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Date : 20201120


Dossier : T‑315‑20

Référence : 2020 CF 1080

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 20 novembre 2020

En présence de la juge responsable de la gestion de l’instance, Angela Furlanetto

ENTRE :

SUNOVION PHARMACEUTICALS CANADA INC. ET SUMITOMO DAINIPPON PHARMA CO., LTD.

demanderesses

et

PHARMASCIENCE INC.

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.  Contexte

[1]  La Cour est saisie d’une action, intentée au titre du paragraphe 6(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (Avis de conformité) (le Règlement MBAC), qui concerne quatre brevets portant sur le médicament lurasidone. La présente requête vise l’obtention de différentes mesures de redressement en ce qui touche l’affidavit de documents et des éléments produits par la demanderesse, Sumitomo Dainippon Pharma Co., Ltd. (Sumitomo).

[2]  Pharmascience Inc. (Pharmascience), la défenderesse, affirme que l’affidavit comprend des renseignements identificatoires incomplets (date, description, auteur et destinataire) relativement à la majorité des 5 001 documents qu’il comprend. Comme l’allègue Pharmascience, 4 211 documents ne sont pas datés; 1 280 ne comportent aucune description; 2 667 sont en japonais ou pourraient être qualifiés de [traduction« charabia »; plus de 1 800 documents n’ont pas d’auteur; et aucun des 5 001 documents n’a de destinataire. Les lacunes sont aggravées par le fait que sur les 5 001 documents produits, 3 436 sont en japonais et doivent être traduits en anglais. Bien qu’ils aient été fournis sous forme électronique, Pharmascience soutient qu’elle ne peut y faire de recherches étant donné que les métadonnées sont en japonais plutôt qu’en anglais. Vu ces difficultés à examiner les documents, le recours à des renseignements descriptifs dans l’affidavit de documents de Sumitomo n’en serait que plus important.

[3]  Le deuxième sujet litigieux concerne le faible nombre de documents (quatre) produits à l’égard de l’un des quatre brevets : le brevet 265. Pour Pharmascience, il est incompréhensible que seulement quatre documents liés à ce brevet soient en la possession, sous l’autorité et sous la garde de Sumitomo, d’autant plus qu’un seul document a été produit à l’égard de l’historique de l’invention et qu’aucun ne l’a été au sujet des exemples du brevet.

[4]  Compte tenu de ces lacunes relevées, Pharmascience sollicite les différentes mesures de redressement suivantes :

a)  Une ordonnance au titre de l’article 225 des Règles des Cours fédérales obligeant les demanderesses à ne divulguer dans un affidavit de documents que les documents pertinents qui sont en la possession, sous l’autorité et sous la garde de Sumitomo Dainippon Pharma Co Ltd. (Sumitomo);

b)  Une ordonnance au titre des articles 223 et 227 des Règles des Cours fédérales obligeant les demanderesses à signifier un affidavit de documents exact ou complet de Sumitomo qui contienne des renseignements en anglais, notamment :

a.  une description de l’essence de chaque document, pour permettre de l’identifier;

b.  la date de chaque document;

c.  l’auteur et, le cas échéant, le destinataire de chaque document.

c)  Une ordonnance au titre de l’article 226 des Règles des Cours fédérales obligeant les demanderesses à produire une version traduite en anglais de tous les documents de l’affidavit de documents de Sumitomo qui sont en langue étrangère.

d)  Une ordonnance au titre des articles 3 et 227 des Règles des Cours fédérales portant que si les demanderesses ne peuvent s’acquitter de leurs obligations à l’égard de la production de documents au titre des Règles, telles qu’elles sont énoncées précédemment aux alinéas b) et c), les documents en question doivent être retirés de l’affidavit de documents et ne pourront être invoqués par elles dans le contexte de l’action.

e)  Une ordonnance au titre de l’article 227 des Règles des Cours fédérales radiant l’ensemble ou certaines parties des paragraphes 39‑40, 43‑44 et 47‑48 de la réplique des demanderesses, sans autorisation de les modifier, les paragraphes en question se rapportant au brevet canadien no 2,538,265 (le brevet 265). Subsidiairement, une ordonnance au titre de l’article 227 des Règles des Cours fédérales portant que l’auteur de l’affidavit de documents de Sumitomo doit être contre‑interrogé.

f)  Les dépens de la présente requête.

