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Date : 20201215


Dossier : T-1678-19

Référence : 2020 CF 1155

Ottawa, Ontario, le 15 décembre 2020

En présence de monsieur le juge Pamel

ENTRE :

GABRIEL BOND-CASTELLI

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Le demandeur, Capitaine Gabriel Bond-Castelli, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision de l’autorité de dernière instance [ADI] rendue le 26 septembre 2019 par le lieutenant-général W.D. Eyre, intervenant en tant qu’autorité de dernière instance en matière de griefs selon les pouvoirs délégués par le Chef d’état-major de la défense, rejetant le grief du Capitaine Gabriel Bond-Castelli dirigé contre les Forces armées canadiennes [FAC].

[2]  Le grief du capitaine Bond-Castelli est fondé sur la thèse portant qu’il aurait dû obtenir une promotion au grade de lieutenant en 2014 et qu’il aurait dû obtenir un grade supérieur, soit de lieutenant, lorsqu’il a réintégré les FAC en 2016.

[3]  Pour les motifs qui suivent, je rejette la présente demande de contrôle judiciaire. Brièvement, le capitaine Bond-Castelli soutient qu’une qualification fait droit à une promotion, et, vu sa formation, qu’il avait toutes les qualifications pour le grade de lieutenant; il était donc en droit d’attendre une promotion à ce grade. Je n’ai pas été convaincu par cet argument.

II.  Faits

[4]  Le 19 janvier 2013, le capitaine Bond-Castelli s’est enrôlé dans la Première réserve des FAC en tant qu’officier d’artillerie dans le cadre du programme d’intégration de la réserve pour officiers. Il est promu au grade de sous-lieutenant le 8 décembre 2013 après avoir complété la qualification militaire de base des officiers.

[5]  Le 8 août 2014, le capitaine Bond-Castelli a complété le cours de commandant de troupe d’artillerie au centre d’instruction au combat à Gagetown, au Nouveau-Brunswick, et s’est vu affecté au poste de commandant de troupe jusqu’à la fin novembre 2014. Le fait qu’il avait complété son cours de commandant de troupe a permis au capitaine Bond-Castelli d’entrer dans la zone de promotion pour le grade de lieutenant.

[6]  Capitaine Bond-Castelli a reçu un rapport de rendement positif; notamment, au cours de la période d’évaluation, soit entre le 1er septembre 2013 et le 13 mai 2014, le capitaine Bond-Castelli « a démontré du leadership lors de l’exécution de ses tâches », et qu’il « s’est avéré un officier fiable. Il s’est présenté tous les mardis soirs ainsi qu’aux entrainements régimentaires » et qu’il « s’est avéré un agent de changement ».

[7]  Jusqu’à ce point, rien n’indiquait que le capitaine Bond-Castelli n’était pas considéré comme un leader en voie de promotion au grade de lieutenant au sein de l’armée.

[8]  Il semblerait qu’au printemps 2014, les FAC réduisaient ses effectifs en ce qui concerne l’unité du capitaine Bond-Castelli, et qu’une telle réduction se poursuivrait au moins jusqu’en mai 2015. Le capitaine Bond-Castelli était moins présent dans son unité à partir de l’automne 2014, mais attribue son manque de disponibilité à ce que les FAC avaient réduit le personnel requis à l’entrainement; par conséquent, ses heures ont été considérablement réduites.

[9]  Ayant eu le sentiment d’être moins utile en raison de la réduction de ses heures de travail, et ayant besoin de mieux assurer ses revenus, le capitaine Bond-Castelli a donc trouvé un nouvel emploi. Cela peut expliquer un éventuel manque de motivation de sa part durant cette période. Quoi qu’il en soit, en raison de la baisse des heures de travail qu’il pouvait espérer avec son unité, le capitaine Bond-Castelli a demandé sa libération des FAC en novembre 2014, et, au mois de juin 2015, il a été libéré officiellement.

[10]  Capitaine Bond-Castelli se pensait admissible à la promotion au grade de lieutenant avant sa libération puisqu’il avait complété la formation requise et que les officiers ayant réussi la formation nécessaire en même temps que lui ont tous reçu leur promotion entre les mois de décembre 2014 et août 2015. Cependant, il n’a pas déposé de grief au sujet de sa non-promotion à l’époque. Il se peut que le capitaine Bond-Castelli ait été déterminé à quitter les FAC et à ne pas revenir, et qu’il n’ait donc pas jugé nécessaire de le faire.

[11]  À peu près un an plus tard, soit le 26 juillet 2016, ayant fait sa demande de réenrôlement, le capitaine Bond-Castelli a été réintégré à la Première réserve des FAC au grade de sous-lieutenant, mais affecté à un autre groupe professionnel militaire [GPM], soit à titre d’officier de la logistique. Il s’est vu accorder certaines équivalences au moment de son réenrôlement sur la base de son service antérieur.

[12]  Le 18 octobre 2016, il a présenté le grief à l’origine de la présente procédure à l’autorité de première instance [AI]; le capitaine Bond-Castelli soutenait (1) qu’il aurait dû être promu au grade de lieutenant avant son départ des FAC en 2015 avec ajustement de revenu rétroactif au 8 août 2014 lorsqu’il avait terminé son cours de commandant de troupe d’artillerie [situation de 2014], et (2) qu’il aurait également dû se voir admis à ce même grade, soit celui de lieutenant, lors de son réenrôlement en juillet 2016 [situation de 2016].

[13]  Le 3 avril 2017, l’AI a accueilli en partie le grief du Capitaine Bond-Castelli. Concernant la situation de 2014, l’AI lui a accordé la promotion au grade de lieutenant à compter du 8 août 2014, donnant ainsi au capitaine Bond-Castelli le bénéfice de doute quant à sa situation en 2014. D’après ce dernier, il méritait la promotion, car il n’y avait dans ses états de service aucun élément en 2014 portant « non-recommandation » à la promotion ou aucun mauvais rapport de rendement; par conséquent, sa promotion aurait dû être automatique.

