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Date : 20010227

Dossier : IMM-2064-00

Ottawa (Ontario), le mardi 27 février 2001

EN PRÉSENCE DE Madame le juge Dawson

ENTRE :

OKBA ALEJLY

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Eleanor R. Dawson »

                                                                                                                                         Juge                          

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


Date : 20010227

Dossier : IMM-2064-00

                                                                                           Référence neutre : 2001 CFPI 123

ENTRE :

OKBA ALEJLY

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DAWSON

[1]                Le demandeur, Okba Alejly, est un citoyen iraqien âgé de 22 ans qui, dans son formulaire de renseignements personnels (FRP), a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention du fait qu'il est de religion sunnite. M. Alejly demande le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SSR) a statué, le 23 mars 2000, qu'il n'était pas un réfugié au sens de la Convention.


[2]                La SSR a rejeté la revendication présentée par M. Alejly parce qu'elle a considéré que son témoignage était peu plausible. L'analyse qu'a faite la SSR de la preuve était brève :

[Traduction]

Le scénario selon lequel le revendicateur serait resté aussi longtemps (un an) dans le pays, au nord de l'Iraq ou à Bagdad, alors que les autorités le cherchaient ou cherchaient son frère, paraît peu plausible au tribunal. Le revendicateur a précisé qu'il suivait simplement les instructions du contrebandier et attendait qu'on lui prépare un passeport à Bagdad, mais son histoire est dénuée de sens.

Il a indiqué que la raison pour laquelle il était resté dans le nord de l'Iraq au lieu de quitter le pays pour aller en Turquie était que, même si la région n'était pas sous le contrôle du gouvernement, elle grouillait d'agents de renseignement pour l'Iraq. Le tribunal trouve que cette explication est insatisfaisante étant donné que son père et son frère aîné avaient quitté l'Iraq de cette façon. Le revendicateur a essayé piteusement de se défendre en disant que cette voie aurait été trop difficile pour lui. Pourquoi aurait-elle été trop difficile pour lui si son frère aîné et son père avaient pu quitter le pays de cette façon? Par contre, il importe encore plus de noter que le revendicateur est revenu se jeter « dans la gueule du loup » et y est demeuré pendant une période prolongée : Pourquoi serait-il resté à Bagdad, le centre nerveux du gouvernement iraqien, pendant cinq mois si le gouvernement iraqien le cherchait? Pourquoi aurait-il emprunté un chemin si complexe pour quitter le pays (c'est-à-dire passer par Bagdad pour ensuite arriver en Jordanie) au lieu de passer par le nord du pays pour arriver en Turquie, comme l'avaient fait les deux autres membres de sa famille? Le tribunal trouve que ce scénario n'est pas plausible si l'on compare son attente prolongée à l'intérieur du pays et la grande urgence avec laquelle il a quitté sa ville natale.

Le conseil a produit en preuve la pièce C-3 pour montrer que le gouvernement iraqien se montrait soupçonneux à l'égard des wahhabites sunnites intégristes. Par contre, le tribunal a conclu qu'il n'y avait aucune mosquée familiale wahhabite dans sa ville natale qui aurait pu attirer l'attention du gouvernement. Le tribunal trouve incroyable que, par exemple, des marchands sunnites de Bagdad aient pu financer sans difficulté une mosquée du mouvement wahhabite adversaire étant donné la situation du pays. Le tribunal a également du mal à croire l'affirmation du revendicateur selon laquelle des chiites qui fréquentaient la mosquée n'allaient pas paraître suspects étant donné le contrôle et la surveillance considérables entrepris par le gouvernement.


De plus, le revendicateur semblait bien peu connaître et fréquenter sa mosquée à Toronto, ce qui tranche avec sa participation déclarée aux activités de sa mosquée sunnite en Iraq et avec le fait que son père était un imam. Il ne connaissait pas les noms des membres supérieurs de la communauté, y compris celui de l'imam de la mosquée de Toronto. Le seul nom qu'il a cité était celui du nettoyeur. Selon le tribunal, cela reflète un manque de ferveur religieuse et de participation qui démentit le témoignage de son engagement en Iraq. [note de bas de page omise]

[3]                Dans sa demande de contrôle judiciaire de la décision, M. Alejly a soutenu que la SSR avait rendu une décision fondée sur des conclusions de fait tirées de façon abusive, sans tenir compte des éléments de preuve dont elle avait été saisie, et sur une perception erronée de la nature véritable de sa revendication. M. Alejly a contesté expressément trois conclusions de la Commission.

