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                                                                                                                                           Date : 20011115

                                                                                                                             Dossier : IMM-6290-00

                                                                                                        Référence neutre : 2001 CFPI 1255

Ottawa (Ontario), le 15 novembre 2001

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                                                                 VIET HUNG TRAN

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Le demandeur, un citoyen canadien, demande le contrôle judiciaire de la décision datée du 14 novembre 2000 par laquelle la Section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Section d'appel) a statué que l'épouse de l'appelant, une citoyenne du Vietnam, s'était mariée principalement dans le but d'obtenir l'admission au Canada à titre de parent et non dans l'intention de vivre en permanence avec lui.


[2]                 Selon le témoignage du demandeur, ce dernier était retourné au Vietnam en 1994 au décès de sa mère et y avait rencontré sa future épouse. Pendant ce séjour, tous deux s'étaient réunis quelques fois dans un café avant le retour au Canada du demandeur, mais ils n'avaient pas eu la liaison. Ils n'ont pas communiqué entre le moment où ils se sont rencontrés en 1994 et le retour du demandeur au Vietnam en février 1997 pour y rendre visite à son père. Pendant cette visite, ils se sont rencontrés par hasard et ont commencé à se voir deux fois par semaine, de février jusqu'au 1er mai 1997, date à laquelle le demandeur a présenté sa demande en mariage. Le mariage a été enregistré le 13 mai et il a été contracté le 18 mai 1997. Le couple a vécu ensemble pendant une semaine dans la maison du père du demandeur avant que ce dernier ne revienne au Canada. Le demandeur n'est pas retourné depuis au Vietnam pour y être avec son épouse.

[3]                 Pendant les années ayant précédé sa visite de février 1997 au Vietnam, le demandeur a eu une liaison avec une collègue, du nom d'Adrianna Tisko. Il a mis fin à cette relation à son retour et n'a vu Mme Tisko qu'une seule fois après leur rupture, pour lui remettre un cadeau d'anniversaire qui avait déjà été acheté.

[4]                 En décembre 1997, le demandeur a parrainé son épouse dans le cadre de sa demande de résidence permanente au Canada, laquelle a été présentée en mars 1998. L'agent des visas du haut-commissariat du Canada à Singapour a rejeté cette demande après avoir conclu que la demanderesse était exclue de la catégorie des parents en application du paragraphe 4(3) du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172. Cette décision a été portée en appel devant la Section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada et une audience, présidée par le commissaire Roger Boire, a été tenue le 19 juillet 2000. Ce dernier a fait connaître sa décision le 14 novembre 2000, près de quatre mois après la tenue de l'audience.


[5]                 Le demandeur soulève, dans le cadre du présent contrôle judiciaire, quatre questions que je vais maintenant examiner.

1.    Le fardeau de la preuve incombe-t-il au demandeur en l'espèce?

2.    Une audition de novo a-t-elle bien été tenue par la Section d'appel?

3.    Quelle est la norme de preuve applicable en l'espèce?

4.    La Section d'appel a-t-elle fait abstraction d'éléments de preuve pertinents et pris en compte des éléments de preuve non pertinents?

1 -        Fardeau de preuve

[6]                 Le demandeur soutient qu'une fois qu'un parrain a établi prima facie qu'il est marié, son conjoint devient alors prima facie membre de la catégorie des parents et c'est alors au ministre intimé qu'incombe le fardeau de prouver que le mariage n'a pas été contracté de bonne foi. Je rejette cette prétention. Le paragraphe 8(1) de la Loi sur l'immigration prévoit très clairement qu'il incombe à quiconque cherche à entrer au Canada de prouver qu'il en a le droit ou que le fait d'y être admis ne contreviendrait pas à la Loi ni à ses règlements. Je suis d'avis, par conséquent, que ce sont le demandeur et son épouse qui ont le fardeau de prouver que l'admission de cette dernière au Canada ne contreviendrait pas à la Loi sur l'immigration et à ses règlements.