[14]  Toutefois, le AI n’a pas donné raison au capitaine Bond-Castelli relativement à son grief concernant la situation de 2016, et a maintenu son grade de sous-lieutenant lors de son réenrôlement en 2016.

[15]  Insatisfait de l'issue de son grief, le 6 avril 2017, le capitaine Bond-Castelli a attaqué cette décision devant l’ADI. Conformément aux règlements applicables, le grief du capitaine Bond-Castelli a fait l’objet d’un renvoi discrétionnaire devant le Comité externe d’examen des griefs militaires [Comité] afin que soit effectuée une analyse indépendante de celui-ci et que soient présentées des conclusions et recommandations pour examen par l’ADI. Celles-ci ont été communiquées au capitaine Bond-Castelli le 13 octobre 2017, qui a produit des observations écrites relativement à ces conclusions et recommandation trois jours plus tard.

[16]  Le 14 février 2018, l’ADI (le lieutenant-général P.F. Wynnyk) a infirmé la décision de l’AI et a rejeté en totalité son grief.

[17]  Le 29 mars 2018, le capitaine Bond-Castelli a déposé devant notre Cour une demande de contrôle judiciaire dirigée contre la décision de l’ADI. Sur requête du défendeur, le ministère de la Défense nationale [Ministre], notre Cour a annulé la décision attaquée et a renvoyé le grief du capitaine Bond-Castelli devant l’ADI, apparemment au motif que le décideur s’était fondé par erreur sur une politique qui n’était pas en vigueur le 8 août 2014.

[18]  L’ADI a dû réexaminer sur le fond la question de savoir si le capitaine Bond-Castelli était admissible au grade de lieutenant en août 2014 et suivant son réenrôlement en juillet 2016.

[19]  Le 26 septembre 2019, l’ADI (le lieutenant-général W.D. Eyre) a rejeté de nouveau le grief du capitaine Bond-Castelli. Au sujet de la situation de 2014, l’ADI a conclu que le capitaine Bond-Castelli ne satisfaisait pas à deux critères nécessaires pour l’obtention d’une promotion à l’époque, soit la recommandation de son commandant et le manque de disponibilité jusqu'à sa libération des FAC en 2015. L’ADI a noté que le commandant sous les ordres duquel se trouvait le capitaine Bond-Castelli à l’époque ne recommandait pas sa promotion au grade de lieutenant puisque sa motivation et son engagement envers son unité « avaient drastiquement changé à cette période » et que le capitaine Bond-Castelli « était moins disponible qu’il était auparavant » et qu’il était « plus difficile à rejoindre. »

[20]  Concernant la situation de 2016, l’ADI a noté que le capitaine Bond-Castelli n’avait pas les qualifications nécessaires dans le cadre de son nouveau GPM pour obtenir le grade de lieutenant lors de son réenrôlement au FAC en 2016, et qu’aucun élément dans son dossier ne justifiait qu’il soit traité comme un cas spécial.

[21]  Le 15 octobre 2019, le capitaine Bond-Castelli a déposé devant notre Cour une demande de contrôle judiciaire visant cette décision. C’est de cette demande dont je suis saisi aujourd’hui.

[22]  Devant moi, le capitaine Bond-Castelli soutient que la décision de l’ADI est entièrement fondée sur les témoignages de son ancien commandant portant qu'il « évolue dans le temps », et donc que cette décision est déraisonnable. Il soutient qu’il y a une atteinte contre lui et il veut rétablir son intégrité en tant que travailleur.

[23]  Le capitaine Bond-Castelli dit avoir perdu des possibilités d’emploi et de formation depuis 2016 qui ont une valeur inestimable pour un militaire de carrière – il n’a pu suivre certains des cours pour lesquels il n’était pas admissible vu qu’il n’avait pas eu la promotion qui aurait dû lui être accordée normalement.

[24]  Le capitaine Bond-Castelli prétend en outre que la décision n’a pas été impartiale car elle était fondée sur un raisonnement déficient, biaisé et illogique sur le plan de l’application des politiques des FAC.

[25]  Bref, le capitaine Bond-Castelli soutient que, par sa décision, l’ADI s’en prend directement à son intégrité et sa fiabilité, notamment vu qu’elle s’est fondée sur les courriels de son ancien commandant, lesquels ne prenaient pas en considération les faits concrets, ce qui a donné lieu à un décalage, vu que les circonstances en 2014 n’ont jamais changé par la suite.

III.  Question en litige

[26]  Le rejet par l’ADI du grief du demandeur était-il raisonnable?

IV.  Le droit

[27]  Les conditions à remplir pour obtenir une promotion selon le paragraphe 8 de l’Ordre administratif des Forces canadiennes [OAFC] 49-12 – Ligne de conduite sur les promotions – Officiers de la Première réserve, tel que modifié par le paragraphe 5 du CANFORGEN 087/06 sont les suivantes :

i.  satisfaire aux normes opérationnelles minimales liées à l’universalité du service énoncées dans la DOAD 5023-1, lequel inclut l’atteinte des normes d’aptitude physique applicables;

ii.  être dans la zone de promotion (voir les par. 9 et 11);

iii.  avoir obtenu les qualifications voulues et avoir montré que l’on possède les compétences et les connaissances requises pour remplir les fonctions et accomplir les tâches de sa classification;

iv.  avoir été jugé, sur les plans de l’expérience et des aptitudes, admissible au grade immédiatement supérieur;

v.  avoir été recommandé par son commandant;

vi.  être disponible pour remplir, dans le poste vacant concerné, les fonctions qui incombent à un officier du grade immédiatement supérieur;

vii. satisfaire aux normes médicales minimales exigées dans sa classification, conformément aux dispositions du document A-MD-154-000/FP-000, Normes médicales applicables aux Forces canadiennes ou faire l’objet d’une recommandation de maintien en fonction sans restrictions à la suite d’un examen administratif (contraintes à l’emploi pour raisons médicales) ».