[5]  Notons que les parties se retrouvent dans une situation délicate attendu qu’un long délai a été sollicité au début de l’instance aux fins de la collecte des documents. Les étapes suivantes, y compris les interrogatoires et communications préalables, devront se dérouler selon un calendrier plus accéléré. La présente requête comporte donc un aspect pratique. Dans le contexte de mon examen des questions en litige soulevées en l’espèce, je suis attentive à l’article 3 des Règles des Cours fédérales et à la nécessité de rechercher une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible, compte tenu en particulier des contraintes de temps imposées par le Règlement MBAC.

II.  La forme et le contenu de l’affidavit de documents de Sumitomo

[6]  Le paragraphe 223(2) des Règles des Cours fédérales énonce l’obligation dont doit s’acquitter la partie qui compile un affidavit de documents :

(2) Contenu – L’affidavit de documents est établi selon la formule 223 et contient :

a) des listes séparées et des descriptions de tous les documents pertinents :

(i) qui sont en la possession, sous l’autorité ou sous la garde de la partie et à l’égard desquels aucun privilège de non‑divulgation n’est revendiqué,

(ii) qui sont ou étaient en la possession, sous l’autorité ou sous la garde de la partie et à l’égard desquels un privilège de non‑divulgation est revendiqué,

(iii) qui étaient mais ne sont plus en la possession, sous l’autorité ou sous la garde de la partie et à l’égard desquels aucun privilège de non‑divulgation n’est revendiqué,

(iv) que la partie croit être en la possession, sous l’autorité ou sous la garde d’une personne qui n’est pas partie à l’action;

[7]  La formule 223 établit le cadre applicable aux affidavits de documents. Comme le prévoit le paragraphe 3 de cette formule, le souscripteur d’un affidavit de documents doit déclarer sous serment ou affirmer solennellement que :

3. Cet affidavit divulgue, au mieux de ma connaissance et de ma croyance, tous les documents qui ont trait à une question en litige dans l’action et qui sont ou étaient en ma possession, sous mon autorité ou sous ma garde ou en la possession, sous l’autorité ou sous la garde de (nom de la partie), ou que je crois être en la possession, sous l’autorité ou sous la garde de personnes qui ne sont pas parties à l’action.

[8]  En ce qui concerne l’annexe 1, le souscripteur de l’affidavit doit fournir la « [l]iste de tous les documents pertinents, ou liasses de documents pertinents, qui sont en ma possession, sous mon autorité ou sous ma garde [ou en la possession, sous l’autorité ou sous la garde de (nom de la partie)] et à l’égard desquels aucun privilège de non‑divulgation n’est revendiqué » et « ([n]uméroter chaque document ou liasse de documents consécutivement. Indiquer la nature et la date du document ou de la liasse et donner suffisamment de précisions pour permettre de l’identifier) ».

[9]  En l’espèce, l’affidavit de documents de Sumitomo n’est pas totalement conforme à la formule 223 et emploie une terminologie différente. Plutôt que de déclarer au paragraphe 3 qu’il divulgue « au mieux de ma connaissance et de ma croyance, tous les documents qui ont trait à une question en litige dans l’action […] », l’affidavit nuance ainsi ce libellé : [traduction« […] tous les documents susceptibles d’avoir trait à une question en litige dans l’action […] ». Aussi, il n’est pas assermenté.

[10]  En outre, il est allégué que l’annexe 1 ne comporte pas les renseignements décrits et nécessaires à l’identification de tous les documents qui y sont énumérés, à savoir la date et une description, ainsi que l’auteur et le destinataire. Dans de nombreux cas, les renseignements sont en japonais et non en anglais.

[11]  Les demanderesses affirment qu’elles se sont conformées aux exigences des Règles des Cours fédérales. Elles font valoir en général que les Principes de Sedona s’appliquent aux productions électroniques et que, lorsqu’un identifiant numérique est fourni à l’égard de chaque document, et de nombreuses métadonnées, les exigences ont été remplies.

