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Date : 20201207


Dossier : IMM-4836-19

Référence : 2020 CF 1126

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 7 décembre 2020

En présence de monsieur le juge McHaffie

ENTRE :

HOANG BAO TRAN NGUYEN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La demande de résidence permanente présentée par Hoang Bao Tran Nguyen au titre de la catégorie « démarrage d’entreprise » a été refusée. L’agent des visas a conclu que Mme Nguyen avait participé à une entente avec un incubateur d’entreprises principalement dans le but d’acquérir un statut ou un privilège au titre de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], et non d’exploiter l’entreprise visée par l’engagement de l’incubateur.

[2]  Il s’agit de la deuxième demande de contrôle judiciaire présentée par Mme Nguyen. Le juge LeBlanc, alors juge à la Cour fédérale, a conclu que le refus antérieur de la demande Mme Nguyen sur le même fondement était inéquitable puisque la première agente des visas n’avait pas porté à l’attention de Mme Nguyen une preuve extrinsèque sur laquelle elle s’était fondée : Nguyen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 439 [Nguyen n1] aux para 1, 29-32. Mme Nguyen soutient maintenant que la décision du deuxième agent des visas était inéquitable et déraisonnable parce qu’elle s’appuyait sur des questions qui n’avaient pas été soulevées par la première agente et qui ne justifiaient pas raisonnablement une conclusion de but irrégulier.

[3]  Je ne suis pas convaincu que la décision de l’agent des visas était inéquitable ou déraisonnable. L’analyse de la demande par la première agente ne liait ou ne limitait pas le deuxième agent, qui était tenu d’effectuer sa propre évaluation de la demande dans son ensemble. Il a soulevé ses préoccupations à bon droit et a donné à Mme Nguyen l’occasion de formuler des commentaires. Les motifs invoqués par l’agent et contestés par Mme Nguyen étaient raisonnablement liés à la question déterminante du but irrégulier, malgré les arguments de Mme Nguyen selon lesquels des questions comme les frais payés à l’incubateur d’entreprises ou les progrès réalisés dans le démarrage de l’entreprise ne faisaient pas expressément partie des Instructions ministérielles applicables au programme à l’époque.

[4]  La demande de contrôle judiciaire est par conséquent rejetée.

II.  Questions en litige et norme de contrôle

[5]  Dans la présente demande, la demanderesse soulève trois questions :

  1. Était-il inéquitable que l’agent des visas soulève des préoccupations concernant les frais payés à l’incubateur d’entreprises en démarrage ou les progrès limités de Mme Nguyen dans l’établissement de son entreprise alors que ces questions n’avaient pas été soulevées par la première agente des visas chargée d’évaluer le dossier?

  2. L’agent des visas a-t-il commis une erreur en se fondant sur des préoccupations concernant les frais payés à l’incubateur d’entreprises en démarrage ou les progrès limités accomplis par Mme Nguyen dans l’établissement de son entreprise pour conclure que Mme Nguyen avait conclu une entente de démarrage principalement dans le but d’acquérir un statut ou un privilège au titre de la LIPR?

  3. Des circonstances spéciales justifient-elles l’adjudication des dépens en l’espèce?

[6]  Comme les parties en conviennent, la première question est une question liée à l’équité qui doit être examinée selon une norme qui est particulièrement bien reflétée par la norme de la décision correcte, bien que, à strictement parler, elle n’implique pas l’application d’une norme de contrôle : Compagnie des chemins de fer Canadien Pacifique c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43; Nguyen n1 au para 24. Lors de l’évaluation d’allégations de manquement à l’équité procédurale, la Cour se demande si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances : Canadien Pacifique au para 54.

[7]  La deuxième question se rapporte au bien-fondé du refus de la demande par l’agent des visas, refus qui, comme les parties en conviennent, doit être évalué selon la norme de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16-17, 23-25. La cour de révision doit « tenir compte du résultat de la décision administrative eu égard au raisonnement sous-jacent à celle-ci afin de s’assurer que la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée » : Vavilov au para 15. Une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » : Vavilov aux para 85, 90, 99, 105-107.

[8]  Comme l’a fait remarquer Mme Nguyen, dans l’arrêt Vavilov, la majorité des juges a confirmé que, bien que le contrôle selon la norme de la décision raisonnable tire son origine du principe de la retenue judiciaire et témoigne d’un respect envers le rôle des décideurs administratifs, il ne s’agit pas d’une « simple formalité » et ce type de contrôle demeure rigoureux : Vavilov aux para 13, 75. Néanmoins, il n’appartient pas à la Cour de se demander quelle décision elle aurait rendue dans les circonstances, mais bien de décider du caractère raisonnable de la décision rendue par le décideur administratif, ce qui inclut à la fois le raisonnement suivi et le résultat obtenu : Vavilov au para 83.

III.  Analyse

A.  Il n’était pas inéquitable pour l’agent des visas d’examiner de nouvelles questions et de se fonder sur celles-ci

(1)  Le programme de la catégorie « démarrage d’entreprise » et les exigences liées à l’équité procédurale

[9]  La nature du programme de la catégorie « démarrage d’entreprise » est décrite par le juge LeBlanc aux paragraphes 2 à 7 de la décision Nguyen n1 et je n’ai pas à répéter ses explications. À l’époque, le programme était régi par les instructions données par le ministre en vertu de l’article 14.1 de la LIPR, soit les Instructions ministérielles concernant la catégorie « démarrage d’entreprise » (2017), Gazette du Canada, partie I, vol. 151, no 33 à la p 3523. Le programme a par la suite été incorporé aux articles 98.01 à 98.13 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le RIPR], mais les parties conviennent que les Instructions ministérielles s’appliquent à la demande de Mme Nguyen et à son évaluation.

