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Date : 20200824


Dossier : IMM‑5592‑19

Référence : 2020 CF 849

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 24 août 2020

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

UFUOMA UWEJEYAH

ODUWA DORAH AKENUWA

AISOSA FREIDA AKENUWA

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du 15 août 2019, par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a rejeté l’appel et a confirmé, au titre du paragraphe 111(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR], selon laquelle les demanderesses n’avaient ni la qualité de réfugiées au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger.

[2]  La demanderesse principale, Ufuoma Uwejeyah, et ses deux (2) filles mineures sont des citoyennes du Nigéria. Elles sont arrivées au Canada en décembre 2014 et ont demandé l’asile. Leurs demandes d’asile sont fondées sur la crainte de la demanderesse principale que ses filles soient forcées de subir une mutilation génitale féminine [MGF]. Elle soutient que sa fille aînée était décédée après que la famille de son époux l’eut forcée à subir une MGF.

[3]  Le 17 mars 2015, la SPR avait rejeté les demandes, mais la décision avait ensuite été annulée par la SAR et renvoyée à la SPR avec des directives. Les demandes d’asile des demanderesses avaient été rejetées une deuxième fois par la SPR le 26 avril 2018. La question déterminante pour la SPR avait été la crédibilité de la demanderesse principale.

[4]  Les demanderesses ont interjeté appel de la décision devant la SAR. Comme la SPR, la SAR a conclu que la demanderesse principale n’avait pas été un témoin crédible et qu’elle n’avait fourni aucun élément de preuve digne de foi et adéquat pour établir ses allégations.

[5]  Dans leur demande de contrôle judiciaire, les demanderesses soutiennent que la SAR a commis une erreur dans son appréciation de la crédibilité de la demanderesse principale. Elles affirment également que la SAR n’a pas effectué une analyse indépendante de leurs demandes.

II.  Analyse

[6]  La norme de contrôle applicable aux décisions de la SAR portant sur la crédibilité et l’appréciation de la preuve est la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 143 [Vavilov]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 au para 35; Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732 (QL) au para 4 (CA)).

[7]  Lorsque la norme de la décision raisonnable s’applique, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov au para 100). La cour de révision doit porter son attention à « la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision » (Vavilov au para 83), pour déterminer si la décision est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov au para 85). Il faut accorder une attention particulière aux motifs écrits du décideur et les interpréter de façon globale et contextuelle (Vavilov au para 97). Il ne s’agit pas d’une « chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » (Vavilov au para 102). Si « la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci », il n’appartient pas à la cour de révision de substituer le résultat qu’elle préférerait (Vavilov au para 99).

A.  La première question en litige : la crédibilité de la demanderesse principale

[8]  Les demanderesses font valoir que la SAR a commis une erreur susceptible de contrôle en concluant que la crédibilité de la demanderesse principale avait été mise en doute par le fait qu’elle n’avait pas mentionné, dans l’exposé circonstancié de son formulaire Fondement de la demande d’asile [FDA], la menace de mort reçue de la part de l’oncle de son époux, ni la date de la mort de sa fille aînée. Les demanderesses soutiennent également que la conclusion de la SAR concernant l’affidavit de l’époux de la demanderesse principale était fondée sur des soupçons et, par conséquent, spéculative.

(1)  L’omission de la menace de mort dans l’exposé circonstancié du formulaire FDA

[9]  La demanderesse principale avait affirmé dans l’exposé circonstancié de son formulaire FDA que le 28 septembre 2014, après s’être enfuie dans une autre ville, elle avait vu l’oncle de son époux qui lui avait demandé si elle y vivait. Elle avait écrit qu’il avait commencé à l’insulter et avait fait savoir qu’il révélerait où elle se trouvait. Toutefois, dans son témoignage devant la SPR, elle avait ajouté que l’oncle avait aussi menacé de la tuer si elle refusait de lui dire où elle demeurait avec ses enfants. Lorsqu’on lui avait demandé pourquoi elle avait omis de mentionner la menace de mort directe et le nom de l’oncle dans l’exposé circonstancié de son formulaire FDA, la demanderesse principale avait répondu qu’elle ne savait pas qu’elle devait inclure les détails sur les menaces ou les faits importants relatifs à ses allégations.

