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                                                                                                                                            Date : 20020410

                                                                                                                                  Dossier : IMM-772-01

                                                                                                               Référence neutre : 2002 CFPI 411

Toronto (Ontario), le mercredi 10 avril 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL

ENTRE :

                                                   VALENTIN LAZAROV SOKOLOV

                                                 KREMENA KIRILOVA SOKOLOVA

                                               VALENTIN VALENTINOV SOKOLOV

                                                  DENNIS VALENTINOV SOKOLOV

                                                                                                                                                     demandeurs

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

        Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section du statut de réfugié (SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié datée du 26 janvier 2001 dans laquelle la SSR a décidé que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.


       Les demandeurs sont d'origine turque et citoyens de la Bulgarie. Les personnes d'origine turque ont subi pendant longtemps en Bulgarie, sous les précédents régimes communistes, une persécution qui est très bien documentée. En compagnie d'autres personnes d'origine turque, les demandeurs ont été forcés de quitter la Bulgarie en 1990. Ils ont résidé en Allemagne et, en 1993, les autorités allemandes ont retourné les demandeurs en Bulgarie lorsqu'une démocratie y a été instaurée.

       Le demandeur principal a offert un récit détaillé de ce qu'a été la vie pour sa famille à leur retour en Bulgarie. Ce récit fait partie du dossier déposé devant la SSR en l'espèce. Voici un résumé de ces faits.

       À leur retour en Bulgarie, les demandeurs ont été détenus à la frontière et interrogés pendant huit heures. Leurs passeports ont été saisis, et les demandeurs ont été obligés de signer un engagement à retourner dans leur ville natale, à vivre dans leur ancienne résidence et à se présenter à la police au cours de la semaine.


       Lorsque les demandeurs sont retournés dans leur ville natale, ils n'ont pu emménager dans leur ancienne maison puisqu'elle était occupée par des Bulgares, c'est-à-dire des non-Turcs. Le dirigeant local de la police avait été un directeur de la police secrète pendant le régime communiste. Il avait lui-même eu recours à des pratiques violentes et discriminatoires. Il a reconnu le demandeur principal et a déclaré qu'il avait emprisonné son père à Belene. Il a interrogé le demandeur principal au sujet de ses activités en Allemagne et l'a obligé à se présenter au poste de police à toutes les semaines.

       Le demandeur principal a, par la suite, eu des difficultés à obtenir un emploi. Ces difficultés, combinées à l'interférence continue de la police dans sa vie, l'ont amené à s'engager dans des activités politiques afin de manifester. Il s'est joint à un groupe d'opposition, le DPS. Il a assisté à des réunions, a distribué des prospectus et a fait campagne au nom du groupe lors des élections parlementaires de 1994.

       À la fin de l'une de ces réunions, le demandeur principal a été arrêté par la police, détenu pendant une semaine, interrogé et battu. Il a été libéré par la police après que son épouse eut versé un pot-de-vin au dirigeant local de la police.

       Pendant ce temps, le demandeur principal ne réussissait pas à trouver un emploi. En conséquence, son épouse et lui-même ont ouvert un restaurant dans sa ville natale en 1995. Plus tard au cours de cette année, le DPS a tenu un rassemblement. Le demandeur principal a encore une fois été arrêté, battu et détenu pendant trois jours.


       Le demandeur principal déclare qu'après cet incident, la police et les nationalistes opposés au DPS ont commencé à fréquenter son restaurant. Le dirigeant de la police a demandé de l'argent pour prolonger le permis d'exploitation du restaurant, et le demandeur principal a cru qu'il n'avait pas le choix de payer.

     Le demandeur principal a accru son engagement politique en tenant des réunions d'opposition secrètes dans son restaurant. Après le début de ces réunions, il a reçu des menaces. Il a signalé l'incident à la police. Un nouveau dirigeant de police était en place et il lui a dit qu'il s'occuperait de l'affaire, mais, à la connaissance du demandeur principal, rien n'a été fait.

     En 1997, la voiture du demandeur principal a été volée dans son espace de stationnement au restaurant, et l'ancien dirigeant de la police a tenté de lui extorquer de l'argent pour le retour de la voiture. Le demandeur principal a versé l'argent, et la voiture a été rendue endommagée. Après cet incident, des membres de la police et des nationalistes ont commencé à fréquenter le restaurant et à manger sans payer. Ils harcelaient les employés du restaurant qui étaient également d'origine turque et ils faisaient usage de violence.

