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Date : 20060217

Dossier : T-1106-05

Référence : 2006 CF 218

Ottawa (Ontario), le 17 février 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

SEI INDUSTRIES LTD.

demanderesse

et

TERRATANK ENVIRONMENTAL GROUP

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]           La demanderesse, SEI Industries Ltd. (SEI), est la propriétaire inscrite de la marque de commerce TERRA TANK, enregistrée le 5 février 1988 dans le registre canadien des marques de commerce sous le numéro LMC 336,796. Depuis 1985, SEI emploie cette marque de commerce partout au Canada en liaison avec des réservoirs souples pour liquides.

[2]           Le 27 juin 2005, SEI a déposé à l'encontre du défendeur, Terratank Environmental Group (TEG), une déclaration dans laquelle elle affirmait que, depuis le mois de juin 2003 environ, TEG violait ses droits sur la marque TERRA TANK en annonçant et en vendant des réservoirs pour liquides portant la marque TERRATANK. TEG n'a pas déposé de défense dans le délai de 30 jours prescrit par les Règles des Cours fédérales (1998), DORS/98-106, article 204. Comme le prévoit l'article 210 des Règles, SEI a présenté (par écrit) une requête ex parte et conforme à l'article 369 des Règles en vue d'obtenir un jugement par défaut. Le 31 octobre 2005, par voie d'une ordonnance, la Cour a rendu un jugement par défaut contre le défendeur, TEG.

[3]           Dans la présente requête, TEG sollicite, conformément à l'article 399 des Règles des Cours fédérales, une ordonnance annulant l'ordonnance de jugement par défaut.

Les questions en litige

[4]           Le paragraphe 399(1) des Règles des Cours fédérales prévoit que la Cour peut, sur requête, annuler une ordonnance rendue sur requête ex parte si la partie contre laquelle elle a été rendue présente une preuve prima facie démontrant pourquoi l'ordonnance n'aurait pas dû être rendue. Le critère en vertu duquel un jugement par défaut peut être annulé est bien établi (Taylor Made Golf Co. Inc. et al. c. 1110314 Ontario Inc. (1998), 148 F.T.R. 212; Brilliant Trading Inc. c. Tung Wai Wong et Zhen Hing Enterprise Ltd., [2005] A.C.F. no 706, 2005 CF 571), et il exige une réponse aux questions suivantes :

  1. TEG a-t-il une explication raisonnable pour justifier son défaut de présenter une défense?

  1. TEG a-t-il une défense prima facie à opposer au bien-fondé de la demande de SEI?

  1. TEG a-t-il présenté sa requête dans des délais raisonnables?

[5]           SEI reconnaît que TEG a présenté promptement sa requête en annulation du jugement par défaut. Il n'y a donc pas lieu d'examiner le troisième élément du critère en vertu duquel un jugement par défaut peut être annulé.

Analyse

Question 1 : TEG a-t-il une explication raisonnable pour justifier son défaut de présenter une défense?

[6]           Tel qu'il a été mentionné, le premier élément du critère pour annuler un jugement par défaut est l'explication justifiant le défaut de TEG de produire sa défense dans le délai prescrit par les Règles des Cours fédérales. Y a-t-il une « excuse satisfaisante » , une « explication raisonnable » ou des « raisons convaincantes » justifiant le défaut de TG de produire sa défense (Taylor Made Golf, précitée)?

[7]           TEG offre l'explication suivante :

  • M. Ciranni est l'associé directeur de TEG et il s'occupe de ses affaires juridiques. Il était en voyage de noces à l'étranger durant l'été, soit du 1er juillet au 5 septembre 2005 environ. Pendant son absence, toute la correspondance reçue devait être acheminée au comptable de service de la société en nom collectif TEG. M. Ciranni téléphonait au bureau à l'occasion, mais n'a jamais été mis au courant de la présente action.

  • En l'absence de M. Ciranni, son associé, M. Evangelista, a reçu la déclaration le 4 juillet. Selon son affidavit, M. Evangelista aurait parlé à un greffier de la Cour fédérale [traduction] « qui m'a assuré que si nous dépassions la date limite pour produire une défense, nous pourrions demander une prorogation du délai et obtenir une autre chance de nous défendre » .

  • M. Ciranni a été informé de la poursuite à son retour et M. Evangelista lui a dit qu'ils n'avaient pas à s'inquiéter d'avoir dépassé la date limite pour produire leur défense. M. Ciranni croyait que leur société avait un bon moyen de défense.

  • TEG n'a plus entendu parler de la poursuite avant le 23 novembre 2005, lorsque les avocats de SEI lui ont fait parvenir une lettre expliquant qu'un jugement par défaut avait été rendu le 31 octobre et qu'il devait s'y conformer avant le 15 décembre 2005. TEG n'a jamais reçu signification de l'ordonnance ni de copie de celle-ci.

