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Date : 20201126

Dossier : T-428-20

Référence : 2020 CF 1089

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 26 novembre 2020

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

JANET DONALDSON

demanderesse

et

SWOOP INC., WESTJET AIRLINES LTD., AIR CANADA, AIR TRANSAT A.T. INC. ET SUNWING AIRLINES INC.  

défenderesses

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La demanderesse, Mme Janet Donaldson, demande l’autorisation d’être nommée représentante de la partie demanderesse dans le recours collectif proposé contre les défenderesses WestJet Airlines Ltd. [WestJet], Swoop Inc., Sunwing Airlines Inc., Air Canada et Air Transat A.T. Inc. (collectivement « les défenderesses »), en vue d’obtenir un remboursement effectué selon le mode de paiement initial des contrats prétendument inexécutables en raison de la pandémie.

[2]  La demanderesse est une résidente de la Colombie-Britannique qui avait des réservations confirmées de voyage en avion auprès de WestJest et qui n’a pas obtenu de remboursement selon son mode de paiement prépayé, mais s’est plutôt vue offrir un crédit pour un voyage futur. La demanderesse a voyagé par avion avec WestJest et n’avait pas de réservation confirmée auprès d’autres compagnies aériennes. Elle demande maintenant à représenter un groupe de particuliers (le groupe) :

[traduction]

« qui réside n’importe où dans le monde et qui, avant le 11 mars 2020, avait une confirmation de réservation de vol exploité par Swoop, Sunwing, Air Canada ou Air Transat pour un départ prévu le 13 mars 2020 ou après, jusqu’au retrait complet de l’avertissement aux voyageurs, y compris un sous-groupe de personnes qui avait une confirmation de réservation d’un vol suspendu en raison de la COVID-19, juste avant qu’une des défenderesses décide de suspendre ou d’annuler ce vol;

mais à l’exception des personnes : 

1) qui avaient déjà annulé leurs réservations avant la publication de l’avertissement aux voyageurs; 2) pour qui le processus de remboursement complet selon leur mode de paiement initial était en cours en date du 27 mars 2020; 3) qui ont acheté leurs billets d’avion pour un vol exploité par Swoop ou WestJet auprès d’un partenaire à code partagé de Swoop ou de WestJet; 4) qui avaient une réservation pour laquelle le remboursement complet était garanti pour n’importe quelle raison, sans frais, et pour qui le remboursement complet a été effectué selon leur mode de paiement initial pour cette réservation et 5) qui avaient entrepris le voyage qui a fait l’objet de réservations initiales ou modifiées. »

[3]  Les défenderesses sont d’importantes compagnies aériennes établies au Canada. La défenderesse s’appuie sur des contrats de transport (les tarifs) comme source des obligations des défenderesses à l’égard de la demanderesse et allègue que les tarifs des parties sont devenus inexécutables en raison de la pandémie de COVID-19.

[4]  Plus particulièrement, la demanderesse allègue qu’en application du principe d’impossibilité d’exécution d’un contrat, le groupe a droit à un remboursement effectué selon le mode de paiement initial de ses membres. Subsidiairement, la demanderesse allègue que, conformément aux conditions expresses ou tacites des tarifs, le groupe peut se prévaloir du droit des consommateurs à un remboursement des billets d’avion inutilisés si une défenderesse n’est pas en mesure de fournir de services dans un délai raisonnable.

[5]  La requête en autorisation est contestée par les défenderesses qui ont répondu au moyen de leurs propres requêtes en vue d’obtenir le rejet du recours collectif proposé, au motif que notre Cour n’a pas compétence pour se saisir de la procédure. Les défenderesses invoquent l’article 221 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles) dans leurs avis de requête, toutefois, il est clair, d’après leurs observations, qu’elles s’appuient uniquement sur l’alinéa 221(1)a) des Règles.

II.  Contexte

A.  Chronologie

[6]  La pandémie de COVID-19 a eu une incidence considérable sur un grand nombre d’industries et sur la société canadienne dans son ensemble. Le présent contentieux concerne précisément les conséquences des annulations de vols déclenchées par cette pandémie mondiale.

[7]  Le 11 mars 2020, l’Organisation mondiale de la Santé a déclaré que l’épidémie de COVID-19 était une pandémie mondiale (déclaration de l’OMS). En réponse, les autorités canadiennes ont mis en œuvre de nombreuses mesures de protection contre la propagation du virus.

[8]  Une de ces mesures a directement touché les parties à la présente procédure contentieuse. Le 13 mars 2020, le gouvernement du Canada a publié un avertissement aux voyageurs déconseillant les voyages non essentiels (l’avertissement aux voyageurs). La demanderesse allègue qu’en réponse à l’avertissement aux voyageurs, les défenderesses ont suspendu, de leur propre initiative, une partie ou la totalité de leurs vols prévus.

[9]  La demanderesse prétend que les défenderesses continuent de refuser de rembourser la demanderesse ou le groupe selon leur mode de paiement initial pour ces annulations ou suspensions des vols. Par souci de commodité, je qualifierai d’annulations tant les annulations que les suspensions.

