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Date : 20201123

Dossier : IMM‑4417‑19

Référence : 2020 CF 1084

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 23 novembre 2020

En présence de madame la juge Pallotta

ENTRE :

VIKELA KITA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La demanderesse, Mme Kita, est une citoyenne de l’Albanie qui a demandé un permis d’études temporaire afin de fréquenter le collège Seneca, en Ontario. À la même date, son époux, M. Rrezhda, a demandé un permis de travail temporaire. Un agent des visas de l’ambassade du Canada à Rome, en Italie (l’agent), a refusé la demande de Mme Kita parce qu’il n’était pas convaincu que celle‑ci quitterait le Canada à la fin de son séjour. La demande de travail de M. Rrezhda, qui a été traitée dans le cadre de la demande de Mme Kita, a par conséquent également été refusée. Mme Kita sollicite une ordonnance annulant la décision de l’agent et renvoyant l’affaire à un autre agent pour réexamen.

[2]  Mme Kita soutient que la décision de l’agent n’était pas raisonnable. Elle fait valoir que l’agent a entravé son pouvoir discrétionnaire en fondant sa décision sur des facteurs non pertinents et que les motifs peu étoffés de la décision n’étaient ni intelligibles ni transparents et ne la justifiaient pas. Mme Kita ajoute que l’agent a commis un manquement à l’équité procédurale en ne lui donnant pas l’occasion de répondre aux éléments de preuve extrinsèques qui étayaient la décision.

[3]  Je ne suis pas convaincue que la décision de l’agent était déraisonnable ou que celui‑ci a commis un manquement à l’équité procédurale. En conséquence, je dois rejeter la demande de contrôle judiciaire de Mme Kita.

II.  Questions en litige et norme de contrôle

[4]  Les questions en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire sont les suivantes :

  1. La décision de l’agent de refuser les demandes de permis d’études et de permis de travail était‑elle déraisonnable?

  2. L’agent a‑t‑il commis un manquement à l’équité procédurale?

[5]  Les parties conviennent que la norme de la décision raisonnable s’applique au contrôle du bien‑fondé de la décision de l’agent de refuser les demandes. La norme de la décision raisonnable commande un contrôle empreint de déférence, mais rigoureux (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], aux para 12, 13, 75 et 85). La cour de révision doit établir si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité (Vavilov, au para 99). Une décision raisonnable est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable (Vavilov, au para 100).

[6]  Les parties ne s’entendent pas sur la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer aux questions relatives à l’équité procédurale. Mme Kita soutient que l’arrêt Vavilov n’a pas eu pour effet de modifier la norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale, qui demeurent susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte. Pour sa part, le défendeur fait valoir que la norme de la décision raisonnable s’applique et que les décisions relatives aux demandes de visa temporaire commandent un très faible degré d’équité procédurale. Mme Kita rétorque que, bien que les exigences relatives à l’équité procédurale varient selon les circonstances de l’affaire, il n’y a pas de concept de « très faible degré » en ce qui a trait à la norme de contrôle relative aux questions d’équité procédurale. La principale question à trancher est celle de savoir si la procédure était équitable.

[7]  Je conviens avec Mme Kita que la norme présumée de la décision raisonnable ne s’applique pas aux questions relatives à l’équité procédurale (Vavilov, aux para 23 et 77). Dans plusieurs décisions qu’elle a rendues récemment, la Cour a décidé que la norme applicable à ces questions correspond à la norme de la décision correcte (Mannings c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2020 CF 823, au para 43; Pardo Quitian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 846, au para 18; Vyshnevskyy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 881, au para 18).

[8]  Bien que les exigences de l’équité procédurale soient souples et tributaires du contexte (Vavilov, au para 77), une fois qu’elles ont été définies, la juridiction de révision doit décider si la décision sous‑jacente les respectait. À cette étape, une norme de contrôle qui s’apparente à celle de la décision correcte s’applique (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au para 43). 