[10]  Le paragraphe 2(5) des Instructions ministérielles précise que le demandeur n’appartient pas à la catégorie « démarrage d’entreprise » si sa participation à un accord ou à une entente vise principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège au titre de la LIPR, plutôt que l’exploitation de l’entreprise en question :

But irrégulier

Improper purpose

2 (5) Ne peut être considéré comme appartenant à la catégorie « démarrage d’entreprise » le demandeur qui compte participer, ou qui a participé, à un accord ou à une entente à l’égard de l’engagement principalement dans le but d’acquérir un statut ou un privilège au titre de la Loi et non d’exploiter l’entreprise visée par l’engagement.

2 (5) An applicant is not to be considered a member of the start-up business class if they intend to participate, or have participated, in an agreement or arrangement in respect of the commitment primarily for the purpose of acquiring a status or privilege under the Act and not for the purpose of engaging in the business activity for which the commitment was intended.

[11]  Comme le juge LeBlanc l’a souligné dans la décision Nguyen no 1, le degré d’équité procédurale dû par l’agent des visas dans le contexte d’une demande de cette nature se trouve à « à l’extrémité inférieure du registre » : Nguyen no 1 au para 27; Sapojnikov c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 964 au para 26. Néanmoins, l’agent des visas a l’obligation d’informer le demandeur de ses préoccupations qui ne découlent pas directement des exigences de la LIPR ou du programme applicable, ou de lui donner l’occasion d’y répondre : Bui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 440 aux para 26-29, 33; Sapojnikov au para 26; Nguyen no 1 au para 28.

(2)  Le premier refus de la demande de Mme Nguyen annulé par la Cour

[12]  L’entreprise en démarrage de Mme Nguyen a été conçue pour développer une application logicielle mobile établissant un lien entre les parents, les garderies et les écoles maternelles, dans les États membres de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN), afin que les parents puissent choisir la meilleure option pour leurs enfants parmi les garderies et les maternelles existantes. Mme Nguyen a présenté cette idée à Empowered Startups Ltd., une entité désignée comme incubateur d’entreprises au titre de l’alinéa 4a) des Instructions ministérielles. Empowered a offert à Mme Nguyen de participer à son programme, a délivré un formulaire « Catégorie des titulaires de visa pour démarrage d’entreprise : lettre d’engagement », fourni par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), et les parties ont signé une feuille des modalités en avril 2017.

[13]  La demande de Mme Nguyen a été examinée pour la première fois par une agente des visas à la fin de 2017 et en 2018. Au cours de ce processus, l’agente a soumis la proposition à un examen par les pairs en vertu de l’article 11 des Instructions ministérielles et a reçu un rapport fu comité d’examen. L’agente des visas a par la suite envoyé une lettre relative à l’équité procédurale faisant état d’un certain nombre de préoccupations, y compris certaines questions soulevées dans le rapport d’examen par les pairs, et Mme Nguyen a eu l’occasion d’y répondre. L’agente des visas a refusé la demande en juillet 2018 parce qu’elle n’était pas convaincue que Mme Nguyen avait participé au projet commercial dans le but d’exploiter l’entreprise visée par l’engagement.

[14]  Le juge LeBlanc a annulé ce refus en avril 2019, au motif que l’agente des visas s’était fondée de manière inéquitable sur des éléments de preuve concernant des applications logicielles similaires sur le marché sans faire part de ces préoccupations à Mme Nguyen et sans lui donner l’occasion d’y répondre : Nguyen aux para 26-29. Il a donc renvoyé l’affaire à un autre agent des visas pour nouvel examen.

(3)  Le deuxième refus de la demande de Mme Nguyen pour des motifs différents

[15]  Peu après, un deuxième agent des visas a envoyé une lettre à Mme Nguyen pour lui donner l’occasion de soumettre des renseignements supplémentaires. Au début de mai 2019, Mme Nguyen a envoyé une lettre d’Empowered confirmant de nouveau son engagement à continuer l’incubation, le mentorat et la poursuite d’objectifs de croissance avec Mme Nguyen et son entreprise en démarrage. À la fin de mai, le nouvel agent des visas a envoyé une deuxième lettre relative à l’équité procédurale. La lettre soulevait des préoccupations, notamment l’absence de progrès dans l’entreprise, et comprenait une note du premier comité d’examen par les pairs selon laquelle Mme Nguyen [traduction« a[vait] accepté de payer 300 000 $, ce qui ne s’inscrit pas dans le cours normal des affaires au Canada ».

[16]  Ni la question de l’absence de progrès ni celle des frais de 300 000 $ n’avaient été soulevées par la première agente des visas.

[17]  La réponse de Mme Nguyen à cette deuxième lettre relative à l’équité procédurale répondait à certaines des préoccupations de l’agent des visas. Toutefois, l’agent des visas est demeuré préoccupé par le manque de progrès et par le fait que les frais de 300 000 $ ne s’inscrivaient pas dans le cours normal des affaires. Cela a amené l’agent à refuser de nouveau la demande de Mme Nguyen au motif qu’elle était exclue en application du paragraphe 2(5) des Instructions ministérielles, puisqu’elle avait participé à l’entente avec Empowered principalement dans le but d’acquérir un statut ou un privilège au titre de la LIPR et non d’exploiter l’entreprise visée par l’engagement.

(4)  Le deuxième refus était équitable sur le plan procédural

[18]  Mme Nguyen soutient qu’il était inéquitable pour le deuxième agent des visas de fonder sa décision sur des motifs qui ont été soulevés pour la première fois après que la décision initiale a été rendue, puis annulée par la Cour. Elle soutient que cela revient à cerner arbitrairement de nouveaux problèmes en vue de rejeter la demande, même s’il n’y avait pas de nouveaux renseignements et que la première agente n’était manifestement pas préoccupée par les frais ou les progrès réalisés. Je ne suis pas d’accord.

