière d’immigration était différent de celui de la détermination d’une peine au criminel, mais que les facteurs pertinents à un sursis étaient analogues aux aspects pris en considération dans la détermination de la peine : Nguyen, aux para 10‑14. Il a conclu que la Section d’appel de la CISR (tel était alors son nom) avait commis une erreur en n’expliquant pas pourquoi les recommandations conjointes proposant un sursis de cinq ans n’avaient pas été acceptées : Nguyen, aux para 9, 15.

[26] Le juge Lemieux a appliqué les mêmes principes, une décennie plus tard, dans la décision Malfeo, en reconnaissant une fois de plus les différences et les similitudes entre les sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi par la SAI et la détermination de la peine dans les affaires criminelles : Malfeo, aux para 12‑16. La Cour a conclu que la SAI avait commis une erreur en rejetant une recommandation conjointe sans demander des observations supplémentaires aux parties. Elle a également commis une erreur en n’examinant pas sérieusement cette recommandation conjointe, en la rejetant de façon hâtive, sans fournir d’analyse : Malfeo, aux para 17‑20.

[27] Le rejet d’une recommandation conjointe par la SAI a été accepté dans la décision Fong. Dans cette affaire, après avoir été informée que les parties avaient convenu d’une recommandation conjointe pour le dispositif de l’appel, la SAI a expressément déclaré que les parties pouvaient présenter leurs observations, mais qu’elle « [allait] y réfléchir très sérieusement ». Elle a également fait des commentaires qui témoignaient de ses préoccupations au sujet de l’observation : Fong, aux para 27‑29. Citant les décisions Nguyen et Malfeo, le juge Zinn a conclu que la SAI avait le droit de rejeter une observation conjointe « dans la mesure où elle fourni[ssait] des motifs pour ce faire », ce qu’elle avait fait : Fong, aux para 31‑32; voir également des issues similaires dans les décisions Tuel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 223 aux para 19‑23, et Doe c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 518 aux para 44‑49.

[28] Le principe énoncé dans la décision Fong a également été appliqué en dehors du contexte des sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi. Dans la décision Saroya, le juge Mosley l’a appliqué dans le cadre d’un appel fondé sur des motifs d’ordre humanitaire, concluant que la SAI pouvait rejeter une recommandation conjointe « dès lors qu’elle motive ce rejet » : Saroya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 428 aux para 5‑6, 20‑21. Dans la décision Tung, la juge McDonald a conclu que le principe s’appliquait dans le cadre d’une demande de constat de perte du statut de réfugié, présentée à la Section de la protection des réfugiés (la SPR), et a confirmé que la SPR pouvait examiner d’autres motifs de perte du statut de réfugié, même si le ministre et la demanderesse n’en avaient signalé qu’un seul : Tung c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1224 aux para 26‑32.

[29] Le juge Campbell a parlé plus en détail de la nature des recommandations conjointes et de leur rejet dans la décision Al‑Abdi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 262. Reprenant l’analyse faite dans la décision Malfeo, il a mis l’accent, au paragraphe 10, sur la différence entre le rejet d’une recommandation conjointe et le simple rejet d’un argument présenté par une partie :

Il y a une différence entre un argument avancé par l’une des parties au litige et une recommandation commune présentée par les avocats des deux parties. Un argument peut être rejeté par un motif étayé par la preuve. Une recommandation commune ne constitue pas un argument, il s’agit plutôt d’une entente entre les parties qui élimine directement la nécessité d’une décision pour les questions en litige. C’est pour cette raison que la jurisprudence nous enseigne qu’une recommandation commune ne peut pas être écartée. Une conclusion quant à la considération d’une recommandation commune peut varier selon l’affaire. Cela signifie que dans le cas d’un contrôle judiciaire, il faut réaliser une évaluation de la nature de l’incidence de la recommandation commune sur les personnes directement touchées. Cela permettra de définir les attentes liées au niveau de réflexion envers le décideur à qui la recommandation commune sera acheminée. Pour chaque affaire individuelle, l’enjeu consiste à déterminer si la recommandation commune a été considérée à juste titre.

[Non souligné dans l’original.]