2 -        Procès de novo

[7]                 Le demandeur soutient que la Section d'appel a fait erreur en acceptant les conclusions de l'agent des visas comme constituant des faits établis, ce qui a empêché le demandeur de bénéficier d'une audition de novo. La Section d'appel a écrit ce qui suit, à la page 2 de ses motifs :


Le tribunal a entendu le long témoignage sous serment de l'appelant lors de l'audition du présent appel et, par téléconférence, a entendu la requérante. Auparavant le conseil avait produit une volumineuse preuve documentaire, consignée à la pièce A-1, à l'appui du présent appel. Comme il s'agit d'une audience de novo au sens large du mot, suivant le principe appliqué dans la décision rendue dans l'affaire Kahlon, la Commission pouvait considérer et a tenu compte de la preuve orale et documentaire supplémentaire, de même que de celle produite au deuxième secrétaire afin de lui permettre de prendre une décision en l'espèce.

[8]                 Dans Rattan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 73 F.T.R. 195, à la page 199, le juge Reed a déclaré que le « rôle de la section d'appel consiste, non pas à déterminer si la décision de l'agent d'immigration a à juste titre été prise, mais à déterminer si la personne parrainée appartient à la catégorie des personnes exclues par le paragraphe 4(3) du Règlement » . Le savant juge a ensuite cité les motifs du juge en chef Thurlow dans Mohammed c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1986] 3 C.F. 90 (C.A.), et a déclaré :

[...] elle doit examiner le témoignage du répondant et la décision de l'agent d'immigration pour se décider. Si le répondant peut convaincre le tribunal que les conclusions de l'agent d'immigration n'étaient pas fondées, son appel est accueilli.

[9]                 L'examen du procès-verbal de la décision de la Section d'appel révèle que la formation a examiné non seulement la décision de l'agent des visas mais aussi la nouvelle preuve du demandeur. Je suis d'avis que la prétention du demandeur ne repose sur aucun fondement factuel. Je conclus, par conséquent, que la Section d'appel a bien tenu une audition de novo tel que la loi le prévoit.

3 -        Norme de preuve


[10]            Le demandeur prétend que la Section d'appel a commis une erreur en appliquant une norme de preuve inappropriée, celle-ci devant être d'un niveau supérieur à celui de la « prépondérance de la preuve » puisqu'alléguer que le mariage n'a pas été contracté de bonne foi c'est la même chose qu'alléguer la fraude dans une affaire civile. Je ne puis accepter cette prétention. Il est établi en jurisprudence que le fardeau de preuve applicable dans les affaires d'immigration est le fardeau ordinaire des affaires civiles, soit celui de la prépondérance de la preuve, comme l'a déclaré le juge Linden dans Ahani c. M.C.I. (2000), 7 Imm. L.R. (3d) 1. Dans Davykenko c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [2001] A.C.F. n ° 470, au paragraphe 2 de la page 1, mon collègue le juge Pinard a fait observer que la norme de la prépondérance de la preuve était celle qu'il convenait d'appliquer relativement au paragraphe 4(3) du Règlement sur l'immigration. Ce qu'il faut décider, ce n'est pas si le demandeur ou son épouse ont commis une fraude mais plutôt si leur mariage a été contracté de bonne foi. C'est le demandeur qui doit convaincre l'agent des visas et la Section d'appel, selon la prépondérance de la preuve, que son mariage est authentique.

4 -        Prise en compte de la preuve par la Section d'appel


[11]              Dans la décision Horbas, [1985] 2 C.F. 359, à la page 365, le juge Strayer énonce le critère à appliquer dans les affaires relatives au paragraphe 4(3) du Règlement sur l'immigration. Il a déclaré qu'il s'agit d'un critère à double volet. Le conjoint n'est exclu en vertu du paragraphe 4(3) que si, premièrement, il s'est marié principalement dans le but d'obtenir l'admission au Canada et, deuxièmement, non dans l'intention de vivre en permanence avec son conjoint. Le demandeur soutient que la Section d'appel a appliqué incorrectement ce critère en examinant l'intention du demandeur et non celle de son épouse. À la page 6 de ses motifs, la Section d'appel a déclaré : « pour en arriver à rendre ma décision, je me suis également inspiré des décisions dans Bisla et Heera. Dans Heera, la décision rendue oblige la Section d'appel à tenir compte des intentions du requérant parrainé, et non des croyances ou des intentions de l'appelant » . Le procès-verbal révèle que la Section d'appel a bel et bien examiné le témoignage du demandeur et en a tiré une conclusion défavorable quant à sa crédibilité. Le procès-verbal fait voir également que la Section d'appel a tenu compte de cette conclusion défavorable pour décider si la conjointe parrainée avait ou non l'intention de vivre en permanence avec le demandeur. Il est normal qu'en se fondant sur divers aspects de la preuve, notamment le témoignage du demandeur, la Section d'appel tire des conclusions raisonnables et prenne en compte celles qui ont été tirées lorsqu'elle examine quelles sont les intentions du conjoint parrainé. Comme l'a souligné le juge Reed dans Rattan, précité, à la page 199 :