[19]  Lorsque notre Cour annule une décision et renvoie une affaire pour qu’un autre agent rende une nouvelle décision, le rôle du nouvel agent est de rendre une décision en se fondant sur son évaluation de l’affaire dans son ensemble. Cette évaluation ne se limite pas aux questions que l’agent précédent considérait comme « en suspens ». Comme le juge Rothstein, alors juge à la Cour fédérale, l’a affirmé, « [r]ien n’empêche l’agent des visas de tenir compte de renseignements fournis dans des demandes antérieures et au cours d’entrevues avec le demandeur, à condition que l’agent des visas prenne une décision en fonction de la preuve qui lui a été soumise et ne se considère pas lié ou entravé par des décisions antérieures » [non souligné dans l’original] : Jie c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 8833, 1998 CanLII 8833 au para 7. S’appuyant sur la décision Jie, le juge Diner a souligné « que le raisonnement du décideur précédent ne [doit] aucunement influer sur le réexamen » : Abusaninah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 234 au para 46.

[20]  Le fait qu’un deuxième décideur rende une nouvelle décision indépendante dans le cadre d’un nouvel examen peut signifier qu’il soulève ou invoque des questions qui n’ont pas été soulevées ou invoquées par le premier décideur dans la décision annulée. Cette possibilité est inhérente au processus décisionnel, en particulier lorsqu’une décision multifactorielle comme une évaluation relative au but irrégulier est en cause. Elle ne crée pas d’injustice pourvu que, comme en l’espèce, le demandeur ait eu l’occasion de répondre aux préoccupations soulevées par le deuxième décideur.

[21]  Faire en sorte qu’un décideur administratif ultérieur ne soit pas lié ou entravé dans son processus de décision est suffisamment important pour que notre Cour fasse preuve de prudence dans les directives ou instructions qu’elle donne en renvoyant une affaire pour nouvel examen : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Yansane, 2017 CAF 48 aux para 18-19. Le juge LeBlanc n’a donné aucune telle directive ou instruction : Nguyen au para 32.

[22]  Je suis sensible à la préoccupation soulevée par Mme Nguyen selon laquelle elle estime qu’elle était assujettie à une « cible mobile » et qu’elle risquait d’être empêtrée dans un processus sans fin où différents décideurs soulèveraient tour à tour une série de préoccupations différentes. Toutefois, je ne puis accepter que cela ait créé une iniquité dans le processus en l’espèce. La Cour est en mesure de tenir compte du risque que de multiples décisions et demandes de contrôle judiciaire se transforment en un « boomerang » ou une « partie de ping-pong » et elle peut prendre certaines mesures lorsque cela risque de se produire : voir p. ex. Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1633 aux para 21-22, 35; Vavilov au para 142. Toutefois, cette préoccupation ne se pose pas chaque fois qu’un deuxième décideur rend une décision fondée sur des motifs différents de ceux qui sous-tendent la première décision.

[23]  De même, je ne puis accepter l’autre argument que Mme Nguyen soulève au sujet de l’équité procédurale. Mme Nguyen soutient que le processus ayant mené au rapport du comité d’examen par les pairs était inéquitable puisqu’Empowered ne s’est pas vu accorder la possibilité de répondre aux questions soulevées dans le rapport, notamment en ce qui a trait aux frais de 300 000 $, avant la publication du rapport. Mme Nguyen s’appuie en particulier sur les documents du programme d’IRCC publiés relativement au processus d’examen par les pairs. Ces documents indiquent que si le comité d’examen par les pairs a des doutes ou des préoccupations au sujet de la diligence raisonnable appliquée par l’incubateur, il [traduction« doit en discuter avec un représentant de [l’incubateur] et lui donner l’occasion d’y répondre verbalement ». Mme Nguyen soutient que cela ne s’est pas produit en l’espèce en ce qui concerne les frais et que cette injustice a entaché le rapport et, par conséquent, le processus de demande.

[24]  Cet argument ne peut pas être retenu. La décision faisant l’objet du contrôle est le refus de la demande de Mme Nguyen, et la question est de savoir si le processus a été équitable pour Mme Nguyen, et non pour Empowered. Le rapport du comité d’examen par les pairs ne lie pas l’agent des visas, comme l’énonce expressément le paragraphe 11(4) des Instructions ministérielles. Comme l’agent des visas l’a affirmé dans ses notes versées dans le Système mondial de gestion des cas (le SMGC), qui sous-tendent la décision, [traduction« le fait que [Mme Nguyen] ait accepté de payer 300 000 $ à l’entité désignée est un fait ». Le fait qu’il ait pu y avoir des lacunes dans le processus d’examen par les pairs ne rend pas inéquitable toute décision qui tient compte des frais, puisque Mme Nguyen a expressément eu l’occasion de répondre aux préoccupations de l’agent des visas, y compris au sujet des frais payés à Empowered.

[25]  Le juge LeBlanc s’est penché sur un argument semblable aux paragraphes 33 et 34 de la décision Bui, et l’a rejeté :

Même si le processus d’examen par les pairs était vicié, la décision d’accorder ou non la demande de visa revenait ultimement à l’agent. Par conséquent, l’agent était tenu, selon les circonstances, d’informer le demandeur de ses préoccupations. Comme les préoccupations de l’agent découlaient d’une exigence des Instructions ministérielles, à savoir qu’un demandeur ne doit pas conclure d’engagement dans le but d’acquérir un statut ou un privilège au titre de la Loi (paragraphe 2(5) des Instructions ministérielles), on pourrait soutenir que l’agent n’était pas obligé de transmettre ses préoccupations au demandeur. Or, en l’espèce, l’agent a soulevé cette préoccupation auprès du demandeur.

