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Date : 20201207


Dossier : T‑338‑20

Référence : 2020 CF 1102

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 7 décembre 2020

En présence de madame la juge Heneghan

ENTRE :

THE WINNING COMBINATION INC.

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

ORDONNANCE PUBLIQUE ET MOTIFS

(identiques à l’ordonnance confidentielle et aux motifs rendus le 30 novembre 2020)

[1]  Par voie d’un avis de demande daté du 4 mars 2020, The Winning Combination Inc. (la demanderesse) sollicite le contrôle judiciaire de la décision que Santé Canada a rendue le ou vers le 6 février 2020. Par cette décision, Santé Canada a rejeté la demande de licence de mise en marché (la DLMM) de la demanderesse pour le produit « RESOLVE » au titre du Règlement sur les produits de santé naturels, DORS/2003‑196 pris en vertu de la Loi sur les aliments et drogues, LRC (1985), c F‑27.

[2]  La présente demande de contrôle judiciaire est la conséquence d’instances antérieures.

[3]  La demanderesse a présenté une DLMM pour son produit RESOLVE en octobre 2004. Sa demande a été rejetée le 30 janvier 2012, et elle a présenté une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de cette décision. La demande de contrôle judiciaire a été accueillie, et la Cour a annulé la décision défavorable et pris une ordonnance de mandamus exigeant que soit octroyée la licence visée par la DLMM; voir la décision Winning Combination Inc. c Canada (Santé), 2016 CF 381.

[4]  En appel, la Cour d’appel fédérale a confirmé l’annulation de la décision, annulé l’ordonnance de mandamus et ordonné que l’affaire soit renvoyée au décideur pour qu’une nouvelle décision soit rendue dans un délai de 90 jours; voir l’arrêt Canada (Santé) c The Winning Combination Inc., 2017 CAF 101. La demande d’autorisation d’appel présentée devant la Cour suprême du Canada a été rejetée; Winning Combination Inc. c Canada (Minister of Health), et al., [2017] CSCR no 304, 2018 CanLII 30056 (CSC).

[5]  Conformément au paragraphe 303(2) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles), le procureur général du Canada est désigné à titre de défendeur (le défendeur) dans la demande de contrôle judiciaire.

[6]  La demande de contrôle judiciaire a été introduite le 4 mars 2020, et un avis de demande modifié a été déposé le 10 août 2020.

[7]  Par voie d’un avis de requête déposé le 30 septembre 2020 et soumis pour examen en vertu de l’article 369 des Règles, le défendeur demande une ordonnance de radiation de l’affidavit de Mme Mariluz Cielo Alejo, souscrit le 27 août 2020 et déposé par la demanderesse à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire.

[8]  Dans son avis de requête, le défendeur demande également une ordonnance de prorogation du délai de signification de ses affidavits en réponse à ceux déposés par la demanderesse, ainsi que l’adjudication des dépens de la présente requête.

[9]  Le défendeur fait valoir que l’affidavit devrait être radié au motif qu’il s’agit d’un élément de preuve dont le décideur ne disposait pas et qu’il s’agit en outre d’une preuve d’opinion inappropriée qui n’est pas conforme aux exigences des Règles concernant la preuve d’expert.

[10]  Le défendeur soutient également que l’exception relative à l’admission d’éléments de preuve extrinsèques concerne des éléments de preuve qui n’auraient pas pu être soumis au décideur. Il affirme que la demanderesse n’a pas expliqué pourquoi les éléments de preuve proposés n’avaient pas pu être présentés.

[11]  La demanderesse répond qu’un tribunal autorisera l’admission d’éléments de preuve extrinsèques dans les circonstances décrites par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22.

[12]  Dans cet arrêt, la Cour d’appel a conclu qu’il était possible d’admettre des éléments de preuve extrinsèques qui contiennent des informations générales qui sont susceptibles d’aider la Cour à comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire, qui portent sur des questions d’équité procédurale qu’on ne peut déceler dans le dossier, et qui font ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le décideur initial relativement à une conclusion déterminée.

[13]  La demanderesse fait valoir que l’affidavit de Mme Alejo est admissible au regard des première et deuxième exceptions susmentionnées.

[14]  De plus, la demanderesse soutient que l’affidavit contesté représente une « preuve d’opinion de profane » admissible compte tenu de l’expérience personnelle de Mme Alejo dans l’industrie des produits pharmaceutiques et des produits de santé naturels, y compris dans les essais portant sur des produits pharmaceutiques et des produits de santé. La demanderesse fait valoir que Mme Alejo, en sa qualité de directrice de la qualité et de la conformité, est habilitée à fournir une preuve d’opinion de profane fondée sur son « expérience ».

