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Date : 20201126

Dossier : T‑2176‑18

Référence : 2020 CF 1093

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 26 novembre 2020

En présence de monsieur le juge A.D. Little

ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

demandeur

 

et

 

CAROL ANGELL

 

défenderesse

 

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le procureur général du Canada (le PGC) sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue le 22 novembre 2018 par la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale (le TSS) du Canada. La division d’appel a accordé à la défenderesse, Mme Angell, la permission d’interjeter appel d’une décision de la division générale du TSS datée du 26 mars 2018.

[2]  La division générale a rejeté la demande de prestations d’invalidité déposée par Mme Angell au titre du Régime de pensions du Canada, LRC, 1985, c C‑8 (le RPC).

[3]  Pour les motifs qui suivent, la demande est accueillie. La décision de la division d’appel sera annulée et l’affaire sera renvoyée à la division d’appel pour nouvelle décision par un autre membre sur la permission d’interjeter appel.

I.  Résumé

[4]  Avant de commencer l’analyse, je vais résumer ma décision. Je vais essayer de le faire avec un minimum de jargon juridique.

[5]  J’ai entendu la présente demande par vidéoconférence. Mme Angell n’était pas représentée par un avocat. J’ai écouté attentivement ce qu’elle avait à dire. Je lui ai posé quelques questions et elle a répondu très utilement et habilement pour expliquer sa situation. Je la remercie de ce qu’elle a dit. J’ai également écouté attentivement les points soulevés par l’avocat du PGC. Je le remercie également et je le félicite pour la sensibilité dont il a fait preuve au cours de ses observations.

[6]  Le rôle de la Cour ne consiste pas à décider si Mme Angell a droit aux prestations d’invalidité au titre du RPC. Je ne me penche que sur la décision de la division d’appel d’accorder à Mme Angell la permission d’interjeter appel de la décision de la division générale par laquelle celle‑ci a refusé sa demande de prestations d’invalidité.

[7]  En droit, Mme Angell doit obtenir la permission de la division d’appel avant de pouvoir interjeter appel de la décision de la division générale de refuser sa demande de prestations d’invalidité. La permission d’interjeter appel ne peut être accordée que par la division d’appel dans certaines circonstances, lesquelles sont définies par le législateur dans une loi intitulée Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social. La division d’appel a accordé à Mme Angell la permission d’interjeter appel de la décision de la division générale.

[8]  Le PGC demande que j’annule la décision de la division d’appel d’accorder à Mme Angell la permission d’interjeter appel. Mon rôle consiste à décider si je dois le faire. Dans l’affirmative, la division d’appel doit décider à nouveau si Mme Angell doit se voir accorder la permission d’interjeter appel. Si je décide de ne pas annuler la décision de la division d’appel, Mme Angell peut interjeter appel à la division d’appel.

[9]  J’ai décidé que je dois annuler la décision de la division d’appel d’accorder à Mme Angell la permission d’interjeter appel. Je n’ai pas rendu une nouvelle décision quant à la permission d’interjeter appel. Un membre de la division d’appel, autre que celui qui a déjà rendu la décision contestée, prendra une nouvelle décision à cet égard.

[10]  Je n’ai pas non plus tranché l’appel sur le fond. C’est à la division d’appel qu’il incombe de décider, dans la décision qu’elle rendre, si Mme Angell est autorisée à interjeter appel.

[11]  Le PGC obtient donc gain de cause en l’espèce.

II.  Faits à l’origine de la présente demande

[12]  Mme Angell a présenté une demande de pension d’invalidité au titre du RPC. La demande de prestations d’invalidité de Mme Angell était fondée sur les maux suivants : l’apnée du sommeil, l’arthrite dans le genou gauche et la hanche droite, et l’hyperthyroïdie ou la maladie de Hashimoto.

[13]  Mme Angell a travaillé pour Postes Canada pendant plus de 20 ans en Nouvelle‑Écosse, avant de déménager dans l’Ouest, soit en Alberta, pour travailler dans le domaine de la construction. Elle est ensuite retournée en Nouvelle‑Écosse.

