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Date : 20050615

Dossier : IMM-8915-03

Référence : 2005 CF 843

Ottawa (Ontario), le 15 juin 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE HENEGHAN

ENTRE :

                                                    GOWCHARAN TIKAPRASAD

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                M. Gowcharan Tikaprasad (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire de la décision que P. Russell, agent d'immigration (l'agent), a prise le 30 octobre 2003. Dans cette décision, l'agent a rejeté la demande que le demandeur avait faite en vue d'être exempté de l'application du paragraphe 11(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, dans sa forme modifiée (la Loi) pour des raisons d'ordre humanitaire, comme le prévoit le paragraphe 25(1).


[2]                Le demandeur est citoyen de la Guyana. Il est entré au Canada à titre de visiteur sans document le 25 août 2001 et il a obtenu le statut de visiteur pour une période de six mois. Ce délai a par la suite été prorogé jusqu'au 4 décembre 2003.

[3]                Au mois de décembre 2002, le demandeur a demandé la résidence permanente au Canada; sa femme, Mme Sookwattie Jagjit, une citoyenne canadienne, le parrainait pour des raisons d'ordre humanitaire. La demande était fondée sur la relation existant avec la femme et les enfants.

[4]                Parmi les documents qu'il a soumis à l'appui de sa demande, le demandeur a fourni des détails au sujet de sa vie personnelle, y compris son état civil et certains renseignements concernant des accusations qui avaient été portées contre lui au criminel.

[5]                Le demandeur avait d'abord épousé Mme Jagjit en 1978; ils ont eu deux enfants et par la suite ils ont divorcé. Le demandeur a obtenu la garde des enfants et s'est installé aux États-Unis où il a obtenu le statut de résident étranger. Le demandeur et Mme Jagjit se sont chacun mariés une seconde fois et ces mariages ont aboutit à un divorce. Le demandeur et Mme Jagjit ont renoué en 1999 et le 12 mai 2000, le demandeur a demandé Mme Jagjit en mariage. Ils se sont mariés à Toronto au mois d'octobre 2000, après que Mme Jagjit eut divorcé d'avec son second mari, M. Raymond Fowler, au mois de septembre 2000.


[6]                En ce qui concerne sa participation à des activités criminelles, le demandeur a fourni une copie d'une lettre du shérif du comté de Hillsborough, en Floride, et une copie d'un document concernant une arrestation effectuée à la suite d'une accusation pour conduite en état d'ébriété dans le comté de Hillsborough, au mois de mai 1997. Toutefois, dans sa demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire, le demandeur a indiqué qu'il n'avait jamais été accusé d'un crime ou d'une infraction au Canada ou dans un autre pays.

[7]                L'agent n'a pas donné de motifs formels à l'appui du rejet de la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire, mais le dossier certifié du Tribunal renferme des copies du [TRADUCTION] « Rapport circonstancié concernant les raisons d'ordre humanitaire » ainsi que les notes du Système de soutien aux opérations des bureaux locaux (le SSOBL). Voici les notes que l'agent a consignées dans la SSOBL :

[TRADUCTION]

[...] LE CLIENT EST ENTRÉ AU CANADA LE 25 AOÛT 2001, IL A OBTENU UNE PROROGATION DE LA DURÉE DU VISA DE VISITEUR JUSQU'AU 19 JANVIER 2003. IL DÉCLARE AVOIR RENCONTRÉ SA FEMME EN FLORIDE LE 24 DÉCEMBRE 1999, L'AVOIR DEMANDÉE EN MARIAGE LE 25 MAI 2000 ET S'ÊTRE MARIÉ LE 29 OCTOBRE 2000 À TORONTO. L'EXAMEN DU CERTIFICAT DE DIVORCE MONTRAIT QUE LE CLIENT ET LA RÉPONDANTE, SOOKWATTIE JAGJIT, ID 2461-6867, S'ÉTAIENT DÉJÀ MARIÉS AU MOIS DE MARS 1978 ET AVAIENT DIVORCÉ LE 17 MARS 1983. ILS N'ONT PAS MENTIONNÉ CES RENSEIGNEMENTS LORSQU'ILS ONT DONNÉ DES PRÉCISIONS AU SUJET DE LA RELATION. LA RÉPONDANTE A REMIS UNE COPIE DU CERTIFICAT DE DIVORCE DE L'EX-ÉPOUX, RAYMOND FOWLER, ID 2289-1816, AVEC QUI ELLE AVAIT DIVORCÉ LE 18 SEPTEMBRE 2000. PEU DE TEMPS APRÈS QUE M. FOWLER EUT PARRAINÉ SA FIANCÉE, ID 4404-5173, AU MOIS DE MARS 2001, LA DRP A ÉTÉ REFUSÉE AU MOIS DE JUILLET 2002 (VOIR LES REMARQUES CONCERNANT LA DRP POUR DES DÉTAILS COMPLETS AU SUJET DE LA POSSIBILITÉ DE MARIAGES DE CONVENANCE).


