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Date : 20041028

Dossier : T-559-98

Référence : 2004 CF 1531

Vancouver (Colombie-Britannique), le 28 octobre 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE HENEGHAN

ENTRE :

                                                  KURT ALEXANDER HIEBERT

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                                        JOE PRICE, en qualité de

                                        COMMISSAIRE ADJOINT PAR INTÉRIM,

                                        DÉVELOPPEMENT ORGANISATIONNEL,

                                       SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA

                                                                             et

                                                    OLE INGSTRUP, en qualité de

                     COMMISSAIRE DU SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA

                                                                                                                                          défendeurs

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

INTRODUCTION


[1]                M. Kurt Alexander Hiebert (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire de la décision qu'a rendue Joe Price en qualité de commissaire adjoint par intérim, Développement organisationnel, Service correctionnel du Canada (défendeur Price). Dans cette décision, qui remonte au 23 février 1998, le défendeur Price a rejeté le grief que le demandeur avait déposé à l'égard de la décision rendue vers le 15 septembre 1997 par l'administrateur régional, Opérations correctionnelles, bureau principal régional (Pacifique).

[2]                Le demandeur sollicite en l'espèce une ordonnance de certiorari annulant la décision par laquelle son grief a été rejeté. Il sollicite également une ordonnance de mandamus enjoignant au commissaire du Service correctionnel du Canada (commissaire défendeur) de se conformer aux dispositions pertinentes de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (la Loi) et du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620 (le Règlement) et d'autoriser sans délai son transfèrement au Centre psychiatrique régional (Pacifique) situé à Abbotsford (Colombie-Britannique) ou, subsidiairement, à un pénitencier à sécurité moyenne de cette même province afin qu'il puisse se prévaloir des services d'évaluation du Centre psychiatrique régional.

LES FAITS À L'ORIGINE DU LITIGE


[3]                Le demandeur a commencé à purger une peine d'emprisonnement de huit ans en Colombie-Britannique en août 1985, après avoir été déclaré coupable de plusieurs infractions, dont le vol à main armée, le méfait et la possession de stupéfiants. Pendant qu'il était incarcéré, il a été déclaré coupable de meurtre au deuxième degré d'un détenu en 1987 et a été condamné à purger une peine d'emprisonnement à vie sans être admissible à la libération conditionnelle avant 10 ans.

[4]                En 1991, alors qu'il était encore incarcéré en Colombie-Britannique, le demandeur a été déclaré coupable d'homicide involontaire coupable relativement au décès d'un autre détenu. Il a inscrit un plaidoyer de culpabilité et a été condamné à une peine d'emprisonnement de dix ans devant être purgée concurremment avec les peines antérieures. Après la déclaration de culpabilité, le demandeur a été transféré de l'établissement Kent, en Colombie-Britannique, à l' « Unité spéciale de détention » située au Québec.

[5]                Selon l'affidavit que le demandeur a déposé en l'espèce, l'Unité spéciale de détention a approuvé son retour à l'établissement Kent vers juin 1993. Cependant, ce transfèrement n'a pas eu lieu et le demandeur a plutôt été transféré au pénitencier de Kingston vers septembre 1993. De l'avis du demandeur, son transfèrement à l'établissement Kent a été refusé en raison de la présence de détenus incompatibles, c'est-à-dire de personnes dont la présence dans l'établissement constituait un risque pour la sécurité des détenus ou des membres du personnel ou encore pour celle de l'établissement lui-même. Le sens de cette expression est commenté dans l'affidavit de M. Crawford qui a été déposé pour le compte des défendeurs.


[6]                Le demandeur a subséquemment été incarcéré à l'établissement d'Edmonton et est retourné à Millhaven (Ontario), où il a été admis à l'unité d'isolement préventif. Il a plus tard été admis à l'Unité de santé mentale de l'établissement de Millhaven et, en août 1996, l'agent de libération conditionnelle qui s'occupait de lui a recommandé son transfèrement au Centre psychiatrique régional (Pacifique). Ce transfèrement lui a été refusé en novembre 1996, partiellement en raison de la présence de [traduction] « nombreux détenus incompatibles dans la région du Pacifique » .

