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Date : 20030721

Dossier : IMM-4356-03

Référence : 2003 CF 905

ENTRE :

                                                         EDWARD MBOYA OKOJIE

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                                               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                           ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MacKAY

[1]                 Les présents motifs s'appliquent à un sursis, ordonné le 4 juillet 2003, à l'exécution d'une mesure de renvoi qui devait prendre effet par un avis de modalités relatives au renvoi en date du 19 juin 2003, lequel informait le demandeur, alors en détention, que son renvoi du Canada serait exécuté le 7 juillet 2003.


[2]                 L'audition de la demande de sursis, d'abord déposée le 11 juillet 2003, concernant le départ du demandeur prévu à l'origine pour le 11 juin, avait été ajournée sine die ce même jour, apparemment après qu'il se fut révélé que le demandeur était incapable de se déplacer pour cause de maladie. Un second avis de renvoi a plus tard été donné pour le 7 juillet, et la demande de sursis a alors été déposée de nouveau sur avis sommaire et entendue le 3 juillet. Aux fins de la présente demande, la Cour considère les deux avis de renvoi comme formant une même procédure, ayant pour effet d'exprimer une seule décision ordonnant que des dispositions soient prises pour exécuter le renvoi du demandeur aussitôt que raisonnablement possible.

[3]                 Deux demandes d'autorisation et de contrôle judiciaire servaient de base à la demande de sursis quand l'affaire a été entendue. La première visait une décision rendue par un agent de renvoi le 9 juin et communiquée par écrit à l'avocat du demandeur ce même jour, en réponse à la demande écrite de cet avocat tendant à faire reporter le renvoi en raison des circonstances particulières de l'affaire. Cette décision portait rejet de la demande de report.

[4]                 La seconde demande d'autorisation et de contrôle judiciaire visait une décision d'évaluation du risque avant le renvoi (ERAR), datée du 30 mai 2003, mais qui n'a été communiquée au demandeur que lorsqu'il s'est présenté le 9 juin comme on le lui avait prescrit pour être ensuite mis en détention. La décision d'ERAR en question portait que le demandeur n'était pas exposé au risque d'être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités, sous le régime des articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, modifiée (la LIPR).

[5]                 Je note que le demandeur avait déposé, sous le parrainage de sa femme, une demande d'établissement présentée au Canada pour des considérations humanitaires, qui était en instance depuis mars 2002. Aucune décision n'avait été rendue sur cette demande au moment de l'examen de la demande de sursis le 3 juillet 2003.

[6]                 Le critère présidant aux décisions en matière de sursis est bien établi [voir Toth c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1998), 6. Imm. L.R. (2d) 123, 86 N.R. 302 (C.A.F.)]. On a soutenu au nom du défendeur que la demande originale sous-jacente d'autorisation et de contrôle judiciaire visant le refus prononcé le 9 juillet de reporter le renvoi était dénuée d'intérêt pratique au moment de l'audition de cette affaire, puisque la demande concernait la décision de ne pas exécuter le renvoi du demandeur le 11 juin. Cependant, comme je l'ai déjà dit, je considère que l'objet de la présente espèce est une seule et même procédure de renvoi; la question que soulève la demande sous-jacente est celle de l'équité de cette procédure et, en particulier, le point de savoir s'il a été porté attention - et si oui dans quelle mesure - aux facteurs d'ordre humanitaire invoqués par l'avocat du demandeur au moment de la demande de report. À mon avis, ces considérations sont suffisamment sérieuses - car la responsabilité de l'agent de renvoi est ici mise en cause - pour que soit remplie la première condition du critère tripartite, à savoir l'existence d'une question sérieuse à trancher.