[9]  La question d’équité procédurale qui se pose dans la présente demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si, eu égard à l’ensemble des circonstances, l’agent était tenu d’envoyer à Mme Kita une lettre d’équité afin de lui donner l’occasion de répondre aux réserves exprimées au sujet des demandes avant de décider de les refuser (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker], aux p 837 à 841).  

III.  Analyse

A.  Question no 1 : La décision de l’agent de refuser les demandes de permis d’études et de permis de travail était‑elle déraisonnable?

[10]  L’article 216 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le RIPR], énonce que l’agent délivre un permis d’études à l’étranger si, à l’issue d’un contrôle, certains éléments sont établis, notamment le fait que l’étranger quittera le Canada à la fin de la période de séjour qui lui est applicable (art 216(1)b) du RIPR). Le demandeur de visa d’études a le fardeau de fournir à l’agent tous les renseignements pertinents pour convaincre celui‑ci qu’il satisfait aux exigences prévues par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], et par le RIPR (Akomolafe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 472 [Akomolafe], au para 16).

[11]  L’agent a refusé la demande de Mme Kita, parce qu’il n’était pas convaincu que celle‑ci quitterait le Canada à la fin de son séjour. Voici un passage de la lettre de refus :

[TRADUCTION]

  Je ne suis pas convaincu que vous quitterez le Canada à la fin de votre séjour, comme l’exige le paragraphe 216(1) du RIPR, compte tenu de l’objet de votre visite.

  Je ne suis pas convaincu que vous quitterez le Canada à la fin de votre séjour, comme l’exige le paragraphe 216(1) du RIPR, compte tenu des perspectives d’emploi limitées dans votre pays de résidence.

  Je ne suis pas convaincu que vous quitterez le Canada à la fin de votre séjour, comme l’exige le paragraphe 216(1) du RIPR, compte tenu de vos actifs personnels et de votre situation financière.

[12]  L’agent a également consigné les notes suivantes dans le Système mondial de gestion des cas (le SMGC) :

[TRADUCTION]

[Mme Kita] et son époux, qui demandent respectueusement un permis d’études et un permis de travail, ont fourni des lettres bancaires indiquant qu’ils possèdent des économies de plus de l5 000 $US. La provenance des fonds est inconnue. L’époux s’est vu refuser un visa américain et n’a pas déclaré ce refus. [Mme Kita] est sans emploi à l’heure actuelle.

Après avoir examiné attentivement les renseignements disponibles, je suis d’avis que les raisons qui incitent la demanderesse à rester au Canada l’emportent peut‑être sur les liens qui la rattachent à son pays d’origine ou son pays de résidence. Après avoir soupesé les facteurs applicables à la présente demande, je ne suis pas convaincu que les demandeurs quitteront le Canada à la fin de leur séjour autorisé.

Demandes refusées.

[13]  Mme Kita soutient que la décision de l’agent de refuser sa demande de permis d’études reposait sur quatre facteurs : la source inconnue des économies dans son compte bancaire, le montant des économies, le refus non déclaré de la demande de visa américain de M. Rrezhda et le fait que Mme Kita est sans emploi. En réponse à la première sous‑question qu’elle pose au sujet du caractère raisonnable de la décision de l’agent, Mme Kita fait valoir que l’agent a entravé ou mal exercé son pouvoir discrétionnaire en tenant compte de facteurs inexacts, en examinant des facteurs non pertinents qui n’ont aucune incidence juridique sur son admissibilité à un permis d’études et en tirant des inférences défavorables qui ne sont pas pertinentes. En réponse à la deuxième sous‑question qu’elle pose au sujet du caractère raisonnable de la décision de l’agent, Mme Kita fait valoir que cette décision n’était pas justifiée, transparente et intelligible, et que les motifs donnés à l’appui n’étaient pas suffisamment clairs ou cohérents pour lui permettre de comprendre la décision défavorable de l’agent.