     En 1998, trois agents de police connus comme des nationalistes sont entrés dans le restaurant et ont continué à maltraiter les employés. Le demandeur principal les a confrontés, et, en réponse, l'un des agents a tiré avec son arme en signe d'avertissement et de menace. Le demandeur principal a signalé cet incident à la police et le lendemain les mêmes agents l'ont kidnappé, menacé et battu. Il a, encore une fois, signalé l'incident à la police.


     Peu de temps après, le demandeur principal a commencé à recevoir des appels téléphoniques de menace à la maison et il a craint pour la sécurité de sa famille. Ce harcèlement s'est poursuivi jusqu'en 1999. À ce moment, le demandeur principal a déposé une plainte auprès du procureur en chef de tout le district. Il a, par la suite, été arrêté par la police locale et battu. Son restaurant a été détruit, et leur chien a été pendu au plafond.

     Après six ans de harcèlement, le demandeur principal et sa famille ont pris des dispositions pour partir de la Bulgarie et sont finalement arrivés au Canada. Les demandeurs ont présenté une revendication du statut de réfugié au sens de la Convention fondée sur leur origine ethnique et leur opinion politique.

     En dépit de cette longue preuve convaincante d'importante persécution, la SSR a décidé que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention. Lorsqu'elle mentionnait des éléments du récit des demandeurs, la SSR utilisait des expressions comme [traduction] « Si l'on doit croire les détails de cette histoire » et [traduction] « une fois encore en supposant que l'on peut croire le récit » pour tirer des inférences défavorables au sujet de la crédibilité du demandeur principal. En conséquence, la SSR a conclu que les demandeurs [traduction] « n'ont pas fourni des éléments de preuve crédibles ou dignes de foi pour démontrer qu'ils avaient de bonnes raisons de craindre d'être persécutés en Bulgarie selon l'un des motifs de la Convention » .


     Même s'il est évident à la lecture de la décision qu'on n'a pas jugé les demandeurs crédibles, la SSR a rendu une décision fondée sur la version de faits suivante :

[traduction]

Les Sokolov ont formulé les allégations de fait suivantes. En 1990, M. Sokolov et son épouse sont partis de la Bulgarie. Ils y sont revenus en 1993. En 1995, ils ont ouvert un restaurant dans la ville de Momchilgrad. Lors d'une campagne électorale municipale en octobre 1995, M. Sokolov a été arrêté pendant un rassemblement et détenu pendant trois jours. Le 2 avril 1998, trois agents de police du poste local se sont rendus au restaurant en demandant à avoir des repas gratuits et causant une grande agitation. Le lendemain, M. Sokolov a signalé l'incident à la police. Le 4 avril 1998, les trois mêmes agents ont agressé M. Sokolov. Une fois encore, il s'est rendu au poste de police et l'on a fait un rapport. Les trois agents ont continué de fréquenter le restaurant. En février 1999, M. Sokolov a déposé une plainte auprès du procureur en chef à Kirdjali. En mars 1999, on est venu chercher M. Sokolov chez lui et on l'a emmené au poste de police de Romelgrad et il a été détenu et battu pour avoir porté plainte. On l'a laissé à la décharge municipale. Le lendemain, M. Sokolov a été trouvé par une connaissance qui l'a ramené chez lui. Il a découvert que son restaurant avait été détruit. Son épouse et ses enfants étaient allés vivre chez la mère de celle-ci. M. Sokolov les a rejoints à la fin mars, et ils ont quitté la Bulgarie en juin 1999. Ils sont passés par le Mexique et les États-Unis avant d'arriver au Canada le 16 juin 1999 (dossier du demandeur, p. 8).

     Ainsi, la SSR a créé une situation anormale dans laquelle une évaluation défavorable relative à la crédibilité a été faite, mais ensuite une décision concernant le lien et la possibilité de la protection de l'État a été rendue, laquelle était fondée sur une partie des faits invoqués. La SSR a ensuite décidé que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention parce que la preuve documentaire déposée devant le tribunal ne [traduction] « soutenait pas, en général, la prétention selon laquelle une personne ayant le profil de M. Sokolov ou de l'un des membres de sa famille immédiate avait de bonne raisons de craindre d'être persécutée en Bulgarie pour l'un des motifs avancés » . Sur ce point, la SSR a également fait la déclaration suivante :


[traduction]

Bien qu'il y ait des rapports portant sur certaines pratiques discriminatoires continues et l'existence de sentiments anti-Turcs au sein des rangs des groupes nationalistes, il existe peu d'éléments de preuve de l'existence de ce genre de discrimination systématique et envahissante et de préjudice visant les personnes d'origine turque qui correspondrait à de la persécution. En effet, un rapport sur les droits de la personne indique la position du HCR à ce sujet de la façon suivante : « à la lumière des changements survenus dans le pays et de la protection offerte à ce groupe ethnique, le statut de réfugié ne peut être justifié sur la base d'une simple appartenance à ce groupe » (dossier du demandeur, p. 9).

