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                                                                                                                     Date : 20041015

                                                                                                               Dossier : T-2359-03

                                                                                                    Référence : 2004 CF 1429

Ottawa (Ontario), le 15 octobre 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

                                                          DOUG BUTLER

                                                                                                                              demandeur

                                                                    - et -

     LA COMMISSION NATIONALE DES LIBÉRATIONS CONDITIONNELLES

                                et le SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                              défendeurs

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE SNIDER


[1]                En 1999, après avoir été reconnu coupable de plusieurs infractions criminelles, M. Butler a été déclaré « délinquant à contrôler » , conformément à la partie XXIV du Code criminel du Canada, et il a été condamné à un emprisonnement de trois ans, suivi de cinq ans de surveillance dans la collectivité. En 2002, M. Butler a été élargi et a commencé de purger la portion de sa peine représentant la période de surveillance. Le 8 octobre 2003, la Commission nationale des libérations conditionnelles (la « CNLC » ) suspendait l'ordonnance de surveillance de longue durée le concernant (l' « ordonnance de suspension » ) et renvoyait M. Butler en détention. La CNLC avait estimé que M. Butler avait été en contact prolongé avec des enfants le 27 septembre 2003, contrevenant ainsi directement à l'une des conditions de sa période de surveillance. Les motifs exposés à l'appui de l'ordonnance de suspension étaient les suivants :

[traduction] Vous avez de longs antécédents en tant que délinquant sexuel et violent. Vous êtes considéré comme un délinquant présentant un risque élevé de récidive dans la collectivité. Vous avez contrevenu à une condition spéciale, vous avez déclaré faussement la durée totale de cet événement et vous avez expliqué qu'il vous était impossible d'être impoli et de tourner les talons. Tout cela montre clairement que le risque que vous présentez s'est accru.

[2]         Le 27 novembre 2003, la CNLC, après examen de l'ordonnance de suspension et de toutes les circonstances afférentes, annulait l'ordonnance de suspension et libérait le demandeur.

[3]         M. Butler sollicite le contrôle judiciaire de l'ordonnance de suspension datée du 8 octobre 2003.

Points litigieux

[4]         Cette demande soulève trois points :


1.          Étant donné que, le 27 novembre 2003, la CNLC a annulé son ordonnance de suspension datée du 8 octobre 2003, la demande est-elle devenue théorique?

2.          Même si la demande est théorique, la Cour devrait-elle quand même exercer son pouvoir discrétionnaire et décider d'instruire la demande?

3.          La décision de la CNLC était-elle manifestement déraisonnable?

Analyse

Point n ° 1 : La demande est-elle théorique?

[5]         Selon les défendeurs, cette demande est théorique parce que M. Butler cherche à faire rescinder une ordonnance de suspension qui a déjà été annulée en conséquence de l'audience tenue le 27 novembre 2003 après la suspension; il n'y a plus, entre M. Butler et la CNLC, de « litige actuel » .


[6]         M. Butler dit que la décision de la CNLC n'est pas théorique. Il compare cette décision à l'appel formé contre une peine qui a déjà été purgée. Dans un tel cas, il ne fait aucun doute que la décision imposant la peine est théorique et que la juridiction d'appel pourra annuler la peine bien qu'elle ait été purgée. M. Butler ne m'a renvoyée à aucun précédent au soutien de cet argument. Il affirme aussi que cette décision de la CNLC subsiste puisqu'elle n'a pas été infirmée; le rôle de la CNLC dans l'audience postérieure à la suspension n'est pas celui d'une instance d'appel.

[7]        La première étape de la question de savoir si une affaire est théorique consiste à se demander si le différend tangible et concret qui est requis a disparu et si les questions sont devenues hypothétiques (Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, au paragraphe 16). En l'espèce, il n'est pas contesté que M. Butler n'est plus soumis à l'ordonnance de suspension. Le comité subséquent de la CNLC a examiné les circonstances de l'ordonnance de suspension et a décidé de l'annuler.

[8]        Le régime législatif de la surveillance de longue durée se trouve dans la partie II de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (la « Loi » ). Le paragraphe 135.1(1) prévoit que, lorsqu'un délinquant contrevient à l'une des conditions d'une ordonnance de surveillance de longue durée ou lorsqu'un membre de la CNLC est convaincu qu'il est raisonnable et nécessaire de suspendre la surveillance de longue durée pour empêcher la violation d'une condition ou pour protéger la société, la CNLC peut suspendre la surveillance de longue durée. C'est ce qui a été fait ici. Dans l'ordonnance de suspension, la CNLC a pris la décision de suspendre la surveillance.


[9]         Une fois que la surveillance a été suspendue, la décision de suspension peut être l'objet de deux types de contrôle. D'abord, la personne qui a signé le mandat d'incarcération doit examiner le cas et, au plus tard 30 jours après l'incarcération, soit annuler la suspension, soit renvoyer le dossier à la CNLC (paragraphe 135.1(5) de la Loi). Deuxièmement, une fois saisie du dossier, la CNLC doit examiner le cas et, dans les 60 jours qui suivent la date du renvoi, elle doit soit annuler la suspension et libérer le délinquant sous réserve des mêmes conditions ou de conditions modifiées, soit prendre une autre mesure, qui n'intéresse pas la présente demande (paragraphe 135.1(6) de la Loi). Il m'apparaît évident que la deuxième évaluation de la suspension d'une surveillance participe d'un contrôle ou d'un appel de la première décision. En l'espèce, une audience a été tenue après la suspension, et M. Butler a été élargi, par décision datée du 27 novembre 2003, avec l'ajout d'une condition à sa surveillance.