[14]  Les deux sous‑questions formulées par Mme Kita se recoupent considérablement et les arguments exposés par écrit et de vive voix n’étaient pas nécessairement présentés de cette façon. Essentiellement, Mme Kita soutient que le caractère déraisonnable de la décision de l’agent est imputable en partie à un certain nombre d’erreurs spécifiques concernant les facteurs dont l’agent a tenu compte dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. J’analyserai chacune des erreurs spécifiques reprochées avant de répondre à la question principale, qui est de savoir si Mme Kita a établi que la décision de l’agent est déraisonnable. Ce faisant, je conserve à l’esprit le principe selon lequel le contrôle judiciaire en fonction de la norme de la décision raisonnable n’est pas une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur (Vavilov, au para 102).

(1)  L’agent a‑t‑il entravé ou mal exercé son pouvoir discrétionnaire?

[15]  Selon l’article 216 du RIPR, pour faire droit à une demande de permis d’études, l’agent doit être convaincu que l’étranger quittera probablement le Canada à la fin de son séjour. L’agent prend cette décision dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, lequel n’est cependant pas sans limite. Les parties conviennent que l’agent ne doit pas avoir exercé son pouvoir discrétionnaire de mauvaise foi, ou d’une manière arbitraire ou incompatible avec les obligations que la loi lui impose. Il serait déraisonnable de la part de l’agent de fonder sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose (art 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7). Les parties conviennent également que l’agent ne devrait pas se fonder sur des considérations qui ne sont pas pertinentes ou qui sont étrangères à l’objet de la loi. L’agent jouit d’un vaste pouvoir discrétionnaire pour apprécier la preuve et prendre sa décision. Cependant, sa décision doit être fondée sur des conclusions de fait raisonnables (Akomolafe, au para 12).

[16]  Tel qu’il est mentionné plus haut, Mme Kita soutient que l’agent a entravé ou mal exercé son pouvoir discrétionnaire en l’espèce en se fondant sur des facteurs inexacts ou non pertinents et en tirant des inférences défavorables non pertinentes.

[17]  Mme Kita reproche à l’agent de s’être fondé sur un facteur inexact en sous‑estimant les fonds dont elle disposait, qui s’élevaient non pas à 15 000 $US, ainsi qu’il est mentionné dans les notes consignées dans le SMGC, mais dépassaient 30 000 $US. Le défendeur soutient qu’il n’y a pas eu d’erreur et qu’il ressort à l’évidence des notes de l’agent selon lesquelles [traduction« [Mme Kita] et son époux, qui demandent respectueusement un permis d’études et un permis de travail, ont fourni des lettres bancaires indiquant qu’ils possèdent des économies de plus de l5 000 $US », que l’agent voulait simplement dire « respectively » (respectivement) plutôt que « respectfully » (respectueusement). Mme Kita répond que la mention de 15 000 $US est certainement erronée et qu’une juridiction de révision ne devrait pas avoir à deviner ce que l’agent a voulu dire. Les arguments de Mme Kita ne me convainquent pas. Dans les notes susmentionnées, l’agent renvoie clairement aux lettres bancaires. Le dossier comprend deux lettres bancaires de Mme Kita et de son époux et, dans chacune de ces lettres, il est fait mention d’économies d’environ 15 000 $US. De plus, un montant de 40 000 $CA figure dans le champ du dossier du SMGC intitulé « Fonds disponibles », ce qui équivaut à peu près à 30 000 $US et correspond aux montants inscrits à titre de fonds disponibles tant sur le formulaire de demande de Mme Kita (40 000 $CA) que dans la lettre d’envoi qui l’accompagne (42 000 $CA). Je ne suis pas convaincue que l’agent a sous‑estimé les économies dont dispose Mme Kita.