On ne s'attend pas à ce que le conjoint parrainé déclare expressément qu'il n'a pas l'intention de résider en permanence avec le conjoint répondant. En fait, on ne s'y attend guère. Dans ces cas, des conclusions sont habituellement tirées d'un certain nombre d'aspects de la preuve.

À mon avis, la Section d'appel a bien examiné l'intention de l'épouse parrainée de vivre ou non en permanence avec son conjoint et elle a appliqué convenablement le critère énoncé dans Horbas.


[12]            Le demandeur soutient en outre que la Section d'appel a accordé trop d'attention à sa relation avec Adrianna Tisko, son ancienne petite amie, et qu'elle a tiré comme conclusion de fait erronée, conclusion sur laquelle elle s'est fondée, qu'il vivait et qu'il vit toujours avec celle-ci. La preuve ne semble pas étayer cette prétention du demandeur. La Section d'appel a conclu dans ses motifs que le demandeur et Adrianna Tisko, « [...] demeuraient sous le même toit sans toutefois vivre ensemble. L'appelant partage un appartement dans le sous-sol d'une maison avec un ami. Adrianna loue une chambre dans la même maison » . Après examen de la décision dans son ensemble, je suis d'avis que ce n'est là qu'un des aspects que la formation a pris en compte lorsqu'elle a apprécié la totalité de la preuve. Il est clair que la formation a mis l'accent sur le fait que Mme Tisko et le demandeur ont eu une longue liaison qui a duré jusqu'à ce que ce dernier parte pour le Vietnam pour y marier son épouse. L'existence de cette liaison n'est pas contestée par le demandeur. Il convenait, selon moi, que l'agent des visas tienne compte de cet élément, en raison du fait particulièrement que le demandeur déclare n'avoir rompu avec sa petite amie qu'une fois marié avec son épouse au Vietnam. Je juge raisonnable les conclusions tirées des faits par l'agent des visas et la Section d'appel.

[13]            Le demandeur soutient en outre qu'il était manifestement déraisonnable que la Section d'appel tire une inférence défavorable à la crédibilité du demandeur du fait que celui-ci n'était pas en mesure de dire quelles autorités lui avaient délivré un « certificat de liberté de se marier » . Le demandeur estimait qu'un détail aussi secondaire oublié après trois années ne justifiait pas de tirer une telle inférence. Je suis en désaccord avec lui. Le demandeur n'a pu expliquer comment il avait pu obtenir ce document obligatoire entre le 1er mai 1997, la date de sa demande en mariage, et le 13 mai 1997, la date à laquelle le mariage a été enregistré. Je souscris à l'argument du défendeur selon lequel, à moins que le demandeur ne soit allé au Vietnam dans l'intention de se marier, ce qui est contraire à sa déposition, il se serait sûrement rappelé comment il avait obtenu un tel certificat dans un aussi court délai. Je conclus que l'inférence tirée par la Section d'appel était donc raisonnable.


[14]            La Section d'appel s'est dit d'avis que de nouveaux éléments de preuve relatifs à des communications entre le demandeur et son épouse entre 1997 et 1999 ne pouvaient aider à contrer l'inférence défavorable tirée par l'agent des visas. Ce n'est qu'après avoir reçu la lettre de rejet de la demande de résidence permanente de son épouse, datée du 12 mars 1999, que le demandeur a présenté la preuve d'autres lettres et appels téléphoniques. Le Deuxième secrétaire, Section des visas, déclarait ce qui suit, à la page 2 de cette lettre :

[TRADUCTION]

En outre, vous n'avez jamais reçu d'appel téléphonique de votre répondant ni ne lui en avez-vous jamais adressé. Vous ne connaissez pas et n'avez jamais connu le numéro de téléphone de votre répondant. Lorsqu'on vous a demandé comment vous restiez en contact avec lui, vous avez expliqué que vous en entendiez parler par des membres de sa famille qui vivent toujours au Vietnam.

