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Date : 20201202


Dossier : T‑1756‑19

Référence : 2020 CF 1113

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 2 décembre 2020

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

DANIEL DE SANTIS

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Daniel De Santis, qui agit pour son propre compte, demande le contrôle judiciaire d’une décision de dernier palier par laquelle le directeur général du Service canadien d’appui aux tribunaux administratifs (le SCDATA) a confirmé le rejet du grief déposé par M. De Santis au sujet de sa demande d’horaire mobile.

[2]  Pour les motifs qui suivent, je rejette la présente demande de contrôle judiciaire. J’ai conclu qu’il n’y a eu aucune violation des droits à l’équité procédurale de M. De Santis et que la décision du directeur général est raisonnable.

I.  Contexte pertinent

[3]  M. De Santis occupe un poste d’agent des relations industrielles (ARI) au Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) à Vancouver, en Colombie‑Britannique. Le CCRI relève du SCDATA.

[4]  Le bureau du CCRI de Vancouver compte six employés. M. De Santis est l’un des deux ARI qui travaillent physiquement au bureau de Vancouver. De façon générale, les ARI sont chargés de mener des enquêtes, d’organiser et de tenir des scrutins de représentation et d’offrir des séances de médiation. Les ARI sont également chargés de répondre aux demandes de renseignements du public concernant le CCRI et le Code canadien du travail.

[5]  En occupant ce poste, M. De Santis est exclu de la négociation collective. Il est toutefois assujetti aux modalités de la convention collective conclue entre l’Alliance de la fonction publique du Canada et le Conseil du Trésor du Canada.

[6]  L’article 25.08 de la convention collective est pertinent dans le contexte du présent contrôle judiciaire :

25.08 – Horaire mobile

Sous réserve des nécessités du service, l’employé‑e qui travaille de jour a le droit de demander de travailler selon un horaire mobile allant de 7 h à 18 h, aux heures que l’employé‑e choisit, et cette demande ne peut être refusée sans motif valable.

[7]  Le 28 juin 2019, M. De Santis a été informé par son superviseur, M. Craig, qu’il devait travailler selon un horaire de 8 h à 16 h. En réponse, M. De Santis a présenté une demande au titre de l’article 25.08 de la convention collective en vue de modifier son horaire de travail pour commencer sa journée à 7 h 40 ou 7 h 45.

[8]  M. Craig a refusé la demande en invoquant les nécessités du service.

[9]  Le 2 juillet 2019, M. De Santis a déposé un grief dans lequel il a allégué la violation de l’article 25.08 de la convention collective. Le 12 juillet 2019, M. Craig a rejeté le grief.

[10]  Le grief au deuxième palier déposé par M. De Santis a également été rejeté.

[11]  En octobre 2019, M. De Santis a déposé un grief au troisième et dernier palier. Son grief au dernier palier a été renvoyé au directeur général du SCDATA, M. Christopher Bucar, pour qu’il rende une décision.

[12]  L’audition du grief de M. De Santis a eu lieu par téléphone le 8 octobre 2019. Avant l’audience téléphonique, M. De Santis a fourni au directeur général les renseignements qu’il invoquait à l’appui de son grief.

II.  Décision faisant l’objet du contrôle judiciaire

[13]  Le 21 octobre 2019, le directeur général a rejeté le grief de M. De Santis sur le fondement des besoins du CCRI en matière de service à la clientèle. Dans sa décision, le directeur général a fait remarquer que les heures de travail établies pour tous les bureaux régionaux du CCRI sont de 8 h 30 à 16 h 30. Le directeur général a également souligné qu’il était important que le personnel du CCRI soit disponible pendant les heures de bureau pour répondre aux demandes de renseignements du public.

[14]  Le directeur général a conclu que l’horaire de travail de 8 h à 16 h de M. De Santis permettait au bureau du CCRI de répondre convenablement aux demandes de renseignements présentées en personne, par téléphone ou par courriel pendant les heures de bureau. En outre, le directeur général a conclu que le gestionnaire de M. De Santis avait [traduction] « déjà fait preuve de souplesse en [lui] permettant de travailler de 8 h à 16 h, ce qui est en dehors des heures normales de bureau ». Par conséquent, le directeur général a conclu que le gestionnaire n’avait pas violé la convention collective.

III.  Questions en litige

[15]  M. De Santis soulève un certain nombre de questions en litige dans le cadre du présent contrôle judiciaire, que j’aborderai comme suit :

A.  Y a‑t‑il eu manquement à l’équité procédurale?

B.  La décision est‑elle raisonnable?

C.  Y a‑t‑il lieu d’adjuger des dépens?

IV.  Analyse

Norme de contrôle

[16]  Les questions d’équité procédurale soulevées par M. De Santis sont assujetties à la norme de contrôle de la décision correcte (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 34). Comme l’a indiqué le juge Fothergill dans la décision De Santis c Canada (Procureur général), 2020 CF 723 au para 25, « [l]a question fondamentale est celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter, et s’il a eu la possibilité complète et équitable d’y répondre ».