[18]  Mme Kita fait valoir que la provenance inconnue des fonds dont elle dispose n’était pas un facteur pertinent, parce que le RIPR n’oblige pas les demandeurs à prouver la source de leurs fonds. L’article 220 du RIPR exige simplement une preuve du fait que la demanderesse a suffisamment d’argent pour suivre le programme d’études, et Mme Kita affirme qu’elle a fourni cette preuve; en plus d’avoir accumulé des économies de plus de 30 000 $US, Mme Kita a déjà payé une partie de ses frais de scolarité et elle comptait rester avec son époux chez des membres de la famille qui seraient prêts à les héberger; de plus, son époux avait l’intention de travailler pendant leur séjour à titre d’ouvrier spécialisé. En conséquence, Mme Kita soutient que, en soulevant la question de l’origine des fonds, l’agent a imposé une exigence arbitraire et a mal appliqué les critères relatifs à l’exercice de son pouvoir discrétionnaire (Little Sisters Book and Art Emporium c Canada (Commissaire des Douanes et du Revenu), 2007 CSC 2, au para 93).

[19]  De plus, Mme Kita fait valoir que l’agent a entravé son pouvoir discrétionnaire en tirant une inférence défavorable au sujet d’une préoccupation, qui n’a jamais été formulée explicitement, selon laquelle son époux et elle‑même avaient obtenu leurs économies par des moyens malhonnêtes et non grâce à la générosité de leur famille ou par souci de responsabilité financière, étant donné, surtout, qu’il n’y avait aucune raison de mettre en doute la provenance des fonds à la lumière de la preuve (qui établit que les membres de la famille de Mme Kita sont des propriétaires relativement aisés de l’Albanie, qu’elle‑même et son époux vivaient chez les parents de celui‑ci et que son époux exerce un métier spécialisé). Selon Mme Kita, l’inférence défavorable était invalide et entache le raisonnement ayant mené à la décision (Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c Southam Inc., [1997] 1 RCS 748, au para 56).

[20]  À mon avis, l’agent n’a pas laissé entendre que Mme Kita et son époux avaient obtenu leurs économies par des moyens malhonnêtes. De plus, il n’a pas refusé la demande de Mme Kita au motif qu’elle ne respectait pas les exigences de l’article 220 du RIPR, et le fait que cette dernière disposition exige simplement une preuve du fait que Mme Kita a suffisamment d’argent ne signifie pas forcément que la source des fonds n’est pas pertinente quant aux critères prévus à l’article 216 du RIPR. Mme Kita n’a pas établi que la LIPR et le RIPR interdisent à l’agent de tenir compte du montant et de la provenance des fonds au moment de décider si un demandeur quittera le Canada à la fin de son séjour. Il était raisonnable de la part de l’agent de tenir compte de ces facteurs en l’espèce.

[21]  Mme Kita soutient que l’agent a tiré une inférence défavorable au sujet de la sincérité et de l’intégrité de son époux en affirmant que M. Rrezhda n’avait pas déclaré le refus de sa demande de visa américain. Selon Mme Kita, l’omission de M. Rrezhda était probablement accidentelle, étant donné qu’il a déclaré qu’il s’était vu refuser une demande de visa sur son formulaire de demande, mais qu’il avait simplement omis de fournir suffisamment de détails en incluant uniquement des renseignements au sujet du refus de sa demande de visa canadien. Mme Kita ajoute que, étant donné que l’agent n’a pas fourni de détails au sujet du refus de la demande de visa américain ni n’en a expliqué l’importance, il est impossible de savoir si la prise en compte de ce facteur par l’agent était raisonnable. Indépendamment de la question de savoir si l’agent s’est fondé sur ce facteur pour évaluer l’intégrité de son époux et la probabilité qu’elle retourne en Albanie, ou l’un ou l’autre de ces aspects, Mme Kita affirme qu’en se limitant à mentionner ce facteur, l’agent n’a pas fourni suffisamment de détails pour lui permettre de vérifier si celui‑ci a été examiné de façon raisonnable.