[12]  Les demanderesses invoquent une série de décisions de tribunaux ontariens, à commencer par Solid Waste Reclamation Inc. v Philip Enterprises Inc., 1991 CarswellOnt 428 (Cour supérieure de justice – Division générale) (Solid Waste) ainsi que des décisions postérieures (voir Mirra v Toronto Dominion Bank, 2002 CarswellOnt 1019; Logan v Harper, 2003 CarswellOnt 3988; Seifert v Finkle, 2020 CarswellOnt 656) pour faire valoir que l’identifiant numérique est le seul qui soit nécessaire aux fins de l’affidavit de documents et qu’une description plus détaillée des documents ou leur date n’est pas requise. Je note que dans Solid Waste, l’annexe A de l’affidavit de documents en litige comprenait une description générale desdits documents; cependant, aucun d’entre eux n’était numéroté. La décision était en grande partie axée sur l’importance et la nécessité d’un identifiant numérique unique. Ces précédents de même que la décision rendue dans Cameco Corp. c R, 2014 CCI 45, n’excluent pas la possibilité que d’autres renseignements identificatoires puissent aussi s’avérer utiles et importants dans certains contextes, en particulier lorsque les renseignements figurant sur la majorité des documents et des métadonnées éventuelles sont rédigés dans une langue différente.

[13]  En l’espèce, un identifiant numérique ne suffit pas, attendu qu’une majorité de documents et les métadonnées afférentes sont en japonais et qu’aucun autre moyen ne permet de limiter les documents à moins de se lancer dans un vaste exercice de traduction. Le principe de proportionnalité et l’article 3 des Règles des Cours fédérales doivent être considérés.

[14]  Je conviens avec les demanderesses que l’affidavit de documents n’a pas pour objet de décrire la substance de chaque document ou le fondement de la perception de sa pertinence : Halford c Seed Hawk Inc., 2001 CarswellNat 1195, au para 4; Dynamic Control Systems c Newnes Machine Ltd., 1995 CarswellNat 1401 (Dynamic Control Systems). Cependant, la description permet d’identifier le document et de cerner sa nature générale : Dynamic Control Systems, au para 20; formule 223 des Règles des Cours fédérales. En l’espèce, je juge qu’une description générale et la mention de la date et de l’auteur contribueraient grandement à identifier les principaux types de documents dans l’ensemble de documents.

[15]  Les demanderesses ont indiqué avoir retenu les services de recherchistes japonais pour qu’ils examinent les documents aux fins de la compilation de l’affidavit de documents. Une certaine compréhension de la nature de ces documents aurait été nécessaire, dans le cadre de cet examen, pour établir s’ils étaient pertinents et s’ils devaient figurer dans l’affidavit de documents.

[16]  Ces renseignements de base, qui indiqueraient la nature du document et en fourniraient une description générale, ne tomberaient sous le coup d’aucun privilège et rempliraient les exigences énoncées dans la formule 223; ils doivent être inclus dans l’affidavit de documents.

[17]  Par ailleurs, contrairement aux demanderesses, je ne crois pas que le libellé de la formule 223 est discrétionnaire et qu’il puisse être modifié pour s’adapter à un cas particulier. Il incombe au souscripteur de l’affidavit d’attester qu’au mieux de sa connaissance et de sa croyance, les documents compris dans l’affidavit de documents ont trait à une question en litige et sont en sa possession, sous son autorité ou sous sa garde. Une telle déclaration ne revient pas à reconnaître que les documents énumérés sont authentiques ou admissibles dans le cadre de l’action (article 231 des Règles des Cours fédérales) ni n’explique pourquoi le document a été jugé pertinent pour figurer dans l’affidavit.

[18]  S’il est évident pour les demanderesses que certains documents énumérés n’ont pas trait à une question en litige ou qu’ils sont redondants, elles doivent corriger ces problèmes dans l’affidavit modifié de documents fourni. Si le souscripteur de l’affidavit n’est pas en mesure d’établir qu’au mieux de sa connaissance et de sa croyance, les documents énumérés dans l’affidavit de documents ont trait à une question en litige, il n’a pas rempli son obligation. Le libellé de l’affidavit doit reprendre la formule 223.

[19]  Il sera ordonné, aux termes de l’article 227 des Règles des Cours fédérales, qu’un affidavit de documents plus précis soit fourni.