La façon dont cette préoccupation a été exprimée dans la lettre sur l’équité procédurale répondait au seuil applicable dans la mesure où elle permettait au demandeur de savoir ce qu’il devait prouver et de comprendre pourquoi l’agent était enclin à rejeter sa demande de visa.

[Non souligné dans l’original.]

[26]  Je ne suis pas convaincu que la conclusion du juge LeBlanc dans la décision Bui [traduction« passe à côté de la question » à cet égard, comme le soutient Mme Nguyen. Celle-ci affirme qu’elle n’aurait jamais dû être tenue de répondre au rapport du comité d’examen par les pairs étant donné le processus irrégulier selon lequel il avait été créé. Cependant, je le répète, Mme Nguyen n’a pas été tenue de répondre au rapport du comité d’examen par les pairs lui-même. Elle a été tenue, ou du moins s’est vu donner l’occasion, de répondre aux préoccupations de l’agent des visas relativement à sa demande de résidence permanente. Le fait que ces préoccupations aient d’abord été soulevées ou soulignées dans le rapport du comité d’examen par les pairs ne change rien au fait que ce sont les préoccupations de l’agent des visas qui ont été soulevées en bout de ligne et auxquelles elle devait répondre.

[27]  Je note que, bien que cela ne soit pas déterminant, l’affidavit déposé par l’ancien avocat de Mme Nguyen relativement à la présente demande de contrôle judiciaire indique que sa réponse à la lettre relative à l’équité de l’agent des visas a été préparée après consultation avec Mme Nguyen et Empowered. Dans la mesure où Empowered pouvait fournir des renseignements sur le fait que les frais qu’elle demandait étaient conformes aux normes de l’industrie, la demanderesse a eu l’occasion de soulever ce point dans la réponse à la lettre relative à l’équité, ce qui atténue les préoccupations relatives à l’équité découlant du fait qu’elle n’a pas été en mesure de répondre à cette question devant le comité d’examen par les pairs.

[28]  Je conclus donc que le processus qui a mené au refus de la demande de Mme Nguyen était équitable. Il n’était pas inéquitable que le deuxième agent fonde sa décision sur des questions qui n’avaient pas été soulevées comme des préoccupations par la première agente des visas. Mme Nguyen a eu l’occasion de répondre à ces préoccupations, après leur formulation dans la deuxième lettre relative à l’équité procédurale, avant que la décision ne soit rendue.

B.  La décision de l’agent des visas était raisonnable

[29]  Mme Nguyen soutient qu’il était déraisonnable pour l’agent des visas de se fonder sur le paiement de 300 000 $ à Empowered ou sur la préoccupation quant à l’absence de progrès pour conclure que Mme Nguyen avait conclu l’entente avec Empowered dans un but irrégulier. Pour les raisons qui suivent, je conclus qu’il s’agissait de facteurs pertinents dont l’agent des visas pouvait tenir compte dans son évaluation, et que l’agent des visas a tiré des conclusions et des inférences raisonnables relativement à chacun d’eux.

(1)  Les frais de 300 000 $

[30]  Comme il a été mentionné précédemment, Empowered a délivré un certificat d’engagement, selon le formulaire fourni par IRCC, qui indiquait entre autres choses qu’Empowered investissait 75 000 $ dans l’entreprise proposée. Empowered et Mme Nguyen ont également adopté une feuille des modalités qui décrivait certains aspects de l’entreprise et du programme d’incubation. Bien qu’il n’en soit pas question dans l’un ou l’autre de ces documents, Mme Nguyen et Empowered ont également conclu une entente distincte en vertu de laquelle Mme Nguyen devait verser à Empowered des frais de 300 000 $ pour ses services. Cette entente ne figurait pas au dossier, mais le certificat d’engagement et la feuille des modalités mentionnaient qu’Empowered offrirait un programme d’incubation personnalisé pendant un an, fournirait des locaux et une infrastructure administrative pendant un an au besoin, et assumerait les frais juridiques associés à la constitution en société une fois qu’un permis de travail ou un visa de résident permanent aurait été délivré.

[31]  Mme Nguyen soutient que les frais de 300 000 $ versés à Empowered ne sont pas pertinents par rapport au processus d’examen par les pairs ni à la question de savoir si les exigences des Instructions ministérielles ont été remplies. Elle soutient donc qu’il était déraisonnable de s’appuyer sur ce fait pour conclure que son but était irrégulier.

[32]  S’agissant de l’examen par les pairs, Mme Nguyen appelle l’attention sur l’article 11 des Instructions ministérielles, qui régit ce processus :

Examen par les pairs

Peer Review

11 (1) L’agent peut demander qu’un engagement relatif à une entreprise admissible dans une demande visée au paragraphe 9(1) soit évalué de façon indépendante par un comité d’examen par les pairs établi en vertu d’un accord visé à l’article 3 par une organisation qui a une expertise à l’égard du type d’entité qui prend l’engagement.

11 (1) An officer may request that a commitment in respect of a qualifying business in an application referred to in subsection 9(1) be independently assessed by a peer review panel established under an agreement referred to in section 3 by an organization that has expertise with respect to the type of entity making the commitment.

[…]

[…]

Évaluation indépendante

Independent assessment

(3) Le comité d’examen par les pairs remet à l’agent son évaluation indépendante de la conformité aux règles de l’industrie en ce qui concerne :

(3) The peer review panel must provide the officer with its independent assessment of whether

a) l’évaluation du demandeur et de son entreprise faite par l’entité qui a pris l’engagement;

(a) the entity that made the commitment assessed the applicant and the applicant’s business in a manner consistent with industry standards; and

b) les modalités de l’engagement.

(b) the terms of the commitment are consistent with industry standards.

Évaluation ne lie pas

Assessment not binding

(4) L’agent qui demande une évaluation indépendante n’est pas lié par cette évaluation.

(4) An officer who requests an independent assessment is not bound by it.