[7]                Vers mai 1997, le demandeur a sollicité un transfèrement de l'établissement de Millhaven à l'établissement Mountain, en Colombie-Britannique, afin de recevoir des traitements au Centre régional de santé (Pacifique). Cette demande a été refusée le 15 septembre 1997 pour des raisons liées, notamment, à la présence de détenus « incompatibles » dans la région du Pacifique.

[8]                Le 12 novembre 1997, le demandeur a déposé un grief à l'encontre du refus de sa demande de transfèrement le 15 septembre 1997. Dans le cadre de ses observations, le demandeur a commenté la question de la présence de détenus « incompatibles » .

[9]                Les documents et observations concernant le grief du demandeur ont été révisés par Kevin Crawford, analyste aux Affaires des détenus du Service correctionnel chargé d'enquêter sur les griefs au troisième palier soumis par les détenus. Selon son affidavit qui a été déposé dans la présente demande, M. Crawford a passé en revue les documents suivants :

(1)         rapport récapitulatif sur l'évolution du cas en date du 5 mai 1997;


(2)         rapport récapitulatif sur l'évolution du cas - évaluation et recommandation en date du 5 mai 1997;

(3)         feuille de décision pour le niveau de sécurité du détenu en date du 4 juillet 1997;

(4)         enquête communautaire en date du 18 février 1997;

(5)         enquête communautaire en date du 7 mars 1997;

(6)         lettre accusant réception du grief en date du 14 novembre 1997;

(7)         enquête communautaire en date du 21 janvier 1998.

[10]            M. Crawford a également pris connaissance d'une lettre en date du 28 octobre 1997 remise par Denis Corrigan, le gestionnaire d'unité à l'établissement de Millhaven. Une copie corrigée de cette lettre est jointe comme pièce à l'affidavit de M. Crawford. M. Corrigan, qui était le gestionnaire d'unité/isolement/services de santé mentale à l'établissement de Millhaven, a fait savoir qu'il existait des [traduction] « problèmes » liés au cas du demandeur et à la demande de transfèrement de celui-ci à la région du Pacifique en raison du nombre de détenus incompatibles se trouvant dans cette région. M. Corrigan fait également allusion, dans sa lettre, à certains documents joints à celle-ci qui avaient été préparés relativement à la demande du demandeur et qui ont été acheminés à l'administration centrale à Ottawa.


[11]            M. Crawford a été contre-interrogé au sujet de son affidavit déposé en l'espèce. Il a déclaré qu'il a refusé le grief du demandeur malgré le fait que celui-ci satisfaisait à certains critères favorisant le transfèrement, parce que les problèmes relatifs à l'existence de détenus incompatibles créaient un risque pour la sécurité d'autres personnes et celle de l'établissement. Ces facteurs l'emportaient sur ceux qui favorisaient une décision faisant droit au grief du demandeur. M. Crawford a pris connaissance des documents et les a acheminés au défendeur Price. Il a dit que le commissaire avait autorisé M. Price, en qualité de commissaire adjoint du Développement organisationnel, à examiner les griefs des détenus et, à cet égard, il a produit une copie de l'autorisation écrite donnée par le commissaire défendeur.

[12]            Dans sa décision portant refus du grief du demandeur, M. Price a statué que la question de l'existence de détenus incompatibles était un facteur critique militant à l'encontre d'une décision faisant droit au grief. Voici comment il s'exprime à ce sujet :

[Traduction] La question de l'existence de détenus incompatibles avec d'autres détenus incarcérés à l'établissement Mountain et dans d'autres établissements à sécurité moyenne a été examinée à fond. Vous avez remis plusieurs lettres de détenus de la région du Pacifique qui figurent sur la liste des détenus incompatibles et qui insistent maintenant pour que leurs noms soient retirés du dossier de sécurité à titre de détenus incompatibles. Ce facteur a été examiné avec les autorités de l'établissement; cependant, celles-ci continuent d'affirmer qu'il serait impossible à l'heure actuelle de gérer le risque que vous représentez pour d'autres détenus.

Même si je conviens que vous respectez les critères relatifs à un transfèrement interrégional, il est évident qu'à l'heure actuelle, les problèmes découlant de l'existence de détenus incompatibles dans la région du Pacifique l'emportent sur le bien-fondé de votre demande de transfèrement. ...