[17]  En ce qui concerne le bien-fondé de la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire, les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 23).

[18]  Une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov au para 85).

A.  Y a‑t‑il eu manquement à l’équité procédurale?

[19]  M. De Santis soulève deux questions liées à l’équité procédurale. En premier lieu, il soutient que le directeur général s’est appuyé sur des conseils donnés par l’Unité des relations de travail auxquels il n’a pas eu la possibilité de répondre, ce qui constitue un manquement à l’équité procédurale. En réponse à cet argument, le défendeur fait valoir que M. De Santis connaissait parfaitement la question dont était saisi le directeur général et qu’il a pleinement eu l’occasion de fournir au directeur général les renseignements sur lesquels il s’appuyait pour étayer sa thèse.

[20]  La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Vavilov, a fait remarquer ce qui suit au paragraphe 77 : « L’obligation d’équité procédurale en droit administratif est “éminemment variable”, intrinsèquement souple et tributaire du contexte […] » Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême a confirmé les facteurs de l’équité procédurale énoncés dans l’arrêt Baker : (1) la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir; (2) la nature du régime législatif; (3) l’importance de la décision pour l’individu ou les individus visés; (4) les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision; et (5) les choix de procédure faits par le décideur administratif lui-même.

[21]  En tant que plaignant, M. De Santis connaissait clairement la preuve à réfuter en vertu de la disposition de la convention collective qu’il avait invoquée dans son grief. Rien ne laisse entendre que le directeur général a dissimulé certains renseignements ou qu’il s’est appuyé sur certains renseignements au détriment de M. De Santis. Au contraire, les renseignements fournis au directeur général par l’Unité des relations de travail portaient sur les nécessités du service au bureau de Vancouver. Ces renseignements ne seraient pas considérés comme « controversés » ou « contradictoires » et, de toute façon, M. De Santis les connaissait déjà ou aurait dû les connaître.

[22]  Dans la décision De Santis, précitée, le juge Fothergill a rejeté la demande de contrôle judiciaire de M. De Santis portant sur un autre grief n’ayant aucun lien avec celui qui est devant moi. Dans le cadre de ce contrôle judiciaire, M. De Santis a présenté des arguments qui ressemblaient étrangement à ceux qui ont été présentés en l’espèce. Par conséquent, en ce qui concerne la question liée à l’équité procédurale soulevée en l’espèce, les conclusions tirées par le juge Fothergill sont tout aussi applicables ici :

[30] M. De Santis avait le droit d’être informé des faits qui lui étaient défavorables, mais pas celui de consulter toute l’information dont disposait le décideur (Clarke c Canada (Procureur général), 2016 CF 977, aux paragraphes 15 à 17). Le processus de règlement des griefs est censé être informel et il n’a pas pour but d’opposer les parties. M. De Santis étant à l’origine du grief, il connaissait donc la preuve à réfuter. Il a reçu l’opinion rédigée par le Service d’interprétation et y a répondu par des commentaires. Rien n’indique que M. Bucar s’est fondé sur des renseignements défavorables obtenus du personnel de direction du SCDATA et non divulgués à M. De Santis.

[23]  Étant donné que la procédure de règlement des griefs est une procédure non accusatoire et officieuse visant à régler les différends en milieu de travail, il n’est ni logique ni raisonnable que M. De Santis s’attende à avoir le droit d’être informé de chaque renseignement dont dispose le directeur général et d’y répondre. Une telle exigence paralyserait la procédure de règlement des griefs.

[24]  Quoi qu’il en soit, le grief de M. De Santis soulevait une question relativement simple concernant une demande d’horaire mobile. M. De Santis a eu l’occasion de fournir au directeur général des renseignements avant que celui‑ci n’examine la question et ne prenne une décision. Il s’agissait d’un processus équitable et M. De Santis n’a établi aucun manquement à l’équité procédurale à cet égard.

[25]  La deuxième question liée à l’équité procédurale soulevée par M. De Santis se rapporte à son allégation selon laquelle son ancien superviseur avait accepté de lui permettre de modifier son horaire de travail, parce que son temps de déplacement pour se rendre ou travail et en revenir était plus long. Selon M. De Santis, suivant cette entente, entre mars 2016 et juin 2019, son horaire de travail était de 7 h 50 à 15 h 50. Par conséquent, M. De Santis soutient que son employeur ne peut pas maintenant l’obliger à travailler de 8 h à 16 h.

[26]  Dans la décision De Santis, précitée, un argument semblable, fondé sur la préclusion, a été présenté et rejeté. Lorsqu’il a examiné la preuve qui avait été présentée, le juge Fothergill a déclaré ce qui suit, au paragraphe 32 : « Elle est loin d’établir l’existence d’une pratique ou conduite suffisamment claire, nette et explicite pour susciter une attente légitime en droit (Varadi c Canada (Procureur général), 2017 CF 155, aux paragraphes 46 et 47). »

[27]  À mon avis, les éléments de preuve invoqués par M. De Santis n’établissent pas une conduite « claire, nette et explicite » concernant une entente selon laquelle il était autorisé à modifier son horaire de travail. L’employeur de M. De Santis n’est pas au courant d’une telle « entente » et M. De Santis lui‑même n’a fourni aucun élément de preuve pour l’étayer. Compte tenu de l’importance de cette « entente », il est raisonnable de supposer que M. De Santis aurait cherché, d’une manière quelconque, à la confirmer par écrit.

