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Date : 20201209


Dossier : IMM-5915-19

Référence : 2020 CF 1140

Montréal (Québec), le 09 décembre 2020

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

JULYSSA ANN LYNN EUSTACHE

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [LIPR], à l’encontre d’une décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR] confirmant une décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] qui rejetait la demande d’asile de la demanderesse.

[2]  À l’audience orale de la présente demande, les procureurs des parties ont dit s’en remettre aux représentations écrites contenues dans leurs mémoires respectifs.

[3]  Les faits au soutien de la demande d’asile de la demanderesse – qui est une mineure ayant la citoyenneté américaine – sont liés à ceux de sa mère qui, elle, est une citoyenne d’Haïti. Cette dernière raconte qu’elle travaillait en soirée comme infirmière superviseure dans un hôpital de Port-au-Prince en Haïti. Le 3 juin 2017, elle reçoit un homme blessé par balles ou à l’arme blanche. Selon les consignes de l’hôpital, elle prévient la police. Peu de temps après, un groupe de personnes se présente pour voir le blessé. Comme ils n’appartenaient pas à la famille du blessé, la mère refuse mais leur chef la met en garde. Le 9 juin, elle reçoit un appel de menace de mort; elle porte plainte à la police. Le 17 juin, le blessé reçoit son congé de l’hôpital; il est arrêté immédiatement. La même journée, la mère est à nouveau menacé car elle a coopéré avec la police; elle retourne porter plainte à la police. Le 20 juin, des bandits se rendent devant l’hôpital pour tenter d’assassiner la mère; ils crient son nom et tirent en l’air. Craignant pour leur vie, mère et fille quittent Haïti en juillet. Ayant transité par les États-Unis, elles demandent l’asile au Canada un mois plus tard.

[4]  En décembre 2018, la SPR rejette les deux demandes d’asile. La SAR n’a pas compétence pour entendre l’appel de la mère de la demanderesse. Le 5 septembre 2019, la SAR rejette l’appel de la demanderesse, d’où la présente demande de contrôle judiciaire.

[5]  À maintes reprises depuis l’arrêt rendu par la Cour suprême dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], cette Cour a confirmé que la norme de contrôle des décisions de la SAR est celle de la décision raisonnable (Limones Munoz c. Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CF 1051 au para 23; Elusme c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 225 aux para 9-14; Akinkunmi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 742 au para 13; Onuwavbagbe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 758) au para 20. À cet égard, la décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente, rationnelle et justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov au para 85).

[6]  Dans le cas sous étude, la SAR rejette l’appel de la demanderesse au motif principal qu’il y a une absence flagrante de preuve au soutien de sa prétention de crainte bien fondée de persécution ou de quelconque risque dans son pays de nationalité, les États-Unis. Au demeurant, la SAR note que la demanderesse n’a pas invoqué d’erreur spécifique commise par la SPR. La SAR conclut également que le fait d’être potentiellement séparée des autres membres de sa famille – qui ne sont pas citoyens des États-Unis – n’équivaut pas à de la persécution selon la jurisprudence, ni au risque d’être soumis à la torture, à une menace personnelle à la vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités.

[7]  Il n’y a pas lieu d’intervenir en l’espèce. La demanderesse n’a pas convaincu la Cour que la SAR a commise une erreur révisable et que sa décision est déraisonnable. S’agissant du risque que la demanderesse pourrait encourir si elle retournait en Haïti, les articles 96 et 97 de la LIPR font référence à l’existence d’une crainte ou d’un risque par rapport au pays de nationalité. Or, la demanderesse ne possède pas la nationalité haïtienne; elle est américaine. D’autre part, cette crainte n’existe pas en ce qui concerne les États-Unis, comme la demanderesse l’a indiqué dans ses observations écrites du 28 janvier 2019 (Copie certifiée du dossier du tribunal, p 32). Au passage, de l’avis de cette Cour, le défaut de la demanderesse d’invoquer devant la SAR une ou des erreurs spécifiques – alors qu’elle avait le fardeau d’établir que la SPR a commise une erreur – m’apparaît fatal (Majebi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 274 aux paras 8-9).

[8]  Subsidiairement, la demanderesse allègue qu’elle a une crainte de persécution aux États-Unis, basée sur la politique de séparation forcée couramment appliquée par les autorités américaines, ainsi que sur la détention et le renvoi vers le système de famille d’accueil (foster care system), qui sont des traitements subis par des enfants citoyens américains de parents sans statut. Le problème ici c’est qu’il s’agit d’un argument nouveau qui aurait pu et aurait dû être soulevé devant la SAR. Or, la demanderesse ne l’a pas fait, de sorte que cette Cour ne peut le considérer aujourd’hui (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61 aux paras 22-23). De toute façon, cette Cour a déjà statué que la séparation des membres d’une famille n’équivalait pas à de la persécution, au risque d’être soumis à la torture, à une menace personnelle à la vie, ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités, alors que le concept de l’unité familiale n’est pas reconnu en droit canadien des réfugiés (Nazari c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2017 CF 561 aux paras 17-21; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Ali Khan, 2005 CF 398 au para 11).

[9]  Bien que la Cour soit très sensible aux circonstances personnelles et à l’intérêt supérieur de la demanderesse qui est mineure, il ne s’agit pas d’un contrôle judiciaire portant sur le refus d’un agent d’immigration d’accorder une demande de résidence permanente fondée sur des motifs humanitaires. En l’espèce, s’agissant d’une demande d’asile, la demanderesse n’a fait valoir aucun motif sérieux susceptible de permettre à la Cour d’accueillir la présente demande d’annulation de la décision de la SAR.

[10]  Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question d’importance générale n’a été soulevée par les procureurs.

 


JUGEMENT au dossier IMM-5915-19

LA COUR STATUE ET ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5915-19

 

INTITULÉ :

JULYSSA ANN LYNN EUSTACHE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AFFAIRE ENTENDUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 DÉCEMBRE 2020

 

JUGEMENT ET motifs :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

LE 9 décembre 2020

 

COMPARUTIONS :

Me Mohamed Diaré

 

Pour lA DEMANDERESSE

Me Mario Blanchard

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Mohamed Diaré, Avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

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