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Date : 20201123


Dossier : IMM‑6213‑19

Référence : 2020 CF 1083

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 23 novembre 2020

En présence de monsieur le juge Favel

ENTRE :

HENRY CHIBUZO OBISON

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  Monsieur Obison [le demandeur] a demandé en 2018, et à nouveau en 2019, un permis d’études afin de fréquenter le Cambrian College of Applied Arts and Technology (collège Cambrian d’arts appliqués et de technologie) dans le programme de certificat d’études supérieures en analyse d’affaires – technologies de l’information. Le 11 septembre 2019, un agent de la section des visas du haut‑commissariat du Canada [agent] a refusé la demande du demandeur [la décision].

[2]  Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision de l’agent au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Il demande à la Cour d’annuler la décision et de la renvoyer pour nouvel examen par un autre agent.

[3]  Pour les motifs exposés ci‑dessous, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

II.  Le contexte et la décision faisant l’objet du contrôle

[4]  Le demandeur est un citoyen du Nigéria. Il vit au Danemark depuis 2015 comme détenteur d’une carte verte qui lui permettait d’y résider. Le demandeur a obtenu un diplôme en génie électrique et électronique en 2004. Il souhaite maintenant obtenir un certificat d’études supérieures dans le programme de certificat d’analyse d’affaires – technologies de l’information, mais il soutient que l’agent a mal évalué et mal compris les faits exposés dans sa demande de permis d’études.

[5]  L’agent n’était pas convaincu que M. Obison quitterait le Canada à la fin de la période de séjour qui lui est applicable, suivant le paragraphe 216(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le Règlement], dont voici le passage pertinent :

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (DORS/2002‑227)

Immigration and Refugee Protection Regulations (S.O.R./2002‑227)

Permis d’études

Study permits

216(1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), l’agent délivre un permis d’études à l’étranger si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis :

216(1) Subject to subsections (2) and (3), an officer shall issue a study permit to a foreign national if, following an examination, it is established that the foreign national

[…]

[…]

b) il quittera le Canada à la fin de la période de séjour qui lui est applicable au titre de la section 2 de la partie 9[.]

(b) will leave Canada by the end of the period authorized for their stay under Division 2 of Part 9[.]

[6]  Selon les notes de l’agent, la décision est fondée sur les conclusions suivantes :

  • le formulaire de demande du demandeur comportait de grandes lacunes en ce qui a trait à ses antécédents personnels (aucune activité mentionnée pour la période précédant l’année 2015 ou pour la période allant de 2015 à 2018);

  • M. Obison avait récemment commencé à travailler pour son employeur actuel;

  • une période de 15 ans s’était écoulée depuis que M. Obison avait poursuivi des études;

  • le plan d’études proposé était illogique et il était difficile de savoir en quoi il aiderait M. Obison à poursuivre ses projets de carrière;

  • M. Obison n’avait aucun lien familial immédiat au Danemark;

  • le statut d’immigration de M. Obison était limité dans le temps;

  • il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve indiquant que M. Obison serait disposé à quitter le Canada.

III.  Questions en litige et norme de contrôle

[7]  Bien que le demandeur invoque de nombreux motifs de contrôle dans sa demande, il renvoie uniquement à une erreur mixte de fait et de droit dans ses documents subséquents et reproche à l’agent d’avoir fondé sa décision sur une conclusion de fait déraisonnable et erronée.

[8]  La question en litige est de savoir si l’agent a évalué la preuve de façon raisonnable, notamment en ce qui concerne les antécédents d’emploi et d’études du demandeur. La norme de contrôle applicable à la question en litige est celle de la décision raisonnable, qui est présumée s’appliquer désormais (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 23 [Vavilov]). Les deux parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable.

IV.  La position des parties

A.  La décision était‑elle raisonnable?

[9]  Le demandeur fait valoir que la preuve qu’il a présentée, soit le formulaire de demande et son curriculum vitae, était suffisante, lorsqu’évaluée dans son ensemble, pour permettre à l’agent de conclure qu’il souhaitait vraiment étudier, de sorte qu’il aurait approuvé sa demande de permis d’études. Selon le demandeur, l’agent a totalement passé sous silence une partie de ces renseignements dans son analyse, ce qui a mené à une évaluation incomplète de la demande et à une erreur susceptible de contrôle.

[10]  Le défendeur répond que sa décision est raisonnable, car l’agent a examiné et soupesé correctement la preuve avant de rejeter la demande. Au soutien de sa conclusion selon laquelle il y avait un risque que le demandeur ne quitte pas le Canada, l’agent a invoqué les raisons suivantes :

  • le demandeur n’a mentionné aucune activité personnelle pour la période précédant avril 2015 ou allant de novembre 2015 à février 2018;

  • l’agent n’a pas conclu que le demandeur avait présenté une explication convaincante au sujet des raisons pour lesquelles il suivrait ce cours, étant donné qu’il détenait déjà un diplôme en génie et travaillait dans le domaine de la gestion pour un fabricant de pièces d’aéronef au Danemark;

  • le demandeur avait récemment commencé à travailler pour son nouvel employeur;

  • le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve indiquant comment ce programme améliorerait ses perspectives de carrière, notamment la mesure dans laquelle il compenserait la dépense élevée occasionnée par des études au Canada comparativement à la poursuite d’un programme similaire dans son pays de résidence;

  • l’agent avait conclu que des programmes similaires moins coûteux étaient disponibles au Danemark et au Nigéria.