[30] Je souscris aux commentaires du juge Campbell concernant la nature d’une recommandation conjointe dans ce contexte. Il faut se rappeler que, comme le ministre l’a souligné dans ses observations, les audiences de la SAI sont contradictoires par nature : Chieu, au para 82. Dans un tel contexte, il est forcément question de décisions au sujet de litiges prises par des parties adverses et pouvant avoir une incidence sur l’issue de l’affaire. Cela peut également concerner des parties qui font une admission ou concluent une entente sur des questions particulières, pour éviter d’avoir à débattre de chaque question. De telles admissions et ententes améliorent l’efficacité du processus judiciaire. Le dossier de la présente instance indique que les conseils des parties ont discuté de la portée et de la nature de la preuve relative à la compréhension de M. Grewal au sujet du mariage, ainsi que de l’ordre des questions à poser à M. Singh.

[31] Dans un contexte contradictoire, un litige peut même être réglé dans son ensemble. Comme l’a reconnu le ministre dans sa plaidoirie, un appelant et lui‑même peuvent régler un appel interjeté à la SAI avant la tenue d’une audience, au motif que, par exemple, le ministre rendrait une nouvelle décision à l’égard de la demande initiale de résidence permanente. En effet, les Règles de la SAI prévoient expressément que les parties peuvent régler un appel sans la tenue d’une audience, et les encouragent à le faire au moyen d’un mode alternatif de règlement des litiges : Règles de la Section d’appel de l’immigration, DORS/2002‑230, art 20.

[32] De plus, la Cour suprême du Canada a reconnu récemment, dans l’arrêt Vavilov, que les observations des parties pouvaient avoir un effet de « contrainte » dans le processus décisionnel administratif : Vavilov, aux para 106, 127‑128. Compte tenu de l’incidence importante d’une décision défavorable sur les parties concernées, la « culture de la justification » adoptée dans l’arrêt Vavilov soutient, à mon avis, la reconnaissance dans la décision Al‑Abdi du fait qu’un fardeau accru incombe à la SAI de justifier pourquoi elle s’écarte d’une recommandation conjointe ou examine des questions qui ne font pas l’objet d’un litige entre les parties : Vavilov, aux para 79‑81, 127‑128, 133‑135; Al‑Abdi, au para 10.

[33] En même temps, la SAI doit agir dans le cadre du mandat que lui confie la loi. Dans les cas de sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi, le contexte de la plupart des affaires susmentionnées, l’alinéa 66b) de la LIPR autorise la SAI à accorder un sursis à une mesure de renvoi dans le cadre d’un appel, conformément aux facteurs énoncés à l’article 68. Le ministre, en tant que partie à l’appel, ne peut pas lui‑même accorder un sursis dans ce contexte : voir, p. ex. Ukwesa c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2008 CanLII 74873 (CA CISR) au para 11; voir également les alinéas 50e) et 53d) de la LIPR ainsi que les articles 230 et 233 du RIPR, en ce qui concerne la compétence distincte du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile de surseoir à l’exécution d’une mesure de renvoi. Pour accorder un sursis, la SAI doit être elle‑même convaincue que les exigences relatives aux motifs d’ordre humanitaire énoncées au paragraphe 68(1) de la LIPR sont respectées. De même, pour faire droit à un appel pour des motifs d’ordre humanitaire, ce qui était en litige dans la décision Saroya, la SAI doit être convaincue que des motifs d’ordre humanitaire justifient la prise de mesures spéciales : alinéa 67(1)c) de la LIPR. Donc, comme il est énoncé dans les décisions Nguyen et Malfeo, l’entente conjointe des parties sur la question ne peut lier la SAI, bien que le contexte contradictoire exige qu’elle soit sérieusement prise en considération.

[34] À cet égard, il pourrait être insuffisant, comme le conclut le juge Campbell dans la décision Al‑Abdi, que la SAI déclare simplement qu’elle ne prend pas les recommandations à la légère : Al‑Abdi, aux para 14‑20. La SAI n’a même pas fait cela en l’espèce. Elle a simplement pris note du consentement du ministre et a résumé brièvement les motifs de ce dernier, avant d’effectuer sa propre analyse distincte des questions en litige.

