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Date : 20201204


Dossier : T‑311‑12

Référence : 2020 CF 1123

[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE PAR L’AUTEUR]

Ottawa (Ontario), le 4 décembre 2020

En présence de monsieur le juge Sébastien Grammond

ENTRE :

BAUER HOCKEY LTD.

demanderesse

défenderesse reconventionnelle

et

SPORT MASKA INC., faisant affaire sous le nom de CCM HOCKEY

défenderesse

demanderesse reconventionnelle

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  La défenderesse, Sport Maska Inc., faisant affaire sous le nom de CCM Hockey [CCM], présente une requête en autorisation de déposer un rapport supplémentaire de son expert, M. Scott Davidson, dans le procès pour usurpation de marque de commerce qui a débuté hier. Bien que la requête soit présentée à la toute dernière minute, je l’accueillerai, puisque le rapport aidera la Cour à trancher la présente affaire et que son admission ne causera aucun préjudice important à la demanderesse, Bauer Hockey Ltd. [Bauer].

[2]  Dans la présente action, Bauer cherche notamment à obtenir la restitution des bénéfices réalisés par CCM grâce à la vente de patins qui usurperaient la marque de commerce de Bauer. Les deux parties ont retenu les services d’experts pour calculer les bénéfices de CCM. Les deux experts se sont fondés sur l’hypothèse que seuls les coûts marginaux de CCM pouvaient être déduits dans le calcul des bénéfices de CCM.

[3]  Même si cette hypothèse était généralement acceptée, elle s’est révélée erronée. Le 15 septembre 2020, la Cour d’appel fédérale a rendu son jugement dans l’affaire Nova Chemicals Corporation v Dow Chemicals Company, 2020 FCA 141 [Nova v Dow]. Dans cette affaire, la Cour a fait une analyse détaillée des principes directeurs qui sous‑tendent le droit en matière de restitution de bénéfices. Plus précisément, elle a conclu que, [traduction« en l’absence de circonstances exceptionnelles ou contraignantes ou d’une preuve d’expert convaincante du contraire dans une affaire en particulier, la méthode des coûts complets est la bonne façon de déduire les coûts dans le calcul de la restitution des bénéfices » (au paragraphe 164). Ainsi, les coûts fixes sont déductibles, tout comme les coûts marginaux.

[4]  Après avoir pris connaissance de cet aspect de l’arrêt Nova v Dow, CCM a demandé à son expert, M. Davidson, de produire un rapport supplémentaire pour calculer les bénéfices de CCM sur la base des coûts complets. Le 1er décembre 2020, M. Davidson a produit un rapport de cinq pages contenant un nouveau calcul des bénéfices de CCM, desquels certains coûts fixes ont été déduits. CCM demande maintenant l’autorisation de déposer ce rapport.

[5]  Bauer s’oppose au dépôt de ce rapport. Elle affirme que le rapport est vicié à maints égards, que CCM a attendu à la dernière minute pour demander l’autorisation de le déposer et que son admission lui causerait un préjudice en la privant de la possibilité de mener un interrogatoire préalable sur les questions abordées dans le rapport.

[6]  CCM fait valoir que sa requête devrait être décidée en fonction de principes semblables à ceux qui régissent les requêtes fondées sur le paragraphe 84(2) ou l’article 312 des Règles en ce qui concerne l’admission d’une nouvelle preuve. Je suis d’accord. La Cour jouit d’une grande discrétion à cet égard : Campbell c Élections Canada, 2008 CF 1080, au paragraphe 26. Mon collègue le juge Roger Lafrenière a récemment résumé les principaux facteurs à prendre en considération dans la décision Gemak Trust v Jempak Corp, 2020 FC 644, au paragraphe 75 :

[traduction]

La partie requérante doit établir que la preuve proposée n’aurait pas pu être présentée à une date antérieure, et elle doit également démontrer la pertinence de la preuve proposée, l’absence de préjudice à la partie adverse et en quoi la preuve proposée aiderait la Cour à statuer sur la requête.

[7]  Compte tenu de l’interprétation du droit qui prévalait parmi les avocats spécialistes de la propriété intellectuelle avant l’arrêt Nova v Dow, je suis convaincu qu’on n’aurait pas pu s’attendre à ce que CCM dépose la preuve concernant les coûts totaux à une étape antérieure. Néanmoins, CCM aurait pu soulever cette question plus rapidement après avoir pris connaissance de cette décision, au lieu d’attendre quelques jours avant le début du procès. L’arrêt Nova v Dow est une décision importante qui a dû faire tache d’huile rapidement dans le milieu de la propriété intellectuelle. Il n’existe aucune explication satisfaisante pour justifier ce délai de deux mois. Il s’agit d’un facteur défavorable en l’espèce.