[14]  Mme Angell a subi une chirurgie de remplacement du genou en mars 2015. Elle indique que, actuellement, elle ne peut pas se tenir debout et qu’elle ne peut pas travailler en raison de ses problèmes de genou, dont un kyste de Baker derrière un genou.

[15]  Il a fallu beaucoup de temps pour que les dossiers médicaux de Mme Angell lui soient envoyés. Selon ses observations à l’audience, je crois comprendre qu’elle les a tous en main maintenant et qu’ils ont été déposés pour les besoins de sa demande de prestations d’invalidité.

[16]  Pour être admissible à une pension d’invalidité au titre du RPC, Mme Angell doit satisfaire aux exigences énoncées dans cette loi. Plus précisément, selon l’alinéa 44(1)b) du RPC, un demandeur doit être invalide au sens du RPC à la date de fin de la période minimale d’admissibilité (la PMA) ou avant. Le facteur déterminant de la PMA repose sur les cotisations du demandeur au titre du RPC. En l’espèce, la PMA a pris fin le 31 décembre 2013.

[17]  À l’origine, le ministre de l’Emploi et du Développement social a rejeté la demande de Mme Angell. Le ministre a rejeté de nouveau sa demande après réexamen de la décision rendue. Mme Angell a interjeté appel devant la division générale du TSS. La division générale a confirmé la décision du ministre. Dans une décision datée du 26 mars 2018, la division générale a conclu que Mme Angell avait fourni des preuves médicales objectives insuffisantes quant à une invalidité grave existante à la date de fin de la PMA ou avant.

[18]  La division générale a conclu que Mme Angell devait établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle était invalide au sens du RPC à la date de fin de la PAM ou avant, c’est‑à‑dire, au plus tard le 31 décembre 2013. Elle a fait remarquer qu’aux termes de l’alinéa 42(2)a) du RPC, pour être « invalide », une personne doit être atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée. La division générale a conclu qu’une personne n’est considérée comme atteinte d’une invalidité grave que si elle est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. La division générale a également conclu qu’une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou entraîner vraisemblablement le décès.

[19]  Selon la division générale, la partie requérante doit fournir une preuve médicale objective quant à son invalidité et cette preuve doit se rapporter à la date de fin de la PMA et couvrir toute la période postérieure, sans interruption. La division générale a conclu que la partie requérante doit fournir non seulement un témoignage crédible, mais également des preuves médicales objectives afin de s’acquitter du fardeau de la preuve d’établir l’existence de l’invalidité.

[20]  La division générale a conclu en l’espèce que Mme Angell n’avait fourni aucune preuve médicale objective corroborant son témoignage. Elle a conclu que l’invalidité dont elle était atteinte n’était pas grave. Elle ne s’est donc pas prononcée sur la question de savoir si l’invalidité était prolongée. La division générale a rejeté l’appel, confirmant ainsi le rejet de la demande de prestations d’invalidité présentée par Mme Angell.

[21]  Mme Angell a demandé la permission d’interjeter appel devant la division d’appel du TSS. Dans une décision datée du 22 novembre 2018, un membre de la division d’appel a accordé la permission d’interjeter appel. La division d’appel a conclu que la division générale pouvait avoir commis une erreur de droit.

[22]  Dans sa décision accordant la permission d’interjeter appel, la division d’appel a souligné que la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, LC 2005, c 34, comporte seulement trois moyens d’appels dont la division d’appel peut tenir compte, soit que la division générale : (i) n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a commis une erreur de compétence; (ii) a rendu une décision entachée d’une erreur de droit ou (iii) a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. La division d’appel a fait remarquer que, selon le  paragraphe 58(2) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, la permission d’interjeter appel peut être refusée si l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès.