[22]  À mon avis, le caractère raisonnable de la décision de l’agent ne dépend pas de la question de savoir si l’omission de M. Rrezhda était intentionnelle ou accidentelle. L’agent a affirmé que M. Rrezhda s’était vu refuser un visa américain et n’avait pas déclaré ce refus. Mme Kita n’a pas allégué ou démontré que l’affirmation de l’agent était inexacte ni n’a fourni de détails au sujet du refus en question pour démontrer pourquoi il n’était pas raisonnable de la part de l’agent d’avoir considéré ce refus comme un facteur. M. Rrezhda n’a pas donné une réponse complète à une question directe figurant sur le formulaire de demande au sujet de ses antécédents en matière de visa, comme il devait le faire. Il n’était pas déraisonnable de la part de l’agent d’avoir tenu compte de ce facteur.

[23]  De plus, Mme Kita doit démontrer que les lacunes ou les déficiences que comporterait la décision de l’agent sont suffisamment capitales ou importantes pour rendre la décision déraisonnable, ce qu’elle n’a pas fait (Vavilov, au para 100). Le caractère raisonnable de la décision de l’agent ne dépend pas uniquement de cette question du visa américain, et les autres facteurs appuyaient suffisamment la conclusion de l’agent. La lettre de refus renvoie à l’objet du séjour de Mme Kita, aux perspectives d’emploi restreintes en Albanie ainsi qu’aux actifs personnels et à la situation financière de celle‑ci, lesquels éléments sont tous appuyés par les notes versées dans le SMGC et par le dossier.

[24]  En dernier lieu, Mme Kita soutient que sa situation de personne sans emploi à la date de sa demande était un facteur non pertinent. Elle affirme qu’elle est devenue une personne sans emploi uniquement en juin 2018, mois au cours duquel sa demande a été présentée. Au cours des deux années précédentes, Mme Kita avait travaillé comme adjointe à la boutique de sa mère. Mme Kita affirme qu’elle a indéniablement des liens très étroits avec son employeur – sa mère – et des plans explicites qui laissent entrevoir qu’elle reprendra ce travail après avoir terminé le programme d’études collégiales au Canada. Le défendeur répond que le fait que Mme Kita est sans emploi est particulièrement pertinent quant à la question de savoir si son époux et elle‑même venaient au Canada dans un but temporaire, étant donné que la demande indique qu’en juin 2018, Mme Kita avait déménagé de Korçë, où se trouvait la boutique de sa mère, pour aller s’établir dans la ville éloignée de Tirana, où son époux travaillait et où le couple a vécu chez les parents de M. Rrezhda après s’être marié en juin 2018.

[25]  Je suis d’accord avec le défendeur. Même si, dans la lettre d’envoi qui accompagnait sa demande, Mme Kita a affirmé que le programme offert au collège Seneca l’aiderait à diriger la boutique de sa mère [traduction« où elle [avait] travaillé au cours des deux dernières années », elle a également souligné dans cette même lettre que son époux et elle‑même [traduction« habit[aient] chez les parents de M. Rrezhda », dans une ville éloignée de la boutique. L’agent ne s’est pas fondé sur un facteur non pertinent en tenant compte du fait que Mme Kita était sans emploi lorsqu’il s’est demandé si celle‑ci quitterait le Canada à la fin de la période de séjour qui lui est applicable et si elle retournerait en Albanie.

(2)  La décision de l’agent était‑elle justifiée, transparente et intelligible?

[26]  Passons à la deuxième sous‑question, qui est celle de savoir si la décision de l’agent était justifiée, transparente et intelligible.

[27]  Mme Kita soutient que les motifs de la décision de l’agent n’étaient pas suffisamment clairs et cohérents pour expliquer comment l’agent en est arrivé à une décision défavorable. Elle reconnaît que les motifs invoqués dans les affaires de demandes de visa temporaire sont brefs, mais précise que ces motifs doivent néanmoins répondre aux exigences de justification, de transparence et d’intelligibilité au sens de l’arrêt Vavilov.