B.  Tarifs des compagnies aériennes défenderesses

[10]  Conformément à l’article 57 de la Loi sur les transports au Canada (LC 1996, c 10) (LTC), l’exploitation d’un service aérien est subordonnée à la détention d’une licence. Qui plus est, la LTC impose plusieurs conditions aux licenciés concernant les tarifs :

Publication des tarifs

67 (1) Le licencié doit :

a) poser à ses bureaux, dans un endroit bien en vue, une affiche indiquant que les tarifs et notamment les conditions de transport pour le service intérieur qu’il offre sont à la disposition du public pour consultation à ses bureaux et permettre au public de les consulter;

a.1) publier les conditions de transport sur tout site Internet qu’il utilise pour vendre le service intérieur;

b) indiquer clairement dans ses tarifs le prix de base du service intérieur qu’il offre entre tous les points qu’il dessert;

c) conserver ses tarifs en archive pour une période minimale de trois ans après leur cessation d’effet.

Renseignements tarifaires

(2) Les tarifs comportent les renseignements exigés par règlement.

Interdiction

(3) Le titulaire d’une licence intérieure ne peut appliquer à l’égard d’un service intérieur que le prix, le taux, les frais ou les conditions de transport applicables figurant dans le tarif en vigueur publié ou affiché conformément au paragraphe (1).

Tariffs to be made public

67 (1) The holder of a domestic licence shall

(a) display in a prominent place at the business offices of the licensee a sign indicating that the tariffs for the domestic service offered by the licensee, including the terms and conditions of carriage, are available for public inspection at the business offices of the licensee, and allow the public to make such inspections;

(a.1) publish the terms and conditions of carriage on any Internet site used by the licensee for selling the domestic service offered by the licensee;

(b) in its tariffs, specifically identify the basic fare between all points for which a domestic service is offered by the licensee; and

(c) retain a record of its tariffs for a period of not less than three years after the tariffs have ceased to have effect.

Prescribed tariff information to be included

(2) A tariff referred to in subsection (1) shall include such information as may be prescribed.

No fares, etc., unless set out in tariff

(3) The holder of a domestic licence shall not apply any fare, rate, charge or term or condition of carriage applicable to the domestic service it offers unless the fare, rate, charge, term or condition is set out in a tariff that has been published or displayed under subsection (1) and is in effect.

[11]  Voici la définition des tarifs dans la LTC :

tarif Barème des prix, taux, frais et autres conditions de transport applicables à la prestation d’un service aérien et des services connexes.

tariff means a schedule of fares, rates, charges and terms and conditions of carriage applicable to the provision of an air service and other incidental services.

[12]  Le Règlement sur les transports aériens, DORS/88-58 (le Règlement) impose d’autres obligations pour les services de transport internationaux :

Dépôt des tarifs

110 (1) Sauf disposition contraire des ententes, conventions ou accords internationaux en matière d’aviation civile, avant d’entreprendre l’exploitation d’un service international, le transporteur aérien ou son agent doit déposer auprès de l’Office son tarif pour ce service, conforme aux exigences de forme et de contenu énoncées dans la présente section, dans lequel sont comprises les conditions du transport à titre gratuit ou à taux réduit.

(2) L’acceptation par l’Office, pour dépôt, d’un tarif ou d’une modification apportée à celui-ci ne constitue pas l’approbation de son contenu, à moins que le tarif n’ait été déposé conformément à un arrêté de l’Office.

(3) Il est interdit au transporteur aérien d’annoncer, d’offrir ou d’exiger une taxe qui, selon le cas :

a) figure dans un tarif qui a été rejeté par l’Office;

b) a été refusée ou suspendue par l’Office.

(4) Lorsqu’un tarif déposé porte une date de publication et une date d’entrée en vigueur et qu’il est conforme au présent règlement et aux arrêtés de l’Office, les taxes et les conditions de transport qu’il contient, sous réserve de leur rejet, de leur refus ou de leur suspension par l’Office, ou de leur remplacement par un nouveau tarif, prennent effet à la date indiquée dans le tarif, et le transporteur aérien doit les appliquer à compter de cette date.

(5) Il est interdit au transporteur aérien ou à ses agents d’offrir, d’accorder, de donner, de solliciter, d’accepter ou de recevoir un rabais, une concession ou un privilège permettant, par un moyen quelconque, le transport de personnes ou de marchandises à une taxe ou à des conditions qui diffèrent de celles que prévoit le tarif en vigueur.

Filing of Tariffs

110 (1) Except as provided in an international agreement, convention or arrangement respecting civil aviation, before commencing the operation of an international service, an air carrier or its agent shall file with the Agency a tariff for that service, including the terms and conditions of free and reduced rate transportation for that service, in the style, and containing the information, required by this Division.

(2) Acceptance by the Agency of a tariff or an amendment to a tariff does not constitute approval of any of its provisions, unless the tariff has been filed pursuant to an order of the Agency.

(3) No air carrier shall advertise, offer or charge any toll where

(a) the toll is in a tariff that has been rejected by the Agency; or

(b) the toll has been disallowed or suspended by the Agency.

(4) Where a tariff is filed containing the date of publication and the effective date and is consistent with these Regulations and any orders of the Agency, the tolls and terms and conditions of carriage in the tariff shall, unless they are rejected, disallowed or suspended by the Agency or unless they are replaced by a new tariff, take effect on the date stated in the tariff, and the air carrier shall on and after that date charge the tolls and apply the terms and conditions of carriage specified in the tariff.

(5) No air carrier or agent thereof shall offer, grant, give, solicit, accept or receive any rebate, concession or privilege in respect of the transportation of any persons or goods by the air carrier whereby such persons or goods are or would be, by any device whatever, transported at a toll that differs from that named in the tariffs then in force or under terms and conditions of carriage other than those set out in such tariffs.