[33]  Mme Nguyen soutient, en se fondant sur ces dispositions, que le processus d’examen par les pairs se limite à la question de la diligence raisonnable (art 11(3)a)) et aux modalités de l’engagement (art 11(3)b)). Elle affirme que la forme et le contenu de l’engagement sont décrits à l’article 6 des Instructions ministérielles, lequel ne fait pas référence aux frais payés à l’incubateur. Elle soutient donc que les Instructions ministérielles ne permettent pas de prendre en considération les frais payés à l’incubateur.

[34]  Je ne puis accepter cet argument. À mon avis, le montant payé à un incubateur dans le cadre d’une entente qui engage celui-ci relève des « modalités de l’engagement », peu importe si les frais sont indiqués dans le document d’engagement ou la feuille des modalités. Entre autres choses, l’alinéa 6(4)g) des Instructions ministérielles prévoit que l’engagement doit « décrire la structure juridique et financière de l’entreprise », tandis que l’alinéa 6(4)j) porte que l’engagement doit « préciser les modalités applicables au programme d’incubateur d’entreprises ou à l’engagement » [non souligné dans l’original]. Le fait que les frais soient prévus dans une entente distincte, et qu’ils n’aient pas été mentionnés par Empowered dans le formulaire d’engagement, n’empêche pas que ces frais, à mon avis, soient considérés comme une condition applicable au programme d’incubateur d’entreprises ou à l’investissement.

[35]  Selon l’argument de Mme Nguyen, énoncé expressément dans ses observations orales, un agent des visas ne pourrait pas tenir compte du fait qu’un demandeur hypothétique dans le cadre du programme ait payé 1 000 000 $ pour des services nominaux plus l’engagement requis au titre du programme, puisque les frais payés à un incubateur ne sont pas expressément mentionnés à l’article 6 des Instructions ministérielles.

[36]  Cela ne correspondrait pas à mon avis au libellé des dispositions pertinentes des Instructions ministérielles, interprétées à la lumière de leur objet et de leur contexte. L’objet pertinent comprend le fait que, comme les parties en conviennent, le processus d’examen par les pairs vise en partie à protéger contre la fraude et à faire en sorte que les activités de l’entrepreneur et de l’entité désignée soient conformes aux normes de l’industrie : Nguyen n1 au para 8. Le contexte législatif comprend les objectifs énoncés de la LIPR, qui consistent notamment à « préserver l’intégrité du système d’immigration grâce à la mise en place d’une procédure équitable et efficace » : LIPR, art 3(1)f.1). Bien que Mme Nguyen invoque l’élément de cet objectif qui porte sur la « procédure équitable et efficace », l’objectif lié à l’« intégrité » est tout aussi important. Il ne serait pas conforme à cet objectif d’interpréter les articles 6 et 11 des Instructions ministérielles de manière si restrictive que ni le comité d’examen par les pairs ni l’agent des visas ne puissent déterminer si les frais payés à un incubateur, aux termes d’un arrangement prévoyant que l’incubateur fournira un engagement essentiel dans le cadre du programme, ne sont pas conformes aux normes de l’industrie.

[37]  Quoi qu’il en soit, même s’il y avait une limite à la capacité du comité d’examen par les pairs d’examiner ou de cerner un problème concernant les frais, le paragraphe 2(5) des Instructions ministérielles ne limite en rien les facteurs que l’agent des visas peut prendre en compte dans l’évaluation relative au but irrégulier. Au contraire, le libellé de cette disposition est formulé de manière large et indique que c’est l’intention ou la participation du demandeur « à un accord ou à une entente à l’égard de l’engagement » qui fait l’objet de l’évaluation.

[38]  Mme Nguyen renvoie au guide opérationnel pertinent d’IRCC, intitulé « La catégorie du démarrage d’entreprise » (IP 13/OP 27). Elle signale les sections de ce guide qui traitent du certificat d’engagement, de la feuille des modalités et de l’entente, ainsi que de l’examen par les pairs, faisant encore une fois valoir qu’elles ne traitent pas de la nécessité d’inclure ou de justifier les frais payés à l’incubateur. Je ne crois pas que ce guide opérationnel aide Mme Nguyen. Le guide fait référence aux modalités de l’entente entre l’entrepreneur et l’entité désignée, ce qui, encore là, inclurait des modalités financières même si elles sont contenues dans une entente distincte et non dans la feuille des modalités ou le document d’engagement lui-même. Il indique également, en ce qui concerne les « modalités applicables à l’investissement ou à l’engagement », que « [l]’agent doit s’attendre à retrouver toutes les modalités » [non souligné dans l’original] et qu’il « importera d’examiner ces modalités pour évaluer l’authenticité de l’entreprise » : IP 13/OP 27 à la p 13. Bien que les exemples donnés ne mentionnent pas précisément les frais, ils traitent de questions financières liées à l’évaluation de l’authenticité et ils n’empêchent pas l’examen des arrangements financiers entre un demandeur et un incubateur.

[39]  Mme Nguyen souligne que les dispositions du RIPR qui régissent maintenant la catégorie « démarrage d’entreprise » interdisent expressément d’exiger des frais pour examiner et évaluer une proposition commerciale ou une entreprise : RIPR, art 98.04(2). Elle soutient que cela indique que les frais n’étaient pas pertinents dans le contexte des Instructions ministérielles. Je ne suis pas d’accord. Les Instructions ministérielles peuvent et devraient être interprétées de manière autonome en ce qui a trait à leur application à Mme Nguyen. Le fait qu’une disposition précise concernant les frais figure dans le nouveau règlement ne signifie pas que ces frais ne pourraient pas raisonnablement être considérés comme un facteur pertinent en vertu des anciennes Instructions ministérielles.

