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Date : 20201201


Dossier : T‑1185‑20

Référence : 2020 CF 1107

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 1er décembre 2020

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

OLIVIER ST‑CYR

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, monsieur Olivier St‑Cyr, sollicite le contrôle judiciaire de la décision datée du 30 septembre 2020 par laquelle la Section d’appel de la Commission des libérations conditionnelles du Canada [la Section d’appel] a rejeté son appel à l’encontre de la décision rendue le 23 avril 2020 par la Commission des libérations conditionnelles du Canada [la Commission] au motif que l’appel a été déposé en retard.

[2]  Monsieur St‑Cyr purge actuellement une peine pour possession en vue du trafic et possession de produits de la criminalité. Sa peine prendra fin le 15 avril 2021.

[3]  En juillet 2019, la Commission a accordé à M. St‑Cyr une semi‑liberté pour une période de trois (3) mois, laquelle devait être suivie d’une libération conditionnelle totale. Il devait vivre dans un centre correctionnel communautaire pendant la durée de sa semi‑liberté puis s’installer au domicile de ses parents, qui avait été approuvé préalablement comme lieu de résidence en vue de sa libération conditionnelle totale. Il a obtenu sa libération conditionnelle totale en octobre 2019.

[4]  En janvier 2020, M. St‑Cyr a été arrêté pour conduite avec facultés affaiblies et refus d’obtempérer à un ordre. De ce fait, sa libération conditionnelle totale a été suspendue et il a été incarcéré en attendant la tenue d’une audience postsuspension devant la Commission.

[5]  L’audience postsuspension de M. St‑Cyr a eu lieu le 23 avril 2020. Au terme de l’audience, la Commission a décidé d’annuler la suspension et d’accorder de nouveau à M. St‑Cyr une libération conditionnelle totale en l’assortissant de conditions spéciales, notamment une assignation à résidence dans un centre correctionnel communautaire. Les conditions spéciales devaient demeurer en vigueur jusqu’à l’expiration du mandat dont M. St‑Cyr faisait l’objet.

[6]  Le 14 septembre 2020, l’avocate de M. St‑Cyr a envoyé une mise en demeure au Service correctionnel du Canada [le SCC] demandant que M. St‑Cyr soit libéré du centre correctionnel communautaire avant le 16 septembre 2020. Dans sa mise en demeure, l’avocate a affirmé que puisque M. St‑Cyr avait été mis en liberté d’office plutôt qu’en liberté conditionnelle totale depuis le 16 juillet 2020, la condition d’assignation à résidence n’était plus valide puisqu’il ne satisfaisait pas au critère énoncé au paragraphe 133(4.1) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20 [la Loi].

[7]  Le SCC a répondu à la mise en demeure le jour même. Dans sa réponse, le SCC a mentionné que la Commission avait annulé la suspension de la libération conditionnelle totale de M. St‑Cyr en avril 2020 et qu’elle avait établi un certificat de libération conditionnelle au nom de M. St‑Cyr, lequel certificat devait demeurer en vigueur jusqu’à l’expiration du mandat dont il faisait l’objet, soit jusqu’au 15 avril 2021. Pour cette raison, M. St‑Cyr était en liberté conditionnelle totale plutôt qu’en liberté d’office et il devait donc respecter les conditions de libération conditionnelle énoncées dans le certificat.

[8]  Le 20 septembre 2020, l’avocate de M. St‑Cyr a écrit à la Section d’appel de la Commission indiquant qu’elle avait été informée par le SCC que la Commission avait accordé une libération conditionnelle totale à M. St‑Cyr jusqu’à l’expiration du mandat dont il faisait l’objet. Elle a soutenu que la Commission n’avait pas compétence pour accorder à son client une libération conditionnelle totale jusqu’à l’expiration du mandat dont il faisait l’objet et qu’il devait être libéré du centre correctionnel communautaire et autorisé à résider au domicile de ses parents puisqu’il avait été mis en liberté d’office. Elle a demandé que l’affaire soit réglée d’urgence et elle a ajouté que si M. St‑Cyr n’était pas libéré de l’obligation de résider au centre correctionnel communautaire et autorisé à résider avec ses parents, elle prendrait les mesures nécessaires pour engager des procédures sans autre avis ni délai.