[13]  La demanderesse allègue que les défenderesses sont toutes titulaires de licences délivrées en application de la LTC pour exploiter des vols réguliers ou affrétés en provenance et à destination du Canada. Par conséquent, les défenderesses sont tenues de publier leurs tarifs, comme elles l’ont fait en l’espèce, et de s’assurer que ces tarifs demeurent conformes aux textes législatifs applicables.

C.  Demande d’autorisation de recours collectif de la demanderesse

[14]  La demanderesse invoque les causes d’action suivantes :

a. le principe de l’impossibilité d’exécution aux termes du droit contractuel, en ce qui a trait aux tarifs;

b. subsidiairement, les défenderesses ont enfreint les conditions expresses ou tacites du contrat contenues dans les tarifs, selon lesquelles les passagers jouissent d’un droit fondamental à un remboursement, lorsqu’une compagnie aérienne ne fournit pas leurs services dans un délai raisonnable.

[15]  En outre, la demanderesse allègue que ces manquements aux contrats justifient que le groupe ait droit à un recouvrement complet des sommes payées aux défenderesses et que ce redressement devrait être accordé en dépit du fait que l’annulation est indépendante de la volonté du transporteur. À l’audience, la demanderesse a soutenu que la demande concernait le recouvrement complet effectué selon le mode de paiement initial utilisé (argent comptant, points, crédit, etc.); cependant, on ne mentionne que le remboursement des [traduction] « sommes reçues » dans l’acte de procédure même.

[16]  La demanderesse introduit la présente requête en application du paragraphe 334.16(1) des Règles et demande à la Cour d’autoriser la procédure pour les motifs qui suivent :

L’autorisation de la présente action correspond aux objets sous-jacents des recours collectifs : accès à la justice, économie des ressources judiciaires et modification des comportements. Les questions communes sont au cœur de cette procédure contentieuse et sont les mêmes pour tous les membres du groupe. Elles constituent le seul moyen de régler les revendications de manière juste et efficace. La demanderesse prétend qu’elle a répondu aux exigences en matière d’autorisation et que la présente action doit être autorisée.

Même si notre Cour avait encore des doutes quant à savoir si les critères d’autorisation sont satisfaits, comme la présente affaire porte sur la protection des droits des consommateurs, la Cour devrait se montrer prudente et autoriser l’action pour garantir l’accès à la justice aux consommateurs qui ne disposent d’aucun autre recours.

[17]  Comme je l’ai mentionné précédemment, les défenderesses ont affirmé que notre Cour n’avait pas la compétence requise pour instruire le recours collectif, comme l’exige la Loi sur les Cours fédérales, LRC, 1985, c F-7 (LCF).

[18]  Chacune des défenderesses a soumis ses propres mémoires, dans lesquels elle présente des arguments similaires, voire identiques, concernant la requête en autorisation. De manière générale, les défenderesses ont invoqué les arguments suivants :

[traduction]

Premièrement, la demanderesse a cherché à faire valoir des prétentions et à présenter des allégations contre des défenderesses avec qui elle n’avait pas traité et à l’encontre desquelles elle n’avait aucune cause d’action.

Deuxièmement, la demanderesse n’a pas proposé de groupe identifiable ayant un lien rationnel avec les questions en litige communes proposées. Il n’y a tout simplement aucun fondement à l’établissement d’un seul groupe à l’échelle mondiale, composé de tous les aspirants membres du groupe, qui ont signé des contrats de transport distincts avec des conditions différentes, auprès de cinq compagnies aériennes différentes, dans un contexte où la question de savoir si leurs contrats étaient inexécutables ou ont été rompus repose sur des faits et des circonstances distincts.

Troisièmement, la demanderesse a plaidé sa demande et a présenté ses éléments de preuve de sorte à leur donner un aspect commun, alors qu’en réalité, la nature des demandes et les éléments de preuve requis pour les régler sont essentiellement individuels. Les demandes à l’encontre de chacune des défenderesses sont différentes. Elles ont leurs propres tarifs, leurs propres conditions en ce qui a trait aux remboursements, aux annulations et aux modifications, et leurs propres tarifs, bon nombre desquels comportent des dispositions précises portant sur la force majeure de manière générale et sur les pandémies en particulier. Ces différences portent sur la question de savoir si, et dans quelle mesure, le principe de l’impossibilité d’exécution peut s’appliquer absolument à un membre du groupe ou aux conditions expresses et tacites auxquelles ce membre est assujetti. La question de savoir si un membre du groupe en particulier peut avoir gain de cause à l’égard d’une demande fondée sur une impossibilité d’exécution ou un manquement à un contrat dépendra des circonstances de ce vol en particulier, y compris de ses conditions.

En termes simples, les questions communes proposées par la demanderesse ne soustrairont pas le chevauchement de la détermination des faits et de l’analyse juridique, elles ne sont pas communes à l’ensemble du groupe et elles ne serviront pas la procédure contentieuse.

Quatrièmement, la demanderesse n’a présenté qu’une partie de ses demandes dans la présente action, alors qu’il existe d’autres recours collectifs, y compris un autre intenté par la demanderesse elle-même en Colombie-Britannique et au Québec, fondés sur les mêmes faits, dans lesquels sont alléguées un plus grand nombre de causes d’action et de réparations. La présente procédure ne peut pas constituer le meilleur moyen de régler ces demandes alors qu’il existe un sous-ensemble plus vaste de demandes présentées par la demanderesse et d’autres personnes dans d’autres procédures.