[40]  Mme Nguyen cherche à s’appuyer sur la décision rendue par le juge Barnes dans l’affaire Kwan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 92. Dans cette affaire, une question avait été soulevée quant au fait que les notes au dossier de l’agent des visas reflétaient une préoccupation semblable exprimée dans un rapport d’examen par les pairs, selon laquelle des frais de 300 000 $ payables à Empowered ne constituaient « pas [une] situation normale pour un incubateur au Canada », et que cette préoccupation n’avait pas été signalée à Mme Kwan pour lui permettre d’y répondre : Kwan aux para 3, 21. Le juge Barnes a rejeté cet argument au motif que, même si l’agent des visas avait initialement une préoccupation concernant le modèle d’entreprise d’Empowered, il n’a pas fondé sa décision sur cette préoccupation : Kwan aux para 21-25. Ce faisant, le juge Barnes a formulé l’observation suivante au paragraphe 25 :

En l’espèce, les réserves que l’agent des visas a exprimées concernant Empowered n’avaient rien à voir avec l’évaluation des intentions de Mme Kwan ou de sa crédibilité. En fait, il n’est pas étonnant que l’agent des visas n’ait jamais considéré le fait que la CABI ait mentionné le montant de 300 000 $ que Mme Kwan a versé à Empowered comme un point d’intérêt par la suite.

[Non souligné dans l’original.]

[41]  Selon mon interprétation de cette observation du juge Barnes, il indique dans la première phrase que les réserves de l’agent des visas au sujet du paiement n’ont pas, en fin de compte, constitué une question pertinente dans son évaluation des motifs ou de la crédibilité de Mme Kwan. Selon moi, il n’indique pas que la question est si peu juridiquement pertinente qu’elle ne peut pas être considérée comme un facteur pertinent. En ce qui concerne la deuxième phrase de cette observation, il y a peu de choses que je puisse tirer de la déclaration incidente du juge Barnes selon laquelle il n’était « pas étonnant » que l’agent des visas n’ait pas donné suite au renvoi à l’engagement. Je ne peux certainement pas l’interpréter comme étant une conclusion selon laquelle les frais payés à un incubateur pour fournir des services d’incubation et un engagement dans le cadre du programme de la catégorie « démarrage d’entreprise » ne peuvent jamais être pertinents pour déterminer si la démarche du demandeur vise principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège au titre de la LIPR.

[42]  J’arrive à la même conclusion en ce qui concerne le renvoi par Mme Nguyen à la décision du juge Zinn dans l’affaire Mourato Lopes c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 564. Dans cette affaire, comme dans l’affaire Kwan, le rapport d’examen par les pairs mentionnait les frais versés à Empowered, mais, encore là, la décision de l’agente ne reposait pas sur ces frais, de sorte qu’ils ne pouvaient pas servir de fondement à un argument relatif à l’équité : Mourato Lopes aux para 4-8. Au paragraphe 4 de cette décision, le juge Zinn a affirmé :

L’examen a notamment révélé qu’Empowered n’était pas constituée en société et que Mme Mourato Lopes avait accepté de verser 500 000 $ à l’entreprise, ce qui n’était pas normal. Il semble que les deux déclarations sont incorrectes.

[Non souligné dans l’original.]

[43]  Encore une fois, le juge Zinn ne conclut pas que les frais versés à Empowered étaient nécessairement non pertinents ou qu’ils ne pouvaient pas être pris en considération par le comité d’examen par les pairs ou l’agente des visas. Il conclut plutôt que, dans cette affaire, les déclarations faites dans le rapport d’examen étaient incorrectes. L’une de ces déclarations était clairement que l’entreprise n’était pas constituée en société : Mourato Lopes au para 6. En ce qui concerne les frais, on ne sait pas clairement si c’est l’entente de paiement, le montant du paiement ou le fait que le paiement n’était « pas normal » qui a été jugé incorrect. Quoi qu’il en soit, une telle conclusion découlerait nécessairement de la preuve dont disposaient l’agente des visas et la Cour dans cette affaire. Comme le montre l’analyse ci-après, il n’y a eu aucune preuve de cette nature en l’espèce.

[44]  Mme Nguyen avance un argument supplémentaire selon lequel les frais versés à un incubateur ne peuvent pas être pertinents par rapport à la question du but irrégulier, car cela équivaudrait à évaluer un candidat à l’immigration ou un accusé au criminel en fonction du montant des honoraires qu’il a versés à son avocat ou à un autre conseiller professionnel. Je ne puis accepter cette analogie. Le rôle d’un incubateur dans le développement d’une entreprise en démarrage ou dans une demande de résidence permanente au titre de la catégorie « démarrage d’entreprise » est très différent de celui d’un avocat qui fournit des conseils juridiques dans le contexte de l’immigration ou de la justice pénale. Notamment, l’incubateur ne fournit pas que des conseils ou des services professionnels : il fournit un document essentiel, l’engagement, dont un demandeur a besoin pour être admissible au programme de la catégorie « démarrage d’entreprise » : Instructions ministérielles, art 2(2)a), 6(1). Quoi qu’il en soit, dans la mesure où Mme Nguyen cherchait à démontrer que les frais versés à Empowered étaient conformes aux normes de l’industrie ou justifiés en fonction des services offerts ou reçus, elle a eu l’occasion de présenter ses arguments dans sa réponse à la lettre relative à l’équité. Elle n’a rien déposé pour répondre aux préoccupations de l’agent des visas à cet égard.

[45]  Je ne peux pas non plus conclure, comme le fait valoir Mme Nguyen, qu’il n’était pas raisonnable pour le deuxième agent des visas d’examiner les frais versés à l’incubateur parce que la première agente chargée d’évaluer sa demande n’avait pas exprimé de préoccupations à ce sujet, malgré que la question ait été signalée dans le rapport d’examen. Le fait qu’un décideur ne parle pas d’une préoccupation particulière ne signifie pas qu’il est en soi déraisonnable qu’un autre décideur la soulève.