III.  La demande de traduction

[20]  En plus des lacunes relevées dans l’affidavit de documents, Pharmascience affirme qu’elle devrait recevoir la traduction anglaise de tous les documents japonais fournis et dont le nombre est estimé à 3 436.

[21]  Les demanderesses affirment qu’il n’existe aucune obligation de fournir des traductions autres que celles qui se trouvent déjà en la possession, sous l’autorité ou sous la garde de Sumitomo.

[22]  Les deux parties invoquent la terminologie employée dans le plan de communication de documents de Pharmascience, qui indique ce qui suit :

[traduction]

Dans la mesure où les documents sont produits dans une langue autre que l’anglais, Pharmascience s’attend à ce qu’une traduction en anglais en soit également produite. Pharmascience s’attend aussi à recevoir rapidement la traduction anglaise des documents traduits après l’échange de l’affidavit de documents, conformément à l’article 226 des Règles des Cours fédérales.

[23]  À mon avis, cette déclaration ne prête pas à conséquence. Si un document énuméré dans l’affidavit de documents était traduit, cette traduction constituerait elle‑même un document pertinent et devrait être produite. Toute traduction éventuellement effectuée après l’échange de l’affidavit de documents devra être produite au titre de l’article 226 des Règles des Cours fédérales et de l’obligation de communication continue. Ces obligations existent et ne dépendent pas de la terminologie employée dans le plan de communication de Pharmascience.

[24]  De même, il est tout aussi évident que les documents devant être déposés dans le cadre d’une instance doivent être rédigés dans l’une des deux langues officielles de la Cour – l’anglais ou le français – ou être accompagnés d’une traduction en anglais ou en français et d’un affidavit attestant la fidélité de la traduction (paragraphe 68(1) des Règles des Cours fédérales).

[25]  Cependant, la question critique soulevée par la requête de Pharmascience est de savoir si une partie devrait être tenue de traduire un document étranger à l’étape de la communication préalable lorsque la traduction est autrement inexistante et que la production du document en question à titre d’élément de preuve au procès pourrait ne pas être prévue.

[26]  À mon avis, cette obligation proposée n’est appuyée ni par les Règles des Cours fédérales, ni par la jurisprudence pertinente, ni par les principes de proportionnalité en l’espèce.

[27]  Aux termes de l’article 223 des Règles des Cours fédérales, les parties doivent uniquement établir la liste des documents qui sont ou qui étaient en leur possession, sous leur autorité ou sous leur garde et des documents dont elles croient qu’ils se trouvent en la possession, sous l’autorité ou sous la garde d’un tiers. Les Règles n’imposent pas de créer des documents pour remplir les exigences en matière de communication préalable.

[28]  Comme l’a déclaré la Cour dans la décision Eli Lilly Canada Inc. c Sandoz Canada Inc. 2009 CF 345, au para 15 (Eli Lilly) :

Les demanderesses ne sont pas en droit d’exiger que Sandoz fournisse des traductions de ses documents rédigés dans une langue étrangère. Dans la mesure où une traduction existe, il est probable que cette traduction constitue un document pertinent à divulguer. Toutefois, si aucune traduction n’existe, la partie qui produit l’information n’est pas tenue d’en créer une, à moins qu’elle soumette les documents comme éléments de preuve dans le cadre de la procédure.

[29]  Il s’agit de la seule décision de la Cour fédérale citée par l’une ou l’autre des parties sur cette question.

[30]  Pharmascience évoque deux décisions de cours supérieures où il était question de traduction : l’une de l’Ontario, Deutsche Postbank AG v Kosmayer, 2016 ONSC 7138 (Deutsche Postbank); et l’autre de l’Alberta, Attila Dogan v AMEC Americas, 2011 ABQB 794 (Attila Dogan). Cependant, aucune de ces décisions n’est contraignante ni ne supplante les principes énoncés dans Eli Lilly, et même l’application de ces principes ne justifierait pas d’obliger Sumitomo à traduire les 3 436 documents japonais produits. En outre, ces décisions doivent être considérées conjointement avec d’autres dans lesquelles les mêmes cours se sont dites favorables à ce que le destinataire assume les coûts de traduction : Kellogg Co. v Imperial Oil (1996), 29 OR (3d) 70 (Div. Gen. Ont.); Jasper Millwork Ltd. v Borden Co., 1996 CarwellAlta 1014.