[8]  Le rapport contient des éléments de preuve pertinents. Suivant l’arrêt Nova v Dow, il faut tenir compte des coûts fixes pour calculer les bénéfices de CCM. Le rapport aide la Cour à comprendre en quoi consistent ces coûts fixes. Toutefois, Bauer fait valoir que le rapport ne sera pas utile parce qu’il est vicié. Je ne retiens pas cet argument, puisque les vices invoqués par Bauer sont des questions à trancher au fond.

[9]  Le rapport aidera également la Cour en raison du rôle particulier que jouent les experts financiers dans les litiges en matière de propriété intellectuelle. Il ne faut pas oublier que la nature des coûts engagés ainsi que la question de savoir s’ils ont un lien de causalité avec les produits usurpés sont essentiellement des questions factuelles. En théorie, elles pourraient être tranchées sans que la Cour ait entendu le témoignage d’un expert. Toutefois, les experts financiers sont extrêmement utiles pour amalgamer des données financières brutes et pour les présenter d’une manière qui aide la Cour à se concentrer sur les questions qu’elle doit trancher. J’ai fait allusion à cette réalité dans une instance distincte entre les mêmes parties : Bauer Hockey Ltd c Sport Maska Inc., 2020 CF 212, au paragraphe 29. Si je n’accorde pas l’autorisation de déposer le rapport, CCM aura quand même le droit de présenter des arguments concernant les coûts fixes en se fondant sur la preuve déjà produite. Il sera beaucoup plus simple pour la Cour que cette information soit amalgamée dans le rapport d’expert proposé.

[10]  Bauer fait valoir qu’il serait inéquitable sur le plan procédural d’admettre le rapport à cette étape tardive de l’instance. Admettre le rapport la priverait de la possibilité de poser des questions aux témoins de CCM en interrogatoire préalable ou de demander la production de documents concernant ces coûts fixes.

[11]  Toutefois, il incombe à CCM de prouver les coûts qu’elle a engagés. Elle ne cherche pas à produire une nouvelle preuve documentaire au sujet de ses coûts fixes. Le rapport de M. Davidson est fondé exclusivement sur des documents qui se trouvent déjà au dossier. J’aurais eu de sérieuses préoccupations si CCM avait demandé de déposer une nouvelle série de documents financiers à la veille du procès. Or, ce n’est pas ce qu’elle cherche à faire. Elle désire simplement faire de nouveaux calculs basés sur des données existantes. Ainsi, étant donné que CCM ne produit pas de nouveaux renseignements factuels, aucun autre interrogatoire préalable ne sera nécessaire. La question de savoir si CCM réussit à s’acquitter de son fardeau en adoptant cette stratégie devra être tranchée au fond.

[12]  Je ferais également remarquer que les interrogatoires préalables ont habituellement lieu bien avant le dépôt des rapports d’expert. Le fait qu’un expert avance une théorie à laquelle l’autre partie ne s’attendait pas n’est pas un motif justifiant de reprendre les interrogatoires préalables. Ainsi, l’admission du rapport ne causera aucun préjudice à Bauer et n’entraînera aucune iniquité procédurale. Bauer sera en mesure de contre‑interroger les témoins de CCM au sujet des coûts fixes. De plus, CCM a affirmé qu’elle ne s’opposerait pas à ce que Bauer dépose en réponse un rapport de son propre expert financier.

[13]  Par conséquent, même si CCM aurait dû présenter sa requête plus tôt, je suis d’avis que les autres facteurs me permettent de lui accorder l’autorisation de déposer le rapport supplémentaire de M. Davidson.

ORDONNANCE dans le dossier T‑311‑12

LA COUR ORDONNE que :

  1. La requête de la défenderesse en autorisation de déposer le rapport d’expert supplémentaire de M. Scott Davidson, datée du 1er décembre 2020, est accueillie.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Sébastien Grammond »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIER :

T‑311‑12

 

INTITULÉ :

BAUER HOCKEY LTD. c SPORT MASKA INC., FAISANT AFFAIRE SOUS LE NOM DE CCM HOCKEY

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE OTTAWA (ONTARIO) ET Montréal (QuÉbec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 DÉCEMBRE 2020

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE GRAMMOND

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

LE 4 DÉCEMBRE 2020

COMPARUTIONS :

François Guay

Ekaterina Tsimberis

Jeremy Want

Daniel Davies

POUR LA Demanderesse

 

Christopher C. Van Barr

Martha Savoy

Frédéric Lussier

Ryan Steeves

POUR LA Défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Smart & Biggar

Avocats

Montréal (Québec)

POUR LA Demanderesse

 

Gowling WLG

Avocats

Ottawa (Ontario)

POUR LA Défenderesse

 

 

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