[28]  À mon avis, il n’y a aucune preuve pour étayer l’entente alléguée entre M. De Santis et son ancien superviseur au sujet de la modification de son horaire de travail. Ce manque de preuve porte un coup fatal à l’argument fondé sur la préclusion.

B.  La décision est‑elle déraisonnable?

[29]  M. De Santis fait valoir que la décision est déraisonnable parce que le rejet de sa demande d’horaire mobile n’est pas lié aux nécessités du service, comme l’exige l’article 25.08 de la convention collective. Or, dans sa décision, le directeur général mentionne la nécessité d’assurer une présence au bureau pendant les heures de bureau. Il s’agit de là de la nécessité du service justifiant le refus.

[30]  M. De Santis invoque la décision Canada (Procureur général) c Degaris, [1994] 1 CF 374, à l’appui de son argument selon lequel un employeur ne peut pas invoquer les nécessités du service pour refuser de prendre des mesures d’adaptation à l’égard d’un employé. À mon avis, la décision Degaris n’est d’aucune utilité pour M. De Santis. Les faits de cette affaire sont très différents. Dans l’affaire Degaris, l’employé a demandé un congé et non la modification de son horaire de travail. De plus, dans sa décision, la Cour a conclu qu’il n’était pas loisible à l’employeur de refuser une demande de congé au motif qu’il y a une pénurie de personnel lorsque celle-ci est attribuable à ses propres actes. En l’espèce, rien ne laisse entendre que le bureau de Vancouver manque de personnel. La question concerne plutôt l’horaire de travail et la nécessité de s’assurer qu’il y a quelqu’un pour répondre aux demandes de renseignements du public pendant les heures de bureau.

[31]  M. De Santis fait également valoir que la décision est déraisonnable parce que le directeur général n’a pas abordé la preuve que M. De Santis avait travaillé selon un horaire de travail différent pendant plusieurs années (de mars 2016 à juin 2019) sans que cela nuise aux activités du bureau. Selon M. De Santis, les agents de gestion de cas peuvent répondre aux demandes de renseignements des gens qui se présentent sans rendez‑vous. M. De Santis fait également remarquer qu’il n’est arrivé qu’une seule fois au cours des cinq dernières années qu’une personne se présente au bureau sans rendez-vous après 16 h. Ce facteur a été pris en considération, mais il a été noté qu’il incombe aux ARI et non aux agents de gestion de cas de répondre aux demandes de renseignements.

[32]  M. De Santis a laissé entendre que les heures d’ouverture et le droit du public d’avoir accès au bureau ne constituent pas des facteurs pertinents puisque les heures ne sont pas affichées publiquement. Cet argument est à la fois troublant et sans fondement. J’accepte le témoignage d’un gestionnaire chargé de la gestion du milieu de travail au SCDATA, Jonathan Tremblay‑Meloche, qui a déclaré que les heures d’ouverture de tous les bureaux régionaux sont de 8 h 30 à 16 h 30.

[33]  Enfin, je fais remarquer que M. De Santis bénéficie déjà d’une mesure d’adaptation qui lui permet de travailler en dehors des heures d’ouverture. Comme l’a déclaré le directeur général, M. Craig a [traduction] « déjà fait preuve de souplesse en [lui] permettant de travailler de 8 h à 16 h, ce qui est en dehors des heures normales de bureau ». Ce fait a été passé sous silence dans les arguments de M. De Santis.

[34]  Il était raisonnable pour le directeur général de rejeter le grief de M. De Santis en raison des nécessités du service liées à la présence du personnel pendant les heures de bureau. Même si M. De Santis est clairement en désaccord avec le résultat de son grief, il n’a pas établi que la décision est déraisonnable.

C.  Y a‑t‑il lieu d’adjuger des dépens?

[35]  Le défendeur demande des dépens de 1 000 $. M. De Santis soutient quant à lui que chaque partie devrait assumer ses propres dépens.

[36]  En tant que partie ayant gain de cause, le défendeur a droit aux dépens, que je fixe à 500 $, taxes et débours inclus.


JUGEMENT dans le dossier T‑1756‑19

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Les dépens, fixés à 500 $, taxes et débours inclus, sont adjugés au défendeur.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Blain McIntosh


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

T‑1756‑19

 

INTITULÉ :

DANIEL DE SANTIS c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 NOVEMBRE 2020

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

DATE DES MOTIFS :

Le 2 décembre 2020

COMPARUTIONS :

Daniel De Santis

Le demandeur, POUR SON PROPRE COMPTE

Kieran Dyer

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

Pour le DÉFENDEUR

 

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