[31]  Dans Deutsche Postbank, la Cour a fait remarquer qu’il n’existait aucune règle précise traitant de la question de la traduction de documents issus d’un affidavit de documents. La Cour, s’appuyant sur l’article 1.04 des Règles de procédures civiles, a établi une analogie entre la situation dont elle était saisie et celle envisagée par l’article 34.09 des Règles, qui concerne les obligations auxquelles sont soumises les parties lorsque des services de traduction sont requis dans le cadre d’un interrogatoire préalable. La Cour a tiré la conclusion suivante au paragraphe 15 :

[traduction]

[…] Conformément à l’article 1.04 des Règles qui encourage la résolution équitable de la façon la plus expéditive et la moins onéreuse, il paraît certain, et le bon sens l’exige, que l’avocat de la défense devrait recevoir une traduction. Comme l’avocat de la demanderesse ne comprend pas les documents qui figurent dans l’affidavit de documents de sa cliente, et comme il va devoir lui‑même obtenir une traduction quelconque pour pouvoir prendre part à l’interrogatoire préalable de sa cliente, les défenderesses ont le droit de comprendre les arguments qu’elles doivent réfuter et en termes pratiques, cela signifie qu’elles doivent recevoir des documents traduits.

[32]  Dans Deutsche Postbank, la Cour a ensuite examiné la question de la proportionnalité, relevant que la maîtrise par l’avocat de la langue en question était un facteur pertinent, tout comme le volume des documents devant être traduits et les coûts associés à une telle opération. Dans Deutsche Postbank, la demanderesse, contrairement à la défenderesse, était une grande institution financière dont les employés maîtrisaient à la fois l’anglais et la langue en cause. En tout, 647 documents étrangers ont été produits, le sous‑groupe pertinent ayant été limité à 290. Les coûts de traduction étaient estimés entre 9 300 $ et 21 500 $.

[33]  En l’espèce, nous ne sommes pas en présence d’un tel déséquilibre de pouvoir. Par ailleurs, un nombre beaucoup plus important de documents sont en cause. Le seul devis de coûts est fourni par Pharmascience, dans l’affidavit de son parajuriste : ce devis laisse penser que les coûts de traduction de tous les documents japonais seraient à peine inférieurs à 1 million de dollars (857 000 $), et que le délai estimé serait de 4 à 5 mois.  

[34]  À mon avis, il n’est ni proportionné ni conforme à l’esprit de l’article 3 des Règles des Cours fédérales d’obliger l’une ou l’autre des parties à traduire 3 436 documents, surtout dans le cadre d’une instance soumise à des délais tels que ceux prévus par le Règlement MBAC. Selon moi, il est plus approprié d’essayer de restreindre le nombre de documents qui pourraient devoir être traduits. La présentation d’un affidavit de documents mis à jour comprenant des renseignements identificatoires en anglais devrait permettre de déterminer plus aisément le nombre de documents clés. D’ailleurs, comme l’a reconnu l’avocat des demanderesses dans son argumentation, cette approche pourrait contribuer à restreindre l’ensemble de documents.

[35]  Dans Attila Dogan, la Cour a relevé des précédents établissant que la partie qui sollicite les documents doit assumer le coût de leur traduction; cependant, la Cour a eu recours à une solution pratique pour favoriser la gestion de la cause, encourageant la demanderesse à fournir les traductions qu’elle pouvait avoir faites aux fins de la compilation de l’affidavit de documents, même si ces traductions n’étaient pas officielles. La Cour a jugé qu’en l’absence de circonstances exceptionnelles, toutes les dépenses engagées pour traduire les documents constituaient des débours imposables et obligeaient la demanderesse à fournir une garantie supplémentaire pour les coûts de traduction attendus.

[36]  En l’espèce, je ne suis saisie d’aucune requête en cautionnement pour dépens. Cependant, Pharmascience conserve le droit de réclamer à titre de débours imposables les coûts engagés aux fins de la traduction.

[37]  Conformément à Attila Dogan, je conviens également qu’une solution pratique est nécessaire.

