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Date : 20201203


Dossier : IMM-5017-19

Référence : 2020 CF 1117

Ottawa (Ontario), le 3 décembre 2020

En présence de l'honorable monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

PIERRE CHARLES DESRAVINES

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Le demandeur, M. Pierre Charles Desravines, est un citoyen Haïtien. Il a fui l’Haïti en 2013 et a obtenu le statut de résident permanent au Brésil. M. Desravines a fait une demande d’asile au Canada, suite à laquelle la Section de la protection des réfugiés [SPR] a conclu qu’il était exclu des définitions de réfugié et de personne à protéger en vertu de l’article 1E de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, 189 RTNU 137 [Convention] et de l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. La Section d'appel des réfugiés [SAR] a rejeté sa demande d’appel et a confirmé la décision de la SPR.

[2]  En vertu du paragraphe 72(1) de la LIPR, M. Desravines demande le contrôle judiciaire de la décision de la SAR. Il prétend que la décision de la SAR n’est pas raisonnable. Il observe que la perte de son statut au Brésil n’était pas volontaire, et il conteste les conclusions défavorables de la SAR quant à sa crédibilité.

[3]  Après avoir examiné attentivement le dossier et les observations des deux parties, pour les motifs qui suivent, je conclus que la présente demande doit être rejetée.

II.  Le contexte

[4]  M. Desravines stipule qu’il aurait été témoin de l’assassinat d'un membre du parti politique d'opposition, Pitit Dessalines, à Port-au-Prince en juin 2013. Les individus impliqués dans le complot étaient armés et ils portaient des vêtements les identifiant comme des membres du parti au pouvoir. Il déclare avoir dénoncé publiquement le meurtre à la radio. Il raconte avoir reçu des menaces de mort anonymes par téléphone après ces événements, menaces qui, selon lui, sont également liées à sa présumée affiliation au parti Pitit Dessalines. Après avoir porté plainte à la police, sa maison a été criblée de balles.

[5]  M. Desravines s’est enfui aux Gonaïves où, selon lui, il a continué à manifester contre le parti au pouvoir. M. Desravines raconte qu’il a de nouveau reçu des menaces de mort par téléphone. En novembre 2013, il s’est enfui à la République dominicaine et ensuite au Brésil, où il est resté trois ans. En mai 2016, il déclare avoir croisé des individus au Brésil liés au parti politique au pouvoir en Haïti. Ceux-ci le connaissaient comme un adversaire du parti et l'ont conséquemment menacé. Il quitta alors le Brésil en juillet 2016 et il arriva aux États-Unis en septembre 2016. Craignant l’expulsion des États-Unis, il est entré au Canada et a présenté une demande d'asile le 2 août 2017.

III.  La décision faisant l’objet de la demande de contrôle judiciaire

[6]  En confirmant la décision de la SPR de rejeter la demande d’asile du M. Desravines, la SAR a conclu qu’il n’était pas crédible. Tout comme la SPR, la SAR a conclu que M. Desravines était un résident permanent du Brésil. En tant que résident permanent, la SAR a conclu que M. Desravines bénéficiait du droit de travailler, d'aller à l’école, d’accéder aux hôpitaux publics et d’entrer et de sortir du pays. S’appuyant sur la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c Zeng, 2010 CAF 118 [Zeng], la SAR a conclu que M. Desravines avait perdu son statut de résident permanent au Brésil en raison de son absence du pays excédant deux ans, conformément à la loi brésilienne. La SAR nota qu’il n’y avait pas de processus significatif en place permettant à M. Desravines de poursuivre sa réintégration.

[7]  La SAR a ensuite abordé les circonstances relatives à la persécution présumée de M. Desravines et à son départ du Brésil. La SAR a observé d'importantes incohérences dans son récit, notamment le fait que le parti Pitit Dessalines n'existait pas en juin 2013 au moment où M. Desravines affirmait avoir été témoin du meurtre de l’un de ses membres. La SAR a rejeté les propos de M. Desravines adressant ces incohérences, et a conclu que le récit de M. Desravines n’était pas crédible. La SAR conclut donc que son départ du Brésil fût volontaire. La SAR a ensuite abordé les facteurs identifiés dans l’affaire Zeng, y compris les obligations internationales du Canada, et a rejeté la demande d’asile.

IV.  Les questions en litige et la norme de contrôle applicable

[8]  Il n’y a qu’une seule question à résoudre dans cette demande: la SAR a-t-elle raisonnablement rejeté la demande d’asile de M. Desravines en vertu de l’article 1E de la Convention?

[9]  La norme de contrôle qui s’applique est celle de la décision raisonnable (Celestin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2020 CF 97 aux para 31-32, Petit Homme c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2020 CF 276 au para 9). Pour être raisonnable, une décision doit être fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent et être justifiée à la lumière des contraintes juridiques et factuelles applicables : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, au para 101 [Vavilov]. La partie qui conteste la décision doit convaincre la cour que « la lacune ou la déficience […] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable ». (Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 au para 33 citant Vavilov au para 100).