     Les demandeurs soutiennent que la SSR a commis une erreur en n'examinant pas un grand nombre de facteurs qui auraient sans doute entraîné la formulation d'une conclusion de l'existence d'une persécution. À mon avis, cette position est bien fondée.

     Dans ses motifs, la SSR a commis une erreur dès le début en ne qualifiant pas correctement la nature de la revendication des demandeurs. Au lieu de reconnaître les motifs potentiels de l'origine ethnique et de l'opinion politique, la SSR a restreint la revendication à [traduction] « l'origine ethnique des demandeurs, à leur profil de gens d'affaires prospères et à leurs antécédents familiaux » .

     À mon avis, la SSR a simplifié à l'excès la cause des demandeurs et, en ce faisant, a commis une erreur de droit en n'abordant pas la question de savoir s'il y avait un lien avec le motif de l'opinion politique et a commis une erreur de fait en ne tenant pas compte de la preuve pertinente qui se trouvait devant elle.


     Le résumé des faits fourni dans les motifs de la SSR ne porte pas sur les cinq années au cours desquelles différents incidents de persécution se sont produits. En retirant le contexte dans lequel le harcèlement et la violence commis à l'endroit du demandeur principal avaient eu lieu, la SSR a mal qualifié le comportement des agents de police qui agissaient contre les demandeurs. La SSR a conclu que [traduction] « les actions de ces hommes représentaient des actions criminelles et corrompues commises par des personnes plutôt que de constituer de l'abus commis par des agents à l'égard de membres d'une minorité ethnique » .

     À mon avis, les documents contenus dans le dossier indiquent clairement que cette conclusion est manifestement déraisonnable. Le récit du demandeur principal souligne clairement l'existence d'un lien entre ses activités politiques, et même celles de son père avant lui, et la persécution et le harcèlement que lui a fait subir la police. Lorsque des incidents de harcèlement et de violence se sont produits, une référence précise a été faite à l'opinion politique et à l'origine ethnique du demandeur. En l'espèce, ces deux motifs sont inextricablement liés et constituent le fondement de la persécution. Comme l'avocat des demandeurs le soutient à juste titre, il est bien établi que la motivation mixte de persécution suffit si la motivation est en partie liée à un motif de la Convention (Cabarcas c. Canada (M.C.I.), [2002] CFPI 297).


     La SSR a présenté une brève version des faits de la cause des demandeurs et a omis ces éléments importants. Les incidents que la SSR mentionne sont présentés comme s'il étaient objectifs et isolés, alors qu'en réalité le demandeur principal a décrit une histoire détaillée portant sur la façon dont ils sont liés à son origine ethnique et à ses activités politiques. À mon avis, la décision de la SSR a été rendue sans que cette dernière ne tienne compte des documents qui avaient été déposés devant elle. En conséquence, la décision ne peut pas être maintenue.

ORDONNANCE

1. En conséquence, j'annule la décision de la SSR, et l'affaire est renvoyée à un tribunal différent de la SSR pour que celui-ci statue à nouveau sur l'affaire

                                                                           « Douglas R. Campbell »     

                                                                                                             Juge                       

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                    IMM-772-01

INTITULÉ :                              VALENTIN LAZAROV SOKOLOV

KREMENA KIRILOVA SOKOLOVA

VALENTIN VALENTINOV SOKOLOV

DENNIS VALENTINOV SOKOLOV

                                                                                                 demandeurs

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

L'IMMIGRATION

                                                                                                    défendeur    

DATE DE L'AUDIENCE :    LE MARDI 9 AVRIL 2002

LIEU DE L'AUDIENCE :      TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE :MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL

DATE DES MOTIFS :           LE MERCREDI 10 AVRIL 2002

COMPARUTIONS :

Micheal Crane                                                     POUR LES DEMANDEURS

Mielka Visnic                                                                     POUR LE DÉFENDEUR


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Micheal Crane                                                     POUR LES DEMANDEURS

Avocat

166, rue Pearl

Bureau 100

Toronto (Ontario)

M5H 1L3

Morris Rosenberg                                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


             COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                             Date : 20020410

                                                 Dossier : IMM-772-01

ENTRE :

VALENTIN LAZAROV SOKOLOV

KREMENA KIRILOVA SOKOLOVA

VALENTIN VALENTINOV SOKOLOV

DENNIS VALENTINOV SOKOLOV

                                                                     demandeurs

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                        défendeur

                                                                                                                   

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

                                                                                                                   

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