Cinquièmement, la demanderesse a omis de plaider les faits qui sous-tendent les causes d’action. Qui plus est, les causes d’action de la demanderesse sont simplement fondées sur les avertissements aux voyageurs et la demanderesse omet de prendre en compte plusieurs autres facteurs intrinsèques et extrinsèques qui peuvent avoir contribué aux annulations de vols.

III.  Questions en litige

[19]  Les questions en litige sont les suivantes :

  1. La Cour doit-elle accueillir la requête des défenderesses, en application de l’alinéa 221(1)a) des Règles?

  2. Si la Cour conclut qu’elle a compétence, le recours collectif proposé doit-il être autorisé, en application du paragraphe 334.16(1) des Règles?

IV.  Analyse

A.  Requête des défenderesses

[20]  Les défenderesses demandent la radiation de la procédure au titre de l’article 221 des Règles, au motif qu’il est évident et manifeste que la Cour fédérale n’a pas compétence en l’espèce. L’alinéa 221(1)a) est rédigé ainsi :

Requête en radiation

221 (1) À tout moment, la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d’un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif, selon le cas :

a) qu’il ne révèle aucune cause d’action ou de défense valable;

Motion to strike

221 (1) On motion, the Court may, at any time, order that a pleading, or anything contained therein, be struck out, with or without leave to amend, on the ground that it

(a) discloses no reasonable cause of action or defence, as the case may be,

1)  Fardeau

[21]  Dans une requête au titre de l’alinéa 221(1)a) des Règles, le fardeau incombe à la partie qui présente la requête (Edell c Canada, 2010 CAF 26, au paragraphe 5). Il incombe aux défenderesses de prouver qu’il est évident et manifeste, si l’on admet que les faits comme ils ont été plaidés, que la Cour fédérale n’a pas compétence pour entendre la présente affaire.

2)  Caractère évident et manifeste

[22]  Le fardeau de la preuve qui incombe aux défenderesses en l’espèce est lourd, puisque la Cour doit être convaincue « au-delà de tout doute que l’allégation ne peut être soutenue et qu’elle est vouée à l’échec à l’instruction parce qu’elle comporte un vice fondamental » (Hunt c Carey Canada Ltd., [1990] 2 RCS 959, aux paragraphes 32 à 34 [Hunt]).

[23]  En outre, dans l’arrêt Hunt , la Cour suprême a précisé que ni la nouveauté de la question, la complexité de l’affaire ou la solidité de la défense ne devrait empêcher la demanderesse de poursuivre son action. Le critère sous-tend que les faits puissent être prouvés, que l’issue de l’affaire soit « évident[e] et manifeste » ou « hors de tout doute raisonnable » (Hunt, aux paragraphes 32 et 33). À ce titre, des requêtes comme celles dont il est question en l’espèce seront accueillies exceptionnellement et uniquement dans les cas les plus manifestes qui « ne présentent pas “matière à un procès long et coûteux” » (Société des loteries de l’Atlantique c Babstock, 2020 CSC 19, au paragraphe 19).

3)  Compétence

a)  Étendue de la compétence de la Cour fédérale

[24]  La Cour suprême du Canada a formulé une mise en garde contre la limitation indue de la compétence de la Cour fédérale. Aux paragraphes 33 à 34 de l’arrêt Canada (Commission des droits de la personne) c Canadian Liberty Net, 1998 CanLII 818 (CSC), [1998] 1 RCS 626, la Cour a conclu ce qui suit :

Le statut législatif de la Cour fédérale a changé depuis Board c. Board, arrêt dans lequel la possibilité que la Cour de l’Échiquier ait eu compétence n’a même pas été prise en considération, étant donné que la compétence de cette cour était vraiment limitée à l’époque. L’adoption de la Loi sur la Cour fédérale, en 1971, a considérablement élargi la compétence de la Cour de l’Échiquier (qui a notamment été renommée Cour fédérale du Canada), et, par implication nécessaire, a eu pour effet de retirer aux cours supérieures des provinces la compétence sur de nombreux sujets. La nouvelle Cour fédérale du Canada s’est vu accorder une compétence élargie non seulement par l’ajout explicite de nouveaux sujets, par exemple celui mentionné à l’al. 23c) de la Loi, mais également de façon générale. Essentiellement, en vertu des art. 3, 18 et 18.1, la Cour est devenue un tribunal de révision et d’appel siégeant au sommet de l’ensemble des décideurs administratifs qui exercent des pouvoirs conférés par différentes lois fédérales. Avant l’adoption de la Loi, il régnait une confusion considérable par suite des décisions divergentes que rendaient les cours supérieures des provinces sur les demandes de contrôle judiciaire des décisions de ces décideurs administratifs, ainsi qu’à l’égard du critère approprié pour statuer sur la qualité pour agir et de la portée géographique de leurs décisions (I. Bushnell, The Federal Court of Canada: A History, 1875‑1992 (1997), à la p. 159). L’accroissement du nombre de décideurs administratifs rendant des décisions concernant une myriade de lois fédérales, sans qu’il existe un tribunal unique de juridiction inférieure à la Cour suprême du Canada chargé de surveiller cette structure, créait des difficultés que la Cour fédérale, dotée d’une compétence élargie, visait à écarter.

