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Date : 20200922


Dossier : IMM-4518-19

Référence : 2020 CF 920

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 22 septembre 2020

En présence de monsieur le juge Pamel

ENTRE :

DEMAR LYNFORD DWYER

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, M. Demar Lynford Dwyer, sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 30 mai 2019 par laquelle la Section d’appel de l’immigration [la SAI] a rejeté, sur le fondement du principe de la chose jugée, sa deuxième demande visant à rouvrir l’appel de la mesure de renvoi prise contre lui. Le désistement de l’appel initial interjeté par M. Dwyer à l’encontre de la mesure de renvoi a été prononcé le 2 novembre 2015, et sa première demande visant à rouvrir son appel a été rejetée par la SAI le 6 décembre 2016.

[2]  La présente affaire a été instruite conjointement avec l’affaire portant le numéro de dossier IMM‑2028‑19, dans laquelle M. Dwyer sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 4 avril 2019 par laquelle l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] a rejeté sa demande visant à reporter son renvoi du Canada.

[3]  Pour les motifs qui suivent, je rejette la demande de contrôle judiciaire de M. Dwyer.

I.  Contexte

A.  Faits

[4]  M. Dwyer est un citoyen de la Jamaïque. Il est arrivé au Canada en décembre 2000 à l’âge de 14 ans, ayant été parrainé à titre de résident permanent par sa mère. Les faits de la présente affaire ont été exposés en détail dans le dossier IMM‑2028‑19. Je rappellerai uniquement les faits suivants, qui présentent un intérêt en l’espèce :

  • Mars 2006 – À l’âge de 20 ans, M. Dwyer a été accusé de tentative de meurtre et a plaidé coupable de l’infraction moindre et incluse de voies de fait graves en octobre 2006.

  • Décembre 2006 – En raison de sa déclaration de culpabilité prononcée en octobre 2006, M. Dwyer a été déclaré interdit de territoire au Canada pour grande criminalité et une mesure d’expulsion a été prise contre lui; il était tenu de signaler tout changement d’adresse domiciliaire. Il a interjeté appel de cette décision auprès de la Section d’appel de l’immigration.

  • Octobre 2014 – Après plusieurs années au cours desquelles il a été sursis à l’appel de la mesure d’expulsion pour permettre à M. Dwyer de faire face aux différentes accusations criminelles portées contre lui ainsi qu’aux procès à venir, la SAI a une fois de plus prolongé le sursis de son appel pour une année supplémentaire. L’adresse de M. Dwyer qui figurait au dossier de la SAI à l’époque était le 746, avenue Midland, app. 115, à Toronto.

  • 18 mars 2015 et 16 septembre 2015 – M. Dwyer s’est présenté au Centre de contrôle – cautionnements de l’ASFC comme il était tenu de le faire conformément aux conditions qui lui avaient été imposées. Les deux fois, il a indiqué que son adresse domiciliaire était le 141, avenue Stephenson, unité 19, à Toronto.

  • 18 septembre 2015 – La SAI a envoyé à M. Dwyer un avis de convocation à une audience fixée le 9 octobre 2015 concernant le réexamen de sa demande de sursis. L’avis d’audience avait été envoyé à la plus récente adresse qu’il avait fournie à la SAI, à savoir le 756, avenue Midland, app. 115, à Toronto, ainsi qu’à son avocat. L’avis qui a été envoyé à son adresse domiciliaire a été retourné avec la mention « non livré ».

  • 2 octobre 2015 – L’avocat de M. Dwyer a envoyé à la SAI une lettre accusant réception de l’avis de convocation, mais indiquant qu’il n’avait pas été en mesure de rejoindre M. Dwyer ou sa mère aux numéros de téléphone qui étaient inscrits au dossier, puisque ces numéros n’étaient pas [traduction« accessibles ». Ce que j’ai compris lors de l’audience, et que la SAI ignorait à ce moment‑là, c’est que soit M. Dwyer se trouvait en prison lorsqu’elle a envoyé l’avis de convocation le 9 octobre 2015, soit il était en train de déménager, ce qui expliquerait pourquoi il n’a pas reçu l’avis de la SAI.

  • 2 novembre 2015 – Quoi qu’il en soit, la SAI a prononcé le désistement de l’appel de M. Dwyer en vertu du paragraphe 168(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. L’avis de la décision a été envoyé à l’adresse de M. Dwyer sur l’avenue Midland, mais il a été retourné avec la mention « non livré ».