[15]  Mme Alejo est la directrice de la qualité et de la conformité de la demanderesse. Dans son affidavit, elle donne son opinion sur la fiabilité des résultats des essais concernant le RESOLVE, demandés par Santé Canada, et sur les lacunes des méthodes utilisées par les laboratoires. Bien que le curriculum vitæ de la déposante soit joint à l’affidavit, celui‑ci n’est pas accompagné d’un certificat signé concernant le Code de déontologie régissant les témoins experts, comme l’exige l’alinéa 52.2(1)c) des Règles.

[16]  Je souscris en grande partie aux arguments soulevés par le défendeur concernant le bien‑fondé de l’affidavit de Mme Alejo.

[17]  La règle d’application générale veut que seule la preuve dont disposait le décideur puisse être prise en considération par la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Les exceptions à cette règle d’application générale sont restreintes et précises.

[18]  Je ne souscris pas aux observations de la demanderesse selon lesquelles l’affidavit fait partie des exceptions établies par la Cour d’appel fédérale.

[19]  L’affidavit de Mme Alejo porte sur divers essais qui ont été effectués et sur leurs prétendues lacunes. En l’espèce, les essais ne constituent pas à proprement parler des « informations générales » qui peuvent aider la Cour à comprendre les questions que pourrait soulever le contrôle judiciaire.

[20]  La demanderesse soulève plusieurs questions de justice naturelle et d’équité procédurale dans son avis de demande modifié, notamment l’absence du pouvoir de mener des essais en laboratoire supplémentaires à la suite de la décision de la Cour d’appel fédérale, l’absence d’un pouvoir d’origine législative permettant d’effectuer des essais supplémentaires, le recours à un processus d’essai déficient, une crainte raisonnable de partialité de la part de deux des trois membres du comité, et une atteinte à l’attente légitime selon laquelle le processus d’évaluation de la DLMM suivrait la procédure normale établie par Santé Canada.

[21]  Je ne suis pas convaincue du bien‑fondé de l’affidavit de Mme Alejo pour ce qui est des questions d’équité procédurale qui peuvent être abordées au cours des plaidoiries, sur la foi du dossier dont la Cour est dûment saisie pour le jugement de la demande de contrôle judiciaire.

[22]  Je suis aussi d’avis que les objections soulevées par le défendeur à l’égard de l’affidavit de Mme Alejo, qui serait une preuve d’opinion « déguisée », sont également fondées. Mme Alejo y présente son avis personnel sur les essais effectués par Santé Canada en s’appuyant sur son expérience personnelle. Comme le précise la décision Seklani c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2020 CF 778, il s’agit d’une preuve inadmissible.

[23]  Je reconnais qu’en règle générale, un tribunal ne radie pas les affidavits de façon interlocutoire. Cependant, comme il est mentionné au paragraphe 11 de l’arrêt Bernard c Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263, la Cour prendra des mesures dans l’éventualité où l’examen du bien‑fondé d’un affidavit « ferait que l’audition serait plus rapide et plus ordonnée ».

[24]  Pour les raisons qui précèdent, je conclus que l’affidavit de Mme Alejo devrait être radié dans son intégralité puisqu’il s’agit d’un élément de preuve extrinsèque qui ne correspond à aucune des exceptions établies dans l’arrêt Association des universités et collèges du Canada, précité, ainsi que d’une preuve d’opinion de profane inadmissible qui ne répond pas aux exigences qui s’appliquent à la preuve d’expert.

[25]  L’affidavit sera radié et le défendeur se verra accorder un délai supplémentaire de 30 jours à compter de la date de la présente ordonnance pour déposer ses affidavits en réponse. Les dépens seront adjugés au défendeur.



 

ORDONNANCE dans le dossier IMM‑338‑20

LA COUR ORDONNE :

  1. La requête est accueillie et l’affidavit de Mme Mariluz Cielo Alejo est radié.

  2. Le défendeur doit signifier et déposer ses affidavits en réponse dans les 30 jours suivant la date de la présente ordonnance.

  3. Le défendeur a droit aux dépens engagés dans le cadre de la présente requête.

« E. Heneghan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

T‑338‑20

 

INTITULÉ :

THE WINNING COMBINATION INC. c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

REQUÊTE PRÉSENTÉE PAR ÉCRIT EXAMINÉE À ST. JOHN’S (TERRE‑NEUVE‑ET‑LABRADOR) CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

ORDONNANCE ET MOTIFS :

La juge HENEGHAN

DATE DE L’ORDONNANCE CONFIDENTIELLE ET DES MOTIFS :

 

LE 30 NOVEMBRE 2020

ORDONNANCE PUBLIQUE ET MOTIFS :

LE 7 DÉCEMBRE 2020

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Peter Halamandaris

Pour la demanderesse

Andrea Bourke

Karen Lovell

Laura Tausky

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Finlayson Pollock LLP

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

 

Pour la demanderesse

Procureur général du Canada Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

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