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Date : 20060519

Dossier : IMM‑4212‑05

Référence : 2006 CF 625

Ottawa (Ontario), le 19 mai 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE von FINCKENSTEIN

 

ENTRE :

WEI WANG

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Le demandeur, Wei Wang, est un citoyen chinois qui est déjà venu étudier au Canada. Le 8 juin 2005, le demandeur est arrivé à l’aéroport Pearson en possession d’un visa canadien de résident temporaire valide et d’un permis d’études valide. Il a remis à l’agent d’immigration de l’aéroport (l’agent) une lettre portant l’en‑tête du Collège Centennial indiquant qu’il avait déjà étudié dans cet établissement pendant quatre mois et avait payé ses frais de scolarité pour trois ans (la lettre).

 

[2]               L’agent a demandé au demandeur dans quel établissement il étudiait actuellement et depuis combien de temps il étudiait. Ses réponses correspondaient aux renseignements contenus dans la lettre. L’agent a alors posé au demandeur d’autres questions parce que le Collège Centennial niait avoir signé la lettre et que le demandeur était un étudiant de cet établissement. Le demandeur a alors admis qu’il avait payé une connaissance, Sean, pour se procurer la lettre en question.

 

[3]               À la suite de cet aveu, le demandeur a été mis en détention.

 

[4]               Une enquête a été tenue le 29 juin 2005 au Centre de surveillance de l’Immigration d’Etobicoke (Ontario) devant un commissaire de la Section de l’immigration (le commissaire). À la suite de cette enquête, soit le 29 juin 2005, une mesure d’expulsion fondée sur l’alinéa 36(2)d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, et ses modifications (la Loi), ainsi qu’une mesure d’exclusion fondée sur l’alinéa 40(1)c) de la Loi ont été prises.

 

[5]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la mesure d’expulsion.

 

[6]               Au cours de l’instruction de la demande de contrôle judiciaire, la Cour a appris que le demandeur avait volontairement quitté le Canada le 30 août 2005 après que sa demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR), déposée le 3 août 2005, eut été rejetée.

 

[7]               À la demande de la Cour, les parties ont présenté des observations écrites sur la question de savoir si les questions en litige dont était saisie la Cour étaient devenues théoriques. Dans l’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, la Cour suprême du Canada a déclaré au paragraphe 16 que « une affaire est “théorique” si elle ne répond pas au critère du “litige actuel” ».

 

[8]               Il s’agit donc de déterminer si l’application de l’article 166 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement) et la question de savoir si le commissaire a commis une erreur lorsqu’il a statué que le demandeur était une personne visée par l’alinéa 36(2)d) de la Loi donnent lieu à un litige actuel. Compte tenu des conséquences qu’entraîne une mesure d’expulsion, à savoir que le demandeur ne pourra pas revenir au Canada à l’avenir, la présente affaire donne lieu à un litige actuel et l’affaire n’est pas théorique.

 

[9]               La présente affaire soulève les questions suivantes :

a) Le refus d’accorder au demandeur un ajournement pour qu’il puisse présenter une demande d’ERAR conformément à l’article 166 des Règles constitue‑t‑il une violation de la justice naturelle?

 

b) Le commissaire a‑t‑il commis une erreur en décidant que le demandeur était une personne visée par l’alinéa 36(2)d) de la Loi?

 

c) L’omission de motiver par écrit le refus de l’ajournement constitue‑t‑elle une violation de la justice naturelle?

 

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[10]           Il faut procéder à une analyse pragmatique et fonctionnelle pour décider de la norme de contrôle applicable à la décision par laquelle le commissaire a statué que le demandeur était une personne visée par l’alinéa 36(2)d) de la Loi. Il convient d’examiner quatre facteurs contextuels dans le cadre de cette analyse : la présence ou l’absence dans la loi d’une clause privative ou d’un droit d’appel; l’expertise du tribunal relativement à celle de la cour de révision sur le point en litige; l’objet de la loi et la nature de la question.

