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Date : 20050720

Dossier : IMM-7110-04

Référence : 2005 CF 1006

Toronto (Ontario), le 20 juillet 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY

ENTRE :

NAJEEB SARWAR

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Le demandeur sollicite, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), le contrôle judiciaire d'une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), en date du 20 juillet 2004, par laquelle la Commission a refusé au demandeur la qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger, expressions définies dans les articles 96 et 97 de la Loi.


LA QUESTION EN LITIGE

[2]                La Commission a-t-elle commis une erreur sujette à révision lorsqu'elle a dit qu'une protection de l'État serait à la disposition du demandeur s'il était renvoyé au Pakistan?

[3]                Pour les motifs qui suivent, je dois répondre à la question ci-dessus par la négative. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[4]                Le demandeur, de nationalité pakistanaise, est né le 3 août 1968 dans une famille musulmane sunnite du Pendjab. Le demandeur prétend craindre avec raison d'être persécuté en raison de ses convictions religieuses. Il dit aussi qu'il est une personne à protéger parce que, s'il est renvoyé au Pakistan, il sera exposé à une menace pour sa vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités.

LA DÉCISION CONTESTÉE

[5]                La Commission a estimé que le demandeur serait à même de bénéficier d'une protection de l'État s'il était renvoyé au Pakistan. Elle a fondé sa conclusion sur l'arrêt Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Villafranca (1992), 18 Imm. L.R. (2d) 130 (C.A.F.), où l'on peut lire, aux pages 132 et 133, qu'il n'est pas nécessaire que la protection de l'État soit parfaite pour qu'elle soit jugée adéquate. Sur ce point, la Commission a cité le passage suivant :


Aucun gouvernement qui professe des valeurs démocratiques ou affirme son respect des droits de la personne ne peut garantir la protection de chacun de ses citoyens en tout temps. Ainsi donc, il ne suffit pas que le demandeur démontre que son gouvernement n'a pas toujours réussi à protéger des personnes dans sa situation. Le terrorisme au service d'une quelconque idéologie perverse est un fléau qui afflige aujourd'hui de nombreuses sociétés; ses victimes, bien qu'elles puissent grandement mériter notre sympathie, ne deviennent pas des réfugiés au sens de la Convention simplement parce que leurs gouvernements ont été incapables de supprimer ce mal. Toutefois, lorsque ltat se révèle si faible, et sa maîtrise sur une partie ou sur l'ensemble de son territoire est si ténue qu'il n'est qu'un gouvernement nominal, comme cette Cour a trouvé que ctait le cas dans l'arrêt Zalzali c. Canada (Ministre de l'emploi et de l'immigration), un réfugié peut à bon droit affirmer être incapable de se réclamer de sa protection. Le demandeur qui fait valoir cette incapacité doit normalement invoquer la guerre civile, une invasion ou l'effondrement total de l'ordre au pays. Par contre, lorsqu'un État a le contrôle efficient de son territoire, qu'il possède des autorités militaires et civiles et une force policière établies, et qu'il fait de sérieux efforts pour protéger ses citoyens contre les activités terroristes, le seul fait qu'il n'y réussit pas toujours ne suffit pas à justifier la prétention que les victimes du terrorisme ne peuvent pas se réclamer de sa protection.

[6]                La Commission était convaincue que les réformes engagées par le président Musharraf au Pakistan visaient à améliorer la situation pour les deux sectes musulmanes. Les mesures prises pour éradiquer les violences sectaires sont constantes. Sur ce point, la Commission a fait observer que, au Pakistan, l'État a la maîtrise de ses territoires et qu'il s'est doté des structures d'un État de droit apte à protéger ses citoyens. Il ne fait aucun doute que la tâche d'éradiquer totalement les violences religieuses en est une ardue. Toutefois, la Commission a exprimé l'avis que le président Musharraf était résolu à atteindre ses objectifs et que, si les violences sectaires existent encore, cela ne permet pas pour autant de croire que le demandeur ne pourrait pas obtenir une protection de l'État s'il devait être renvoyé dans son pays.

ANALYSE

Les observations du demandeur


[7]                Selon le demandeur, lorsque la Commission a dit qu'une protection de l'État adéquate lui était accessible au Pakistan, elle s'est fondée sur des faits qui étaient manifestement contradictoires et peu concluants. Il affirme aussi que, lorsqu'elle a étudié la question de la protection de l'État, la Commission a fait un examen sélectif et intéressé de la preuve documentaire. Au soutien de ses allégations, le demandeur cite de nombreux extraits de la preuve documentaire qui montrent que les violences sectaires sont encore bien présentes au Pakistan et que les mesures appliquées par le président ne donnent pas de résultats.

Les observations du défendeur

[8]                Selon le défendeur, le demandeur n'a dégagé aucune erreur susceptible de révision qui puisse légitimer sa demande de contrôle judiciaire. De l'avis du défendeur, le demandeur voudrait en réalité que la Cour apprécie à nouveau la preuve. Son désaccord sur la manière dont la Commission a soupesé la preuve ne constitue pas un fondement juridique justifiant une intervention de la Cour.