[23]  En accordant la permission d’interjeter appel, la division d’appel a conclu que la division générale « a peut‑être commis une erreur de droit, et cela nécessite l’intervention de la division d’appel ». L’analyse de la division d’appel est reproduite ci‑dessous dans son ensemble, y compris sa rubrique interne et les paragraphes 8 et 9 de ses motifs :

Question en litige no 2 : Erreur de droit

[8]  La division générale affirme à juste titre qu’une personne qui demande une pension d’invalidité doit prouver qu’elle est atteinte d’une invalidité grave et prolongée au sens du Régime de pensions du Canada. Elle énonce aussi qu’une partie requérante doit fournir une preuve médicale objective de son invalidité. La division générale énonce que la preuve médicale doit se rapporter à la date de fin de la PMA, ainsi qu’à la période qui la suit, de façon continue. Elle a fondé, du moins en partie, sa décision selon laquelle la requérante n’était pas invalide sur le fait qu’elle n’avait pas fourni de preuve médicale pour établir l’existence d’un trouble invalidant à la date de fin de la PMA.

[9]  Cependant, les tribunaux n’exigent pas que la preuve médicale se rapporte directement à l’état de santé d’une partie requérante à la date de fin de la PMA et par la suite. La division générale a peut‑être commis une erreur de droit, et cela nécessite l’intervention de la division d’appel.

[24]  Le PGC a demandé que cette décision soit soumise à un contrôle judiciaire.

III.  La norme de contrôle

[25]  La norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65; Canada (Procureur général) c Dean, 2020 CF 206 (le juge Boswell) au para 18. La norme de contrôle applicable aux décisions administratives est présumée être celle de la décision raisonnable. Cette présomption d’application de la norme de la décision raisonnable s’applique à tous les aspects de la décision : Vavilov, aux para 16, 23 et 25. La présomption peut être réfutée par la preuve de l’intention du législateur ou si la primauté du droit exige une norme différente : Vavilov, aux para 17, 23 et 69. La présomption n’a pas été réfutée en l’espèce.

[26]  Comme le juge Boswell l’a fait remarquer plus tôt cette année dans la décision Dean, la norme de contrôle qui était applicable par la division d’appel avant que l’arrêt Vavilov soit rendu était également celle de la décision raisonnable. Comme nous le verrons, ma conclusion relative à la présente demande est conforme aux motifs utiles prononcés par le juge Boswell dans la décision Dean.

[27]  Lorsqu’elle effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la cour de révision doit tenir compte du résultat de la décision administrative eu égard au raisonnement sous‑jacent à celle‑ci afin de s’assurer que la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée : Vavilov, au para 15. L’examen du caractère raisonnable est axé sur la décision prise par le décideur, y compris le processus de raisonnement (c.‑à‑d. la justification) qui a mené à la décision et à l’issue : Vavilov, aux para 83 et 86; Delta Air Lines Inc. c Lukács, 2018 CSC 2, [2018] 1 RCS 6 au para 12. Les motifs fournis par le décideur constituent le point de départ : Vavilov, au para 84.

[28]  Au moment d’évaluer le caractère raisonnable, la Cour se demande « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » : Vavilov, au para 99. La cour de révision n’interviendra que si elle est convaincue que la décision « souffre de lacunes graves » à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence. Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision, ou constituer une « erreur mineure ». Le problème doit être suffisamment capital ou important pour rendre la décision déraisonnable : Vavilov, au para 100.

[29]  Une décision ne sera pas raisonnable s’il est impossible de comprendre, lorsqu’on lit les motifs en corrélation avec le dossier, le raisonnement du décideur sur un point central : Vavilov, au para 103; Patel c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 77 (le Juge Diner) au para 9.

[30]  À la lumière de ces principes, j’examine maintenant la décision de la division d’appel en litige en l’espèce.

IV.  Analyse

L’exigence d’obtenir la permission d’interjeter appel

[31]  L’article 55 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social prévoit que toute décision de la division générale peut être portée en appel devant la division d’appel par toute personne qui fait l’objet de la décision. Selon le paragraphe 56(1) il ne peut être interjeté d’appel à la division d’appel sans permission.

[32]  Deux dispositions limitent la possibilité pour la division d’appel d’accorder la permission d’interjeter appel. En premier lieu, les « seuls » motifs d’appel sont énoncés aux alinéas 58(1)a), b) et c), lesquels disposent ce qui suit :

a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;

b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;

c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[33]  En deuxième lieu, le paragraphe 58(2) prévoit que « [l]a division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès ».