[46]  Contrairement aux affaires Kwan et Mourato Lopes, l’agent des visas en l’espèce avait des préoccupations au sujet des frais payés à l’incubateur, en particulier du fait qu’ils ne s’inscrivaient pas dans le cours normal des affaires au Canada. Il a soulevé ces préoccupations dans la lettre relative à l’équité procédurale, donnant ainsi à Mme Nguyen l’occasion d’y répondre. Plutôt que de fournir des renseignements montrant que les frais étaient conformes aux normes de l’industrie, Mme Nguyen, dans sa réponse à la lettre relative à l’équité procédurale sur cette question, s’est contentée de distinguer les services fournis par les incubateurs de ceux fournis par les investisseurs providentiels (qui formaient le comité d’examen par les pairs) et d’alléguer des conflits d’intérêts et un manque de compréhension de la part du comité d’examen par les pairs. Bien qu’une liste des services déclarés comme étant fournis par Empowered à Mme Nguyen y ait été jointe, la réponse de Mme Nguyen ne comportait aucune déclaration sur le cours normal des affaires ou les frais standards de l’industrie pour ces services. En l’absence de toute information en réponse, de la part de Mme Nguyen, indiquant que les frais payés pour les services de l’incubateur et l’entente d’engagement étaient conformes aux normes de l’industrie, l’agent des visas a conclu que le paiement ne s’inscrivait pas dans le cours normal des affaires, et ses préoccupations à cet égard n’ont donc pas été dissipées dans le contexte de son évaluation du but irrégulier.

[47]  À mon avis, les motifs de l’agent des visas sur cette question portent la marque de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité, qui sont les caractéristiques d’une décision raisonnable : Vavilov au para 99. En d’autres termes, Mme Nguyen ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer qu’il était déraisonnable pour l’agent des visas d’examiner cette question de la manière dont il l’a fait : Vavilov au para 100.

(2)  Les progrès

[48]  La lettre relative à l’équité procédurale envoyée à Mme Nguyen par l’agent des visas faisait état de deux préoccupations concernant les progrès accomplis à l’égard de l’entreprise : (i) aucun progrès n’avait été réalisé à l’égard de l’entreprise depuis mars 2018, malgré le fait que le marché de l’entreprise était à l’extérieur du Canada; (ii) il y avait eu peu de progrès à l’égard de l’entreprise au Canada pendant la période où Mme Nguyen détenait un permis de travail, entre septembre 2017 et juillet 2018.

[49]  Mme Nguyen a répondu à la première de ces préoccupations en soulignant qu’elle avait reçu la première lettre relative à l’équité procédurale en mars 2018, ce qui l’avait obligée à répondre aux préoccupations qui y étaient énoncées, et que sa demande avait ensuite été refusée en juillet 2018, après quoi le statut de son entreprise était à ce point compromis qu’il était irréaliste de travailler à son développement. Elle a également soutenu que le fait qu’elle ait eu recours à la procédure de contrôle judiciaire afin de pouvoir continuer à exploiter son entreprise et obtenir sa résidence permanente démontrait sa motivation et son dévouement envers cette entreprise. En ce qui concerne la deuxième préoccupation, Mme Nguyen a soutenu qu’on accordait trop d’importance à l’existence d’un permis de travail étant donné que les permis de travail ne sont même pas nécessaires dans le cadre du programme de la catégorie « démarrage d’entreprise ».

[50]  Dans les notes versées au SMGC, il est clair que l’agent des visas a accepté qu’il était raisonnable qu’aucun progrès n’ait pu être accompli au Canada dans la période qui a suivi le refus, alors que Mme Nguyen n’avait aucun statut au Canada et ne savait pas si elle obtiendrait le statut de résident permanent. L’agent a toutefois noté que l’entreprise avait été constituée en société en septembre 2017 et qu’il n’y avait ensuite eu aucun progrès pendant plus d’un an, ce qui, selon lui, ne concordait pas avec le profil d’une personne dont le but principal était d’exploiter une entreprise. Il a également considéré que, même sans le statut de résident permanent, Mme Nguyen pouvait établir son entreprise au Canada si elle le voulait au moyen de permis temporaires et que, puisque son marché était à l’extérieur du Canada, des progrès auraient pu être réalisés sans sa présence au Canada. La première question est donc demeurée une préoccupation pour l’agent des visas.

[51]  Au sujet de la deuxième question, l’agent des visas a convenu avec Mme Nguyen qu’un permis de travail était facultatif. Toutefois, il a aussi noté que, dans le cas particulier de Mme Nguyen, Empowered avait affirmé qu’il y avait des raisons d’affaires urgentes pour que Mme Nguyen vienne au Canada avant d’obtenir sa résidence permanente, et qu’il leur fallait agir rapidement pour empêcher d’autres entrepreneurs de mettre la solution en œuvre. Néanmoins, malgré ce caractère d’urgence déclaré et malgré l’obtention d’un permis de travail, peu de progrès ont été réalisés dans l’entreprise. Cette divergence entre l’intention déclarée en vue de l’obtention du permis de travail et les actions de Mme Nguyen une fois le permis délivré était, encore une fois, une source de préoccupation pour l’agent des visas parce qu’elle était incompatible avec les actions d’une personne dont l’intention première serait d’exploiter une entreprise.

[52]  Mme Nguyen soutient qu’il était déraisonnable pour l’agent des visas de se fonder sur l’absence de progrès dans son entreprise. Elle soutient que le programme de la catégorie « démarrage d’entreprise » n’impose aucune exigence pour ce qui est de prouver le succès ou de démontrer un degré particulier de progrès. Au lieu de cela, comme le prévoit le paragraphe 2(1) des Instructions ministérielles, la catégorie est « composée d’étrangers qui ont la capacité de réussir leur établissement économique au Canada » [souligné par Mme Nguyen]. Elle réitère également qu’un demandeur n’a même pas besoin de demander un permis de travail, de sorte que le fait de se fonder sur le manque de progrès alors que Mme Nguyen détenait un permis de travail est déraisonnable.