[35] Le ministre fait valoir que le fait que la SAI a énoncé les motifs de sa décision suffit pour satisfaire à l’exigence décrite dans les décisions Fong et Doe, soit de fournir des motifs expliquant le rejet de la recommandation conjointe : Fong, au para 31; Doe, au para 46. À mon avis, cela ne cadre pas adéquatement avec la reconnaissance par la Cour de l’importance et de la nature des observations ou des recommandations conjointes concernant un appel, et cela revient à les traiter de la même manière qu’une observation présentée par une partie : Nguyen, au para 11; Al‑Abdi, au para 10. Je souligne que dans les décisions Fong, Doe et Saroya, où la Cour n’a relevé aucune erreur susceptible de contrôle dans le rejet d’une recommandation conjointe, la SAI a expressément examiné la recommandation conjointe de manière minutieuse, en soulignant qu’elle n’avait pas pris la décision contraire à la légère : Fong c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CanLII 55730 (CA CISR) aux para 37‑38, 62, 76; Doe c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CanLII 94691 (CA CISR) au para 17; Saroya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CanLII 85462 aux para 12, 25, 27.

[36] À mon avis, la décision de la SAI ne montrait pas adéquatement qu’elle avait examiné sérieusement la recommandation conjointe et n’expliquait pas clairement pourquoi elle pensait qu’il y avait de bonnes raisons pour la rejeter.

[37] Étant donné que j’ai tiré cette conclusion, je n’ai pas besoin d’aborder l’autre argument de M. Grewal selon lequel l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Anthony‑Cook, lequel imposait une norme rigoureuse relative à l’« intérêt public » s’appliquant aux recommandations conjointes sur la peine, devrait s’appliquer dans le contexte de la SAI. Je vais simplement souligner que les arguments de chacune des parties sur cette question ont un certain fondement, et que la SAI est la mieux placée pour examiner en première instance l’applicabilité de cette règle de common law à son contexte administratif : Vavilov, aux para 111‑113.

B. Les observations concernant les motifs de rejet de la SAI

[38] Comme j’ai décidé que l’affaire devait être renvoyée pour nouvelle décision, pour des motifs d’équité, je n’ai pas à traiter du bien‑fondé de la décision de la SAI et je ne propose pas de le faire en long et en large, puisque la SAI aura et doit avoir la possibilité de réexaminer l’affaire de manière indépendante. Cependant, je présente les observations suivantes touchant deux aspects de la décision de la SAI, parce que j’estime que des commentaires à ce sujet s’imposent et que, je l’espère, ils fourniront des indications utiles pour le nouvel examen.

[39] Le premier aspect a trait au fait que la SAI n’était pas convaincue que M. Grewal comprenait suffisamment bien la signification du mariage ou qu’il avait la capacité d’y consentir. Bien que la SAI ait fait référence aux rapports des deux psychiatres, qui croyaient que M. Grewal comprenait le concept du mariage, elle a tiré une conclusion contraire sans expliquer pourquoi elle n’était pas d’accord avec ces rapports ou en avait fait abstraction. Au contraire, la SAI a simplement affirmé qu’elle ne jugeait pas « utile » le rapport du Dr Ahmed sans dire pourquoi. Elle n’a mentionné qu’en passant le rapport du Dr Richards‑Bentley, que le ministre avait qualifié de [traduction] « très approfondi », dans ses observations, lorsqu’il a recommandé qu’il soit fait droit à l’appel.

[40] Voici les seules justifications présentées par la SAI quant à sa conclusion : i) son apparente frustration face à la difficulté d’obtenir un témoignage de M. Grewal; ii) une déclaration faite par l’ex‑épouse de M. Grewal, dans une demande d’annulation du mariage, selon laquelle M. Grewal [traduction] « a un cerveau anormal et est une personne déséquilibrée »; iii) l’incapacité de M. Grewal d’expliquer pourquoi son mariage précédent s’est soldé par une annulation. À mon avis, la justification de la SAI quant à sa conclusion selon laquelle M. Grewal n’a pas démontré qu’il avait la capacité mentale de comprendre le mariage était entièrement inadéquate, étant donné l’incidence juridique et personnelle importante de cette conclusion.