La nouvelle preuve soumise à la Section d'appel est incompatible avec la preuve présentée à l'origine à l'agent des visas, et cette contradiction n'est pas expliquée. Je suis d'avis qu'il était raisonnable pour la Section d'appel de conclure que cette preuve additionnelle ne sert qu'à donner une apparence d'authenticité à la relation en cause.

Norme de contrôle judiciaire

[15]            Dans Khangura c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 191 F.T.R. 311, au paragraphe 21 de la page 315, mon collègue le juge O'Keefe a déclaré ce qui suit lorsqu'il a rejeté la demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section d'appel :

La norme de contrôle qui s'applique à la décision de la section d'appel est celle de la décision correcte lorsqu'une question de droit est en cause et celle de la décision raisonnable simpliciter lorsqu'une question de fait et de droit est en cause. Les conclusions de fait tirées par la section d'appel ne devraient être annulées que si elles sont manifestement erronées.

[16]            Dans Boulis c. Canada (Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration), [1974] R.C.S. 875, le juge Abbott de la Cour suprême du Canada a déclaré qu'il fallait faire preuve de beaucoup de retenue judiciaire face aux décisions de la Section d'appel (à la page 877 de ses motifs) :


À mon avis, cependant, un appel ne peut réussir que si l'on établit que la Commission [...] n'a pas exercé le pouvoir discrétionnaire que lui confère l'art. 15 conformément aux principes de droit bien établis. Quant à ces principes, lord Macmillan, au nom du Comité judiciaire, dit dans l'arrêt D. R. Fraser and Co. Ltd. c. Le ministre du Revenu national [...] à la page 36 :

[TRADUCTION]

Les critères selon lesquels il faut juger l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire conféré par une loi ont été définis dans plusieurs arrêts qui font jurisprudence et il est admis que si le pouvoir discrétionnaire a été exercé de bonne foi, sans influence d'aucune considération étrangère, ni de façon arbitraire ou illégale, aucune cour n'a le droit d'intervenir, même si cette cour eût peut-être exercé ce pouvoir discrétionnaire autrement s'il lui avait appartenu. [Renvoi omis.]

[17]            J'adopterai par conséquent pour la présente affaire la norme de contrôle énoncée dans Boulis, précité. Je conclus, en appliquant cette norme en l'espèce, qu'aucun motif n'appelle à intervenir dans la décision en cause. Après avoir examiné la décision de la Section d'appel dans son ensemble, j'estime que la formation a fondé cette décision sur un certain nombre d'incompatibilités dans la preuve qui lui ont permis de tirer raisonnablement les inférences qui ont été les siennes en matière de crédibilité. Je conclus, en outre, qu'il était raisonnable que la Section d'appel conclue, sur la foi de la preuve, que la requérante s'était mariée principalement dans le but d'obtenir l'admission au Canada à titre de parent et non dans l'intention de vivre en permanence avec l'appelant.

[18]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.


[19]            Le demandeur propose la certification d'une question que je formulerai comme suit : Une fois établi prima facie qu'un mariage a été contracté, le fardeau de preuve est-il déplacé vers le ministre qui doit alors démontrer que ce mariage n'est pas authentique? L'article 8 de la Loi sur l'immigration est bien clair; le fardeau de preuve repose sur la personne qui cherche à entrer au Canada. J'estime que le libellé de l'article 8 apporte réponse à la question proposée par le demandeur. Je ne certifierai donc pas cette question comme étant de portée générale.

                                                                     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE

1.         La demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

                                                                                                                             « Edmond P. Blanchard »                 

                                                                                                                                                                 Juge                                

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

IMM-6290-00

INTITULÉ :

Viet Hung Tran c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 23 août 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :

Le juge Blanchard

DATE DES MOTIFS ET DE L'ORDONNANCE :

Le 15 novembre 2001

COMPARUTIONS :

Cecil Rotenberg

POUR LE DEMANDEUR

Jeremiah Eastman

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cecil Rotenberg

Don Mills (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

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