Ce sont ces facteurs historiques et constitutionnels qui ont entraîné l’élaboration de la notion de compétence inhérente des cours supérieures des provinces, qui a, dans une certaine mesure, été comparée et opposée à la compétence d’origine législative plus limitée de la Cour fédérale du Canada. Toutefois, je suis d’avis que rien dans cet exposé de la notion essentiellement réparatrice de compétence inhérente ne peut être invoqué pour justifier une interprétation étroite, plutôt qu’une interprétation juste et libérale, des lois fédérales qui confèrent compétence à la Cour fédérale. La proposition légitime – selon laquelle la situation institutionnelle et constitutionnelle des cours supérieures provinciales justifie de leur reconnaître une compétence résiduelle sur toute matière fédérale en cas de « lacune » dans l’attribution législative des compétences – est entièrement différente de l’argument selon lequel il faut conclure à l’existence d’une « lacune » dans une loi fédérale à moins que le texte de cette loi ne comble explicitement la lacune en question. La théorie de la compétence inhérente ne fait ressortir aucun motif valable, d’ordre constitutionnel ou autre, justifiant de protéger jalousement la compétence des cours supérieures des provinces contre la Cour fédérale du Canada.

[25]  Cependant, la Cour fédérale, en tant que cour créée par la loi, est assujettie à des contraintes et ne peut exercer sa compétence qu’en application des pouvoirs conférés par une loi fédérale. Dans l’arrêt ITO-Int’l Terminal Operators c Miida Electronics Inc., [1986] 1 RCS 752 [ITO], la Cour suprême a établi le critère fondamental servant à fixer les conditions essentielles pour pouvoir conclure à la compétence de la Cour fédérale (le critère établi dans l’arrêt ITO). La Cour suprême du Canada a confirmé ce critère dans l’arrêt Windsor (City) c Canadian Transit Co., 2016 CSC 54) [Windsor (City)].

b)  Nature essentielle de la requête de la demanderesse 

[26]  Avant d’appliquer le critère établi dans l’arrêt ITO, la Cour doit d’abord déterminer la nature essentielle de la demande de la demanderesse (Windsor (City), au paragraphe 25). Pour ce faire, il se peut que la Cour doive ne pas seulement tenir compte des actes de procédure :

Il faut dégager la nature essentielle de la demande selon « une appréciation réaliste du résultat concret visé par le demandeur » (Canada c. Domtar Inc., 2009 CAF 218, 392 N.R. 200, par. 28 (CanLII), la juge Sharlow). La « déclaration [du demandeur] ne doit pas être prise au pied de la lettre » (Roitman c. Canada, 2006 CAF 266, par. 16 (CanLII), le juge Décary). Le tribunal doit plutôt « aller au-delà des termes employés, des faits allégués et de la réparation demandée, et il doit s’assurer que la déclaration ne constitue pas une tentative déguisée visant à obtenir devant la Cour fédérale un résultat qui ne peut par ailleurs pas être obtenu de cette cour » (ibid., voir aussi Canadian Pacific Railway c. R., 2013 CF 161, [2014] 1 C.T.C. 223, par. 36; Verdicchio c. Canada, 2010 CF 117, par. 24 (CanLII)).

Par ailleurs, de véritables choix stratégiques ne devraient pas être dénigrés sous prétexte qu’ils constituent d’astucieux arguments. La question consiste à se demander si la cour a compétence à l’égard de la demande précise que le demandeur a choisi d’introduire, et non pas à l’égard d’une demande similaire que, de l’avis du défendeur, le demandeur aurait plutôt dû présenter, pour une raison ou une autre (arrêt Windsor (City), aux paragraphes 26 et 27). 

[27]  Au paragraphe 40 de son mémoire des faits et du droit, la demanderesse qualifie sa demande ainsi :

[traduction]

[É]tant donné que les tarifs des compagnies aériennes sont régis par un cadre législatif fédéral exhaustif, le groupe a-t-il une réclamation à l’égard des défenderesses pour manquement à un contrat en raison du non-respect de leurs tarifs ou des lois sous-jacentes en matière de transport public?

[28]  Les défenderesses répliquent que la procédure contentieuse :

N’est rien de plus qu’une réclamation pour rupture de contrat entre des parties privées et qu’il est évident et manifeste que la Cour fédérale n’a pas compétence pour l’entendre. Le fait que les défenderesses soient des compagnies aériennes ou que la demanderesse ait mentionné plusieurs lois fédérales dans son acte de procédure ne confère aucune compétence à notre Cour.

[29]  Même s’il est constant qu’au fond, la présente procédure un différend contractuel, les parties ont des points de vue divergents quant à la possibilité de faire appliquer les tarifs par la Cour fédérale. La demanderesse n’invoque que la LTC et son Règlement dans sa déclaration et ne se fonde ni sur la Loi sur le transport aérien ni sur la Loi sur l’aéronautique. Toutefois, la référence à ces lois est implicite dans les plaidoyers sur les faits concernant les contrats de transports et ces lois sont citées aux paragraphes 63 et 64 de la demande.