[13]            Le demandeur a engagé la présente demande le 30 mars 1998 au moyen d'un avis de requête introductif d'instance, conformément aux anciennes Règles de la Cour fédérale, C.R.C. 1978, ch. 663, et leurs modifications. Dans ce document introductif d'instance, il a sollicité la production des renseignements et documents suivants :


[Traduction] la liste des personnes incompatibles à l'égard du demandeur, les motifs pour lesquels ces personnes sont perçues aujourd'hui comme étant incompatibles, de même que les dates et les méthodes d'examen de leur statut, ou, subsidiairement, tout les renseignements de cette nature qui peuvent être divulgués, à l'exception seulement des renseignements qui sont strictement nécessaires à la protection de la sécurité d'une personne.

[14]            Les défendeurs se sont opposés à la divulgation de ces renseignements, invoquant l'article 37 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. 1985, ch. 5, et ses modifications, ainsi que les alinéas 27(3)a) et b) de la Loi.

[15]            Dans une ordonnance datée du 15 décembre 1999, le juge Pelletier (alors juge de la Section de première instance de la Cour fédérale) a rendu une ordonnance dans laquelle il a rejeté la demande de communication des documents mentionnés dans l'avis de requête introductif d'instance du demandeur et accueilli l'opposition à la divulgation des documents confidentiels énumérés dans le certificat que les défendeurs ont déposé en application de la Loi sur la preuve au Canada. Cette ordonnance n'a pas été portée en appel.

ARGUMENTS


[16]            Dans la présente instance, le demandeur soutient que le défendeur Price n'était pas habilité à examiner et à trancher le grief qu'il a déposé, puisque ce pouvoir a été conféré au commissaire défendeur en vertu de la Loi. De plus, il allègue que le défendeur Price a commis un manquement au devoir d'équité procédurale et a contrevenu aux droits que lui reconnaît l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, soit l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), ch. 11 (la Charte), en ne lui donnant pas suffisamment de renseignements pour lui permettre de réfuter la présomption d'incompatibilité dans la région du Pacifique.

[17]            Le demandeur ajoute que le défendeur Price a commis un manquement à l'obligation d'équité en ne menant pas une enquête en bonne et due forme au sujet de la question des « détenus incompatibles » .

[18]            De l'avis du demandeur, le commissaire défendeur n'a pas pris de mesures raisonnables pour appliquer l'article 28 de la Loi, comme il était tenu de le faire, afin de veiller à ce qu'il soit incarcéré dans le milieu le moins restrictif possible, compte tenu des intérêts liés à la sécurité du pénitencier, de la facilité d'accès à sa famille ainsi que de l'existence de programmes et services qui lui conviennent et de sa volonté d'y participer.

[19]            Enfin, le demandeur reproche au commissaire défendeur de ne pas avoir rempli les obligations qui lui incombent en vertu du paragraphe 31(2) de la Loi, c'est-à-dire de ne pas l'avoir replacé le plus tôt possible parmi les détenus d'un autre pénitencier.

[20]            Pour leur part, les défendeurs répondent que la décision a été prise conformément à la loi et que l'intervention judiciaire n'est pas justifiée en l'espèce.


COMMENTAIRES

[21]            La présente demande soulève trois questions. D'abord, le commissaire défendeur a-t-il délégué correctement son pouvoir décisionnel au défendeur Price? En deuxième lieu, le défendeur Price a-t-il commis une erreur susceptible de révision ou un manquement à l'équité procédurale en ce qui a trait à la façon dont il a exercé ce pouvoir? Enfin, le commissaire défendeur a-t-il agi de manière inéquitable ou omis de s'acquitter de ses obligations juridiques à l'endroit du demandeur?

[22]            Le demandeur invoque le paragraphe 80(2) du Règlement pour contester le pouvoir du défendeur Price de trancher le grief qu'il avait déposé. Voici le texte du paragraphe 80(2) :


80(2) Lorsque le délinquant est insatisfait de la décision rendue au sujet de son grief par le responsable de la région, il peut en appeler au commissaire.

80(2) Where an offender is not satisfied with the decision of the head of the region respecting the offender's grievance, the offender may appeal the decision to the Commissioner.