[10]       À mon avis, la demande est théorique. Puisque la décision de la CNLC a été revue et que M. Butler a ensuite été libéré, le fondement ou la base de cette demande a disparu. Il n'y a pas de litige actuel entre les parties.

[11]       Même si je devais conclure que la CNLC a commis une erreur lorsqu'elle a rendu sa décision, ma décision n'aurait aucune conséquence pratique directe. L'annulation de la décision de la CNLC ne modifierait pas la position de M. Butler, qui a déjà été libéré.


Point n ° 2 : Devrais-je exercer néanmoins mon pouvoir discrétionnaire et décider d'instruire la demande?

[12]       La conclusion selon laquelle il n'y a pas de litige actuel ne dispose pas de cette affaire. Comme l'expliquait la Cour suprême dans l'arrêt Borowski, précité, à la page 353, le tribunal peut décider d'examiner une question théorique si les circonstances le justifient.

[13]      M. Butler fait valoir que, même si la demande est maintenant théorique, je devrais exercer mon pouvoir discrétionnaire et décider d'instruire cette demande. Il relève que l'alinéa 101b) de la Loi autorise la CNLC à prendre en compte tous les renseignements disponibles lorsqu'elle décide d'élargir ou non un délinquant. M. Butler dit que le fait de laisser subsister l'ordonnance de suspension l'expose au risque d'un constat futur défavorable, étant donné qu'une fois on avait constaté qu'il était trouvé « en contact » avec des enfants, alors même que ce constat fut annulé. Ainsi, affirme-t-il, les intérêts de la justice seront servis si cette demande est instruite. Je ne partage pas son avis.


[14]       La seule raison possible pouvant justifier l'instruction de cette demande théorique serait l'effet que l'ordonnance de suspension - et plus précisément la conclusion selon laquelle M. Butler avait contrevenu à une condition de la surveillance - pourrait avoir sur les interactions futures de M. Butler et des autorités. Cependant, l'argument selon lequel l'ordonnance de suspension pourrait être invoquée à l'encontre de M. Butler est pure conjecture. Dans tout examen ultérieur du dossier de M. Butler, les deux décisions seront portées à l'attention de l'organe d'examen. Quiconque examinera le dossier sera amené à conclure que la deuxième décision a eu pour effet de réformer et d'annuler la première. Il est donc difficile d'imaginer un cas où l'ordonnance de suspension puisse avoir un effet défavorable sur M. Butler sans que cet effet soit neutralisé par la seconde décision du 27 novembre.

[15]       J'ai une autre raison de ne pas exercer ici mon pouvoir discrétionnaire. Comme l'expliquait le juge Sopinka dans l'arrêt Borowski, au paragraphe 40 :

[Une] raison d'être de la doctrine du caractère théorique tient à ce que la Cour doit prendre en considération sa fonction véritable dans l'élaboration du droit. La Cour doit se montrer sensible à sa fonction juridictionnelle dans notre structure politique. On pourrait penser que prononcer des jugements sans qu'il y ait de litige pouvant affecter les droits des parties est un empiétement sur la fonction législative.


[16]      Le fait de prononcer un jugement sur l'ordonnance de suspension rendue par la CNLC pourrait être considéré comme un empiétement sur la fonction législative. Comme dans l'affaire Borowski, c'est là, pour ce principe, une considération qui bat en brèche la position de M. Butler. La Loi renferme des dispositions très détaillées qui portent sur les décisions prises par des personnes désignées dans des situations comme celle où se trouve M. Butler. La loi prévoit non pas une procédure d'examen, mais toute une série, ainsi qu'une voie d'appel. Le personnel et les membres de la CNLC se sont scrupuleusement conformés aux procédures établies. S'ingérer là où aucune intervention de la Cour n'est nécessaire, c'est faire entrer l'incertitude dans un système qui est par ailleurs certain.

[17]       Au vu des circonstances de cette affaire, je ne suis pas persuadée que l'intervention de la Cour soit justifiée dans cette demande théorique.

Point n ° 3 : La décision de la CNLC était-elle manifestement déraisonnable?

[18]       Comme je suis arrivée à la conclusion que la demande est théorique et puisque, usant de mon pouvoir discrétionnaire, j'ai décidé de ne pas instruire cette affaire, il n'est pas nécessaire de se demander si l'ordonnance de suspension était manifestement déraisonnable.

[19]       La demande sera rejetée, avec dépens en faveur des défendeurs.


                                                          ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande est rejetée, avec dépens en faveur des défendeurs.

            « Judith A. Snider »              

Juge

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                                                       COUR FÉDÉRALE

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER                                   T-2359-03

INTITULÉ :                                 DOUG BUTLER c. LA COMMISSION NATIONALE DES LIBÉRATIONS CONDITIONNELLES et autre

LIEU DE L'AUDIENCE :          EDMONTON (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :         LE 13 OCTOBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :               LE 15 OCTOBRE 2004

COMPARUTIONS :

Charles B. Davison                                                              POUR LE DEMANDEUR

Susan Dej                                                                            POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocat                                                                                POUR LE DEMANDEUR

Edmonton (Alberta)

Morris Rosenberg                                                                POUR LES DÉFENDEURS

Sous-procureur général du Canada

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