  • 30 septembre 2016 – Près d’un an plus tard, M. Dwyer a demandé la réouverture de son appel devant la SAI.

  • 6 décembre 2016 – La SAI a rejeté la demande de M. Dwyer visant à rouvrir son appel au motif qu’il n’avait pas mis à jour son adresse domiciliaire. La SAI a également conclu qu’elle n’avait pas manqué à un principe de justice naturelle en prononçant le désistement de l’appel et, par conséquent, aucun motif ne justifiait la réouverture de l’appel aux termes de l’article 71 de la LIPR. La demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision a été rejetée par la Cour le 13 avril 2017.

  • 24 avril 2019 – Deux ans plus tard, M. Dwyer a déposé une deuxième demande visant à rouvrir son appel en invoquant principalement des motifs similaires à ceux soulevés lors de sa première demande.

  • 30 mai 2019 – La SAI a rejeté la demande de réouverture sur le fondement du principe de la chose jugée. Cette décision fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

II.  Décision de la SAI

[5]  Dans sa décision, la SAI a brièvement résumé les antécédents de M. Dwyer en matière d’immigration et a souligné que, le 30 septembre 2016, celui‑ci a présenté une demande visant à rouvrir son appel, dont le désistement avait été prononcé aux termes de l’article 71 de la LIPR.

[6]  La SAI a conclu que la décision de rejeter la première demande de M. Dwyer visant à rouvrir son appel n’avait pas été modifiée par la Cour lors du contrôle judiciaire, ce qui a mené la SAI à conclure qu’aucune erreur susceptible de contrôle n’avait été commise dans cette décision antérieure.

[7]  Dans le cadre de sa deuxième demande visant à rouvrir son appel, M. Dwyer a joint un affidavit identique sur le fond à celui qu’il avait présenté à l’appui de sa demande précédente. La SAI a conclu que, puisque M. Dwyer n’avait soulevé aucune question qui l’amènerait à douter de l’application du principe de la chose jugée, elle a, sur requête du ministre, rejeté sa deuxième demande de réouverture de l’appel sur le fondement du principe de la chose jugée.

III.  Cadre législatif applicable

[8]  L’article 71 et le paragraphe 168(1) de la LIPR s’appliquent en l’espèce :

Réouverture de l’appel

 

Reopening appeal

 

71 L’étranger qui n’a pas quitté le Canada à la suite de la mesure de renvoi peut demander la réouverture de l’appel sur preuve de manquement à un principe de justice naturelle.

71 The Immigration Appeal Division, on application by a foreign national who has not left Canada under a removal order, may reopen an appeal if it is satisfied that it failed to observe a principle of natural justice.

 

[…]

[…]

 

Désistement

Abandonment of proceeding

 

168(1) Chacune des sections peut prononcer le désistement dans l’affaire dont elle est saisie si elle estime que l’intéressé omet de poursuivre l’affaire, notamment par défaut de comparution, de fournir les renseignements qu’elle peut requérir ou de donner suite à ses demandes de communication.

 

168(1) A Division may determine that a proceeding before it has been abandoned if the Division is of the opinion that the applicant is in default in the proceedings, including by failing to appear for a hearing, to provide information required by the Division or to communicate with the Division on being requested to do so.

[Je souligne.]

[Emphasis added.]

 

IV.  Questions en litige

[9]  M. Dwyer soumet les questions suivantes à l’examen de la Cour :

  • La SAI a‑t‑elle manqué à son droit à l’équité procédurale?

  • La SAI a‑t‑elle mal évalué les documents dont elle disposait?

  • La SAI a‑t‑elle omis de procéder à une analyse fondée sur l’article 97 de la LIPR?

V.  Norme de contrôle

[10]  Les questions de savoir si le principe de la chose jugée s’applique à une demande de réouverture d’un appel interjeté auprès de la SAI, si les conditions préalables à l’application du principe de la chose jugée et à celui de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée sont remplies, et s’il y a eu un manquement à un principe de justice naturelle doivent être tranchées selon la norme de la décision correcte (Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Philistin, 2014 CF 762, aux para 15‑16; Ratnasingam c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2007 CF 1096, aux paras 12‑13 [Ratnasingam]).

[11]  En revanche, la question de savoir si des circonstances particulières justifient une dérogation au principe de la chose jugée et à celui de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée commande une certaine discrétion et est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Ratnasingam, au para 13).