[28]  Après avoir énuméré les quatre facteurs invoqués pour étayer sa décision (la source inconnue des économies dans les comptes bancaires, le montant des économies, le refus non déclaré du visa américain de M. Rrezhda et la situation de personne sans emploi de Mme Kita), l’agent souligne ce qui suit, dans les notes versées dans le SGMC :

[TRADUCTION]

Après avoir examiné attentivement les renseignements disponibles, je suis d’avis que les raisons qui incitent la demanderesse à rester au Canada l’emportent peut‑être sur les liens qui la rattachent à son pays d’origine ou son pays de résidence. Après avoir soupesé les facteurs applicables dans la présente demande, je ne suis pas convaincu que les demandeurs quitteront le Canada à la fin de leur séjour autorisé.

[29]  Mme Kita soutient que la décision manque de justification, de transparence et d’intelligibilité, étant donné qu’il n’y a aucun lien rationnel entre les quatre facteurs et la conclusion finale à laquelle l’agent en est arrivé. Elle ajoute que les motifs peu étoffés de la décision de l’agent n’étaient pas cohérents ou intelligibles. Selon Mme Kita, l’élément clé est la qualité plutôt que la quantité, et l’agent aurait pu rédiger des motifs intelligibles en trois phrases, ce qu’il n’a pas fait.

[30]  À mon avis, Mme Kita n’a pas établi que les motifs de la décision de l’agent manquaient de justification, de transparence ou d’intelligibilité.

[31]  Pour les motifs exposés dans la sous‑section précédente, je ne suis pas convaincue qu’il y a un manque de lien rationnel entre les quatre facteurs et la conclusion de l’agent. Les facteurs examinés par l’agent étaient pertinents quant aux dispositions législatives applicables et étaient appuyés par la preuve au dossier. Mme Kita conteste la façon dont l’agent a évalué les facteurs; cependant, une juridiction de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur (Vavilov, au para 125). Mme Kita n’a pas établi que l’agent avait apprécié et évalué les facteurs d’une façon qui justifierait l’intervention de la Cour.

[32]  De plus, je ne suis pas convaincue que les motifs étaient trop laconiques ou trop peu étoffés. Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable tient compte de la diversité des décisions administratives en reconnaissant que ce qui est raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen (Vavilov, aux para 89 et 90). À mon avis, lorsqu’ils sont lus de manière équitable à la lumière du dossier, les motifs donnés à l’appui de la décision de l’agent étaient suffisamment transparents et intelligibles.

[33]  En conclusion, Mme Kita n’a pas établi que la décision de l’agent était déraisonnable.

B.  Question no 2 : L’agent a‑t‑il commis un manquement à l’équité procédurale?

[34]  La question d’équité procédurale qui se pose en l’espèce est celle de savoir si l’agent devait envoyer une lettre d’équité afin d’offrir à Mme Kita l’occasion de répondre à ses préoccupations avant de décider de refuser les demandes. Mme Kita soutient que l’agent était tenu de lui faire parvenir une lettre d’équité au sujet du refus de la demande de visa américain de M. Rrezhda, pour deux raisons.

[35]  D’abord, Mme Kita soutient que l’agent a invoqué de fausses déclarations, sans employer spécifiquement l’expression. Mme Kita cite les remarques suivantes formulées au paragraphe 15 de la décision Bayramov c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 256 : « s’il envisage de tirer une conclusion de fausses déclarations, l’agent des visas a l’obligation d’informer le demandeur des doutes susceptibles de justifier une telle conclusion et de lui donner une véritable occasion d’y répondre ». Cependant, les motifs ne permettent pas dire que l’agent a tiré une conclusion de fausses déclarations et je ne souscris pas à l’argument de Mme Kita selon lequel une conclusion en ce sens a été tirée implicitement. Comme je l’ai mentionné plus haut, M. Rrezhda devait répondre à une question concernant ses antécédents en matière de visa sur le formulaire de demande, et il n’a pas donné tous les détails à ce sujet. L’agent a simplement relevé cette omission. En conséquence, Mme Kita n’a pas établi que l’agent était tenu de faire parvenir à la demanderesse une lettre d’équité afin de l’informer de préoccupations qui pouvaient donner lieu à une conclusion de fausses déclarations.