De l'avis du demandeur, le commissaire défendeur n'était pas habilité à déléguer ce pouvoir décisionnel.

[23]            Je ne suis pas d'accord avec cet argument, eu égard à l'objet de la Loi, au rôle et au pouvoir du commissaire ainsi qu'à la nature de la décision sous examen.

[24]            L'objet de la Loi est énoncé comme suit à l'article 3 :



3. Le système correctionnel vise à contribuer au maintien d'une société juste, vivant en paix et en sécurité, d'une part, en assurant l'exécution des peines par des mesures de garde et de surveillance sécuritaires et humaines, et d'autre part, en aidant au moyen de programmes appropriés dans les pénitenciers ou dans la collectivité, à la réadaptation des délinquants et à leur réinsertion sociale à titre de citoyens respectueux des lois.

3. The purpose of the federal correctional system is to contribute to the maintenance of a just, peaceful and safe society by

(a) carrying out sentences imposed by courts through the safe and humane custody and supervision of offenders; and

(b) assisting the rehabilitation of offenders and their reintegration into the community as law-abiding citizens through the provision of programs in penitentiaries and in the community.


[25]            Le rôle du commissaire est décrit en ces termes au paragraphe 6(1) :


6. (1) Le gouverneur en conseil nomme le commissaire; celui-ci a, sous la direction du ministre, toute autorité sur le Service et tout ce qui s'y rattache.

6. (1) The Governor in Council may appoint a person to be known as the Commissioner of Corrections who, under the direction of the Minister, has the control and management of the Service and all matters connected with the Service.


[26]            Les articles 97 et 98 autorisent le commissaire à établir des règles et directives. Voici le texte de ces dispositions :


97. Sous réserve de la présente partie et de ses règlements, le commissaire peut établir des règles concernant_:

a) la gestion du Service;

b) les questions énumérées à l'article 4;

c) toute autre mesure d'application de cette partie et des règlements.

98. (1) Les règles établies en application de l'article 97 peuvent faire l'objet de directives du commissaire.

(2) Les directives doivent être accessibles et peuvent être consultées par les délinquants, les agents et le public.

97. Subject to this Part and the regulations, the Commissioner may make rules

(a) for the management of the Service;

(b) for the matters described in section 4; and

(c) generally for carrying out the purposes and provisions of this Part and the regulations.

98. (1) The Commissioner may designate as Commissioner's Directives any or all rules made under section 97.

(2) The Commissioner's Directives shall be accessible to offenders, staff members and the public.


[27]            Le grief du demandeur porte sur le refus de sa demande de transfèrement volontaire. Les demandes de transfèrement sont considérées comme des demandes donnant lieu à des décisions administratives visées par la Loi. À cet égard, je cite Gallant c. Canada (Sous-commissaire, Service correctionnel du Canada), [1989] 3 C.F. 329 (C.A.), à la page 342, où la Cour s'est exprimée comme suit :


2. ... il ne faut pas traiter de la même façon toutes les décisions administratives portant sur les détenus en milieu carcéral, qu'elles soient rendues par la Commission nationale des libérations conditionnelles en matière de révocation de libération conditionnelle ou par les comités de discipline à la suite d'infractions pénales pouvant entraîner différentes peines, jusqu'à la ségrégation, ou par les autorités carcérales approuvant, comme en l'espèce, le transfèrement des détenus d'un établissement à un autre pour des motifs d'ordre administratif et de sécurité. Ces décisions sont non seulement différentes en ce qui a trait aux droits, privilèges ou intérêts personnels visés, ce qui peut entraîner différentes normes en matière de garanties procédurales, mais également, et c'est encore plus important, quant à leurs objectifs et à leur raison d'être, ce qui ne peut qu'influer sur le genre de renseignements que le détenu doit connaître afin que sa participation au processus décisionnel ait une portée réelle. ...