VI.  Analyse

[12]  Le principe de la chose jugée empêche les parties de soumettre à nouveau aux tribunaux une question qui a fait l’objet d’un jugement définitif à leur égard (Régie des rentes du Québec c Canada Bread Company Ltd, 2013 CSC 46, [2013] 3 RCS 125, au para 24). Le raisonnement sous‑jacent au principe de la chose jugée et à celui de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée est énoncé à l’arrêt Danyluk c Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44, [2001] 2 RCS 460, aux paras 18, 21 et 25 [Danyluk]. En particulier, « le droit tend à juste titre à assurer le caractère définitif des instances » (Danyluk, au para 18).

[13]  Les trois conditions préalables à l’application du principe de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, un volet du principe de l’autorité de la chose jugée, sont énoncées au paragraphe 25 de l’arrêt Danyluk :

  1. que la même question ait été décidée;

  2. que la décision judiciaire invoquée comme créant la [préclusion] soit finale; et

  3. que les parties dans la décision judiciaire invoquée, ou leurs ayants droit, soient les mêmes que les parties engagées dans l’affaire où la [préclusion] est soulevée, ou leurs ayants droit.

[14]  Pour savoir si la préclusion découlant d’une question déjà tranchée s’applique, il faut effectuer une analyse à deux volets (Danyluk, au para 33) :

Les règles régissant la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne doivent pas être appliquées machinalement. L’objectif fondamental est d’établir l’équilibre entre l’intérêt public qui consiste à assurer le caractère définitif des litiges et l’autre intérêt public qui est d’assurer que, dans une affaire donnée, justice soit rendue. […] Il s’agit, au cours de la première étape, de déterminer si le requérant […] a établi l’existence des conditions d’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée énoncées par le juge Dickson dans l’arrêt Angle, précité. Dans l’affirmative, la cour doit ensuite se demander, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, si cette forme de préclusion devrait être appliquée […]

[15]  M. Dwyer soutient que la SAI a fait abstraction de la preuve en rendant sa décision. Cependant, aucune nouvelle preuve claire et convaincante qui aurait pu être ignorée par la SAI n’a été présentée devant cette dernière.

[16]  Le ministre soutient que, peu importe la raison, M. Dwyer n’a simplement pas signalé son changement d’adresse à la SAI, ce qui a fait en sorte qu’il n’a peut‑être pas reçu l’avis de convocation qu’elle lui avait envoyé. Je suis d’accord.

[17]  Après avoir examiné l’affaire, je conclus que la même question qui avait été soulevée lors de la première demande de réouverture de l’appel interjeté devant la SAI a été soulevée de nouveau dans le cadre de la deuxième demande de M. Dwyer. La première décision relative à la réouverture de l’appel était définitive et l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire a été rejetée. Les mêmes parties étaient représentées dans les deux demandes de réouverture. Étant donné que les conditions préalables à l’application du principe de la chose jugée ont été remplies, le principe est présumé s’appliquer en l’espèce.

[18]  Puisque la SAI a statué, lors de la première demande de M. Dwyer visant à rouvrir son appel, qu’elle n’avait pas manqué à l’équité procédurale en rendant sa décision de rejeter la demande, et puisque la Cour a refusé à M. Dwyer l’autorisation de présenter une demande de  contrôle judiciaire de cette décision, on doit tenir pour acquis que la SAI n’a pas manqué à un principe de justice naturelle en prononçant le désistement de l’appel de M. Dwyer.

[19]  Toute tentative de faire rouvrir cette question sur la foi des mêmes documents et d’arguments similaires à ceux qui ont été présentés lors de la première demande devrait être rejetée sommairement suivant le principe de la chose jugée, puisqu’il s’agit d’une tentative par M. Dwyer de faire réexaminer une question ayant déjà été tranchée par la SAI, puis maintenue par la Cour, dans le cadre d’une demande antérieure.

[20]  En outre, je conclus que M. Dwyer ne m’a pas démontré que l’affaire présente des circonstances particulières qui expliqueraient pourquoi le principe de la chose jugée ne devrait pas s’appliquer à la deuxième demande de réouverture de son appel devant la SAI.

VII.  Conclusion

[21]  Je ne suis pas convaincu que la SAI a commis une erreur susceptible de contrôle dans sa décision. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4518-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Peter G. Pamel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4518-19

 

INTITULÉ :

DEMAR LYNFORD DWYER c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE montréal (quÉbec) ET Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 AOÛT 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PAMEL

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 22 SEPTEMBRE 2020

 

COMPARUTIONS :

Demar Lynford Dwyer

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Nicole Rahaman

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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