[34]  Le paragraphe 58(4) prévoit que la division d’appel « rend une décision motivée par écrit » et en fait parvenir une copie à l’appelant et à toute autre partie.

[35]  Si la permission est accordée, la demande de permission est assimilée à un avis d’appel : para 58(5).


La décision de la division d’appel doit être annulée

[36]  En ce qui concerne la présente demande de contrôle judiciaire, le PGC présente un certain nombre d’arguments à l’appui de sa prétention selon laquelle la décision de la division d’appel d’accorder la permission d’interjeter appel était déraisonnable.

[37]  En premier lieu, le PGC soutient que la décision de la division d’appel a permis de constater à tort une erreur de droit commise par la division générale. Le PGC fait valoir que la division générale n’a commis aucune erreur et que la division d’appel a conclu à tort, au paragraphe 8 de sa décision, que « les tribunaux n’exigent pas que la preuve médicale se rapporte directement à l’état de santé d’une partie requérante à la date de fin de la PMA et par la suite » [Non souligné dans l’original].

[38]  Je suis du même avis que le PGC. La Cour d’appel fédérale a conclu qu’une partie requérante doit démontrer qu’elle a droit aux prestations d’invalidité en raison d’une invalidité grave et prolongée qui existait avant l’expiration de sa PMA et d’une façon continue par la suite : Brennan c Canada (Procureur général), 2011 CAF 318 au para 8. La division d’appel a conclu à tort que la division générale avait commis une erreur de droit à l’égard de cette question. Il n’y avait donc aucun motif d’appel à cet égard en vertu de l’alinéa 58(1)b) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social.

[39]  En deuxième lieu, le PGC soutient qu’une partie requérante doit fournir une preuve médicale objective pour étayer une constatation d’invalidité à la date de fin de la PMA, ou avant, afin d’obtenir des prestations d’invalidité : Gholipour c Canada (Procureur général), 2017 CAF 99 au paragraphe 6. Le PGC soutient que, en l’espèce, si on se fie aux paragraphes 25 et 26 des motifs de la division générale, il n’existe aucun motif valable pour lequel l’appel de Mme Angell soit accueilli sur la base d’une preuve médicale objective. Par conséquent, le PGC a fait valoir que la division d’appel a commis une erreur (implicitement) lorsqu’elle a conclu que l’appel de Mme Angell avait une chance raisonnable de succès au sens du paragraphe 58(2) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social. Pour ce motif, le PGC soutient que la décision d’appel ne faisait pas partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, comme l’exige l’arrêt Vavilov.

[40]  Je suis d’accord avec le PGC pour dire qu’une partie requérante doit fournir une preuve médicale objective pour étayer une conclusion d’existence d’une invalidité à la date de fin de la PMA, ou avant, afin d’avoir droit à des prestations d’invalidité au titre du RPC. En plus de l’arrêt Gholipour, voir également l’arrêt Warren c Canada (Procureur général), 2008 CAF 377 au paragraphe 4, et les jugements qui y sont cités; et la décision Dean, au paragraphe 24. En outre, l’alinéa 68(1)a) du Règlement sur le Régime de pensions du Canada, CRC, c 385), dispose que si un requérant allègue qu’il est invalide au sens du RPC, il « doit fournir » un « rapport sur toute invalidité physique ou mentale ». Le règlement énonce que le rapport doit inclure la nature, l’étendue et le pronostic de l’invalidité; les constatations sur lesquelles se fondent le diagnostic et le pronostic; toute incapacité résultant de l’invalidité; et tout autre renseignement qui pourrait être approprié, y compris les recommandations concernant le traitement ou les examens additionnels.

[41]  Par conséquent, dans la mesure où la division d’appel a conclu dans ses motifs, aux paragraphes 7 et 8, qu’aucune preuve médicale objective en ce sens n’était requise, la division d’appel a commis une erreur de droit.

[42]  Le PGC a également soutenu que Mme Angell n’avait pas une chance raisonnable de succès sur le fond de l’appel, de sorte que la permission d’interjeter appel devait être refusée en vertu du paragraphe 58(2) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social. Je n’aborderais pas cette question dans les présents motifs, car il s’agit d’une question que la division d’appel doit trancher.