[41] Le deuxième aspect a trait aux diverses observations de la SAI touchant l’incidence de la déficience intellectuelle de M. Grewal sur l’authenticité du mariage. Ces conclusions comprennent les suivantes :

  • quelles que soient les discussions que M. Grewal avait eues avec son épouse « celles‑ci ne sembl[aient] pas être substantielles étant donné sa capacité limitée de converser avec [Mme Kaur] en ce qui a[vait] trait à leur relation matrimoniale »;

  • il était « difficile de comprendre » et cela n’avait « pas beaucoup de sens » que la mère de Mme Kaur ait jugé que M. Grewal était un époux convenable, étant donné les différences scolaires et intellectuelles entre les deux et les « contraintes sur le plan de l’élocution et [le] faible développement mental et intellectuel » de M. Grewal;

  • Mme Kaur était « disposée à accepter les limitations personnelles, intellectuelles et économiques de l’appelant […] en échange de sa résidence permanente »;

  • les réponses de Mme Kaur aux questions sur les conversations téléphoniques avec M. Grewal étaient « de nature générale, sans plus de détails, ce qui [était] compliqué étant donné les limitations mentales et intellectuelles de l’appelant »;

  • « un aspect demeur[ait] bien présent » : M. Grewal était incapable « de bien communiquer de façon à ce que le mariage puisse être durable »;

  • en supposant que le mariage est authentique, « le mariage se détériorerait assez rapidement », de manière semblable au premier mariage de M. Grewal;

  • M. Grewal et Mme Kaur « ne [s’étaient] pas exprimés d’une manière qui dissiperait les préoccupations fondées sur les questions posées et les réponses données ».

[42] Les motifs de la SAI, ainsi que sa frustration face à la difficulté à obtenir un témoignage de M. Grewal, donnaient l’impression générale que la SAI comprenait mal ce qu’une personne ayant une déficience intellectuelle pourrait offrir d’autre, dans le cadre d’une relation, qu’une potentielle résidence permanente au Canada. Cela s’observe le plus clairement lorsque la SAI souligne que, si Mme Kaur était « disposée à accepter » les limites de M. Grewal, c’était « en échange » de l’offre d’une potentielle résidence permanente. Cet accent sur le handicap de M. Grewal, qu’elle considère comme un élément négatif et caractéristique de sa personne, traduit une conception unidimensionnelle du handicap. La SAI fait également fi du témoignage de Mme Kaur portant sur d’autres caractéristiques importantes de M. Grewal, notamment sa sobriété, sa sagesse et sa dévotion religieuse.

[43] Compte tenu de ses références répétées à la nature des conversations entre M. Grewal et Mme Kaur, la SAI semble de même supposer que les discussions de couple doivent avoir une certaine « substance » et que l’incapacité de M. Grewal à tenir des conversations à ce niveau l’empêche de contracter un mariage authentique. La SAI a reconnu que « les relations et les mariages [n’étaient] pas tous de même nature », mais elle a néanmoins fondé des aspects importants de sa conclusion sur le fait que le mariage de M. Grewal et de Mme Kaur ne serait pas authentique selon ce qui semble être le cadre de référence de la SAI en la matière. À mon avis, il ne convient pas de tirer une telle conclusion sans adapter ce cadre de référence en fonction des différences découlant du handicap de M. Grewal.

[44] La SAI a directement tiré, de ces observations, des conclusions concernant la crédibilité et l’authenticité. Par exemple, la SAI a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité du fait que Mme Kaur était « disposée à accepter » la déficience intellectuelle de M. Grewal en échange de la résidence permanente et du fait que, selon elle, leurs discussions n’étaient pas « substantielles ».