La protection de l'État

[9]                Le principe de la protection de l'État a été étudié en détail par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689. La Cour suprême a confirmé que le droit international relatif aux réfugiés a été établi afin de suppléer à la protection qu'un État doit fournir à ses nationaux. Il ne peut s'appliquer que lorsque le pays dont la personne est un ressortissant n'est pas en mesure de lui apporter une protection et, en tout état de cause, à certaines conditions seulement. La communauté internationale voulait qu'une personne persécutée soit tenue de s'adresser d'abord à son État d'origine pour obtenir sa protection avant qu'elle puisse demander à d'autres États de la protéger (arrêt Ward, précité, au paragraphe 18).


[10]            Il incombe au demandeur d'asile de prouver qu'il a raison de craindre d'être persécuté dans son pays. Pour réussir, il ne lui suffit pas d'établir qu'il a une crainte subjective de persécution dans son pays d'origine. Il doit aussi prouver que sa crainte est objectivement bien fondée. C'est à ce stade que l'incapacité de l'État à le protéger sera prise en compte. Il appartient au demandeur d'apporter une preuve « claire et convaincante » de l'incapacité de son pays d'origine à le protéger. Si l'État est en mesure de protéger le demandeur d'asile, alors, sur le plan objectif, sa crainte n'est pas bien fondée (arrêt Ward, précité, au paragraphe 25). Par conséquent, s'il existe une protection de l'État, il n'y a aucune raison pour laquelle le demandeur d'asile ne serait pas apte ou disposé à se réclamer de cette protection.

[11]            Dans une décision récente, Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] A.C.F. n ° 232, la juge Tremblay-Lamer a examiné les divergences de vues sur la norme de contrôle qu'il convenait d'appliquer à l'égard de la protection de l'État. Après une analyse pragmatique et fonctionnelle selon ce que préconise l'arrêt Dr. Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, elle a jugé que la norme de contrôle à appliquer lorsqu'il s'agissait de la protection de l'État était celle de la décision raisonnable simpliciter. La juge Tremblay-Lamer fait l'analyse suivante dans la décision Chaves, aux paragraphes 9 à 11 :

La norme de contrôle

Les quatre facteurs contextuels appliqués dans le cadre de l'analyse pragmatique et fonctionnelle, qui peuvent se chevaucher, sont les suivants : « la présence ou l'absence dans la loi d'une clause privative ou d'un droit d'appel; l'expertise du tribunal relativement à celle de la cour de révision sur la question en litige; l'objet de la loi et de la disposition particulière; la nature de la question - de droit, de fait ou mixte de fait et de droit » (Dr Q, précité, au paragraphe 26).


En ce qui a trait au premier de ces facteurs, les décisions de la Commission ne sont pas protégées par une clause privative forte (voir Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982). Cependant, les deuxième et troisième facteurs militent en faveur d'une retenue judiciaire. La question de savoir si la protection de ltat est disponible ou si le demandeur a sollicité cette protection concerne la compétence relative de la SPR. Bien que la disposition légale en question nécessite en réalité une détermination des droits des personnes qui demandent l'asile, elle accorde un pouvoir discrétionnaire important à la SPR.

Toutefois, la nature de la question à trancher a une importance vitale en l'espèce et fait également appel à la compétence relative de l'instance décisionnelle. Décider si un demandeur a réfuté la présomption de protection de ltat suppose « l'application d'une norme juridique [... c'est-à -dire « confirmer d'une façon claire et convaincante l'incapacité de ltat d'assurer la protection » : Ward, précité, au paragraphe 50] à un ensemble de faits » , ce qui, selon la Cour suprême du Canada, constitue une question mixte de fait et de droit : Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, au paragraphe 26. La SPR possède une compétence relative au sujet des conclusions de fait et de lvaluation de la situation dans le pays en cause. Cependant, la Cour possède une expertise relative pour décider si la norme juridique a été respectée. En conséquence, à mon avis, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable simpliciter. Cette conclusion est compatible avec les décisions dans lesquelles la question de la protection de ltat a été considérée comme une question mixte de fait et de droit : décisions Smith et Racz.

[12]            La norme de la décision raisonnable simpliciter a été définie à l'origine par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam, [1997] 1 R.C.S. 748. Au paragraphe 56 de cet arrêt, le juge Iacobucci écrivait ce qui suit :

[...] Est déraisonnable la décision qui, dans l'ensemble, n'est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. En conséquence, la cour qui contrôle une conclusion en regard de la norme de la décision raisonnable doit se demander s'il existe quelque motif étayant cette conclusion [...]