[43]  Toutefois, j’ai une autre préoccupation concernant la transparence des motifs de la division d’appel, au‑delà des erreurs de droit déjà relevées.

[44]  La transparence est l’une des trois caractéristiques du processus décisionnel administratif, ainsi que la justification et l’intelligibilité : Vavilov, au para 15; Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 au para 47. Dans l’arrêt Administration de l’aéroport international de Vancouver c AFPC, 2010 CAF 158, [2011] 4 RCF 425, le juge Stratas a conclu que la décision est justifiée et intelligible lorsque « son fondement est précisé et qu’il est compréhensible, rationnel et logique ». Ces questions ont été abordées ci‑dessus. Le juge Stratas a également déclaré que la « transparence fait référence à la capacité des observateurs à analyser et à comprendre la décision d’un décideur administratif et les motifs de sa décision » : al. 16d).

[45]  La Cour d’appel de l’Ontario a récemment annulé, dans l’arrêt Romania c Boros, 2020 ONCA 216, une décision administrative en raison de préoccupations concernant la transparence. Un peu de contexte est nécessaire pour comprendre cette décision. Mme Boros a été déclarée coupable in absentia d’infractions commises en Roumanie. Des années plus tard, la Roumanie a demandé l’extradition de Mme Boros. Ce n’est qu’après un retard de nombreuses années que, un arrêté introductif d’instance a été délivré en vertu de la Loi sur l’extradition, LC 1999, c 18. Mme Boros a demandé que le ministre de la Justice exerce son pouvoir discrétionnaire de ne pas l’extrader. Le ministre, dans une longue lettre énonçant ses motifs, a rejeté cette demande. La Cour d’appel a conclu que la lettre du ministre n’abordait pas la question des retards de manière transparente. Au paragraphe 18, la Cour a conclu que la lettre du ministre visait une longue période, mais ne donnait [traduction« que très peu de renseignements sur ce qui s’est produit ». La Cour a expliqué ce qui suit, aux paragraphes 29 et 30 :

[traduction]

Cette approche générale prive Mme Boros de la possibilité de comprendre la raison pour laquelle le processus a été si long. Elle prive également la Cour de la capacité d’évaluer le caractère raisonnable de la décision du ministre quant à savoir si ses fonctionnaires auraient pu faire progresser ce dossier plus rapidement et quels efforts ont été déployés, le cas échéant, pour encourager les représentants roumains à agir avec diligence pour répondre aux demandes de leurs homologues canadiens. En outre, le retard de 18 mois entre la délivrance de l’arrêté introductif d’instance et l’assignation n’est pas expliqué. Le retard cumulé de près de huit ans au Canada n’est pas abordé au‑delà d’une affirmation générale implicite selon laquelle il faut du temps pour régler ces questions. Selon nous, cela est insuffisant.

[30] Le retard entre la déclaration de Mme Ioan du 23 septembre 1998 et la délivrance de l’assignation le 15 novembre 2016, soit plus de 18 ans plus tard, n’a pas fait l’objet d’une enquête approfondi ni n’a été expliqué de manière appropriée. Dans les circonstances, l’ordonnance d’extradition ne peut être maintenue. Selon le dossier existant, nous ne sommes pas en mesure de déterminer si la décision d’ordonner l’extradition de Mme Boros était raisonnable. Il nous faut plus de renseignements avant de pouvoir faire correctement cette analyse. 

[Non souligné dans l’original.]

[46]  L’exigence de transparence en matière de prise de décisions administratives permet de s’assurer que le décideur communique dans ses motifs, compte tenu du dossier dont il était saisi, le raisonnement qui a mené à sa décision (voir Vavilov, aux para 91 à 96). Comme le laissent entendre les arrêts Boros et Administration de l’aéroport international de Vancouver, la transparence permet de s’assurer que la ou les personnes touchées par une décision comprennent la raison pour laquelle la décision a été prise; elle permet de s’assurer qu’une cour de révision, dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, a la capacité de comprendre le motif de la décision, en d’autres termes, la capacité de déterminer si la décision était raisonnable; et elle permet de s’assurer que les autres personnes touchées par la décision reçoivent des conseils satisfaisants. Voir également Administration de l’aéroport international de Vancouver, aux para 13 et 14.