[28]            Tel qu'il est mentionné plus haut, le commissaire défendeur avait délégué au défendeur Price le pouvoir d'examiner certaines questions conformément à l'article 80 du Règlement. Cette autorisation est ainsi libellée :

[TRADUCTION] JE SOUSSIGNÉ OLE INGSTRUP, COMMISSAIRE DU SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA, AUTORISE PAR LES PRÉSENTES LE COMMISSAIRE ADJOINT, DÉVELOPPEMENT ORGANISATIONNEL (ACTUELLEMENT APPELÉ COMMISSAIRE ADJOINT, POLITIQUES CORRECTIONNELLES ET PLANIFICATION ORGANISATIONNELLE), À EXERCER LES POUVOIRS ET FONCTIONS QUE ME CONFÈRE L'ARTICLE 80 DU RÈGLEMENT SUR LE SYSTÈME CORRECTIONNEL ET LA MISE EN LIBERTÉ SOUS CONDITION.

LA PRÉSENTE DÉLÉGATION DEMEURE EN VIGUEUR JUSQU'À CE QUE JE LA RETIRE PAR ÉCRIT.

FAIT À OTTAWA, LE 25 NOVEMBRE 1996.

"Ole Ingstrup"

COMMISSAIRE

[29]            La Cour a examiné la question de la délégation de ce pouvoir par le commissaire défendeur dans Mennes c. McClung et al. (2001), 215 F.T.R. 33, où un détenu a contesté le bien-fondé d'une délégation au commissaire adjoint intérimaire du pouvoir d'examiner un grief au troisième palier. La Cour a rejeté cet argument et conclu que le pouvoir décisionnel pouvait être délégué. Aux pages 36 et 37, elle a formulé les commentaires suivants :


20.     ...Les articles 75 à 82 du Règlement énoncent la procédure relative àl'examen des griefs et il est indéniable que ni la Loi non plus que le Règlement n'exigent que le commissaire du Service correctionnel du Canada examine séparément ou directement les plaintes, qu'elles soient présentées au troisième palier d'appel ou à tout autre palier. De plus, il ne serait pas réaliste que le commissaire du Service correctionnel du Canada soit tenu d'examiner tous les griefs déposés par chaque détenu du pays àchaque palier d'appel.

21.      La réponse àcette question provient de plusieurs sources : les articles 97 et 98 de la Loi, la directive du commissaire n ° 081 datée du 22 juin 1998 et intitulée Plaintes et griefs des délinquants (CD 081), la note imprimée au bas de la décision de la commissaire (grief au troisième palier - palier national) et, enfin, le paragraphe 2(2) de la Loi. Chacune de ces sources sera commentée dans cet ordre ci-dessous. C'est l'interaction entre ces différentes sources qui a autorisé la délégation du pouvoir à la commissaire adjointe intérimaire Karen J. Wiseman relativement à la dernière étape de la procédure de grief.

[30]            Dans Mennes, précité, la Cour a également examiné la question de savoir si un commissaire adjoint pouvait déléguer un pouvoir à un « commissaire adjoint intérimaire quant au prononcé d'une décision finale au cours de la procédure de grief » . Invoquant le paragraphe 2(2) de la Loi, notamment la version française de cette disposition, la Cour a répondu à cette question par l'affirmative.

[31]            Dans la présente affaire, M. Crawford a cité deux directives qui régissaient l'examen du grief du demandeur. La première est la Directive 540 du commissaire intitulée « Transfèrement de détenus » , qui prévoit la procédure de grief que les détenus doivent suivre à l'égard des décisions en matière de transfèrement. La seconde est la Directive 081 intitulée « Plaintes et griefs des détenus » .


[32]            Dans la présente affaire, le pouvoir a été délégué par le commissaire défendeur. Eu égard aux dispositions applicables de la Loi et à la décision rendue dans Mennes, j'estime que le défendeur Price était valablement autorisé à trancher le grief au troisième palier que le demandeur a soumis. La prochaine question à examiner est de savoir si le défendeur Price a commis une erreur susceptible de révision en tranchant ce grief ou s'il a commis un manquement au devoir d'équité procédurale dû au demandeur.