[4]                M. Alejly a tout d'abord contesté la conclusion de la SSR selon laquelle il était incroyable qu'il n'ait pas utilisé la même voie que son père et son frère aîné pour quitter l'Iraq et se rendre en Turquie, et sa conclusion qu'il était peu plausible qu'il ait pu rester aussi longtemps dans le pays si les autorités le recherchaient.


[5]                M. Alejly a déclaré dans son témoignage de vive voix, et dans son FRP, qu'après que son père eut été convoqué une deuxième fois aux bureaux de la sécurité à El Nasriyah, il a décidé de quitter le pays. M. Alejly s'est enfui avec son père, son frère aîné et son jeune frère. Ils ont quitté El Nasriyah à destination de Bagdad où ils ont habité chez un ami et où ils ont appris que les forces de sécurité avaient fait une descente à leur domicile ainsi qu'aux domiciles de certains de leurs parents. Apprenant que les recherches visant à les retrouver s'étaient « intensifiées » , le demandeur, son père et deux de ses frères ont quitté Bagdad en direction du Nord de l'Iraq, dans l'espoir d'entrer en Turquie. La mère de M. Alejly, sa soeur de 21 ans et trois frères âgés de 7 à 11 ans ont été laissés au domicile familial. M. Alejly a déclaré que les forces de sécurité [Traduction] « n'emmènent pas les enfants - les enfants ou les femmes » .

[6]                M. Alejly a ensuite déclaré qu'une fois arrivé dans le Nord, son père a conclu un accord avec des passeurs de clandestins. Son père est parti le premier en Turquie et a été suivi peu de temps après par son frère aîné. M. Alejly a dit qu'après deux ou trois mois, les passeurs lui ont déclaré qu'il serait très difficile de l'aider à entrer clandestinement en Turquie de sorte qu'il devait [Traduction] « se reposer pour l'instant » jusqu'à ce qu'ils aient la possibilité de le faire entrer clandestinement. M. Alejly a dit qu'il avait ensuite décidé qu'il était trop difficile de passer par la Turquie, qu'il avait donc choisi d'aller en Jordanie et que les passeurs avaient accepté de l'y emmener. Il a été convenu que M. Alejly quitterait le Nord de l'Iraq, retournerait à Bagdad et entrerait ensuite en Jordanie avec un faux passeport. M. Alejly est alors retourné à Bagdad, laissant son jeune frère de 17 ans seul dans le Nord. À cette époque, M. Alejly avait 19 ans.


[7]                La preuve documentaire dont a été saisie la SSR indiquait qu'à cette époque, le gouvernement exerçait une répression extrême contre quiconque lui résistait et que les forces de sécurité jouaient un rôle central dans le maintien du climat d'intimidation et de crainte sur lequel reposait le pouvoir du gouvernement. On disait que le gouvernement continuait d'exécuter sommairement ceux qu'il considérait comme des opposants politiques, que les autorités avaient régulièrement recours aux arrestations et à la détention arbitraires, et que le gouvernement limitait rigoureusement la liberté de religion et de circulation. Amnistie Internationale a signalé qu'en 1997, le régime a pris comme otages des membres de la famille d'un fugitif pour le forcer à se rendre. On a signalé des cas où les autorités auraient tenu des membres de la famille et des associés responsables des actes allégués d'autres personnes, auraient effectué des perquisitions sans mandat et auraient fermé des quartiers entiers pour permettre que des perquisitions soient effectuées de maison en maison.

[8]                Dans du tel contexte, la SSR avait le droit d'évaluer le témoignage de M. Alejly et de conclure qu'il ne résistait pas à un examen approfondi. Il était raisonnable pour la SSR de conclure à l'invraisemblance de la durée du séjour de M. Alejly à Bagdad et de l'itinéraire qu'il a choisi pour s'évader. M. Alejly a soutenu que la SSR n'avait pas tenu compte du fait qu'il avait continué à se terrer lorsqu'il était retourné à Bagdad. La SSR a en réalité mentionné ce fait lorsqu'elle a exposé le témoignage de vive voix de M. Alejly.

[9]                M. Alejly a aussi contesté la conclusion de la SSR selon laquelle il avait été incapable de démontrer une « ferveur religieuse » ou une « participation » suffisantes pour étayer ses activités alléguées à la mosquée de son père en Iraq.