[Je souligne.]

[28]  En matière de réenrôlement, la disposition pertinente est la suivante : OAFC 49-10, Appendice 4, Annexe A (enrôlement des candidats ayant déjà servi à titre d’officier), paragraphe 9(b) :

9(b) un commandant de secteur, s’il en a reçu l’autorisation du chef de commandement, peut autoriser le réenrôlement d’un candidat, avec promotion immédiate au grade de major ou à un grade moins élevé, comme suit:

1. ordinairement, au grade effectif qu’il détenait ou à un grade moins élevé, ou

2. dans certains cas spéciaux, à un grade supérieur au grade effectif qu’il avait.

[Je souligne.]

V.  Discussion

A.  Norme de contrôle

[29]  La norme est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 23 [Vavilov]).

[30]  Comme l’a observé la juge Roussel dans le jugement Joseph c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 735 (CanLII) au paragraphe 7 :

Lorsque la norme du caractère raisonnable s’applique, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov au para 100). La Cour « doit s’intéresser à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision » (Vavilov au para 83) pour déterminer si la décision est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov au para 85). Il faut accorder une attention particulière aux motifs écrits du décideur et les interpréter de façon globale et contextuelle (Vavilov au para 97). Il ne s’agit pas non plus d’une « chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » (Vavilov au para 102). Si « la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci », il n’appartient pas à cette Cour d’y substituer l’issue qui lui serait préférable (Vavilov au para 99).

[31]  De plus, un degré de déférence élevé doit être accordé à l’ADI lorsqu’elle exerce sa compétence en matière de grief (Higgins c Canada (Procureur général), 2016 CF 32 au para 77; Bossé c Canada (Procureur général), 2015 CF 1143 au para 28).

B.  Question préliminaire

[32]  Le Ministre a demandé à la Cour de modifier l’intitulé de la cause afin que le défendeur soit : « Procureur général du Canada » au sens du paragraphe 303(2) des Règles des cours fédérales, DORS/98-106 [Règles]. Je suis d’accord.

C.  Situation de 2014

[33]  Comme il a été signalé, en ce qui concerne la situation de 2014, l’ADI a justifié sa décision sur le fait que le capitaine Bond-Castelli ne satisfaisait pas à deux critères nécessaires pour l’obtention d’une promotion à l’époque, soit la recommandation du commandant et la disponibilité à l’automne de 2014.

[34]  Le capitaine Bond-Castelli soutient que cette décision était déraisonnable parce que l’ADI a omis de prendre en compte les faits pertinents et que les motifs de la décision sont incohérents. De plus, et de manière plus générale, le capitaine Bond-Castelli soutient que l’ADI se fonde sur des courriels non contemporains et peu crédibles, et que les courriels de son commandant à l’époque ont évolué avec le temps.

[35]  Je discuterai des trois questions.

(1)  Non-considération des faits pertinents

[36]  Le capitaine Bond-Castelli est d’avis que plusieurs faits pertinents n’ont pas été considérés par l’ADI, de sorte qu’elle n’a pas pu prendre une décision raisonnable, soit :

i.  la précédente procédure de contrôle judiciaire;

ii.  ses rapports de rendement;

iii.  les courriels de sa superviseure et de sa collègue et les calendriers d’entrainements;

iv.  l’absence de non-recommandation; et

v.  l’absence d’avertissement quant aux conséquences de la demande de libération.

[37]  De façon plus globale, le capitaine Bond-Castelli reproche à l’ADI de se rapporter davantage à des courriels supposément peu crédibles et non contemporains de son commandant à l’époque dans l’évaluation de sa motivation et de sa disponibilité pour le travail en 2014. Ces courriels ont été échangés à l’interne dans le cadre de l’analyse du grief du capitaine Bond-Castelli [courriels de 2017].

[38]  Le Ministre se borne à dire que l’ADI a raisonnablement conclut que le capitaine Bond-Castelli ne répondait pas aux deux des critères essentiels à l’obtention d’une promotion et que, par conséquent, la décision de l’ADI est raisonnable.

Première procédure de contrôle judiciaire

[39]  Le capitaine Bond-Castelli soutient que la décision en cause est déraisonnable, car l’ADI n’a pas pris en compte la première procédure de contrôle judiciaire dans son analyse. Avec égard, l’ADI mentionne pourtant spécifiquement cette procédure. Cet élément a donc été bel et bien considéré par le décideur.

Les rapports de rendement

[40]  Le capitaine Bond-Castelli soutient que l’ADI a accordé trop de poids aux courriels de 2017 alors que les rapports de rendement de 2014 auraient été favorables à sa promotion.

[41]  La seule pièce à laquelle fait référence le capitaine Bond-Castelli qui évalue son rendement en 2014 est le rapport sur la période allant jusqu’au 13 mai 2014. Ce document ne contredit pas les courriels de 2017 portants qu’à partir de septembre 2014, le capitaine Bond-Castelli semblait démotivé.

Courriels de sa superviseure et de sa collègue, et les calendriers d’entraînements

[42]  Comme je l’ai signalé, le capitaine Bond-Castelli attribue son manque de motivation et de disponibilités entre l’automne 2014 et sa libération des FAC en 2015 à ce que les FAC réduisaient ses effectifs. Il affirme que ses heures de travail ont été réduites pendant cette période en raison de la réduction de la charge de travail et attire l’attention de notre Cour sur le plan d’entraînement du 2nd Field Regiment où il était en fonction, lequel montre une réduction des créneaux horaires requis.