[10]  La SAR a convenu avec la SPR que l’explication de la demanderesse principale pour justifier l’omission de cette information n’avait pas été crédible. La SAR a souligné qu’il est clairement précisé dans le formulaire FDA que les demandeurs doivent fournir tous les éléments pouvant être importants pour leurs demandes, y compris les dates, les noms et les lieux. La demanderesse principale avait signé la Déclaration A du formulaire FDA, indiquant que le formulaire était complet, vrai et exact, qu’elle savait lire l’anglais et qu’elle était en mesure de bien lire et de bien comprendre le contenu du formulaire et de l’exposé circonstancié qui y était joint. Compte tenu de la gravité de la menace, la SAR était d’avis qu’une personne exposée à la persécution qu’avait alléguée la demanderesse principale aurait mentionné la menace de mort directe dans l’exposé circonstancié de son formulaire FDA.

[11]  Les demanderesses soutiennent qu’il était déraisonnable pour la SAR de conclure que le fait d’avoir omis de mentionner la menace de mort dans l’exposé circonstancié du formulaire FDA avait miné la crédibilité de la demanderesse principale. Elles font valoir que l’omission n’avait pas été importante ni cruciale à leurs demandes, qui étaient fondées sur la menace de MGF.

[12]  Je ne suis pas d’accord.

[13]  La menace alléguée était une partie importante et cruciale de leurs demandes, parce qu’elle démontrait la détermination de la famille de l’époux de la demanderesse principale à faire subir la MGF aux filles et jusqu’où elle aurait été pour le faire. La menace établissait aussi le fondement de la crainte de la demanderesse principale. Les demanderesses ne m’ont pas convaincue que l’analyse et la conclusion de SAR étaient déraisonnables.

(2)  La date de la mort de la première fille

[14]  Les demanderesses soutiennent que la SAR a commis une erreur en soulignant que la demanderesse principale n’avait pas inscrit la date de la mort de sa première fille dans l’exposé circonstancié de son formulaire FDA et en jugeant que la fille n’était pas décédée à la suite d’une MGF. Elles affirment que les détails concernant la mort de la première fille avaient été inclus dans la section 5 du formulaire FDA, dans laquelle les demandeurs doivent nommer tous les membres de leur famille, vivants ou décédés. Les dates de naissance et de décès de la fille avaient été clairement indiquées, ce qui contredisait les conclusions de la SAR. De plus, l’exposé circonstancié du formulaire FDA et le certificat de décès avaient fourni les détails sur les circonstances entourant sa mort, y compris le lieu, l’âge et la date.

[15]  Je conviens que la date de la mort de la fille figurait ailleurs dans le formulaire FDA de la demanderesse principale et dans les éléments de preuve présentés par les demanderesses. Toutefois, la déclaration de la SAR doit être examinée dans son contexte approprié.

[16]  Dans sa décision, la SPR avait conclu que l’exposé circonstancié de la demanderesse principale avait manqué de détails sur les questions importantes qui étaient au cœur de la demande d’asile. La SPR avait souligné quelques exemples, y compris le fait que la demanderesse principale avait fourni très peu de dates dans son exposé circonstancié, comme la date de la mort de sa fille et les dates auxquelles elle avait déménagé. Lorsqu’on lui avait demandé pourquoi il en avait été ainsi, la demanderesse avait indiqué qu’elle ignorait qu’il y avait un tel besoin de détails. La SPR avait rejeté l’explication de la demanderesse principale et fait remarquer que la question 2a) du formulaire FDA précisait l’exigence de fournir des explications détaillées, y compris les dates, les noms et les lieux. La SPR avait également relevé que la demanderesse principale était représentée par un conseil compétent et chevronné.

[17]  En appel, la SAR a examiné l’argument de la demanderesse principale voulant que le conseil eût omis de l’informer de la nécessité de fournir cette information et que la SPR eût commis une erreur en la tenant responsable de la négligence de son conseil. La SAR a conclu que l’explication de la demanderesse principale concernant le manque de détails dans l’exposé circonstancié n’avait pas été crédible et a constaté qu’elle avait signé son formulaire FDA, ce qui indiquait qu’elle avait compris l’anglais et les directives. La SAR a aussi jugé que la demanderesse principale avait fourni un témoignage extrêmement vague et changeant au sujet de la mort alléguée de sa fille. Après avoir examiné les incohérences découlant des renseignements dans le certificat de décès de la fille, la SAR a conclu que le témoignage de la demanderesse principale concernant la mort de la fille avait manqué de crédibilité et que, par conséquent, la demanderesse principale n’avait pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que sa fille aînée était décédée d’une MGF, comme les demanderesses l’avaient allégué.