 

[11]           Les décisions des commissaires ne sont pas protégées par une clause privative stricte; voir Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982. La Commission possède une expertise relative lorsqu’il s’agit d’évaluer les étrangers au cours des enquêtes. Les dispositions législatives concernant les mesures d’expulsion et d’exclusion ont pour but de ne pas autoriser certaines personnes à demeurer au Canada de façon à garantir la sécurité des Canadiens. Cette question est une question mixte de fait et de droit étant donné que le commissaire doit appliquer les dispositions de la Loi à la situation de fait du demandeur.

 

[12]           La norme de contrôle applicable à la décision du commissaire de prendre une mesure d’expulsion est la décision raisonnable simpliciter.

 

Le refus d’accorder au demandeur un ajournement pour qu’il puisse présenter une demande d’ERAR conformément à l’article 166 des Règles constitue‑t‑il une violation de la justice naturelle?

 

[13]           Le demandeur soutient que l’article 166 des Règles énonce que la demande d’ERAR doit être présentée dès que la mesure de renvoi est prise. L’enquête aurait donc dû être ajournée pour que le demandeur ait le temps de préparer sa demande d’ERAR.

 

[14]           L’article 166 du Règlement énonce :

La demande de protection de l’étranger qui fait l’objet d’un constat d’interdiction de territoire donnant lieu à la prise, au point d’entrée, d’une mesure de renvoi doit, si la mesure est exécutoire, être reçue dès la prise de celle‑ci. Les observations écrites, le cas échéant, doivent accompagner la demande. Il est entendu que la demande n’opère pas sursis de la mesure de renvoi.

 

 

[15]           Point d’entrée est défini à l’article 2 du Règlement de la façon suivante :

« point d’entrée »

 

a)     Lieu figurant à l’annexe 1;

 

b)    lieu désigné comme point d’entrée par le ministre en vertu de l’article 26, aux dates et heures d’ouverture fixées par ce dernier.

 

 

[16]           L’annexe 1 du Règlement contient une liste des nombreux endroits qui sont considérés comme des points d’entrée. L’aéroport Pearson ne figure pas sur la liste de l’annexe 1. Ne figure pas non plus sur la liste de l’annexe 1 le Centre de surveillance de l’Immigration d’Etobicoke (Ontario), où l’enquête a été tenue.

 

[17]           Par conséquent, au moment où les mesures de renvoi et d’exclusion ont été prises à l’égard du demandeur, celui‑ci ne se trouvait pas dans un point d’entrée. L’article 166 du Règlement ne s’applique donc pas dans son cas.

 

[18]           Par conséquent, le fait que le membre ait décidé de ne pas accorder d’ajournement ne constitue pas une violation de la justice naturelle.

 

Le commissaire a‑t‑il commis une erreur en décidant que le demandeur était une personne visée par l’alinéa 36(2)d) de la Loi?

 

[19]           Le demandeur soutient qu’étant donné qu’il n’a fait l’objet d’aucune déclaration de culpabilité ni d’aucune accusation criminelle, le commissaire ne pouvait pas conclure qu’il avait commis un acte criminel.

 

[20]           L’analyse qu’effectue le juge Blais dans la décision Magtibay c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 397, au paragraphe 10, est applicable ici :

Il doit être clair que l’alinéa 36(1)c) de la Loi n’exige pas qu’une déclaration de culpabilité ait été prononcée, mais seulement qu’une infraction ait été commise, contrairement à l’alinéa 36(1)b) de la Loi qui exige à la fois la commission d’une infraction et une déclaration de culpabilité. Il ne fait donc aucun doute que le législateur voulait faire une différence entre les deux cas et permettre qu’un résident permanent ou un étranger soit interdit de territoire non seulement s’il était déclaré coupable de certains actes, mais aussi s’il les avait simplement commis.