[36]  En deuxième lieu, Mme Kita fait valoir que l’agent s’est fondé sur des éléments de preuve extrinsèques et que, dans ces circonstances, l’obligation d’équité commande l’envoi d’une lettre d’équité. Bien qu’elle reconnaisse la position du défendeur selon laquelle un agent n’est pas tenu d’informer un demandeur des préoccupations découlant d’exigences de la loi ou des règlements connexes, Mme Kita fait valoir qu’une exception s’applique lorsque l’agent se fonde sur des éléments de preuve extrinsèques (Rukmangathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 284 [Rukmangathan], au para 22). Selon Mme Kita, la décision Rukmangathan montre clairement que l’agent n’est pas dispensé de l’obligation d’équité procédurale lorsqu’il se fonde sur des « éléments de preuve extrinsèques ».

[37]  L’argument de Mme Kita présuppose que les éléments de preuve extrinsèques s’entendent de tous les éléments de preuve qui ne font pas partie du dossier, mais je ne puis accepter cette prémisse. Chose encore plus importante, toutefois, la question d’équité procédurale qui se pose en l’espèce ne dépend pas de la portée des éléments de preuve extrinsèques, parce que je ne crois pas que la jurisprudence établisse l’obligation absolue pour l’agent d’envoyer une lettre d’équité chaque fois qu’il s’appuie sur des éléments de preuve qui ne font pas partie du dossier. Selon le principe prépondérant, l’obligation d’équité procédurale est « éminemment variable et son contenu est tributaire du contexte particulier de chaque cas » : (Baker, au para 21). Les facteurs pertinents à prendre en compte pour déterminer le contenu de l’obligation d’équité comprennent la nature de la décision prise, l’importance de la décision pour la vie des personnes visées et leurs attentes légitimes (Baker, aux para 23, 25 et 26). Je dois donc conclure que la description que donne Mme Kita des principes d’équité procédurale liés à l’obligation de notification qui incombait à l’agent est incomplète.

[38]  Les remarques formulées dans la décision Rukmangathan (au para 22), selon lesquelles « [il] est bien établi que, dans le contexte des décisions d’un agent des visas, l’équité procédurale exige que le demandeur ait la possibilité de répondre aux éléments de preuve extrinsèques sur lesquels l’agente des visas s’est fondée et qu’il soit informé des préoccupations que l’agente a [soulevées] à cet égard », doivent être interprétées en fonction du contexte. La décision de l’agent qui faisait l’objet d’un contrôle dans la décision Rukmangathan ne portait pas sur le refus d’une demande de visa d’étudiant. De plus, dans cette même décision, le juge Mosley expose certaines circonstances dans lesquelles l’obligation d’équité procédurale n’exige pas que le demandeur ait la possibilité de répondre à des préoccupations, notamment lorsque la préoccupation découle des exigences de la loi ou des règlements connexes. À mon avis, le juge Mosley n’a pas affirmé en toutes lettres dans cette décision que l’équité commandait la remise d’un avis chaque fois qu’un agent se fonde sur un élément de preuve qui ne fait pas partie du dossier, et ne fournit pas non plus une liste exhaustive des conditions qui « dispenseraient » l’agent de l’obligation de notification. M. Rrezhda était au courant du refus de sa demande de visa américain et il ne s’agit pas d’un cas où il n’aurait pu raisonnablement prévoir que l’agent consulterait ses antécédents en matière de visa ou de permis (Adetunji c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 708, au para 38; Qin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 147, au para 38).