[30]  Pour les motifs qui suivent, je conclus que la demande de la demanderesse, fondée sur les faits substantiels plaidés, est un différend contractuel qui entre dans l’une des catégories de sujets non visés par la Convention de Montréal (Thibodeau c Air Canada, 2014 CSC 67, au paragraphe 47 [Thibodeau]) et que l’alinéa 23b) de la LCF ne confère pas compétence à notre Cour à l’égard du différend contractuel entre les parties qui est au cœur de la demande de la demanderesse.

c)  Le critère établi dans l’arrêt ITO

[31]  Pour que notre Cour ait compétence pour entendre l’affaire, trois conditions doivent être respectées :

i) Il doit y avoir attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral.

ii) Il doit exister un ensemble de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de l’attribution légale de compétence.

iii) La loi invoquée dans l’affaire doit être « une loi du Canada » au sens où cette expression est employée à l’art. 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 (arrêt ITO, au paragraphe 11).

(i)  Attribution légale de compétence

[32]  La demanderesse prétend que l’alinéa 23 b) de la Loi sur les Cours fédérales confère compétence relativement à la présente action. Cependant, l’alinéa 23 b) confère compétence à la Cour fédérale uniquement lorsque trois critères sont respectés :

1) l’« attribution expresse » de la compétence ne doit pas avoir été formulée à l’égard d’une autre cour;

2) la demande de réparation doit être présentée ou un recours doit être exercé « sous le régime d’une loi fédérale ou d’une autre règle de droit »;

3) la demande de réparation doit être présentée ou un recours doit être exercé « en matière » d’aéronautique.

[33]  Dans l’arrêt Windsor (City), au paragraphe 41, la Cour suprême du Canada a précisé que la demande ou la réparation sollicitée doit être reconnue par le droit fédéral :

Il ressort clairement de l’arrêt Quebec North Shore que l’art. 23 attribue compétence à la Cour fédérale seulement lorsque le demandeur sollicite une réparation sous le régime du droit fédéral. Selon mon interprétation de cet arrêt, il en découle que la cause d’action du demandeur ou le droit de solliciter une réparation doit être créé ou reconnu par une loi fédérale, un règlement fédéral ou une règle de common law traitant d’un sujet relevant du pouvoir de légiférer du fédéral. C’est ce que signifie, à l’art. 23, demander une réparation « sous le régime » du droit fédéral. [Non souligné dans l’original].

[34]  Seuls les deuxième et troisième critères, tels qu’ils sont énoncés à l’alinéa 23b) sont en cause. La demanderesse prétend que l’alinéa 23b) confère compétence, comme la demande de réparation ou le recours exercé est sous le régime d’une loi fédérale ou d’une autre règle de droit :

[traduction]

vu qu’« une autre règle de droit » comprendrait nécessairement le droit jurisprudentiel qui relève de la compétence fédérale. Si le législateur n’avait eu l’intention de n’inclure que les lois fédérales, il n’aurait pas inclus l’expression « ou d’une autre règle de droit ».

[35]  Selon l’interprétation de la demanderesse, l’expression « ou d’une autre règle de droit » comprend les points suivants :

[traduction]

a. La relation contractuelle entre les compagnies aériennes et les passagers est assujettie au cadre légal détaillé qui suffit pour établir la compétence.

b. Il existe des principes de common law relevant de la compétence fédérale exclusive, qui sous-tendent le lien contractuel entre les compagnies aériennes et les passagers, qui font partie du droit fédéral visé par l’expression ou d’une autre règle de droit qui figure à l’article 23 de la Loi sur les Cours fédérales.

[36]  Les défenderesses ont une interprétation plus stricte de l’attribution légale de compétence et affirment que la demande doit être fondée sur une loi précise. D’après la thèse des défenderesses, bien que la demanderesse invoque deux lois, la Loi sur les transports au Canada et la Loi sur l’aéronautique, comme élément d’un [traduction] « cadre législatif fédéral régissant sa demande », aucune de ces lois ne crée ni ne reconnaît une cause d’action. Ce n’est pas non plus le cas de la Loi sur le transport aérien, que la demanderesse n’invoque pas précisément, mais indirectement en citant la décision Warner-Lambert de 1981 dans sa demande. Voici un résumé de la thèse des défenderesses sur la question en litige : 

[traduction]

[...] Les contrats sont une question de « common law » provinciale (ou au Québec, de droit civil) et non de droit fédéral. La Cour suprême et la Cour d’appel confirment dans une grande série de précédents que la Cour fédérale n’a généralement pas compétence relativement aux demandes de nature contractuelles. La seule exception concerne les cas dans lesquels une loi fédérale crée des obligations contractuelles ou prévoit l’application de celles-ci. Comme l’a récemment conclu la Cour d’appel, [traduction] « les parties ne peuvent pas présenter une demande de nature contractuelle à la Cour fédérale à l’encontre d’une autre partie privée pour obtenir des dommages-intérêts » en l’absence d’une attribution légale de compétence précise.

[37]  Je conclus que, dans la présente instance : i) ni aucune loi fédérale, ii) ni aucun cadre réglementaire existant ni iii) la common law fédérale n’attribue compétence à notre Cour.

[38]  Même si la demanderesse n’invoque pas explicitement la Loi sur le transport aérien ou la Convention de Montréal dans sa déclaration, je conclus que, d’après les faits allégués, ces lois sont mentionnées implicitement dans la demande. Dans l’arrêt Bensol Customs Brokers Ltd. et al. v Air Canada (1979), 99 D.L.R. 3d) 623 [Bensol], la Cour d’appel fédérale a estimé que la compétence de notre Cour pour entendre des affaires non visées par la Convention de Varsovie (qui a précédé la Convention de Montréal). Dans cette affaire, la Cour a jugé que la compétence découlait de la Convention de Varsovie :

[traduction]

Il est évident que l’auteur de la déclaration a pensé que la responsabilité prévue par la Convention de Varsovie n’avait pas replacé la responsabilité en matière délictuelle qui peut exister sous le régime d’une autre loi applicable. En admettant que cette opinion soit bien fondée, cela veut simplement dire, à mon avis, que la demande des appelants, dans la mesure où elle est fondée sur un délit civil, ne serait pas présentée en application d’une loi fédérale et ne relèverait pas de la compétence de la Cour. Toutefois, cela n’aurait pas d’incidence sur la compétence de la Cour pour entendre la demande des appelants, dans la mesure où elle est fondée sur la Convention de Varsovie, et se prononcer (Bensol, au paragraphe 10). [Non souligné dans l’original.]