[8]           En somme, TEG fait valoir qu'il satisfait à la première partie du critère parce que l'associé qui s'occupe normalement des questions juridiques était à l'étranger alors que l'autre associé croyait en toute bonne foi mais à tort qu'il serait facile de remédier au défaut de produire une défense. De plus, SEI a omis de l'informer de la suite des choses après que la déclaration lui eut été signifiée.

[9]           Pour commencer, je souligne que ce n'est pas M. Ciranni qui est le défendeur, mais TEG. Même s'il était le seul membre de la société capable de répondre à une poursuite, c'est la société elle-même qui a la responsabilité d'agir. En l'absence de M. Ciranni, TEG aurait dû chercher l'aide de quelqu'un en mesure de défendre ses intérêts (Fibremann Inc. c. Rocky Mountain Spring (Icewater 02) Inc. et Ken Hon Kin Kwok, 2005 CF 977, paragraphe 22).

[10]    Que M. Evangelista ait mal compris l'information qu'il a obtenue d'un greffier de la Cour explique une partie des actions de TEG, mais cela ne constitue pas, à mon avis, une « explication raisonnable » ou une « excuse satisfaisante » . TEG connaissait la date limite pour produire une défense et a décidé d'y passer outre.

[11]    En d'autres circonstances, la foi accordée à cette information erronée aurait pu attirer la clémence de la Cour (voir Brilliant Trading Inc., précitée, au paragraphe 10), mais dans la présente affaire, l'attitude persistante de TEG dénote de la désinvolture à l'égard de l'importance des documents juridiques, plutôt qu'une croyance sincère mais erronée.

[12]    Comme l'a démontré la preuve par affidavit de SEI, M. Ciranni s'est donné pour politique de ne pas communiquer avec SEI avant la poursuite quand il a délibérément évité de lui répondre ou a omis de consacrer le temps et l'effort requis pour traiter avec elle. Puis, sachant qu'une poursuite était imminente, il est parti en voyage de noces, apparemment sans informer M. Evangelista ou le personnel qu'ils pouvaient s'attendre à une poursuite. Il était en contact avec la société mais, curieusement, personne ne lui a parlé de la déclaration, même si M. Evangelista était si inquiet à ce sujet qu'il a communiqué avec la Cour. Enfin, et c'est peut-être le plus étonnant, lorsque M. Ciranni a été mis au courant de tous les faits à son retour, TEG a continué de ne rien faire. Deux mois se sont écoulés avant que TEG n'apprenne qu'un jugement par défaut avait été prononcé contre lui.

[13]    Si je comprends bien la preuve du défendeur TEG, il savait qu'il était poursuivi et qu'il avait manqué la date limite pour produire une défense mais, rassuré par l'idée erronée qu'il pouvait remédier à ce problème, il n'a jamais cherché à obtenir une prorogation de délai auprès de la Cour, n'a jamais communiqué avec SEI pour corriger son erreur ou même s'enquérir de ce qu'il fallait faire pour y parvenir. Les actions de M. Ciranni et de M. Evangelista ne sont pas celles auxquelles on pourrait raisonnablement s'attendre de la part d'hommes d'affaires qui ont été avertis à l'avance d'une éventuelle poursuite, avertissements qui ont été suivis du dépôt d'une déclaration.

[14]    De plus, TEG ne peut pas invoquer le défaut de SEI de le tenir au courant de la poursuite en cours, puisqu'il a adopté une politique de silence lorsque SEI a tenté de discuter de leur différend avant d'engager une poursuite (Taylor Made Golf Co., précitée).

[15]    À mon avis, TEG a passé outre aux avertissements des avocats de SEI et à la déclaration au point de faire preuve d'aveuglement volontaire (Brilliant Trading, précitée, paragraphe 12) et il n'a pas accordé l'attention nécessaire à des documents juridiques (UMACS of Canada Inc. c. S.G.B. 2000 Inc. et al. (1991), 34 C.P.R. (3d) 305, page 309). Pour conclure sur cette question, les actions de TEG consécutives à la poursuite n'indiquent pas une « excuse satisfaisante » , une « explication raisonnable » ou des « raisons convaincantes » pour ne pas répondre à la déclaration.

Question 2 : TEG a-t-il une défense prima facie à opposer au bien-fondé de la demande de SEI?

[16]    Il reste maintenant à aborder la question de savoir si TEG a fourni une preuve dans son dossier de requête qui puisse me convaincre qu'il a une défense prima facie à opposer au bien-fondé de la demande de SEI.

[17]    Le droit de SEI à l'emploi exclusif de la marque de commerce déposée TERRA TANK est réputé être violé par une personne non admise à l'employer et qui vend, distribue ou annonce des marchandises ou services en liaison avec une marque de commerce ou un nom commercial créant de la confusion (Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13, article 20). Pour décider s'il y a confusion, le tribunal doit tenir compte de toutes les circonstances de l'espèce, y compris :

a)     le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues;

b)     la période pendant laquelle chaque marque a été en usage;

c)          le genre de marchandises, services ou entreprises;

d)         la nature du commerce;

e)          le degré de ressemblance (Loi sur les marques de commerce, paragraphe 6(5)).