[43]  Le capitaine Bond-Castelli dit que les FAC ont coupé les temps de présence où il était disponible, ce qui s’est traduit, à tort, soit trois ans plus tard lors de l’analyse de son grief par l’ADI, par la fausse perception de la part de l’ADI qu’il n’était tout simplement pas aussi disponible qu’auparavant, en comparaison avec ses collègues.

[44]  Le capitaine Bond-Castelli s’appuie sur un courriel de sa superviseure daté du 16 septembre 2014, lequel indiquait : « je vous laisse juger qui doit rentrer mardi soir prochain, mais c’est toujours le minimum possible! » Il cite aussi un courriel de sa collègue qui soutient que [traduction] « nous ne pouvions venir du tout vers la fin de [2014] ».

[45]  Le capitaine Bond-Castelli déclare dans son affidavit déposé à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire que :

J’ai reçu l’ordre direct de mon superviseur [nom de la superviseure] de diminuer me présences le 16 septembre 2014 oralement et par écrit. Celle-ci a indiqué au gestionnaire des troupes, le « [sergent-major de batterie [SMB]] » de « juger qui doit rentrer mardi soir prochain, mais c’est toujours le minimum possible ».

[Je souligne.]

[46]  Vu la manière dont le capitaine Bond-Castelli a présenté les choses, on pourrait croire que ce message de sa superviseure lui était adressé. Cependant, devant moi, il a été obligé d’admettre que cette partie du courriel de la part de sa superviseure était plutôt adressée aux SMB, soit le sous-officier qui était le gestionnaire des troupes de la batterie dont le capitaine Bond-Castelli faisait partie, et non pas au capitaine Bond-Castelli lui-même.

[47]  Toutefois, le capitaine Bond-Castelli soutient que ce message était clair, et qu’il appartenait au SMB de décider qui devait être appelé au travail, sans exception. Cependant, il ressort de la preuve que le capitaine Bond-Castelli était en effet officier à ce moment, et n’était donc pas sous le commandement du SMB. Cela signifie que, contrairement à ce que le capitaine Bond-Castelli soutient, il n’appartenait au SMB de l’empêcher de rentrer les jours où il était tenu d’être présent.

[48]  Il ne fait aucun doute que l’unité du capitaine Bond-Castelli a vu une diminution des besoins en personnel requis à l’entrainement local durant l’automne 2014 et l’hiver 2015 et que les heures de service de plusieurs officiers, incluant le capitaine Bond-Castelli, ont été réduites pendant cette période en raison de la réduction de la charge de travail. En fait, il semble, vu la preuve, que plusieurs des officiers collègues du capitaine Bond-Castelli ont vu leurs jours de service réduits à environ 60 jours en moyenne pendant toute cette période. Cependant, le capitaine Bond-Castelli semble n’avoir été disponible pour être en fonction que 25 jours pendant cette même période. Le seuil d’attente minimum a été fixé à 40 jours de service.

[49]  Dans son courriel du 22 août 2017 – il semblerait qu’après l’appel interjeté par le capitaine Bond-Castelli de la décision de l’AI auprès de l’ADI et alors que l’affaire était devant le Comité afin que soit complétée une analyse indépendante de celle-ci – son commandant à l’époque explique plus précisément les présences du capitaine Bond-Castelli à la batterie : « Les officiers assidus […] ont travaillé en moyenne 60 jours entre août 2014 et juin 2015, alors que le capitaine Bond-Castelli, beaucoup moins présent, a effectué 25 jours de travail, ce qui est peu et démontre qu’il était plus souvent absent que présent […] ».

[50]  Le capitaine Bond-Castelli soutient qu’il était impossible de satisfaire aux attentes de son commandant de l’époque relativement aux présences au travail (40 jours), telles qu’exposées dans son courriel du 22 août 2017. Il se fonde sur le calendrier d’entraînement pour soutenir qu’il n’y a eu que 25 jours où il pouvait être en service pour la période du 1er avril 2014 au 31 mars 2015, soit moins que le nombre de jours pour lesquels son commandant de l’époque aurait voulu qu’il soit en fonction.

[51]  L’ADI reconnaît la réalité de la réduction des heures de service. Il a observé dans sa décision :

Votre dossier démontre une baisse d’engagement envers les FAC, un fait que vous avouez vous-même pour expliquer votre baisse de motivation, et je ne peux récompenser cette approche par une promotion au grade de lieutenant. Dans vos commentaires, vous attribuez votre diminution de présences au fait que l’on vous aurait dit de minimiser vos présences aux entrainements. Ces diminutions de présence aux entrainements liées à des restrictions budgétaires sont malheureusement une réalité pour les réservistes. Les conséquences de ces restrictions sont différentes pour chaque réserviste. Dans votre cas, vous avez jugé nécessaire d’obtenir un nouvel emploi civil pour subvenir à vos besoins, avec comme conséquence une baisse disponibilité pour les FAC et une inadmissibilité à une promotion.

[Je souligne.]

[52]  Le capitaine Bond-Castelli confirme qu’il n’avait pas de rapports de rendement défavorable portant qu’il était absent du service alors qu’il aurait dû être présent comme on aurait pu s’y attendre si, en fait, son dévouement et son assiduité n’avaient pas été à la hauteur des attentes, et que, en tout cas, il n’y a pas de preuve que ses collègues ont été en fonction en moyenne 60 jours pendant la période en question; ce qui est mentionné par le commandant à l’époque comme erronée.