[38]  Sumitomo est continuellement tenue de produire la traduction des documents qui sont maintenant en sa possession ainsi que celles qu’elle pourrait obtenir à l’avenir. Cela s’étendra aux traductions officielles et non officielles, dans la mesure où elles ne tombent pas sous le coup d’un privilège. Si un privilège est invoqué, Sumitomo devra en fournir les détails à l’annexe 2 de son affidavit de documents.

[39]  Aussi, conformément à l’esprit de l’article 3 des Règles et de la gestion de l’instance, j’imposerai un délai de dépôt des traductions afin qu’une période suffisante soit prévue pour la communication préalable de documents supplémentaires. Dans la mesure où elle a maintenant des questions sur les détails susceptibles de figurer dans les documents qui seront produits après avoir été traduits, Pharmascience est également encouragée à effectuer autant de travaux préparatoires que possible pour minimiser les retards.

[40]  Je note que ces dispositions ne visent pas à démentir la nécessité éventuelle pour Pharmascience d’engager des consultants parlant japonais aux fins de la préparation de ses communications préalables et de ses arguments pour le procès. Cependant, elle souhaite trouver la manière la plus proportionnée et la plus efficiente de procéder compte tenu de la situation actuelle.

IV.  Le brevet 265

[41]  La défenderesse affirme qu’il existe une lacune apparente dans les documents produits par les demanderesses, étant donné que seuls quatre de ces documents concernent le brevet 265, qu’un seul parmi ces quatre évoque l’historique de l’invention du brevet et qu’aucun ne traite des travaux sous‑jacents aux exemples cités dans le brevet. Elle affirme que l’affidavit de documents de Sumitomo est clairement lacunaire et demande à la Cour d’invoquer l’article 227 des Règles des Cours fédérales pour radier les paragraphes de la réplique des demanderesses liés au brevet 265, ou pour l’autoriser à contre‑interroger le souscripteur de l’affidavit Sumitomo concernant les lacunes relevées dans les documents produits.

[42]  Les demanderesses reconnaissent que peu de documents concernant le brevet 265 ont été repérés. Elles attribuent cette lacune à l’incapacité de retrouver des documents sans l’assistance des inventeurs du brevet qui ne travaillaient plus pour l’entreprise lorsque les recherches ont été effectuées et qui n’étaient pas disposés à apporter leur aide. Elles affirment que Sumitomo s’est acquittée de ses obligations aux termes des Règles et que l’attaque de la défenderesse n’est fondée sur aucune preuve établissant que d’autres documents existent ou que des recherches ont été négligées.

[43]  Le redressement proposé qui consiste à radier les paragraphes contestés de la réplique est radical et ne devrait être accordé que s’il est clair qu’il y a eu un comportement constituant un abus de procédure : H. Smith Packing c Gainvir Transport, 1991 CarswellNat 261. En l’espèce, la défenderesse n’a fourni aucune preuve établissant que Sumitomo a dissimulé des documents. Elle semble plutôt se demander si une recherche approfondie a été effectuée et si des documents supplémentaires pourraient être retrouvés.

[44]  Le redressement sollicité est exceptionnel et la défenderesse n’a pu signaler aucun précédent dans lequel un affidavit de documents a été radié aux termes de l’article 227 des Règles. J’estime que la preuve dont je dispose ne justifie pas d’invoquer ce redressement exceptionnel dans les circonstances.

[45]  L’autre mesure de redressement qui consiste à autoriser Pharmascience à contre‑interroger le souscripteur de l’affidavit de documents de Sumitomo pourrait à mon avis offrir une occasion convenable d’examiner les types de recherches effectuées et l’absence de productions vraisemblables liées à ce brevet et de listes correspondantes, aux annexes 3 et 4, des documents pertinents qui devraient exister, mais qui ont été perdus ou se trouvent en la possession d’un tiers.

[46]  En l’espèce, je conviens avec la défenderesse que nous pouvons inférer que des documents ont été créés relativement au développement de l’invention du brevet 265. Les lacunes soulignées en l’espèce constituent davantage que des hypothèses, des intuitions et des conjectures (Havana House Cigar & Tobacco Merchants Ltd. c Naeini, 1998 CarswellNat 506, au para 19); elles sont évidentes dans le contexte de la présente affaire.