[13]            Le juge Iacobucci a donné d'autres indications sur la manière d'appliquer cette norme particulière, dans l'arrêt Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, au paragraphe 47 :


[...] La norme de la décision raisonnable consiste essentiellement à se demander « si, après un examen assez poussé, les motifs donnés, pris dans leur ensemble, étayent la décision » . C'est la question qu'il faut se poser chaque fois que l'analyse pragmatique et fonctionnelle décrite dans l'arrêt Pushpanathan, précité, dicte l'application de la norme de la décision raisonnable. La déférence requise découle de la question puisqu'elle impose à la cour de révision de déterminer si la décision est généralement étayée par le raisonnement du tribunal ou de l'instance décisionnelle, plutôt que de l'inviter à refaire sa propre analyse. Évidemment, la réponse à la question doit être soigneusement adaptée au contexte de la décision, mais la question elle-même demeure inchangée dans les divers contextes[...]

[14]            En l'espèce, le demandeur affirme que la Commission a mal interprété la preuve et les faits qu'elle avait devant elle, ce qui l'a conduite à une conclusion déraisonnable selon laquelle il existait une protection de l'État adéquate. Si l'on examine le raisonnement de la Commission, on constate que celle-ci a pris en compte le fait que les violences sectaires sévissaient encore au Pakistan. Elle a aussi reconnu que les résultats de la protection de l'État, illustrés par la preuve documentaire, sont mitigés. Toutefois, après examen de la preuve, la Commission a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que le gouvernement du Pakistan pouvait apporter une protection au demandeur.

[15]            La preuve montre que de nombreuses réformes ont été engagées par le président Musharraf depuis qu'il a pris le pouvoir au Pakistan à l'automne de 1999. Ces réformes ont donné des résultats même si elles n'ont pas apporté une protection parfaite. Pour arriver à sa décision, la Commission a tenu compte de la pérennité et de l'efficacité des diverses mesures mises en place pour éradiquer les violences sectaires, par exemple :

(1) les groupes religieux extrémistes tels que le SSP ont été proscrits;

(2) une meilleure formation est offerte aux policiers;

(3) des enquêtes sont menées;

(4) il y a des arrestations et des condamnations;

(5) une sécurité accrue est assurée durant les manifestations religieuses;


(6) des juridictions antiterroristes ont été instituées à la suite de révisions du système judiciaire, par exemple un juge de la Cour de sessions, un magistrat et un officier militaire.

[16]            La Commission a conclu aussi que ces mesures allaient probablement se poursuivre, puisque le président Musharraf avait été récemment élu pour un autre mandat de cinq ans et qu'il est résolu à faire appliquer des mesures propres à améliorer la situation pour les deux sectes musulmanes. La Commission a résumé ainsi sa conclusion :

Les résultats obtenus sont mitigés. Cependant, le tribunal est convaincu que, selon la prépondérance des probabilités, le gouvernement du Pakistan fait des efforts sérieux pour remédier à la violence sectaire. Des mesures proactives sont prises lorsqu'on apprend que des attaques risquent dtre perpétrées. Toutes les attaques sectaires font maintenant l'objet d'une enquête approfondie et les coupables sont accusés et condamnés lorsque la preuve appuie de telles condamnations (page 12 des motifs de décision de la Commission. Dossier du demandeur, page 18).

[17]            Il appartient au demandeur de prouver l'incapacité de l'État à lui apporter une protection. En l'espèce, le demandeur a dit qu'il n'avait reçu aucune protection de la police parce qu'il n'avait pu identifier ses agresseurs. Cependant, le demandeur a indiqué qu'il n'avait pas insisté davantage pour obtenir une aide, et cela, malgré l'existence de nombreux mécanismes destinés à enrayer les violences sectaires.


[18]            La Cour est convaincue que la Commission a tenu compte de l'ensemble des preuves qu'elle avait devant elle et que ses motifs appuient suffisamment ses conclusions. Il est vrai que, selon certains éléments de preuve, les violences sectaires n'ont pas disparu; cependant, d'autres éléments de preuve montrent clairement que les mesures appliquées par le gouvernement sont efficaces et durables. Il entre dans les attributions de la Commission d'apprécier la preuve qui lui est soumise. Puisqu'aucune erreur susceptible de révision ne peut être trouvée dans le raisonnement de la Commission, l'intervention de la Cour n'est pas justifiée.

[19]            Les parties ont été invitées à soumettre des questions de portée générale. Elles ont décliné l'invitation et aucune question semblable ne se pose.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée et qu'aucune question ne soit certifiée.

« Michel Beaudry »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                           IMM-7110-04

INTITULÉ:                                            NAJEEB SARWAR

                                                                                                                                                           

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                           

LIEU DE L'AUDIENCE :                    TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                  LE 19 JUILLET 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                          LE JUGE BEAUDRY

DATE DES MOTIFS :                         LE 20 JUILLET 2005

COMPARUTIONS :

John Savaglio                                                                         POUR LE DEMANDEUR

Marianne Zoric                                                                       POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John Savaglio

Avocat

Pickering (Ontario)                                                                POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                                     POUR LE DÉFENDEUR

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