[47]  À mon avis, dans une décision accordant la permission d’interjeter appel en vertu de l’article 56 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, et fournissant les motifs prévus au paragraphe 58(4), la division d’appel ne devrait pas seulement indiquer un motif d’appel figurant parmi ceux qui sont énoncés aux alinéas 58(1)a), b) ou c). Elle devrait également communiquer clairement le ou les motifs d’appel retenus. Fournir une description claire, même brièvement, aide les deux parties à l’appel et la formation de la division d’appel qui entendra plus tard l’appel sur le fond. Lorsque les parties lisent les motifs écrits pour lesquels la demande de permission d’interjeter appel est accueillie et la demande de permission d’interjeter appel (qui devient l’avis d’appel en vertu du paragraphe 58(5)), elles comprendront pourquoi la permission d’interjeter appel a été accordée.

[48]  En l’espèce, la division d’appel a cherché à relever une erreur de droit et a déclaré, au paragraphe 8, que « les tribunaux n’exigent pas que la preuve médicale se rapporte directement à l’état de santé d’une partie requérante à la date de fin de la PMA et par la suite » [non souligné dans l’original]. À mon avis, lorsqu’elle est examinée de manière indépendante ou en combinaison avec le paragraphe 7 des motifs de la division d’appel, cette déclaration figurant au paragraphe 8 ne satisfait pas à l’exigence de transparence énoncée dans l’arrêt Vavilov en ce qui concerne les décisions administratives et ne répond pas à l’un des objectifs d’une décision d’accorder la permission d’interjeter appel, à savoir relever et décrire clairement une erreur juridique qui satisfait au critère énoncé à l’article 58 et qui sera abordée sur le fond lors de l’audition de l’appel.

[49]  Les motifs de la division d’appel énoncés au paragraphe 8 n’ont ni expliqué ni précisé ce qu’elle entendait lorsqu’elle a déclaré que les tribunaux n’exigent pas que la preuve médicale « se rapporte directement » à l’état de santé d’une partie requérante à la date de fin de la PMA et par la suite. En plus de cette lacune dans la communication de ce que la division d’appel a décidé et pourquoi, ni l’expression « se rapporte directement » ni la phrase dans son ensemble ne se rapportait à quoi que ce soit qui est énoncé au paragraphe 7 des motifs de la division d’appel. La seule référence à une décision judiciaire au paragraphe 7 est une note de bas de page faisant référence à l’arrêt Warren c Canada (Procureur général), précité. Toutefois, le juge Décary, dans les motifs qu’il a formulés dans l’arrêt Warren, n’a pas discuté de preuves médicales objectives qui se rapportent directement ou indirectement à l’état de santé d’une partie  requérante. Le paragraphe 7 des motifs de la division d’appel fait référence, dans deux autres notes de bas de page, aux paragraphes 22 et 25 de la décision de la division générale. Toutefois, aucun de ces paragraphes ne contient une discussion de décisions judiciaires ou une question juridique concernant la soumission d’une preuve directe par opposition à une preuve indirecte pour étayer une demande de prestations d’invalidité au titre du RPC. Le raisonnement de la division générale reconnait qu’un rapport médical peut porter une date postérieure à la date de fin de la PMA, mais doit faire référence à des conclusions concernant une invalidité qui existait à la date de fin de la PMA, ou avant. Les motifs du juge portaient également sur ce qui peut constituer une preuve « objective » et sur la question de savoir si Mme Angell a fourni une preuve médicale objective pour corroborer son témoignage. Toutefois, je ne suis pas en mesure de déceler une analyse ou une référence à une décision judiciaire ou une question juridique qui se rapporte à la soumission d’une preuve « indirecte » (plutôt que « directe ») pour étayer l’existence d’une invalidité à la date de fin de la PMA et par la suite. Par conséquent, le raisonnement de la division d’appel ne semble pas répondre ou faire référence à quoi que ce soit dans ses propres motifs, dans l’unique jugement qu’elle a cité, ni à un raisonnement juridique particulier dans la décision de la division générale.