[47]  Je remarque que des arguments ont été présentés pendant l’audition de la requête au sujet de la preuve présentée par les demanderesses quant aux mesures prises pour préparer l’affidavit de documents lié au brevet 265. Plutôt que de fournir un affidavit rédigé par une personne ayant participé aux recherches, l’affidavit d’un parajuriste a été fourni sur la base des renseignements donnés par l’avocat. Cela évite effectivement que des questions soient posées durant le contre‑interrogatoire relatif à la requête sur les faits associés aux recherches. Un tel élément de preuve ne peut se voir accorder que peu de poids. Pharmascience devrait avoir le droit de se renseigner sur la nature des recherches effectuées, en particulier lorsque le nombre de documents produits est si faible.

[48]  Par conséquent, j’accorderai à la défenderesse le droit de contre‑interroger, par écrit ou par vidéo, le souscripteur de l’affidavit de Sumitomo au sujet de la nature des recherches et des documents produits relativement au brevet 265.

V.  Dépens

[49]  La défenderesse demande à ce que les dépens lui soient adjugés sur la base avocat‑client dans la présente requête. Même si je conviens qu’une requête devait être présentée pour aborder certaines des questions liées à l’affidavit de documents de Sumitomo, je considère que la défenderesse est allée trop loin à l’égard de certains redressements demandés, si bien que son succès est mitigé.

[50]  Comme aucune partie n’a fait de proposition sur le montant devant être accordé au titre des dépens, je n’adjugerai pas de montant fixe. Les dépens seront adjugés à la défenderesse, quelle que soit l’issue de la cause.


ORDONNANCE dans le dossier T‑315‑20

LA COUR ORDONNE :

  1. Il est fait droit en partie à la requête.

  2. La demanderesse Sumitomo déposera, dans les 14 jours de la date de la présente ordonnance, un affidavit de documents sous serment plus précis qui comprendra, à l’égard de chaque document qu’il énumère, une description générale en anglais du document en question et de sa nature ainsi que sa date et son auteur, s’il est connu. Dans la mesure où le souscripteur de l’affidavit de Sumitomo juge, dans le cadre de cet exercice, que des documents qui figurent actuellement dans la liste de documents ne sont pas pertinents ou qu’ils sont redondants, il devra modifier l’affidavit de documents pour les retirer.

  3. La demanderesse Sumitomo énumérera et produira toutes les traductions officielles et non officielles (à l’égard desquelles aucun privilège n’est revendiqué) des documents énumérés qui sont en sa possession, sous sa garde et sous son autorité; si un privilège est invoqué à l’égard d’une traduction non officielle, elle devra la coter dans un registre des privilèges à l’annexe 2 de l’affidavit de documents.

  4. Toutes autres traductions de documents énumérés dans l’affidavit de documents de la demanderesse Sumitomo devront être produites dès qu’elles seront achevées; dans tous les cas, les traductions destinées à être produites lors du procès devront l’être au plus tard deux mois avant la date de remise des rapports d’expert principaux.

  5. La défenderesse aura le droit de contre‑interroger, par écrit ou par vidéo et aux frais de Sumitomo, le souscripteur de l’affidavit de documents Sumitomo au sujet des recherches et des documents produits à l’égard du brevet 265.

  6. Les autres redressements demandés sont refusés.

  7. Les dépens sont adjugés à la défenderesse, quelle que soit l’issue de la cause.

« Angela Furlanetto »

Juge responsable de la gestion de l’instance

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑315‑20

 

INTITULÉ :

SUNOVION PHARMACEUTICALS CANADA INC. ET SUMITOMO DAINIPPON PHARMA CO., LTD. c PHARMASCIENCE INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉO ZOOM à Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 12 novembre 2020

 

ordonnance et motifs :

juge responsable de la gestion de l’instance ANGELA FURLANETTO

 

DATE DES MOTIFS :

Le 20 novembre 2020

 

COMPARUTIONS :

James Holtom

Bohdana Tkachuk

 

pour les demanderesses

 

Belle Van

Jahdiel Larraguibel

 

pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McCarthy Tétrault, s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

pour les demanderesseS

 

Fineberg Ramamoorthy, s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

pour la défenderesse

 

 

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