[53]  Cependant, il n’y a pas non plus de preuve en sens contraire. Le calendrier d’entraînement auquel le capitaine Bond-Castelli fait référence n’est pas clair sur la question du nombre de jours pendant lesquels chaque personne a été en fonction, et je trouve les explications du capitaine Bond-Castelli quelque peu confuses.

[54]  Les seules preuves dont je dispose, et probablement dont disposait l’ADI, sont les courriels du commandant à l’époque, selon lesquels le capitaine Bond-Castelli n’a été en fonction que 25 jours alors que ses collègues l’ont été 60 jours en moyenne. En fait, je trouve l’exposé des faits du commandant à l’époque plus cohérente avec le tableau global de ce qui se passait sur le terrain en 2014 et donc plus convaincante que les allégations du capitaine Bond-Castelli.

[55]  Même si le commandant à l’époque du capitaine Bond-Castelli s’est trompé sur les détails de ses attentes en 2014 (ce qui n’est pas établi), le capitaine Bond-Castelli ne produit aucune preuve contredisant sa moindre disponibilité de service que celle de ses collègues, qui ont, d’ailleurs, été promus durant cette même période.

[56]  Par conséquent, je ne vois pas en quoi les calendriers d’entraînements et ce courriel de la superviseure du capitaine Bond-Castelli du 16 septembre 2014 le confortent dans sa thèse portant que l’ADI a erronément conclut dans sa décision qu’il n’était pas aussi motivé et disponible pendant la période précédant son départ des FAC.

Absence de non-recommandation

[57]  Un des arguments récurrents du capitaine Bond-Castelli est qu’il n’y avait aucune non-recommandation de promotion au moment des faits.

[58]  Or, selon l’OAFC 49-12, pour être promu, il faut être recommandé. Ce critère est logique. Le fait que Capitaine Bond-Castelli n’était pas « non-recommandé » n’est donc pas pertinent; il ne produit aucune preuve portant que son superviseur l’a bel et bien recommandé.

Absence d’avertissement

[59]  Le capitaine Bond-Castelli soutient qu’il aurait dû obtenir un avertissement portant que sa demande de libération pourrait avoir un effet sur la volonté de son superviseur de recommander sa promotion.

[60]  Je ne saurais dire quelle est la source de cette obligation. Je suis d’avis que le capitaine Bond-Castelli aurait dû s’attendre à ce que sa volonté d’être libéré puisse avoir un effet défavorable sur ses perspectives d’avenir dans les FAC. Il était raisonnable de la part de l’ADI de tirer la même conclusion.

(2)  Motifs incohérents

[61]  Capitaine Bond-Castelli soutient que les motifs de l’ADI quant à son incapacité d’assumer de nouvelles responsabilités et quant à sa baisse de motivation et d’engagement ne sont pas cohérents. De plus, il soutient que l’ADI a tiré des conclusions contradictoires.

Nouvelles responsabilités

[62]  L’ADI note qu’une nouvelle promotion est assortie de nouvelles responsabilités, que le capitaine Bond-Castelli n’aurait pas été prêt à assumer. Or, le capitaine Bond-Castelli soutient qu’il assumait déjà des responsabilités; il en résulterait donc que la décision de l’ADI est incohérente.

[63]  L’ADI, à ce stade, ne fait qu’expliquer la perception des superviseurs du capitaine Bond-Castelli de son manque de motivation en septembre 2014. L’on peut raisonnablement conclure qu’ils pensaient que le capitaine Bond-Castelli n’était pas prêt à assumer de nouvelles responsabilités s’il était moins motivé à travailler. Je ne pense pas que cette conclusion soit incohérente.

Motivation et engagement du Capitaine Bond-Castelli

[64]  De plus, le capitaine Bond-Castelli soutient que l’ADI s’est fondé sur son manque de motivation et d’engagement pour rejeter son grief, alors que ce ne sont pas des critères requis pour la promotion.

[65]  Il est vrai que tels ne sont pas des critères, mais la recommandation en est un. Le capitaine Bond-Castelli ne nie pas que sa motivation et son engagement envers son unité puissent constituer des critères de recommandation. L’ADI ne fait qu’expliquer pourquoi le commandant à l’époque ne l’a pas recommandé.

[66]  Le capitaine Bond-Castelli dit qu’il n’y a aucune preuve qu’il n’a pas été recommandé pour une promotion en 2014. Cependant, rien n’établit qu’il a été concrètement recommandé pour une promotion, et lorsqu’on lui a posé la question en 2017 (lorsque cette question est devenue pertinente), son commandant à l’époque a déclaré que le capitaine Bond-Castelli n’avait pas été promu en raison de son manque de motivation et, au final, de sa décision de quitter la FAC. Parmi les conditions de promotion, il y a notamment une recommandation pour l’intéressé. Le mutisme au moment opportun s’apparente davantage à une « non-recommandation » qu’à une « recommandation » dans ce contexte.

Conclusions contradictoires

[67]  Le capitaine Bond-Castelli soutient que l’ADI a tiré deux conclusions contradictoires. D’une part, il a conclu que « rien n’indique à votre dossier que votre expérience ou vos aptitudes ont été remises en question ». D’autre part, il a conclu que le capitaine Bond-Castelli n’avait pas été recommandé pour la promotion.

[68]  Avec égard, l’ADI apprécie ici deux critères différents d’attribution d’une promotion. Une personne peut être formellement recommandée par une personne en même temps que son expérience et ses aptitudes soient remises en question par quelqu’un d’autre. En l'espèce, l’ADI a conclut qu’aucune preuve n’allait dans le sens d’une remise en question des compétences et aptitudes. Or, il a conclu que le capitaine Bond-Castelli n’avait pas été recommandé par son commandant. À mon avis, ces deux conclusions sont raisonnables et cohérentes.