[9]  Le 30 septembre 2020, la Section d’appel a rendu sa décision, rejetant l’appel de M. St‑Cyr. La Section d’appel a souligné que l’article 168 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/96‑620 [le Règlement], prévoit un délai de deux (2) mois suivant la décision de la Commission (délai prolongé à trois (3) mois temporairement) pour interjeter appel auprès de la Section d’appel. Puisque la Section d’appel n’a reçu la demande de M. St‑Cyr que le 21 septembre 2020, l’appel était prescrit conformément aux dispositions du Règlement.

[10]  La Section d’appel a ensuite mentionné que M. St‑Cyr pouvait présenter une demande à la Commission afin que ses conditions soient modifiées et elle a expliqué la procédure à suivre pour interjeter appel de la décision rendue par la Commission à la suite de cet examen.

[11]  Le 6 octobre 2020, M. St‑Cyr a déposé la présente demande de contrôle judiciaire ainsi qu’une requête urgente visant à obtenir une injonction interlocutoire ordonnant qu’il soit libéré du centre correctionnel communautaire où il résidait toujours. Le 9 octobre 2020, la juge Martine St‑Louis a rejeté la requête au motif que M. St‑Cyr n’avait pas satisfait aux étapes liées au préjudice irréparable et à la prépondérance des inconvénients du critère en trois étapes énoncé dans l’arrêt RJR ‑‑ Macdonald Inc. c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311.

[12]  Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour suprême du Canada a établi une présomption voulant que la norme de contrôle applicable soit celle de la décision raisonnable (Vavilov, aux para 10, 16‑17). Aucune des exceptions décrites dans l’arrêt Vavilov ne s’applique en l’espèce.

[13]  Lorsque la norme de la décision raisonnable s’applique, la Cour doit s’intéresser à « la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision » (Vavilov, au para 83). Elle doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, au para 99). Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable (Vavilov, au para 100).

[14]  Dans sa demande de contrôle judiciaire, M. St‑Cyr soutient qu’il était déraisonnable pour la Section d’appel de rejeter son appel au seul motif qu’il était prescrit. Il affirme que la fonction première de la Section d’appel est de veiller à ce que les décisions de la Commission soient légales et qu’en l’espèce, la Commission n’avait pas l’autorisation légale d’ordonner qu’il demeure en liberté conditionnelle totale jusqu’à l’expiration du mandat dont il faisait l’objet. Il ajoute que la Commission a aussi outrepassé sa compétence en lui imposant une condition d’assignation à résidence pendant la durée de sa liberté d’office parce qu’il ne satisfaisait pas au critère énoncé au paragraphe 133(4.1) de la Loi.

[15]  Après avoir examiné le dossier, je dois rejeter la demande de contrôle judiciaire de M. St‑Cyr puisqu’il ne m’a pas convaincue que la décision de la Section d’appel était déraisonnable.

[16]  L’article 168 du Règlement prévoit qu’un appelant dispose de deux (2) mois pour interjeter appel d’une décision de la Commission devant la Section d’appel. Ce délai a temporairement été prolongé jusqu’à trois (3) mois durant la pandémie de Covid‑19.

[17]  La Commission a rendu sa décision le 23 avril 2020 et elle a expressément informé M. St‑Cyr que s’il souhaitait interjeter appel de la décision, il devait déposer son appel devant la Section d’appel dans les trois (3) mois suivant la date de la décision. Toutefois, ce n’est que le 20 septembre 2020 que M. St‑Cyr s’est adressé à la Section d’appel, soit près de deux (2) mois après l’expiration du délai. Il n’a pas demandé de prorogation du délai.

[18]  M. St‑Cyr soutient que lorsque le SCC a répondu à la lettre de son avocate le 14 septembre 2020, c’était la première fois qu’il était informé, par écrit, que la Commission avait ordonné le maintien de sa liberté conditionnelle totale jusqu’à l’expiration du mandat dont il faisait l’objet.

[19]  Je ne suis pas convaincue par cet argument. Il est expressément mentionné dans la décision de la Commission que les conditions spéciales imposées à M. St‑Cyr demeureront en vigueur jusqu’à l’expiration du mandat dont il fait l’objet. Les conditions spéciales comprenaient une exigence selon laquelle il devait résider au centre correctionnel communautaire, exigence qui constitue la question en litige dans la présente demande.

[20]  Même si j’acceptais l’argument de M. St‑Cyr à savoir qu’il n’avait compris le sens de la décision de la Commission que le 14 septembre 2020, il n’en demeure pas moins que la décision de prolonger la condition d’assignation à résidence est datée du 23 avril 2020 et que le délai prescrit pour interjeter appel de la décision avait expiré au moment où il a écrit à la Section d’appel. La lettre du SCC ne constitue pas une décision.

