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Date : 20201221


Dossier : IMM-7744-19

Référence : 2020 CF 1172

Ottawa (Ontario), le 21 décembre 2020

En présence de l'honorable monsieur le juge Shore

ENTRE :

OLANREWAJU RAHMAN JONES

MUSHIRAT BIODUN JONES

RAHEEMAH OLAMIDE JONES

ABDULROQEEB OLOLADE JONES

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision rendue le 5 décembre 2019 par la Section d’appel des réfugiés [SAR] dans laquelle la SAR a confirmé le rejet de la demande d’asile des demandeurs en raison d’une possibilité de refuge interne [PRI].

[2]  Le demandeur principal, sa femme et leurs enfants mineurs sont citoyens du Nigéria et demandent le statut de réfugié pour harcèlement et menaces de mutilation génitale féminine par des chefs de famille. Les demandeurs ont quitté le Nigéria en septembre 2017 et sont arrivés au Canada en janvier 2018 en passant par les États-Unis. Ils ont un enfant mineur, citoyen canadien, qui ne fait pas partie de la demande d’asile des demandeurs.

[3]  La Section de la protection des réfugiés a rejeté la demande d’asile des demandeurs au motif qu’ils ont manqué de crédibilité et qu’ils n’ont pas démontré que la PRI à Abeokuta ou à Abuja au Nigéria était déraisonnable. La SAR a confirmé cette décision en s’attardant à l’existence d’une PRI.

[4]  Le concept de PRI est inhérent à la définition de « réfugié » : un demandeur d’asile doit être un réfugié d’un pays, et non d’une région d’un pays. Afin de déterminer l’existence d’une PRI, la SAR doit être satisfaite que les demandeurs ne risquent pas sérieusement d’être persécutés dans la PRI proposée et que les conditions sont telles qu’il ne serait pas objectivement déraisonnable, considérant toutes les circonstances, que les demandeurs y trouvent refuge (Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589 aux pages 593, 597 (CAF)).

[5]  Le test pour l’établissement d’une PRI est disjonctif, et il appartient au demandeur d’asile de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’il risque sérieusement d’être persécuté dans tout le pays. Ce standard est d’autant plus élevé au deuxième volet de l’analyse qui ne requiert « rien de moins que l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d’un revendicateur tentant de se relocaliser temporairement en lieu sûr » (Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 CF 164 au para 15).

[6]  Le présent contrôle judiciaire porte sur la raisonnabilité des conclusions de la SAR eu égard au deuxième volet de l’analyse sur l’existence d’une PRI. Une décision raisonnable nécessite une analyse intrinsèquement cohérente, rationnelle et justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65).

[7]  À titre de remarque préliminaire, notons qu’alors que les demandeurs n’ont pas soumis un affidavit souscrit par l’un d’eux comme l’exige la règle 10(2)(d) des Règles de la Cour fédérale, DORS/98-106, et que ceci pourrait suffire pour rejeter la demande d’autorisation, le dossier certifié du tribunal suffit pour pallier ce manquement en l’espèce (Singh c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 455 aux para 18-19; Conka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 532 aux para 12-15).

[8]  Les demandeurs soutiennent que les PRI identifiées à Abeokuta et à Abuja au Nigéria ne sont pas raisonnables pour leur relocalisation compte tenu des risques à la sécurité des ressortissants étrangers et des expatriés. Il est d’autant plus déraisonnable selon l’intérêt supérieur de l’enfant. Les demandeurs arguent également que les éléments de la PRI sont déraisonnables en raison de la discrimination fondée sur le statut de non-indigène, des difficultés d’hébergement et de la déficience des services de santé.

[9]  Les conditions générales de la région d’une PRI ou du pays ne rendent pas en soi une PRI déraisonnable (voir Adebayo c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2019 CF 330 aux para 44-45, 50; Olusola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 799 aux para 32-36).

[10]  Suite à l’analyse du dossier dans son ensemble, la SAR a trouvé que les conditions du pays ne rendent pas la PRI déraisonnable. Elle a notamment remarqué que la discrimination non-indigène n’est pas une barrière dans des centres urbains, comme là où se trouve la PRI, et que la situation particulière des demandeurs — statut social, éducation, expérience de travail — démontre qu’ils peuvent trouver un emploi et un logement ainsi qu’accéder à des soins de santé. La SAR s’est aussi attardée à leur capacité linguistique, leur ethnicité et la possibilité de pratiquer leur religion.

[11]  Les demandeurs n’expliquent pas plus en contrôle judiciaire en quoi leurs circonstances particulières rendent la PRI déraisonnable et ne rencontrent donc pas le seuil très élevé requis par la jurisprudence. L’argumentaire fait également défaut à l’étude du dossier de la SAR où le risque à la sécurité des ressortissants et des étrangers appert ne pas avoir été soulevé. Sur ce, le défendeur rappelle que cette Cour ne devrait pas considérer des éléments qui n’ont pas été soulevés devant la SAR (Pierre-Louis c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF No 420 au para 3 (CAF)). Alors que le défendeur ajoute que l’ensemble des arguments n’ont pas été soulevés au préalable, ceci ne correspond pas au dossier du tribunal certifié où l’on remarque que seul le premier volet de l’analyse de la PRI n’a pas été contesté.

[12]  Quant à l’intérêt supérieur de l’enfant, alors non déterminant, il se doit d’être pris en compte selon le contexte (Kim v Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 149 au para 9 [Kim]). Il sera d’ailleurs considéré au cours d’étapes ultérieures (Kim, ci-dessus, au para 76). En l’espèce, il est apparent que les enfants mineurs ont été considérés par la SAR, soit spécifiquement l’absence de barrières linguistiques pour les enfants et l’absence de difficultés pour accéder à une éducation par les demandeurs mineurs pouvant rendre une PRI déraisonnable. De même, la SAR a considéré les Directives numéro 3 du président : Les enfants qui revendiquent le statut de réfugié et a trouvé que l’unité familiale, la présence des parents demandeurs, leur éducation et leur expérience de travail, sont des facteurs positifs dans l’analyse.

[13]  La SAR a tenu compte de l’ensemble de la preuve. Il n’est pas requis pour la SAR de faire mention de l’ensemble de la preuve, qu’elle soit sur les conditions du pays ou sur l’intérêt individuel des demandeurs mineurs et de l’enfant citoyen canadien, comme semble le prétendre les demandeurs (voir Amadi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1166 aux para 41, 50, 52). En définitive, la Cour se voit demander de se livrer à un exercice de peser à nouveau la preuve, ce qu’elle ne peut faire en contrôle judiciaire.

[14]  Pour les motifs mentionnés ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 


JUGEMENT au dossier IMM-7744-19

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Il n’y a aucune question d’importance à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7744-19

 

INTITULÉ :

OLANREWAJU RAHMAN JONES ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AFFAIRE ENTENDUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 décembre 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 21 décembre 2020

 

COMPARUTIONS :

Marie Pierre Blais Ménard

 

Pour les demandeurs

 

Anne-Renée Touchette

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Hasa Avocats

Montréal (Québec)

 

Pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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