[39]  Dans la présente affaire, Mme Kita et M. Rrezhda ont eu la possibilité de produire des documents écrits complets au sujet du refus de la demande de visa américain de M. Rrezhda (Baker, au para 34). Le formulaire de demande de M. Rrezhda comportait la question suivante : « Vous a‑t‑on déjà refusé un visa ou un permis, interdit l’entrée ou demandé de quitter le Canada ou tout autre pays ou territoire? » M. Rrezhda a coché la case « oui », mais en réponse à une question subséquente visant à obtenir davantage de détails, il a fourni uniquement des renseignements concernant le refus de sa demande de visa canadien. Il incombait à Mme Kita et à M. Rrezhda de convaincre l’agent qu’ils respectaient les exigences de leurs demandes et de fournir des formulaires de demande complets. L’agent n’est nullement tenu de clarifier une demande incomplète (Trivedi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 422, au para 42). 

[40]  Mme Kita n’a pas établi que l’agent avait commis un manquement à l’équité procédurale.

IV.  Question dont la certification est proposée

[41]  Mme Kita a proposé la certification de la question suivante à l’audience :

[traduction]

En quoi consistent des éléments de preuve extrinsèques aux fins d’une demande de visa de résident temporaire?

[42]  Mme Kita soutient que cette question est pertinente quant à l’équité procédurale. Elle affirme que les renseignements concernant le refus du visa américain de M. Rrezhda constituaient des éléments de preuve extrinsèques et que, étant donné que l’agent s’est fondé sur des éléments de preuve extrinsèques, il aurait dû lui envoyer une lettre d’équité. Le défendeur répond que la question dont la certification est proposée n’est pas une question qu’il convient de certifier et qu’elle a déjà été abordée dans la jurisprudence. 

[43]  L’alinéa 74d) de la LIPR prévoit que le jugement consécutif au contrôle judiciaire n’est susceptible d’appel devant la Cour d’appel fédérale que si le juge certifie que l’affaire soulève une question grave de portée générale. Pour qu’une question soit dûment certifiée aux termes de l’article 74 de la LIPR, la question doit être déterminante quant à l’issue de l’appel, transcender les intérêts des parties au litige et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale (Lewis c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CAF 130, au para 36 [Lewis]). La question doit avoir été examinée par la Cour et doit découler de l’affaire elle‑même, et non de la manière dont la Cour peut avoir tranché celle‑ci (Lewis, au para 36).

[44]  La question dont la certification est proposée ne respecte pas ces exigences. Mme Kita présume que les éléments de preuve extrinsèques s’entendent de tous les éléments de preuve qui ne font pas partie du dossier et affirme que, étant donné que l’agent s’est fondé sur ces éléments, il devait lui envoyer une lettre d’équité. Cependant, je ne crois pas que la jurisprudence établisse une obligation absolue pour l’agent d’informer le demandeur chaque fois qu’il se fonde sur des éléments de preuve qui ne font pas partie du dossier et, dans la présente affaire, la question d’équité procédurale ne portait pas sur la définition des éléments de preuve extrinsèques. En conséquence, la question dont la certification est proposée n’est pas déterminante quant à l’issue de la présente demande de contrôle judiciaire et ne permettrait pas de régler l’appel (Lewis, au para 36; Lunyamila c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CAF 22, aux para 3 et 46). À mon avis, la certification proposée constitue un renvoi de cette question à la Cour d’appel et il ne s’agit pas d’une question qu’il convient de certifier (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Zazai, 2004 CAF 89, au para 12). 

[45]  En conséquence, la Cour refuse de certifier la question proposée.

JUGEMENT dans le dossier IMM‑4417‑19

LA COUR ORDONNE :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Christine M. Pallotta »

juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4417‑19

 

INTITULÉ :

VIKELA KITA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

audience tenue par vidéoconférence

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 20 juillet 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE PALLOTTA

 

DATE DES MOTIFS :

LE 23 NOVEMBRE 2020

 

COMPARUTIONS :

Yehuda Levinson

 

POUR LA demanderesse

 

Judy Michaely

 

POUR LE défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Levinson & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA demanderesse

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

pour le défendeur

 

 

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