[7]                 La deuxième condition du critère relatif aux sursis concerne l'établissement d'un préjudice irréparable. S'il est vrai, comme on le soutient dans la présente espèce, que la séparation d'une famille découlant du renvoi d'une personne dépourvue d'un statut reconnu qui lui permettrait de rester au Canada n'est pas ordinairement considérée comme constituant un préjudice irréparable - voir Melo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. 403, le juge Pelletier, aux paragraphes 20 et 21 -, il me paraît que les faits particuliers de la présente espèce justifient une conclusion différente. Il ressort à l'évidence des témoignages sous serment du demandeur et de sa femme, le témoignage de celle-ci étant étayé d'une correspondance avec son psychologue, qu'elle continue de souffrir de troubles psychologiques causés par sa propre expérience, laquelle a entraîné son acceptation comme réfugiée au sens de la Convention. Ses problèmes psychologiques sont sérieux et se trouvent aggravés par la tension de l'incertitude touchant le renvoi du demandeur, son mari, à qui sa situation actuelle au regard de l'immigration interdit de travailler et qui est normalement le principal dispensateur de soins des trois enfants du couple, nés au Canada. Les intérêts des enfants, soutient-on, n'ont pas été pris en considération.


[8]                 On a donné à entendre que les faits susdits ne sont attestés que par des éléments douteux, mais ils ont été déclarés dans des affidavits, et il n'y a pas eu de contre-interrogatoire. La principale préoccupation formulée dans la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire du refus de reporter le renvoi est qu'il ne semble pas avoir été tenu compte des considérations d'ordre humanitaire invoquées par l'avocat dans sa demande écrite de report de l'exécution du renvoi. Un affidavit produit à l'appui de la thèse du défendeur porte bien que la situation du demandeur a été prise en considération, mais il s'agit là de ouï-dire et non d'un affidavit de l'agent de renvoi en question.

[9]                 À mon avis, étant donné la situation familiale particulière du demandeur, c'est-à-dire la maladie de sa femme et les intérêts de trois enfants canadiens, un préjudice irréparable serait causé s'il était maintenant renvoyé, sans qu'aucun élément indique sans ambiguïté qu'il a été tenu compte de la situation de la famille, et que plus tard, dans l'hypothèse où l'une ou l'autre des demandes d'autorisation et de contrôle judiciaire, ou la demande d'établissement présentée au Canada pour des considérations humanitaires, seraient accueillies, il lui était reconnu le droit de rester au Canada.

[10]            Vu les faits, la prépondérance des inconvénients fait pencher la balance en faveur d'un sursis au renvoi du demandeur. À mon sens, l'octroi d'un tel sursis sert les fins de la justice dans la présente espèce.


[11]            Néanmoins, le demandeur et sa famille ne devraient attendre qu'un réconfort provisoire de la mesure ici décidée. Celle-ci n'a pas pour effet de préjuger l'issue des demandes d'autorisation et de contrôle judiciaire ou de la demande d'établissement présentée au Canada pour des considérations humanitaires. Le demandeur n'a pas encore établi l'existence d'un droit à rester au Canada, mis à part le sursis accordé par la présente; or, s'il ne peut établir l'existence d'un tel droit, le ministre restera dans l'obligation de le renvoyer du Canada, et il faut s'attendre à ce qu'il remplisse cette obligation.

« W. Andrew MacKay »

                                                                                                                                                                                                                                                

   Juge

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 21 juillet 2003

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                                                        COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                      SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                      Avocats inscrits au dossier

DOSSIER :                                             IMM-4356-03

INTITULÉ :                                            EDWARD MBOYA OKOJIE

                                                                                                                                                      demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                    TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                  MERCREDI 4 JUILLET 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :    MONSIEUR LE JUGE MacKAY

DATE DES MOTIFS :                         LUNDI 21 JUILLET 2003

COMPARUTIONS :

Kingsley Jesuorobo                                                                      Pour le demandeur

Ann-Margaret Oberst                                                                     Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kingsley Jesuorobo

Avocats

Toronto (Ontario)                                                                           Pour le demandeur

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                               Pour le défendeur


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