[33]            À mon avis, le refus du grief au troisième palier mettait en cause l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire et l'application de compétences spécialisées relativement à l'évaluation de la présence de détenus incompatibles à l'établissement où le demandeur voulait être transféré. Dans ces circonstances, la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable, sous réserve, dans tous les cas, des exigences liées à la bonne foi et à l'équité procédurale. Sur ce point, je cite Kelly c. Service correctionnel du Canada (région du Pacifique) (1992), 56 F.T.R. 166 (C.F. 1re inst.), où la Cour s'est exprimée comme suit à la page 169 :

Il est bien établi que les décisions de transfèrement sont de nature administrative et ne devraient pas être modifiées à moins que le décideur n'ait manifestement manqué à son obligation d'agir équitablement ou qu'une grave injustice n'ait été commise (Nicholson et Haldimand-Norfolk Regional Board of Com'rs of Police, [1979] 1 R.C.S. 311; Martineau c. Le Comité de discipline de l'Institution de Matsqui (No 2), [1980] 1 R.C.S. 602, à la p. 637; Cardinal c. Directeur de l'établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643, à la p. 654). ...

[34]            La Cour a également souligné que, dans le cadre du contrôle d'une décision administrative concernant le transfèrement d'un détenu, elle peut examiner la légalité de cette décision, mais non le bien-fondé.


[35]            Dans la présente affaire, le demandeur a enclenché le processus relatif à la demande de transfèrement. Il s'agissait d'un transfèrement volontaire. Il a déposé ses observations écrites devant les instances décisionnelles de différents paliers et s'est prévalu de la procédure de grief qui était en vigueur. Selon les affidavits de M. Crawford et de M. Bryan Furman, qui ont été déposés dans le dossier des défendeurs, le demandeur a eu la possibilité de présenter ses arguments et l'a fait. À mon avis, il n'y a aucun manquement aux principes d'équité procédurale quant à la façon dont la demande du demandeur a été traitée.

[36]            La décision défavorable du défendeur Price reposait essentiellement sur la présence de détenus incompatibles dans la région du Pacifique. En raison d'une communication non régulière de renseignements concernant les personnes qui étaient considérées comme des détenus « incompatibles » par rapport à lui, le demandeur a commenté cette question en faisant allusion aux personnes qui étaient ainsi classées afin de démontrer que le problème avait été réglé.

[37]            Le défendeur Price ne partageait pas l'avis du demandeur sur ce point et cette décision relevait de son pouvoir discrétionnaire et de sa compétence spécialisée. Le commissaire Price est investi du pouvoir de prendre des décisions concernant la sécurité des détenus et de l'établissement, notamment la sécurité du personnel des services correctionnels. Je ne vois aucune erreur quant à la façon dont le défendeur Price a pris sa décision et le dossier indique l'existence d'un fondement rationnel à l'appui de cette décision.


[38]            Le demandeur soutient qu'il y a eu atteinte aux droits que l'article 7 de la Charte lui reconnaît. Cet argument m'apparaît sans fondement. Il ne s'agit pas en l'espèce d'une décision entraînant la perte de la liberté du demandeur, qui sollicitait plutôt un transfèrement volontaire. Cette demande lui a finalement été refusée, après la procédure de grief à laquelle le demandeur a eu accès. Il appert du dossier que l'établissement où le demandeur voulait être transféré n'était pas indiqué pour lui, compte tenu des facteurs liés à la sécurité. Il s'agissait de facteurs pertinents que le défendeur Price pouvait prendre en compte.

[39]            Le demandeur ajoute qu'il y a eu manquement aux principes d'équité procédurale dans son cas, parce qu'il n'a pas reçu suffisamment de renseignements qui lui auraient permis [traduction] « de réfuter en bonne et due forme la présomption d'incompatibilité dans l'ensemble de la région du Pacifique » . Cet argument doit être rejeté parce que, à mon avis, il vise à contester indirectement l'ordonnance par laquelle le juge Pelletier a accueilli les objections des défendeurs à la production de certains renseignements, conformément à la Loi ainsi qu'à la Loi sur la preuve au Canada. Étant donné que cette décision n'a pas été portée en appel, je dois la suivre. La suffisance du dossier n'est pas contestée dans la présente demande et l'argument du demandeur visant à contester ce dossier n'est pas fondé.