(3)  Les courriels sur lesquels l’ADI se fonde et l l'évolution supposée des rapports

[69]  Capitaine Bond-Castelli reproche à l’ADI de n’avoir pris en compte que les courriels de 2017, sans avoir considéré les faits en 2014. Il soutient que les courriels de 2017 sont trop tardifs par rapport aux faits et qu’ils ne reflètent pas la réalité.

[70]  Dans l’un de ces courriels datés le 31 janvier 2017 – soit avant la décision de l’AI du 3 avril 2017 accueillant en partie le grief du capitaine Bond-Castelli – son commandant à l’époque indique :

En effet, si le slt Bon-Castelli n’avait libéré du 2nd Fd Regt, j’aurais appuyé sa promotion à Lt. Cependant, il a demandé sa libération avant qu’une promotion soit initiée. Ainsi, en tant que gestionnaire, je me question à savoir s’il est vraiment victime d’un grief, ou ses propres actions ont créé cette situation.

[71]  Le capitaine Bond-Castelli soutient que le processus de promotion aurait dû être engagé le 8 août 2014, à savoir dès qu’il est entré dans la zone de promotion. Cela semble être confirmé dans une certaine mesure par un courriel adressé à son commandant à l’époque datée du 16 février 2017 dans le cadre de l’examen de la question par le Comité avant que la décision ne soit rendue par l’AI :

Le but de ce courriel est donc de vous demander si, dans ce contexte, vous appuyez sa [le Capitaine Bond-Castelli] promotion en date précise du 8 aout 2014, date à laquelle il a complété le PP1 Artillerie qui le rendait éligible au grade de lt.

[72]  Le 2 mars 2017, le commandant du capitaine Bond-Castelli à l’époque répond :

J’ai consulté mes notes afin d’être certain d’avoir les faits frais en mémoire et déterminer pourquoi le slt Bond-Castelli n’avait pas été promu après avoir complété sa formation de base durant l’été 2014.

Ainsi, il est vrai que le slt Bond-Castelli aurait été éligible à sa promotion de Lt en temps normal. Mais, comme dans tous les autres cas, une qualification n’implique pas nécessairement une promotion. Ainsi j’aurais été prêt à promettre le slt Bond-Castelli en septembre 2014, mais sa motivation et son engagement envers l’unité a drastiquement changé à cette période. Il est devenu moins disponible et difficile à rejoindre et a par la suite énoncé son désir de libérer des FAC. Je l’ai personnellement rencontré afin de lui parler d’options, voir s’il s’agissait simplement d’un conflit de personnalités au sein fonctions et responsabilités, j’étais prêt à lui octroyer sa promotion.

Après plusieurs mois de réflexion, il a décidé de libérer des FAC.

Ainsi, comme les promotions servent à récompenser le bon travail, l’assiduité et l’engagement envers les FAC, le moral de l’unité aurait souffert si j’avais octroyé une promotion à quelqu’un qui n’est pas présent et dont les collègues doivent assumer les tâches et responsabilités. Dans ce contexte et en rapport à l’engagement du slt Bond-Castelli envers les FAC, je ne pouvais pas octroyer cette promotion en septembre 2014.

[Je souligne.]

[73]  Le capitaine Bond-Castelli insiste sur le fait que les promotions sont automatiques et que lorsque son commandant à l’époque soutient que l’attribution de la promotion comporte un élément subjectif, cela est contraire à la pratique normale. Cette affirmation du capitaine Bond-Castelli est difficile à retenir.

[74]  Il affirme également que son commandant à l’époque a donné son avis sur ce qui semble être un manque de motivation de sa part sans savoir que sa superviseure lui avait déjà ordonné de réduire sa présence au sein de l’unité. À mon avis, cet argument me semble quelque peu fallacieux. Il se peut bien que son unité ait reçu l’ordre de réduire ses heures de travail en général, mais il est clair que le capitaine Bond-Castelli est allé encore plus loin et a simplement choisi de ne pas se présenter aussi souvent qu’il aurait pu, même au regard de ces obligations horaires réduites.

[75]  Comme je l’ai déjà signalé, le 3 avril 2017, l’AI a accueilli en partie le grief du capitaine Bond-Castelli et lui a accordé la promotion au grade de lieutenant en date du 8 août 2014, lui donnant ainsi le bénéfice de doute en ce qui concerne sa situation en 2014 : il affirmait que, s’il n’y avait pas eu de coupes budgétaires aux FAC l’incitant à chercher un nouvel emploi étudiant afin de maintenir un niveau financier adéquat, il aurait conservé sa motivation à s’entrainer.

[76]  L’ADI a décidé d’infirmer cette décision pour les raisons déjà indiquées.

[77]  Je rappelle que les signes d’une réduction imminente de la charge de travail étaient évidents dès le printemps 2014, avec effet à la fin de l’été et au début de l’automne. Le capitaine Bond-Castelli a complété le cours de commandant de troupe d’artillerie le 8 août 2014, mais les promotions ont été quelque peu retardées en raison de la réduction des possibilités de formation. Bien que le capitaine Bond-Castelli affirme que sa promotion aurait dû être automatique à partir du 8 août 2014 et que la réduction des séances d’entrainement local en raison des réductions budgétaires relatives à son unité ne devait pas être la cause d’un retard de promotion, le fait demeure que c’est exactement ce qui s’est passé. Beaucoup de ses collègues ont décidé de s’accrocher à leur poste et d’attendre, et ils ont été finalement récompensés par une promotion, de décembre 2014 à août 2015.