LE CLIENT A REMIS UN CERTIFICAT DE LA POLICE DU COMTÉ DE HILLSBOROUGH, À TAMPA, EN FLORIDE, INDIQUANT QU'IL AVAIT ÉTÉ ACCUSÉ DE CONDUITE EN ÉTAT D'ÉBRIÉTÉ LE 7 MAI 1997, MAIS DANS SON FORMULAIRE DE DEMANDE, IL DÉCLARE N'AVOIR JAMAIS ÉTÉ ACCUSÉ OU DÉCLARÉ COUPABLE. LA CRÉDIBILITÉ DU CLIENT EST MISE EN QUESTION ET JE NE SUIS PAS CONVAINCU QU'IL S'AGISSE D'UN MARIAGE VÉRITABLE. LE CLIENT EST ÉGALEMENT TITULAIRE D'UNE CARTE DE RÉSIDENT ÉTRANGER AUX ÉTATS-UNIS [...]

[8]                La décision de l'agent était de nature discrétionnaire; elle est susceptible de révision selon la norme de la décision raisonnable simpliciter; voir Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817. L'application de cette norme de contrôle veut dire qu'un tribunal judiciaire ne modifiera pas la décision de l'agent simplement parce qu'il aurait tiré une conclusion différente. En outre, comme l'a dit la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 4 C.F. 358 (C.A.), le tribunal siégeant en révision ne doit pas se lancer dans une nouvelle appréciation de la preuve dont disposait le décideur. Le tribunal siégeant en révision ne doit pas modifier une décision qui est fondée sur l'exercice d'un large pouvoir discrétionnaire, à moins que le décideur n'ait commis une erreur de principe en exerçant son pouvoir discrétionnaire ou qu'il ne se soit fondé sur des considérations étrangères ou irrégulières.


[9]                À mon avis, l'agent a commis une telle erreur en l'espèce. Les notes consignées dans le SSOBL démontrent que l'agent n'a pas donné au demandeur la possibilité de répondre aux renseignements concernant l'ancien mari de sa femme, M. Fowler, ainsi qu'aux soupçons qu'il avait au sujet de l'existence d'un mariage de convenance avec M. Fowler. Ce renseignement se trouve dans les notes du SSOBL et il est à noter qu'il figure dans le paragraphe se rapportant au caractère véritable du second mariage entre le demandeur et Mme Jagjit. Je conclus que l'agent a pris ces facteurs en considération.

[10]            L'obligation d'équité exige que l'agent qui consulte un tiers et obtient des renseignements de cette source divulgue ces renseignements, de façon que le demandeur soit au courant de la chose et puisse y répondre; voir Sorkhabi c. Canada (Secrétaire d'État) (1994), 89 F.T.R. 244 (1re inst.). Dans cette affaire, le juge Gibson a résumé comme suit, à la page 226, les conclusions que le juge Hugessen avait tirées dans l'affaire Shah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 170 N.R. 238 (C.A.F.) :

[...] le juge Hugessen a énoncé de nouveau le principe qu'il est de droit constant que la teneur de l'obligation d'agir équitablement varie selon les circonstances. Il a souligné que, dans les circonstances d'une demande fondée sur le paragraphe 114(2), la décision elle-même est totalement question de jugement et de discrétion, et que la loi ne donne au requérant aucun droit à une issue particulière. Il a ajouté :

En l'espèce, le requérant ne doit pas répondre à des allégations dont il faut lui donner avis; c'est plutôt à lui de convaincre la personne investie d'un pouvoir discrétionnaire qu'il doit recevoir un traitement exceptionnel et obtenir une dispense de l'application générale de la Loi. La tenue d'une audition et l'énoncé des motifs de la décision ne sont pas obligatoires. L'agente n'a pas l'obligation d'exposer au requérant les conclusions éventuelles qu'elle est susceptible de tirer des éléments dont elle dispose, ni même les éléments en apparence contradictoires qui sèment le doute dans son esprit. Si elle entend se fonder sur des éléments de preuve extrinsèques qui ne lui sont pas fournis par le requérant, elle doit bien sûr lui donner l'occasion d'y répondre. (C'est moi qui souligne.)

À l'appui de la dernière phrase citée relative aux éléments de preuve extrinsèques, le juge Hugessen a cité Muliadi c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'immigration) (1986), 66 N.R. 8; 18 Admin. L.R. 243 (C.A.F.).


[11]            À mon avis, la décision fondée sur des raisons d'ordre humanitaire ici en cause est carrément visée par l'exception dont il est ci-dessus fait mention. Dans la présente affaire, l'agent s'est fondé sur des éléments extrinsèques, c'est-à-dire des renseignements concernant le statut d'un tiers en matière d'immigration, lesquels n'avaient pas été produits par le demandeur. En se fondant sur des éléments de preuve concernant les tentatives que M. Fowler avait faites pour parrainer sa fiancée afin de conclure que le mariage du demandeur n'était pas un mariage véritable, compte tenu de la relation antérieure qui existait entre Mme Jagjit et M. Fowler, l'agent a peut-être mal compris le fondement de la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire. On n'a pas donné au demandeur la possibilité de réfuter ces éléments de preuve et de corriger tout malentendu existant au sujet du fondement de sa demande.

[12]            Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un agent différent pour nouvelle décision. Il ne se pose aucune question susceptible d'être certifiée.

                                        ORDONNANCE

Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un agent différent pour nouvelle décision. Il ne se pose aucune question susceptible d'être certifiée.

                                                                                   _ E. Heneghan _               

                                                                                                     Juge                         

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-8915-03

INTITULÉ :                                                    GOWCHARAN TIKAPRASAD

c.

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 23 FÉVRIER 2005

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LA JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS :                                   LE 15 JUIN 2005

COMPARUTIONS :

Mario Bellissimo                                                POUR LE DEMANDEUR

Michael Butterfield                                             POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mario Bellissimo                                                POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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