[40]            Le demandeur reproche également au défendeur Price d'avoir commis un manquement au devoir d'équité en n'enquêtant pas correctement au sujet de l'existence de détenus incompatibles avec le demandeur. Je rejette cet argument. Il n'est pas fondé sur la preuve, qui indique que le défendeur Price a été saisi de la question des détenus incompatibles et qu'il l'a examinée. Le fait qu'il a tiré une conclusion contraire à l'avis du demandeur ne signifie pas que l'enquête qu'il a menée était insuffisante ou irrégulière. Il appert de la transcription du contre-interrogatoire de MM. Crawford et Furman que tant le décideur subalterne que les enquêteurs ont examiné cette question avant que celle-ci soit soumise au défendeur Price.

[41]            Enfin, j'en arrive aux arguments du demandeur concernant le fait que le commissaire défendeur ne se serait pas acquitté de ses obligations découlant de l'article 28 et du paragraphe 31(2) de la Loi, dont voici le libellé :


28. Le Service doit s'assurer, dans la mesure du possible, que le pénitencier dans lequel est incarcéré le détenu constitue le milieu le moins restrictif possible, compte tenu des éléments suivants_:

a) le degré de garde et de surveillance nécessaire à la sécurité du public, à celle du pénitencier, des personnes qui s'y trouvent et du détenu;

b) la facilité d'accès à la collectivité à laquelle il appartient, à sa famille et à un milieu culturel et linguistique compatible;

c) l'existence de programmes et services qui lui conviennent et sa volonté d'y participer.

28. Where a person is, or is to be, confined in a penitentiary, the Service shall take all reasonable steps to ensure that the penitentiary in which the person is confined is one that provides the least restrictive environment for that person, taking into account

(a) the degree and kind of custody and control necessary for

(i) the safety of the public,

(ii) the safety of that person and other persons in the penitentiary, and

(iii) the security of the penitentiary;

(b) accessibility to

(i) the person's home community and family,

(ii) a compatible cultural environment, and

(iii) a compatible linguistic environment; and

(c) the availability of appropriate programs and services and the person's willingness to participate in those programs.

31.(2) Le détenu en isolement préventif doit être replacé le plus tôt possible parmi les autres détenus du pénitencier où il est incarcéré ou d'un autre pénitencier.

31(2) Where an inmate is in administrative segregation in a penitentiary, the Service shall endeavour to return the inmate to the general inmate population, either of that penitentiary or of another penitentiary, at the earliest appropriate time.


[42]            Je ne puis voir le lien entre cet argument et l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire, soit le rejet du grief au troisième palier du demandeur. Toutefois, dans la mesure où le commissaire est responsable du contrôle et de la gestion du Service correctionnel, notamment des conditions dans lesquelles le demandeur est incarcéré dans un établissement, le commissaire n'a pas contrevenu à ces dispositions.

[43]            Le défendeur Price a examiné les intérêts liés à la sécurité. Il s'agissait de questions dont il pouvait bel et bien tenir compte pour prendre sa décision. Il a contrebalancé les intérêts du demandeur avec ceux des autres personnes faisant partie du Service correctionnel pour en arriver à sa décision et, ce faisant, il n'a commis aucune erreur susceptible de révision. Étant donné que j'ai déjà conclu que le défendeur Price était autorisé en bonne et due forme à exercer le pouvoir du commissaire défendeur, je conclus que le demandeur n'a démontré aucun manquement aux obligations qui incombent à celui-ci en ce qui a trait à l'article 28 et au paragraphe 31(2) de la Loi.

[44]            La demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens. Dans le cadre de mon pouvoir discrétionnaire, je fixe les dépens au montant de 500 $, y compris la TPS et les débours.


                                        ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens. Dans le cadre de mon pouvoir discrétionnaire, je fixe les dépens au montant de 500 $, y compris la TPS et les débours.

          « E. Heneghan »        

      Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-559-98

INTITULÉ :                                        KURT ALEXANDER HIEBERT

c.

JOE PRICE et autres

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Ottawa (Ont.)

DATE DE L'AUDIENCE :                Le 19 avril 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        Madame la juge Heneghan

DATE DES MOTIFS :                       Le 28 octobre 2004

COMPARUTIONS :

Carol Blake                                                       POUR LE DEMANDEUR

J. Sanderson Graham                                         POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Carol Blake                                                       POUR LE DEMANDEUR

Kingston (Ontario)

Morris Rosenberg                                              POUR LES DÉFENDEURS

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)


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