[78]  Pour ses propres raisons, le capitaine Bond-Castelli a choisi de ne pas attendre et a fait part de son intention de quitter les FAC en novembre 2014. Ayant pris sa propre décision, on peut comprendre pourquoi il n’était pas aussi engagé dans son travail que ses collègues. Il est certain que de voir ses collègues promus vers la fin de 2014 et le début de 2015 a pu être frustrant pour lui, mais il a choisi de s’en tenir à sa décision de quitter les FAC, ce qu’il a finalement fait plus tard en 2015, même après avoir rencontré son commandant à l’époque en mars 2015 afin de discuter des options qui s’offraient à lui et de réexaminer son désir de libération – son commandant à l’époque l’a encouragé à demeurer à l’unité. D’après le capitaine Bond-Castelli, il était complètement frustré avec les FAC et dans sa tête, il était prêt à partir de toute manière, il ne voulait donc pas parler de promotion durant la discussion avec son commandant.

[79]  D’après moi, il est clair qu’en ce qui concerne le dossier du capitaine Bond-Castelli, aucun élément ne tendait à établir un mauvais rendement ou une mauvaise performance de sa part entre le moment où il avait terminé sa qualification en août 2014 et sa libération au mois de juin 2015. Cependant, il ne fait aucun doute qu’il a été frustré par la réduction des heures de travail et il est donc devenu moins motivé et moins disponible à l’automne 2014, ce qui lui a valu d’être écarté pour une promotion – ce qui a dû donner lieu à une frustration accrue chez lui lorsqu’il a rencontré son commandant en mars 2015. Il n’en reste pas moins qu’il a réduit sa présence et qu’il a cherché à se libérer des FAC, autant de facteurs qui ont pesé dans la décision de ne pas le promouvoir au grade de lieutenant. L’AI était prête à lui accorder le bénéfice du doute, mais pas l’ADI.

[80]  La juridiction saisie d’un recours en contrôle judiciaire ne peut, à moins de circonstances exceptionnelles, modifier les conclusions factuelles d’un décideur administratif. Comme la Cour suprême l’enseigne clairement dans l’arrêt Vavilov au paragraphe 25 :

Il est acquis que le décideur administratif peut apprécier et évaluer la preuve qui lui est soumise et qu’à moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas ses conclusions de fait. Les cours de révision doivent également s’abstenir « d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur ».

[81]  Même si nous devions nous pencher sur le poids accordé aux différents éléments de preuve, je ne pourrais retenir le point de vue du capitaine Bond-Castelli quant à la valeur probante des courriels de 2017. L’ADI s’en est servi pour établir deux faits : l’absence de recommandation du superviseur et le manque de disponibilité du demandeur. Ces deux faits sont clairement exposés dans ces courriels de 2017 et sans ambiguïté.

[82]  Au contraire, la demande de libération du capitaine Bond-Castelli en novembre 2014 concorde bien avec l’observation de son commandant voulant que « lorsque son retour de son cours estival en septembre 2014, [Capitaine Bond-Castelli] s’est révélé moins motivé, moins engagé, plus difficile à contacter et moins présent. Face à cette situation […] son superviseur n’a pas recommandé sa promotion ».

[83]  Finalement, le capitaine Bond-Castelli soutient qu’il y a eu évolution dans la manière dont son commandant à l’époque a rapporté ses impressions sur la situation en 2014 entre ses courriels du 31 janvier 2017 et du 2 mars 2017 d’une part – avant que l’AI ne rende sa décision – et son courriel du 22 août 2017 – alors que le Comité effectuait une analyse indépendante des questions – d’autre part.

[84]  Le capitaine Bond-Castelli a souligné ce qu’il pensait être des incohérences entre ce que son commandant à l’époque indiquait dans son courriel du 22 août 2017, et ses courriels de janvier et mars 2014. Cependant, je ne vois aucune incohérence. En fait, je lis le courriel du 22 août 2014 comme appuyant, bien que sur un ton quelque peu différent, les faits exposés par le commandant à l’époque dans ses messages précédents.

[85]  Comme je l’ai signalé précédemment, dans son message du 22 août 2014, le commandant à l’époque observe que les collègues du capitaine Bond-Castelli ont été en fonction en moyenne 60 jours pendant la période concernée, mais que lui ne l’a été que 25 jours. Le capitaine Bond-Castelli affirme qu’il a été en fonction en fait bien plus que 25 jours si l’on inclut sa formation à Gagetown durant l’été 2014. Toutefois, lorsqu’il lui a été demandé d’être plus précis, il a admis que les 60 jours en moyenne mentionnés par le commandant à l’époque excluaient les périodes de formation extérieure. Par conséquent, d’après ce que je comprends, le capitaine Bond-Castelli compare des pommes avec des oranges s’il veut me faire croire que je devrais inclure sa période de formation à Gagetown durant l’été 2014 dans la comparaison des jours de travail effectués par son commandant à l’époque.

[86]  Le capitaine Bond-Castelli cite un courriel d’un de ses collègues datés du 29 mars 2018, rapportant ce dont il se souvenait à l’époque, qui indiquait que leur superviseure [traduction] « nous a demandé de ne pas venir sauf s'il y avait une tâche précise à remplir et toute entrée devait être approuvée à l’avance par le CB ». Je ne doute pas qu’on ait demandé au capitaine Bond-Castelli de réduire ses heures de travail, mais cela n’établit pas qu’il travaillait néanmoins le même nombre d’heures que le reste de ses collègues ni que les conclusions de l’ADI quant à sa motivation et son dévouement soient déraisonnables.

(4)  Conclusion sur la situation en 2014

[87]  En résumé, je crois qu’il était raisonnable de conclure que le capitaine Bond-Castelli ne répondait pas, au moment pertinent, à deux des critères nécessaires à l’obtention d’une promotion en 2014, soit la recommandation du commandant et la disponibilité pour remplir les fonctions qui incombent à un officier du grade de lieutenant, comme prévu par l’OAFC 49-12 – Ligne de conduite sur les promotions – Officiers de la Première réserve, telle que modifiée par le paragraphe 5 du CANFORGEN 087/06.