[18]    À l'appui de sa requête en jugement par défaut, SEI a présenté plusieurs éléments de preuve par affidavit relativement à chacun de ces facteurs. Les éléments les plus pertinents sont les suivants :

  • La seule différence entre les deux marques est la suppression par TEG de l'espace entre « TERRA » et « TANK » .
  • Une recherche dans le registre des marques de commerce n'a révélé la présence d'aucune autre marque déposée, en instance ou abandonnée, qui était semblable à la marque de SEI.
  • TERRA TANK, qui est enregistrée depuis plus de 17 ans, a été employée par SEI en liaison avec ses réservoirs souples depuis plus de 20 ans; la marque de TEG a été en usage pendant seulement trois ans.
  • SEI emploie sa marque de commerce en liaison avec des réservoirs souples pour liquides qui sont vendus par l'entremise de ses divisions de sites environnementaux. Différents modèles de réservoirs sont offerts pouvant entreposer des combustibles, des produits chimiques ou de l'eau. SEI compte parmi ses clients des sociétés d'exploration pétrolière et minière. TEG emploie l'appellation TERRATANK en liaison avec ses services environnementaux qui comprennent l'installation, l'inspection et l'enlèvement de réservoirs de stockage de combustibles. TEG compte aussi parmi ses clients des sociétés pétrolières et gazières.
  • TEG a présenté des soumissions pour l'installation de réservoirs souples, en concurrence directe avec SEI, à des clients qui ont aussi reçu des soumissions de SEI pour des réservoirs souples de marque TERRA TANK.

[19]    Bref, la preuve présentée par SEI formait une base solide et convaincante pour conclure que TEG avait violé les droits de SEI sur la marque de commerce déposée TERRA TANK. Par conséquent, j'ai rendu l'ordonnance de jugement par défaut.

[20]    Dans le cadre de la présente requête en annulation de cette ordonnance, et comme le prescrit l'article 399 des Règles, TEG est tenu de présenter une preuve prima facie démontrant pourquoi l'ordonnance n'aurait pas dû être rendue. Malheureusement, hormis un projet de défense, TEG n'a pas fourni de preuve ou d'arguments sur cette question importante. Plus particulièrement, TEG n'a présenté aucune preuve par affidavit relativement à la question de la confusion. Par exemple, je n'ai été saisie d'aucun élément qui réfuterait les déclarations de l'auteur de l'affidavit de SEI selon lesquelles TEG a présenté des soumissions pour l'installation de réservoirs souples en concurrence directe avec SEI. Dans une requête en annulation d'un jugement par défaut, le défendeur doit faire mieux que présenter simplement une copie d'un projet de défense. Il doit y avoir des éléments de preuve qui permettraient à la Cour de juger du bien-fondé de cette défense.

[21]    Même si j'acceptais que le projet de défense constitue une « preuve » , il est loin d'établir une défense prima facie quant au fond. Comme il ressort de cette défense, le principal argument de TEG semble être que TERRA TANK n'a pas de caractère distinctif. À l'appui de cet argument, TEG donne en exemple un certain nombre d'emplois commerciaux du mot « TERRA » . Je souligne qu'aucun de ces exemples ne contient les mots TERRA et TANK ensemble. L'usage du mot TERRA est répandu, mais pas la combinaison des deux. Les marques de commerce doivent être considérées dans leur totalité, car c'est la combinaison de leurs éléments qui constitue la marque de commerce et lui confère un caractère distinctif (Polo Ralph Lauren Corp. c. United States Polo Assn. (2000), 9 C.P.R. (4th) 51, [2000] A.C.F. no 1472 (C.A.F.), paragraphe 18).

[22]    Par conséquent, me fondant sur la preuve dont j'ai été saisie, je ne suis pas persuadée que TEG a une défense prima facie à opposer au bien-fondé de la demande de SEI.

Conclusion

[23]    Comme TEG ne m'a pas convaincue qu'il y a une explication raisonnable justifiant le défaut de produire une défense ou qu'il y a une défense prima facie à opposer au bien-fondé de la demande de SEI, la requête de TEG doit être rejetée. Le jugement ne sera pas annulé.

ORDONNANCE

     la cour ordonne :

1.       La requête en annulation de l'ordonnance de jugement par défaut datée du 31 octobre 2005 est rejetée, avec dépens en faveur de SEI.

« Judith A. Snider »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                T-1106-05

INTITULÉ :                                               SEI INDUSTRIES LTD.

                                                                   c.

                                                                   TERRATANK ENVIRONMENTAL GROUP

LIEU DE L'AUDIENCE :                        Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                       Le 14 février 2006

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                             La jugeSnider

DATE DES MOTIFS :                             Le 17 février 2006

COMPARUTIONS :

Clinton Lee                                                  POUR LA DEMANDERESSE

Edward Mancinelli                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Otto Zsigmond                                        POUR LA DEMANDERESSE

Nexus Law Group s.r.l.

Vancouver (C.-B.)

Mancinelli Professional Corporation              POUR LE DÉFENDEUR

Vaughan (Ontario)

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