[39]  Par la suite, la Cour suprême du Canada a confirmé ce raisonnement dans l’arrêt Windsor (City), au paragraphe 44 :

Par contre, l’art. 23 conférait bel et bien compétence dans Prudential Assurance Co. c. Canada, [1993] 2 C.F. 293 (C.A.), qui portait sur une demande de dommages‑intérêts présentée en vertu d’une loi fédérale, la Loi sur le transport aérien, L.R.C. 1985, c. C‑26. Dans l’arrêt Bensol Customs Brokers Ltd. c. Air Canada, [1979] 2 C.F. 575 (C.A.), qui concernait lui aussi une demande de dommages‑intérêts fondée sur la Loi sur le transport aérien  la Cour d’appel fédérale a jugé que l’art. 23  conférait compétenceLes demanderesses dans cette affaire avaient également intenté une action en responsabilité délictuelle; les juges majoritaires de la Cour d’appel fédérale ont toutefois statué que l’art. 23 ne conférait pas compétence à l’égard de cette action.

[40]  Lorsque la Convention de Montréal s’applique effectivement, elle sert de fondement à l’attribution légale de compétence. Cependant, elle ne s’applique pas à tous les aspects du transport aérien :

[...] La Convention de Montréal ne touche évidemment pas tous les aspects du transport aérien international : elle n’est pas exhaustive. Mais dans les limites des matières qu’elle aborde, elle est exclusive en ce qu’elle interdit tout autre recours en responsabilité : M. Clarke, Contracts of Carriage by Air (2e éd. 2010), p. 8 et 160-162; G. N. Tompkins, fils, « The Continuing Development of Montreal Convention 1999 Jurisprudence » (2010), 35 Air & Space L. 433, p. 433-436 (Thibodeau).

[41]  Le chapitre III de la Convention de Montréal prévoit la responsabilité des transporteurs aériens. Les trois articles pertinents de ce chapitre sont les articles 17 à 19. L’article 17 porte sur les lésions survenues à bord d’un vol ou au cours de l’embarquement ou du débarquement. L’article 18 porte sur le dommage causé à la marchandise et l’article 19, le dommage résultant d’un retard. Aucun de ces articles ne s’applique à la demanderesse dans la présente action. En outre, la demanderesse n’a pas soutenu que l’un de ces articles s’appliquait.

[42]  Puisque l’action de la demanderesse, telle qu’elle a été plaidée, ne peut pas être qualifiée, à juste titre, de demande présentée en application de la Convention de Montréal, notre Cour n’a pas compétence. Pour justifier la compétence de notre Cour, la demanderesse a invoqué des affaires distinctives puisqu’elles ont été jugées en application de la Convention de Montréal (Warner-Lambert Canada Ltd. v Canadian Pacific Airlines Ltd., 1981 CanLII 2627 (CF) [Warner-Lambert]; arrêt Prudential Assurance Co. c Canada, 1993 CanLII 2948 (CAF) [Prudential Assurance]).

[43]  Concernant la Loi sur l’aéronautique, j’admets la thèse des défenderesses selon laquelle cette loi ne reconnaît ni ne crée de cause d’action contractuelle (744185 Ontario Inc. c Canada, 2020 CAF 1, au paragraphe 62 [744185 CAF]).

[44]  La demanderesse prétend que le régime réglementaire imposé aux compagnies aériennes par la LTC confère compétence à notre Cour. Je ne suis pas de cet avis. Il y a une nette différence entre les articles portant sur les transporteurs aériens et ceux sur les chemins de fer, ce qui témoigne de l’intention du législateur de conférer compétence en ce qui a trait à ces derniers. La Cour suprême a reconnu ce qui suit dans l’arrêt Windsor (City), au paragraphe 54 :

D’autres causes d’action d’origine fédérale peuvent satisfaire au critère d’application de l’art. 23, notamment [...] la Loi sur les transports au Canada, L.C. 1996, c. 10 (une personne qui « souffre préjudice de la négligence ou du refus d’une compagnie de s’acquitter de ses obligations [...] possède [...] un droit d’action contre la compagnie »).

[45]  Il n’existe pas de disposition semblable concernant les transporteurs aériens, ce qui démontre l’intention du législateur d’attribuer une responsabilité uniquement aux exploitants ferroviaires et non aux transporteurs aériens. Les deux modes de transports sont assortis de tarifs, mais seul l’un d’eux peut constituer une cause d’action indépendante. Les affaires citées par la demanderesse, qui appuient l’élargissement de la compétence de notre Cour au moyen de la jurisprudence citée dans des affaires portant sur les chemins de faire, appellent une nette distinction. En outre, le cadre réglementaire de la LTC permet aux consommateurs lésés (p. ex. les articles 37, 65 à 67 et 85) de présenter des demandes à l’Office des transports du Canada (l’Office) et prévoit le droit d’interjeter appel auprès de la Cour d’appel fédérale, mais pas de la Cour fédérale (LTC, au paragraphe 41(1)).