[88]  Il n’en reste pas moins que les conditions préalables à la promotion qu’il souhaitait obtenir en 2014 n’étaient pas remplies par lui au moment où il a quitté les FAC. En conséquence, je ne vois aucune raison d’annuler la décision attaquée quant à la situation de 2014.

D.  Situation de 2016

[89]  Lors de son réenrôlement au FAC en 2016, le capitaine Bond-Castelli ne détenait pas les qualifications nécessaires dans le cadre de son nouveau GPM pour obtenir le grade de lieutenant, et, de plus, il n’y avait rien dans son dossier pour justifier qu’il soit traité comme un cas spécial au sens des règlements.

[90]  À l’appui de ses arguments pour attaquer la décision relative à la situation de 2016, le capitaine Bond-Castelli se fonde principalement sur le fait que le cours de qualification qu’il aurait dû compléter n’était pas dispensé lors de son retour à la FAC; par conséquent, même s’il l’avait voulu, il n’aurait pu obtenir le grade de lieutenant.

[91]  Le Ministre a rappelé tout simplement les critères relatifs à l’obtention d’un grade supérieur lors d’une réintégration. Il soutient que l’ADI a raisonnablement conclut que le capitaine Bond-Castelli n’était pas un cas particulier visé par l’OAFC 49-10 et qu’il devait donc être réenrôlé au même grade qu’il avait lors de sa libération, soit celui de sous-lieutenant.

[92]  Il est regrettable que le capitaine Bond-Castelli soit retourné aux FAC alors que le cours de qualification pour le grade de lieutenant dans son nouveau GPM n’était pas dispensé. Cependant, telle était la situation à l’époque. Le capitaine Bond-Castelli a décidé de quitter les FAC à l’époque où il l’a fait, d’y retourner à l’époque où il l’a fait, et de se réenrôler dans un nouveau GPM. Il est tout simplement impossible de soutenir que le capitaine Bond-Castelli aurait été réintégré au niveau de lieutenant parce que le cours de qualification n’était pas dispensé à l'époque.

[93]  De toute manière, ainsi que l’a constaté l’ADI, même si le capitaine Bond-Castelli avait été lieutenant au moment de sa libération en 2015, son réenrôlement comme lieutenant n’aurait toutefois pas été autorisé puisqu’il s’est réenrôlé dans un nouveau GPM.

[94]  En conséquence, je conclus que la décision de l’ADI concernant la situation de 2016 était raisonnable.

VI.  Conclusion

[95]  Je ne vois rien dans les courriels du commandant du capitaine Bond-Castelli à l’époque qui laisserait supposer qu’il y a eu déformation des faits concernant sa situation ou que la manière dont il a été perçu par ses supérieurs à la fin de l’été et à l’automne 2014 a en quelque sorte évolué dans le temps à son détriment, de manière à correspondre à la décision définitive prise concernant sa promotion.

[96]  Voici ma vision des faits, notamment à la suite de l’audition qui a eu lieu devant moi. En 2014, le capitaine Bond-Castelli s’est senti frustré par ce qu’il percevait, à tort ou à raison, comme des lacunes dans les FAC en ce qui concerne son développement et sa formation, il a décidé de quitter les FAC pour prendre un nouvel emploi dans le secteur privé, et il en est résulté une réduction de ses efforts et de son engagement; par conséquent, il n'a pas obtenu sa promotion, une promotion qu’il aurait probablement obtenu sans sa baisse d’attitude, de motivation et d’engagement jusqu’à sa libération des FAC.

[97]  Il a tenté, après son retour dans les FAC un an plus tard, d’obtenir réparation du tort qu’il estime avoir subi en dispersant les motivations et les intentions de ses supérieurs et en soutenant qu’ils refaisaient l’histoire; cela ne m’a pas convaincu de la justice de sa cause. Le capitaine Bond-Castelli a pris la décision en 2014 de quitter les FAC, et doit maintenant assumer les conséquences de cette décision.

[98]  Le raisonnement derrière la décision de neuf pages de l’ADI est cohérent, intelligible et clair, et je ne puis conclure que le capitaine Bond-Castelli a établi qu'il y a circonstance exceptionnelle qui appelle l’intervention de notre Cour en ce qui concerne les conclusions de faits de l’ADI. Je rejetterais donc la demande de contrôle judiciaire, avec dépens.

A.  Les dépens

[99]  Le capitaine Bond-Castelli demande à être dispensé du paiement des frais du défendeur, conformément à l’article 400 des Règles.

[100]  Je ne vois pas pourquoi cette demande devrait être accordée. Le capitaine Bond-Castelli ne soulève aucun des facteurs pertinents selon le paragraphe 3 de l’article 400 des Règles. Il ressort plutôt des faits du dossier que le Ministre a agi conformément aux intérêts de la justice, par exemple lorsqu’il a présenté une requête en annulation de la décision rendue lors de la précédente procédure en contrôle judiciaire.

 


JUGEMENT au dossier T-1678-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens payables par le capitaine Bond-Castelli établis à 1 500 $.

  2. L’intitulé de la cause doit être modifié de manière à ce que le Procureur général du Canada soit le défendeur.

« Peter G. Pamel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

t-1678-19

 

INTITULÉ :

GABRIEL BOND-CASTELLI c MINISTÈRE DE LA DÉFENSE NATIONALE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AFFAIRE ENTENDUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À montréal (québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 SEPTEMBRE 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PAMEL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 15 décembre 2020

 

COMPARUTIONS :

Gabriel Bond-Castelli

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Me Benoît de Champlain

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

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