[45] En réponse aux questions soulevées à l’audience, portant sur ces préoccupations, le ministre a fait valoir que la SAI se servait simplement de son expertise en matière de mariages arrangés en Inde, et qu’elle n’avait pas effectué une analyse discriminatoire fondée sur une déficience intellectuelle. Je ne peux accepter cette explication, puisque rien n’indique que la SAI se fondait, dans bon nombre de ses déclarations, sur des éléments de preuve ou sur son expertise concernant ce qui serait accepté dans un mariage arrangé. Par exemple, les conclusions de la SAI quant à la nature des conversations d’un couple faisaient référence aux couples de manière générale, et non aux conversations attendues des parties à un mariage arrangé. Dans la mesure où la SAI avait l’intention, comme le ministre l’a fait valoir, de s’appuyer sur ses connaissances ou son expertise en matière de mariages arrangés en Inde, elle n’a pas « démontr[é] qu’[elle] a[vait] rendu [sa] décision […] en mettant à contribution son expertise et son expérience institutionnelle » : Vavilov, au para 93.

[46] Je reconnais que, comme l’a déclaré la SAI, l’appréciation de l’authenticité d’un mariage dans un contexte d’immigration peut s’avérer difficile dans toute circonstance. Le contexte d’un appelant ayant une déficience intellectuelle et des troubles de la parole peut rendre la tâche encore plus ardue au moment de recueillir un témoignage et d’effectuer l’appréciation. Cependant, ces tâches doivent être effectuées sans recours à des hypothèses au sujet du mariage ou de ce qu’une personne ayant une déficience intellectuelle peut apporter à une relation, ce qui ajoute des difficultés injustifiées à l’analyse.

IV. Les questions à certifier

[47] M. Grewal a posé quatre questions à des fins de certification, dont deux concernent les recommandations conjointes, et deux, la personne à qui incombe le fardeau d’établir l’incapacité mentale :

[traduction]

1. La SAI commet‑elle une erreur si elle rejette une recommandation du ministre de faire droit à un appel qui avait été approuvée par le demandeur?

2. La SAI doit‑elle s’en remettre à l’arrêt R c Anthony‑Cook, 2016 CSC 43, dans le cadre de recommandations conjointes concernant un appel relatif au parrainage d’un époux?

3. Incombe‑t‑il au ministre de prouver la capacité mentale de l’appelant (le répondant), dans le cadre d’un appel interjeté à la Section d’appel de l’immigration du refus d’une demande de parrainage visant la résidence permanente, lorsque le ministre recommande qu’il soit fait droit à l’appel?

4. Incombe‑t‑il au ministre de prouver la capacité mentale de l’appelant (le répondant), dans le cadre d’un appel interjeté à la Section d’appel de l’immigration du refus d’une demande de parrainage visant la résidence permanente, lorsque le ministre conteste initialement la capacité mentale de l’appelant, à savoir le répondant?

[48] M. Grewal reconnaît que, s’il avait gain de cause quant à la question de l’équité procédurale, aucune de ces questions ne serait déterminante et n’aurait à être posée ni certifiée. Je suis d’accord. Compte tenu de mes conclusions touchant l’équité procédurale, je conclus qu’aucune de ces questions n’est déterminante quant à l’issue de l’appel, ce qui est une condition essentielle à la certification : Lunyamila c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CAF 22 au para 46. Par conséquent, je refuse de certifier l’une ou l’autre des questions proposées.

V. Conclusion

[49] La demande de contrôle judiciaire sera par conséquent accueillie, et l’appel interjeté par M. Grewal sera renvoyé à un tribunal différemment constitué de la SAI.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑5376‑19

LA COUR STATUE que

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l’appel interjeté par Sandeep Grewal est renvoyé à un tribunal différemment constitué de la Section d’appel de l’immigration pour nouvelle décision.

« Nicholas McHaffie »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B, juriste‑traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑5376‑19

 

INTITULÉ :

SANDEEP SINGH GREWAL REPRÉSENTÉ PAR SON TUTEUR À L’INSTANCE DILBAGH SINGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE, LE 10 JUILLET 2020, À OTTAWA (ONTARIO) (COUR) ET À TORONTO (ONTARIO) (PARTIES)

JUGEMENT et motifS :

le juge MCHAFFIE

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 23 DÉCEMBRE 2020

 

COMPARUTIONS :

Micheal Crane

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Judy Michaely

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Micheal Crane

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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