[10]            M. Alejly a déclaré qu'après son arrivée au Canada, il a tout d'abord habité dans une mosquée à Toronto et qu'il a continué à fréquenter cette mosquée pendant l'année qui a précédé son audience devant la SSR. Il a aussi déclaré que pendant qu'il était en Iraq, il aidait activement son père qui était imam d'une mosquée. M. Alejly a dit que lui-même et son frère aîné avaient l'habitude d'organiser des discussions religieuses et qu'ils écrivaient les sermons que faisait leur père.

[11]            Compte tenu de ces faits ainsi que du fait que, dans son FRP, M. Alejly a invoqué sa religion pour revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention, je ne suis pas d'accord pour dire que la SSR a tiré une conclusion manifestement déraisonnable lorsqu'elle a conclu que les connaissances et la participation de M. Alejly à sa mosquée de Toronto semblaient superficielles et reflétaient un manque de ferveur religieuse et de participation. Je ne conclus pas non plus, compte tenu du témoignage de M. Alejly relativement à ses activités religieuses passées, que cette conclusion était [Traduction] « ethnoculturelle » comme on l'a fait valoir pour M. Alejly.

[12]            Les remarques de la SSR selon lesquelles il n'y avait « aucune mosquée familiale wahhabite dans sa ville natale » , qu'il était incroyable que des marchands sunnites de Bagdad aient pu financer une mosquée du mouvement wahhabite adversaire et que les chiites qui fréquentaient la mosquée n'allaient pas paraître suspects soulèvent plus de problèmes. La SRR a bel et bien commis une erreur dans ce cas. Le demandeur a indiqué dans son témoignage qu'il s'agissait en fait d'une mosquée sunnite, que son père n'était pas un adepte des enseignements de Mohammed Abdul Wahab et qu'il était faux de prétendre que M. Alejly et son père étaient wahhabites.


[13]            M. Alejly a affirmé que ces erreurs portaient sur l'essentiel même de sa revendication et il a soutenu que la SSR avait mal interprété le fondement véritable de sa revendication.

[14]            Je ne reconnais pas que la SSR a mal interprété le fondement véritable de la revendication. La transcription de l'audience devant la SSR indique que l'un des membres du tribunal, M. Cram, a demandé des précisions au demandeur :

[Traduction]        

CRAM :                                   Étiez-vous wahhabite ou la mosquée était-elle une mosquée wahhabite, ou ne s'agissait-il que de soupçons?

L'INTERPRÈTE :                   Des soupçons, vous voulez dire comme un...

CRAM :                                   Que ce n'était pas vrai, mais que les gens croyaient que votre - ou que quelqu'un croyait que c'était le cas.

REVENDICATEUR :             On entend par wahhabite un musulman intégriste. Nous étions de simples musulmans qui ont construit une - nous étions de simples musulmans qui ont construit une mosquée, et c'est seulement pour cette raison que des accusations ont été lancées.

CRAM :                                   D'accord. Mais vous et votre famille étiez de simples musulmans, des musulmans sunnites, si je comprends bien.

REVENDICATEUR :             Oui.

CRAM :                                   Qui étiez accusés d'être liés aux autres.

REVENDICATEUR :             Oui, nous étions aussi accusés d'être appuyés par l'Arabie saoudite.


[15]            Étant donné que je suis convaincue que la SSR a compris le fondement de la revendication du statut de réfugié présentée par M. Alejly, je ne peux pas conclure du fait qu'elle a indiqué à tort qu'il s'agissait d'une mosquée wahhabite ou que celle-ci était financée par des marchands sunnites que cela suffit pour vicier la décision de la SSR. Il existait d'autres motifs raisonnables permettant à la SSR d'en arriver à une conclusion défavorable quant à la vraisemblance.

[16]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Les avocats n'ayant proposé aucune question à certifier, aucune question n'est certifiée.

« Eleanor R. Dawson »            

                                                          

Juge                       

Ottawa (Ontario)

27 février 2001

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


                         COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                    SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                            IMM-2064-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                            Obka Alejly c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                                 Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                               30 janvier 2001

MOTIFS DU JUGEMENT de Madame le juge Dawson

DATE DES MOTIFS :                          27 février 2001

ONT COMPARU :

Neil Cohen                                                       pour le demandeur

Lori Hendriks                                                    pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Neil Cohen                                            pour le défendeur

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                              pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

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