[53]  Ces arguments ne sont pas convaincants. L’agent des visas n’a pas imposé l’exigence de prouver le succès ni de démontrer un degré particulier de progrès. Il a plutôt comparé les intentions déclarées de Mme Nguyen, telles qu’elles sont décrites dans les documents d’engagement qu’elle a déposés en vue d’obtenir un permis de travail et à l’appui de sa demande de résidence permanente, à sa conduite réelle dans la progression de l’entreprise. L’évaluation que l’agent des visas devait mener en vertu du paragraphe 2(5) des Instructions ministérielles visait à déterminer si Mme Nguyen avait participé à l’entente « principalement dans le but d’acquérir un statut ou un privilège au titre de la Loi et non d’exploiter l’entreprise visée par l’engagement ». Dans les circonstances de la demande de Mme Nguyen, l’examen des détails particuliers de l’engagement et de ses activités commerciales réelles était raisonnablement pertinent dans le contexte de cette évaluation.

[54]  Un argument semblable a été rejeté par le juge Zinn dans la décision Mourato Lopes. Dans cette affaire, l’agente des visas avait également souligné l’absence de « progrès considérables » comme facteur dans l’évaluation relative au but irrégulier. Le juge Zinn a rejeté l’argument selon lequel cette approche était déraisonnable puisqu’il n’y avait aucune preuve qu’Empowered était préoccupée par les progrès de Mme Mourato Lopes. Il a souligné que, compte tenu des circonstances de la demande, « il était approprié que l’agente mette l’accent sur les progrès, ou l’absence de progrès, de Mme Mourato Lopes pendant la période où celle-ci était légalement autorisée à travailler » : Mourato Lopes au para 13. Je ne peux souscrire à l’affirmation de Mme Nguyen selon laquelle le juge Zinn n’a pas correctement évalué l’objet du programme de la catégorie « démarrage d’entreprise ». Le fait qu’il n’est pas obligatoire de démontrer un niveau précis de réussite ou de progrès ne signifie pas que la question du progrès ne peut pas être un facteur pertinent dans une décision concernant le but irrégulier.

[55]  Mme Nguyen soutient également que l’agent des visas a présumé de façon déraisonnable qu’elle pouvait obtenir un permis de travail temporaire durant une certaine période après l’expiration de sa demande de résidence permanente. Elle affirme qu’un tel permis de travail ne serait habituellement pas accordé par IRCC. En plus de ne disposer d’aucune preuve à l’appui de cette prétention, je ne peux pas conclure que l’agent des visas s’est indûment fondé sur la possibilité d’obtenir immédiatement un permis de travail. L’agent des visas a plutôt tenu compte des divers obstacles qui, selon Mme Nguyen, l’auraient empêchée de faire des progrès, et il a affirmé qu’il n’était pas convaincu que ceux-ci étaient de nature à l’empêcher de faire croître son entreprise au cours de la période en question. Dans les circonstances, il était raisonnable que l’agent indique que la [traduction« suspension de tous les progrès » de Mme Nguyen était un facteur à examiner pour déterminer si sa participation à l’entente d’incubateur visait principalement l’acquisition d’un statut au titre de la LIPR.

[56]  Enfin, Mme Nguyen soutient que l’analyse par l’agent des visas de ce qui aurait pu être fait pendant cette période équivaut à faire des conjectures sur son entreprise. Elle soutient que ce n’était pas là le rôle de l’agent des visas, qui devait simplement s’assurer qu’elle n’était pas interdite de territoire et qu’Empowered avait fait preuve de la diligence raisonnable requise. Je ne suis pas d’accord. Aux termes du paragraphe 2(5) des Instructions ministérielles, l’agent des visas était tenu d’évaluer si la participation de Mme Nguyen à l’entente d’incubateur visait un but irrégulier. Cette évaluation n’incombe pas à l’incubateur au motif que l’examen de l’agent des visas se limite à la question de la diligence raisonnable. Comme l’a dit le juge Zinn, « le ministre, et non Empowered, est tenu de préserver l’intégrité du programme » : Mourato Lopes au para 11. Pour mener cette évaluation, l’agent des visas se fonde sur son évaluation de la situation particulière du demandeur et examine les facteurs qui, à son avis, ont trait au but principal du demandeur. Pourvu que cette évaluation soit raisonnablement fondée sur des faits et des facteurs pertinents, notre Cour ne devrait pas intervenir : Vavilov aux para 83-85, 125-126.

[57]  Je conclus donc que Mme Nguyen ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer qu’il était déraisonnable pour l’agent des visas de se fonder sur l’absence de progrès dans son entreprise.

[58]  Compte tenu des conclusions qui précèdent, je n’ai pas à examiner la demande formulée par Mme Nguyen à l’égard de l’adjudication des dépens.

IV.  Conclusion

[59]  Comme je conclus que la décision de l’agent des visas était équitable et raisonnable, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[60]  Aucune partie n’a proposé de question à certifier et je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-4836-19

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Nicholas McHaffie »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Blain McIntosh


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4836-19

 

INTITULÉ :

HOANG BAO TRAN NGUYEN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE LE 2 JUIN 2020 ENTRE OTTAWA (ONTARIO) (COUR) ET MONTRÉAL (QUÉBEC) (PARTIES)

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MCHAFFIE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 7 DÉCEMBRE 2020

 

COMPARUTIONS :

Stephen J. Fogarty

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Michel Pépin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Fogarty Étude légale

Dorval (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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