[50]  Compte tenu des objectifs visés par une décision transparente, les motifs de la division d’appel n’ont pas communiqué suffisamment ce qu’elle a décidé et la raison de cette décision, n’ont pas indiqué pour les parties un motif d’appel autorisé sur le fond et ne permettront pas à la formation de la division d’appel qui entend l’appel sur le fond de déterminer l’erreur juridique qui sera en litige (une question qui pourrait revêtir une importance plus importante lorsque l’appelant éventuel n’est pas représenté par un avocat). Voir Vavilov, aux para 86, 94‑100, 102‑103; Administration de l’aéroport international de Vancouver, aux para 13 et 14 et à l’al 16d).

[51]  Bien qu’il soit possible de formuler une hypothèse sur ce que la division d’appel entendait au paragraphe 8, il serait spéculatif de le faire. Une cour de révision ne peut pas combler une lacune apparente du raisonnement d’un décideur ni déterminer si ce comblement fait par la cour serait fondé en droit. Cela reviendrait à réécrire les motifs du décideur. Voir Vavilov, aux para. 83, 96‑98; Komolafe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 431 (le juge Rennie) au para 11 (cité et approuvé dans Vavilov, au para 97); Rezaei c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CF 444 (le juge LeBlanc) au para 28.

V.  Conclusion

[52]  Pour qu’une décision puisse être infirmée au motif qu’elle est déraisonnable, l’arrêt Vavilov exige que la cour de révision soit convaincue qu’« elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » : para 100.

[53]  En l’espèce, après avoir examiné attentivement les motifs de la division d’appel, je conclus que les lacunes de la décision de la division d’appel sont suffisamment graves pour miner à la fois le raisonnement et le résultat auxquels est parvenue la division d’appel pour accorder la permission d’interjeter appel. Les lacunes comprennent une ou plusieurs erreurs de droit sur la question en litige dans la demande de permission d’interjeter appel, notamment, à savoir si la division générale a commis une erreur de droit. En outre, les motifs de la division d’appel ne contiennent pas une explication transparente de la façon dont elle est parvenue à sa conclusion quant à cette question centrale de savoir s’il y a lieu d’accorder la permission d’interjeter appel : Vavilov, aux para 86, 96, 100, 102‑103; Senadheerage c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 968 (le juge Gammond), aux para 36 à 42. Ces lacunes me font perdre confiance dans le résultat obtenu par la division d’appel : Vavilov, au para 106.

[54]  Par conséquent, la décision de la division d’appel accordant la permission d’interjeter appel doit être annulée.

[55]  Compte tenu de l’analyse qui précède, je n’ai pas à évaluer si les motifs de la division d’appel d’accorder la permission d’interjeter appel tenaient suffisamment compte du paragraphe 58(2) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social. Je n’examinerai pas non plus l’argument du PGC selon lequel, dans les circonstances, l’appel de Mme Angell n’avait pas une chance raisonnable de succès au sens du paragraphe 58(2). Il appartiendra à la division d’appel, au cours du réexamen, de trancher cette dernière question.

[56]  Le PGC a demandé que la demande soit accueillie sans dépens. J’accepte.


JUGEMENT dans le dossier T‑2176‑18

LA COUR STATUE :

  1. La décision de la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale datée du 22 novembre 2018 est annulée. La demande de permission d’interjeter appel de Mme Angell est renvoyée à la division d’appel pour décision par un autre membre.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« A.D. Little »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑2176‑18

 

INTITULÉ :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et CAROL ANGELL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 AOÛT 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE Juge Little

 

DATE DES MOTIFS :

Le 26 novembre 2020

 

COMPARUTIONS :

Matthew Vens

POUR LE DEMANDEUR

 

Carol Angell

La DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Matthew Vens

Procureur général du Canada

POUR LE DEMANDEUR

 

Carol Angell

 

LA DÉFENDERESSE

 

 

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