V.  Analyse

[10]  Dans le but de décourager la recherche du meilleur pays d’asile, l’article 1E de la Convention a été mis en œuvre à l’article 98 de la LIPR. L’article 1E sert à prévenir l’obtention de l’asile dans un pays lorsqu’on bénéficie déjà essentiellement des mêmes droits et obligations que les ressortissants d’un autre pays d’adoption:

Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, 189 RTNU 137

United Nations Convention relating to the Status of Refugees, 28 July 1951, 189 UNTS 137

1E Cette Convention ne sera pas applicable à une personne considérée par les autorités compétentes du pays dans lequel cette personne a établi sa résidence comme ayant les droits et les obligations attachés à la possession de la nationalité de ce pays.

1E This Convention shall not apply to a person who is recognized by the competent authorities of the country in which he has taken residence as having the rights and obligations which are attached to the possession of the nationality of that country.

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27

Exclusion par application de la Convention sur les réfugiés

98 La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

Exclusion — Refugee Convention

98 A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.

[11]  Dans l’arrêt Zeng, la Cour d’appel fédérale établit un critère comprenant trois volets à appliquer lors de l'examen de l’article 1E de la convention:

[28]  Compte tenu de tous les facteurs pertinents existant à la date de l’audience, le demandeur a t il, dans le tiers pays, un statut essentiellement semblable à celui des ressortissants de ce pays? Si la réponse est affirmative, le demandeur est exclu. Si la réponse est négative, il faut se demander si le demandeur avait précédemment ce statut et s’il l’a perdu, ou s’il pouvait obtenir ce statut et qu’il ne l’a pas fait. Si la réponse est négative, le demandeur n’est pas exclu en vertu de la section 1E. Si elle est affirmative, la SPR doit soupeser différents facteurs, notamment la raison de la perte du statut (volontaire ou involontaire), la possibilité, pour le demandeur, de retourner dans le tiers pays, le risque auquel le demandeur serait exposé dans son pays d’origine, les obligations internationales du Canada et tous les autres faits pertinents.

[12]  Les parties ne contestent pas la décision de la SAR concernant les deux premiers volets de Zeng: (1) M. Desravines avait le statut de résident permanent au Brésil et (2) il a perdu ce statut après avoir été absent du Brésil pendant plus de deux ans. Les parties sont en désaccord quant à l’analyse de la SAR au troisième volet. M. Desravines soutient que la SAR a commis deux erreurs, d’abord en concluant que la perte de son statut au Brésil était volontaire, et ensuite en s’appuyant de manière déraisonnable sur des conclusions négatives de crédibilité dans son analyse du risque de persécution qui, selon M. Desravines, était inadéquat.

[13]  Je ne suis pas persuadé que la décision de la SAR est déraisonnable. La SAR a détaillé de nombreuses incohérences entre le récit de M. Desravines et les éléments de preuve. En identifiant les incohérences, la SAR reconnaît l'explication de M. Desravines, soient des erreurs administratives et des omissions. La SAR indique les raisons pour lesquelles elle rejette les explications fournies et détaille son raisonnement par rapport aux nombreuses conclusions négatives de crédibilité. Ces dernières concernaient plusieurs aspects essentiels, incluant :

A.  Le fait que Pitit Dessalines n’existait pas lors de l’élément déclencheur du récit de M. Desravines, c’est-à-dire l’assassinat en juin 2013;

B.  Des incohérences relatives au nombre d’appels de menaces anonymes; et

C.  L’incohérence relative au fait que les comparants ont prêté serment qu’ils connaissent parfaitement M. Desravines alors que celui-ci a déclaré à l’audience qu’il ne les connaissait pas.

[14]  Il n’était donc pas irréaliste à ce que la SAR conclue, après avoir procédé à l’évaluation indépendante des éléments de preuve, que l’effet cumulatif de ces nombreuses incohérences signalait un manque de crédibilité de la part de M. Desravines (Tovar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 598 au para 19).

[15]  Ayant raisonnablement conclu que M. Desravines n’était pas crédible, il était parfaitement raisonnable à la SAR de conclure en outre qu'il avait volontairement quitté le Brésil, qu’il avait laissé expirer volontairement son statut dans ce pays et qu’il « n’a pas établi avoir besoin de protection advenant un retour en Haïti. » Conséquemment, la SAR a conclu, de façon raisonnable, que M. Desravines « n’a pas démontré avoir besoin de la protection du Canada, qui ne dérogerait donc pas à ses obligations internationales en l’excluant. »

[16]  En vertu des facteurs énoncés dans l’arrêt Vavilov (voir paragraphe 9 ci-dessus), il n’y a pas lieu d’intervenir. La décision de la SAR démontre une logique cohérente et elle est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles la SAR est assujetti. La SAR a suivi les critères prescrits dans l’arrêt Zeng sur l’application de l’exclusion selon l’article 1E de la Convention, et son analyse des critères est étayée par les éléments de preuve au dossier. M. Desravines n’est pas d’accord avec l’évaluation des éléments de preuve, et en particulier l’évaluation de sa crédibilité, mais son désaccord ne révèle pas d’erreur susceptible de révision.

VI.  Conclusion

[17]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a pas de question d’importance générale à certifier.

 


JUGEMENT AU DOSSIER IMM-5017-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5017-19

 

INTITULÉ :

PIERRE CHARLES DESRAVINES c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETE ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 novembre 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 3 dÉcembre 2020

 

COMPARUTIONS :

Me Giuseppe Di Donato

 

Pour le demandeur

 

Me Lynne Lazaroff

 

Pour le demandeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Giuseppe Di Donato

Avocat

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

 

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