 

 

[21]           La disposition applicable dans cette affaire, le paragraphe 36(1) de la Loi, est semblable au paragraphe 36(2). Ces dispositions énoncent :

36(1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

 

a) être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou d’une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;

 

b) être déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans;

 

c) commettre, à l’extérieur du Canada, une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans.

 

36(2) Emportent, sauf pour le résident permanent, interdiction de territoire pour criminalité les faits suivants :

 

a) être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de deux infractions à toute loi fédérale qui ne découlent pas des mêmes faits;

 

b) être déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de deux infractions qui ne découlent pas des mêmes faits et qui, commises au Canada, constitueraient des infractions à des lois fédérales;

 

c) commettre, à l’extérieur du Canada, une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation;

 

d) commettre, à son entrée au Canada, une infraction qui constitue une infraction à une loi fédérale précisée par règlement.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[22]           Ces deux paragraphes font référence soit à une déclaration de culpabilité soit à la perpétration d’une infraction. Il est raisonnable d’en conclure que le législateur a utilisé des termes différents dans le but de préciser les conditions prévues par ces différentes dispositions.

 

[23]           En l’espèce, le demandeur a reconnu qu’il n’avait jamais fréquenté le Collège Centennial, qu’il n’avait jamais versé de frais de scolarité pour cet établissement et qu’il avait l’intention de se servir de la lettre pour prouver qu’il pouvait étudier au Canada. Il a déclaré qu’il n’avait pas lui‑même présenté sa demande et ne s’était pas inscrit lui‑même au Collège Centennial, mais qu’il pensait qu’une personne qu’il avait rencontrée dans un café‑restaurant l’avait inscrit. Il savait également que la lettre indiquait qu’il étudiait à l’université depuis janvier 2005 et qu’il avait payé des frais de scolarité. Le demandeur savait qu’il n’avait jamais versé de frais de scolarité ni fréquenté l’université.

 

[24]           Le commissaire disposait de preuves suffisantes pour croire que le demandeur avait commis une infraction en présentant un faux document à l’agent dans l’espoir que celui‑ci se fonde sur ce document pour autoriser le demandeur à entrer au Canada.

 

[25]           Il était donc raisonnable que le commissaire décide de prendre une mesure d’expulsion fondée sur l’alinéa 36(2)d), compte tenu des actes du demandeur.

 

L’omission de motiver par écrit le refus de l’ajournement constitue‑t‑elle une violation de la justice naturelle?

 

[26]           Au cours de l’enquête, le demandeur a demandé qu’on lui fournisse des motifs écrits. Le demandeur invoque l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, à l’appui de son argument selon lequel on aurait dû lui remettre des motifs écrits.

 

[27]           Le paragraphe 7(4) des Règles de la Section de l’immigration, DORS/2002‑229, qu’invoque le demandeur, précise les modalités à suivre pour demander des motifs écrits. Cette disposition n’oblige pas le commissaire à fournir des motifs écrits.

 

[28]           Dans l’arrêt Baker, précité, la Cour suprême du Canada a jugé que les notes du commissaire constituaient des motifs suffisants. Dans la présente affaire, il n’y a aucune raison de penser que la transcription de l’audience ne constitue pas des motifs suffisants. La transcription expose clairement les motifs pour lesquels la décision a été prise et les éléments sur lesquels le commissaire s’est fondé pour prononcer sa décision. Le demandeur a été pleinement informé des motifs du refus de sa demande d’ajournement. Compte tenu de ces éléments, le commissaire n’était pas tenu de motiver par écrit sa décision et il n’y a pas eu de violation de la justice naturelle.

 

[29]           Compte tenu des conclusions ci‑dessus, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

« Konrad W. von Finckenstein »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑4212‑05

 

 

INTITULÉ :                                                   WEI WANG

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 10 MAI 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE 

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE von FINCKENSTEIN

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 19 MAI 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Wennie Lee                                                      POUR LE DEMANDEUR

 

Janet Chisolm                                                   POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Wennie Lee                                                      POUR LE DEMANDEUR

Avocate

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                             POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

 

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