[21]  M. St‑Cyr ajoute que sa lettre à la Section d’appel contenait une demande implicite de prorogation du délai.

[22]  Une fois de plus, je ne suis pas du même avis que M. St‑Cyr.

[23]  La décision d’accorder une prorogation de délai est de nature discrétionnaire. La partie qui demande une prorogation de délai doit : (1) manifester une intention constante de poursuivre sa demande; (2) démontrer que la demande est bien fondée; (3) démontrer que l’autre partie ne subira aucun préjudice en raison du retard; (4) démontrer qu’il a une explication raisonnable pour justifier le retard. Il n’est pas nécessaire que les quatre (4) facteurs militent en faveur de la partie requérante, la considération primordiale étant celle de savoir si l’octroi d’une prorogation de délai serait dans l’intérêt de la justice (Canada (Procureur Général) c Hennelly, [1999] 167 FTR 158 (CAF); voir aussi Alberta c Canada, 2018 CAF 83 aux para 44‑45; Canada (Procureur général) c Larkman, 2012 CAF 204 aux para 61‑62).

[24]  Après avoir examiné la lettre envoyée par M. St‑Cyr à la Section d’appel, je ne vois pas en quoi elle traite des critères applicables pour l’octroi d’une prorogation de délai. Même si j’admettais que la lettre traite du critère concernant le bien‑fondé de l’appel, elle ne contient aucune explication quant au retard et elle ne démontre ni une intention constante de poursuivre l’appel ni l’absence de préjudice pour l’autre partie. En réalité, la lettre ressemble davantage à une mise en demeure qu’à une demande de prorogation de délai compte tenu des formulations employées. M. St‑Cyr, par l’entremise de son avocate, avise la Section d’appel que s’il n’est pas libéré du centre correctionnel communautaire avant le 23 septembre 2020 (dans les trois (3) jours suivant la date de la lettre), il prendra les mesures nécessaires pour engager des procédures sans autre avis ni délai.

[25]  Je suis d’accord avec le procureur général du Canada pour dire que le fait d’admettre l’argument de M. St‑Cyr aurait pour effet de permettre à un appelant d’interjeter un appel en dehors du délai prescrit sans qu’il ait à démontrer qu’il satisfait aux critères pour l’octroi d’une prorogation de délai, ce qui ferait perdre tout son sens à l’article 168 du Règlement et serait contraire à l’intention du législateur.

[26]  En l’absence d’une demande de prorogation de délai, il était raisonnablement loisible à la Section d’appel de rejeter l’appel au motif qu’il était prescrit.

[27]  M. St‑Cyr a soutenu que la Cour pourrait examiner la décision de la Commission pour s’assurer de la légalité de celle‑ci, conformément à l’arrêt Cartier c Canada (Procureur Général), 2002 CAF 384 au paragraphe 10, et à la décision Demaria c Canada (Procureur général), 2017 CF 45 au paragraphe 20. Je suis d’avis que ces décisions ne s’appliquent pas dans le cas qui nous occupe puisque la Section d’appel n’a pas confirmé la décision de la Commission. Elle a rejeté l’appel parce qu’il a été interjeté trop tard; elle ne s’est pas penchée sur le bien‑fondé de celui‑ci.

[28]  M. St‑Cyr s’est en outre opposé à certaines portions de l’affidavit présenté par le procureur général du Canada au motif que le déposant donnait un avis juridique sur l’interprétation des dispositions législatives en cause. Étant donné les raisons pour lesquelles je rejette la demande de contrôle judiciaire, il n’est pas nécessaire que je me penche sur cette question. Je ne me suis pas fondée sur l’affidavit pour rédiger les présents motifs.

[29]  Pour les raisons qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Le procureur général du Canada n’a pas réclamé de dépens et aucuns ne seront adjugés.


JUGEMENT dans le dossier T‑1185‑20

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Chaque partie assume ses propres dépens.

« Sylvie E. Roussel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1185‑20

INTITULÉ :

OLIVIER ST‑CYR c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE MONTRÉAL (QUÉBEC) ET OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 NOVEMBRE 2020

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

LE 1ER DÉCEMBRE 2020

COMPARUTIONS :

Diane Condo

Pour le demandeur

Andrea Shahin

Anne‑Renée Touchette

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Condo Law Office

Avocats

Ottawa (Ontario)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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