[18]  Après avoir examiné le dossier, je suis convaincue que ni la SAR ni la SPR n’ont commis d’erreur susceptible de contrôle en affirmant que la date de la mort de la fille n’avait pas été incluse dans l’exposé circonstancié de la demanderesse principale. Lus dans leur ensemble, les motifs de la SPR et de la SAR démontrent clairement que la question repose sur le manque de détails dans l’exposé circonstancié. L’explication de la demanderesse principale pour justifier le manque de détails n’avait pas convaincu la SAR, et il était raisonnablement loisible à cette dernière d’avoir des doutes concernant la cause de la mort de la fille aînée. Les demanderesses ne m’ont pas convaincue que l’analyse et la conclusion de la SAR étaient déraisonnables.

(3)  L’affidavit de l’époux

[19]  La SPR avait jugé que les similitudes entre l’exposé circonstancié dans le formulaire FDA de la demanderesse principale et l’affidavit de son époux avaient été telles qu’ils avaient probablement été rédigés par la même personne. La SAR a examiné et comparé les deux documents, et a souligné que plusieurs paragraphes de l’énoncé circonstancié et de l’affidavit comportaient des passages paraphrasés extrêmement similaires. La SAR a ensuite noté que, selon le témoignage de la demanderesse principale : (1) elle n’avait jamais donné de directives à son époux sur ce qu’il avait dû inclure dans son affidavit; (2) elle n’avait pas fourni une copie de l’exposé circonstancié écrit de son formulaire FDA à son époux; (3) elle avait rédigé l’exposé circonstancié avant que ne soit rédigé l’affidavit de son époux; (4) l’affidavit de l’époux avait été rédigé de façon indépendante. Compte tenu des nombreuses similitudes entre les deux (2) documents, la SAR a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, l’affirmation de la demanderesse principale selon laquelle les documents avaient été rédigés de façon indépendante n’avait pas été crédible. Ensuite, en réponse à un argument qu’avaient soulevé les demanderesses dans leur mémoire d’appel, la SAR a jugé que la SPR n’avait pas fait preuve de partialité lorsqu’elle avait tenu compte de l’accessibilité de documents frauduleux au Nigéria, puisque cette question avait été un facteur pertinent au moment d’apprécier la probabilité que l’affidavit n’eût pas été authentique.

[20]  J’ai examiné l’exposé circonstancié du formulaire FDA et l’affidavit de l’époux de la demanderesse principale. Je conviens que les deux documents contiennent de nombreux passages paraphrasés de façon similaire et qu’ils sont rédigés dans le même ordre. Compte tenu du témoignage de la demanderesse principale selon lequel les deux documents avaient été rédigés de façon indépendante, je suis convaincue qu’il était raisonnablement loisible à la SAR de juger que le témoignage de la demanderesse principale voulant que les documents aient été rédigés de façon indépendante n’avait pas été crédible. Les demanderesses ne m’ont pas convaincue que l’analyse et la conclusion de la SAR sur cette question étaient déraisonnables.

B.  La deuxième question en litige : l’appréciation indépendante de la SAR

[21]  La deuxième question que soulèvent les demanderesses dans leur demande de contrôle judiciaire est aussi infondée. Elles affirment que la SAR a commis une erreur en s’appuyant sur les conclusions de la SPR quant à la crédibilité sans procéder à une appréciation indépendante de leurs demandes. Les motifs de la SAR démontrent clairement le contraire. Je suis convaincue que la SAR a effectué une appréciation indépendante comme elle le devait et qu’elle a tiré ses propres conclusions quant à la preuve des demanderesses et à la crédibilité de la demanderesse principale. Les demanderesses n’ont pas relevé d’erreur susceptible de contrôle dans la décision de la SAR.

III.  Conclusion

[22]  En terminant, je suis convaincue que, lorsqu’elle est lue de façon globale et contextuelle, la décision de la SAR répond à la norme de la décision raisonnable énoncée dans l’arrêt Vavilov. La décision est fondée sur des motifs intrinsèquement cohérents et est justifiée au regard des faits pertinents et du droit applicable. Les motifs sont aussi transparents et intelligibles. Les demanderesses demandent essentiellement à la Cour de soupeser à nouveau la preuve et d’arriver à une conclusion différente. Ce n’est pas le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire (Vavilov au para 125).

[23]  Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Aucune question de portée générale n’a été proposée aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑5592‑19

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B., juriste‑traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑5592‑19

INTITULÉ :

UFUOMA UWEJEYAH ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE TORONTO (ONTARIO) ET OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 AOÛT 2020

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 24 AOÛT 2020

COMPARUTIONS :

Ugo Udogu

POUR LES DEMANDERESSES

Alex Kam

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Law Office of Ugo Udogu

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDERESSES

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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