V.  Analyse

A.  La décision était‑elle raisonnable?

[11]  Je conviens avec le défendeur que les décisions des agents des visas sont très discrétionnaires et que, en l’absence d’erreur, elles appellent une grande retenue. Cependant, dans la présente affaire, je conclus que la décision de l’agent au sujet des antécédents d’emploi et d’études du demandeur va tout à fait à l’encontre de la preuve au dossier. En conséquence, la décision est déraisonnable, parce qu’elle n’était pas justifiée au regard de l’ensemble des faits (Vavilov, au para 126).

[12]  Bien que le demandeur reconnaisse que ses antécédents personnels sont présentés de façon incomplète sur son formulaire de demande, il souligne que l’agent était saisi de la preuve relative tant à ses études qu’à son expérience de travail, puisque son curriculum vitae était joint à sa demande. Le curriculum vitae fait ressortir une expérience de travail continue qui va directement à l’encontre de la conclusion de l’agent quant à l’existence de « grandes lacunes ».

[13]  Le défendeur soutient qu’il incombait au demandeur de présenter une demande qui est convaincante et qui prévoit les inférences défavorables pouvant être tirées des éléments de preuve et de répondre à celles‑ci (Singh c Canada, 2012 CF 526 au para 52). Le défendeur ajoute que la décision de l’agent doit être examinée à la lumière de l’ensemble de la preuve disponible et qu’il est impossible de faire ressortir des faits ou des facteurs particuliers qui permettent au demandeur d’affirmer que la décision de l’agent était déraisonnable (Babu c Canada, 2013 CF 690 aux para 20‑21).

[14]  La conclusion de l’agent selon laquelle une période de 15 ans s’était écoulée depuis la dernière période d’études du demandeur n’était pas fondée sur la preuve non plus. Le curriculum vitae du demandeur fait clairement état de deux démarches de formation et d’études qu’il avait faites en 2011 et 2012. Le demandeur a également joint des certificats attestant qu’il avait terminé ces cours.

[15]  Je suis d’avis que la décision est déraisonnable en raison des omissions qu’elle comporte en ce qui a trait aux antécédents d’emploi et d’études du demandeur. Les motifs de la décision ne sont pas adaptés aux questions et préoccupations soulevées par la preuve. Dans la décision Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 77, le juge Diner a commenté la notion de « motifs adaptés aux questions et préoccupations soulevées » dans le contexte d’une décision portant refus d’une demande de permis d’études :

[15]  […] Je sais bien que les pressions énormes qui s’exercent sur un bureau des visas qui doit rendre chaque jour un grand nombre de décisions n’autorisent pas des motifs détaillés. Ce n’est pas le caractère succinct de la décision qui la rend déraisonnable, mais plutôt le fait que ses motifs ne sont pas adaptés aux questions et préoccupations soulevées par la preuve. Aux paragraphes 127 et 128 de l’arrêt Vavilov, cette notion est ainsi décrite :

Les principes de la justification et de la transparence exigent que les motifs du décideur administratif tiennent valablement compte des questions et préoccupations centrales soulevées par les parties. Le principe suivant lequel la ou les personnes visées par une décision doivent avoir la possibilité de présenter entièrement et équitablement leur position est à la base de l’obligation d’équité procédurale et trouve son origine dans le droit d’être entendu : Baker, par. 28. La notion de « motifs adaptés aux questions et préoccupations soulevées » est inextricablement liée à ce principe étant donné que les motifs sont le principal mécanisme par lequel le décideur démontre qu’il a effectivement écouté les parties.

[…]

[Non souligné dans l’original; italiques dans l’original]

[…]

[17]  Encore une fois, s’il est vrai que les bureaux des visas et les agents qui y travaillent sont soumis à des contraintes opérationnelles importantes et qu’ils doivent composer avec des ressources limitées à cause des quantités énormes de demandes à traiter, ils ne sauraient être dispensés de rendre des décisions adaptées à la trame factuelle qui leur est présentée. Renoncer à ce que ces décisions soient fondamentalement adaptées à la preuve enlèverait à l’examen du caractère raisonnable l’élément de rigueur exigé par l’arrêt Vavilov, aux par 13, 67 et 72. « Caractère raisonnable » n’est pas synonyme de « motifs abondants » : une justification simple et concise fera l’affaire.

[Non souligné dans l’original.]

[16]  Eu égard aux deux omissions lors de l’examen de la preuve, il n’est pas nécessaire d’aller plus loin et d’évaluer les autres questions en litige.

VI.  Conclusion

[17]  Le demandeur a démontré l’existence d’une erreur dans l’évaluation par l’agent de la preuve concernant ses antécédents d’emploi et d’études. En conséquence, la décision est déraisonnable. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée pour nouvel examen.

[18]  Aucune des parties n’a proposé de question à certifier et la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑6213‑19

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

  2. Aucune ordonnance n’est rendue à l’égard des dépens.

  3. Il n’y a aucune question à certifier.

« Paul Favel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑6213‑19

INTITULÉ :

HENRY CHIBUZO OBISON

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE TORONTO (ONTARIO) ET OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 1er septembre 2020

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE juge FAVEL

DATE DES MOTIFS :

le 23 novembre 2020

COMPARUTIONS :

Aminder Kaur Mangat

pour le demandeur

 

Michael Butterfield

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aminder Kaur Mangat

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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