[46]  La demanderesse renvoie notre Cour à la décision Apotex Inc. c Ambrose, 2017 CF 487 [Apotex], pour étayer sa thèse selon laquelle un cadre réglementaire peut servir de pouvoir conféré par la loi. Cette décision ne s’applique pas en l’espèce. Dans la décision Apotex, la Cour a fait une distinction entre les demandes présentées au titre de l’article 23, comme la présente demande, et les demandes présentées au titre de l’alinéa 17(5)b) dans cette affaire :

La question de la compétence dans l’arrêt Windsor (City) concernait l’article 23, qui énonce explicitement que la Cour fédérale a compétence dans les cas où une demande de réparation est présentée « sous le régime d’une loi fédérale ou d’une autre règle de droit ». La juge Karakatsanis a interprété cela comme signifiant que le droit de demander réparation doit découler directement de la loi fédérale, et non simplement du droit fédéral (Windsor (City), aux paragraphes 46 à 48). Toutefois, l’alinéa 17(5)b) ne précise pas cette limite; il énonce plutôt que la Cour fédérale a compétence en ce qui concerne les actions en réparation « intentées contre un fonctionnaire, préposé ou mandataire de la Couronne pour des faits — actes ou omissions — survenus dans le cadre de ses fonctions. » (Apotex, au paragraphe 50).

[47]  Ainsi que notre Cour l’a conclu dans la décision Apotex, la réparation demandée au titre de l’article 23 de la LCF doit être découlée directement de la loi fédérale et non d’un cadre réglementaire. Par conséquent, l’argument de la demanderesse à ce sujet est également rejeté.

[48]  La demanderesse prétend, en outre, que notre Cour a compétence sous le régime de la « common law fédérale », de sorte que notre Cour a compétence relativement à toute demande fondée sur la common law, lorsque le domaine du droit relève exclusivement de la compétence du gouvernement fédéral. Une fois encore, vu les faits plaidés en l’espèce, je ne vois aucun fondement à cette thèse.

[49]  Deux critères doivent être satisfaits pour attribuer compétence, conformément à la common law fédérale : 1) le législateur fédéral doit avoir exercé une compétence législative sur la matière et 2) un ensemble de règles de common law fédérales doit exister, au sens envisagé par la Cour suprême du Canada, Roberts v Canada, [1989] 1 RCS 322, [Roberts], aux paragraphes 29 à 31. Je tire cette conclusion compte tenu du raisonnement du juge Wilson dans cette décision :

[…] Le professeur Evans peut avoir raison de dire que les arrêts Quebec North Shore et McNamara Construction nient l’existence d’un ensemble de règles de common law fédérale recouvrant le même domaine que la compétence législative du Parlement fédéral non exercée sur des matières qui lui ont été attribuées. Cependant, je crois que le juge en chef Laskin a reconnu expressément l’existence d’une “common law fédérale” dans certains domaines et que la question à laquelle nous devons donc répondre est donc de savoir si la loi applicable au titre aborigène est de la common law fédérale (Roberts, au paragraphe 29).

[50]  Dans l’affaire Windsor (City), la Cour suprême a conclu que la Cour fédérale n’avait pas compétence relativement à l’affaire dont elle était saisie, car aucune loi n’a reconnu ni créé l’action. Dans l’affaire Bensol, au paragraphe 10, la Cour d’appel fédérale a conclu que si une action en responsabilité délictuelle n’était pas visée par la Convention de Varsovie, la Cour n’avait alors pas compétence. De même, dans la décision Warner-Lambert, au paragraphe 7, la Cour a conclu qu’elle n’aurait pas compétence si les demandes étaient uniquement fondées sur le droit de la responsabilité délictuelle. En outre, aux paragraphes 56 à 60 de l’arrêt 744185 FCA , la Cour d’appel fédérale a refusé d’étendre la responsabilité contractuelle aux tierces parties, même si la matière était étroitement associée à l’aviation.

[51]  Il ressort de ces affaires qu’il n’existe pas d’attribution de compétence au titre de la common law fédérale distincte. Vu les faits plaidés, il n’y a aucun fondement pour conclure à la compétence de notre Cour en se fondant sur la common law fédérale. Ce n’est pas comme dans le cas d’une procédure sous le régime de la Loi sur les brevets, LRC (1985), c P-4 ou de la Loi sur le droit d’auteur, LRC (1985), C-45, qui peuvent comporter des questions contractuelles ou en matière de permis secondaires qui sont accessoires aux lois fédérales sous-jacentes et font partie, de manière contextuelle, de la common law fédérale associée à ces lois.

[52]  Il ressort clairement de ce qui précède que la Cour n’a pas compétence, puisque la demande de la demanderesse n’est ni créée ni reconnue par une loi fédérale.

(ii)  Droit fédéral essentiel à la solution

[53]  Le droit fédéral doit être « essentiel à la solution du litige », en ce sens qu’il doit avoir un rôle important à jouer dans l’issue de l’affaire (Windsor (City), aux paragraphes 70 et 71). Dans l’arrêt Bensol, la Cour est allée jusqu’à dire que la demande ne doit pas nécessairement être présentée exclusivement sous le régime de la Loi, à condition d’avoir constitué un élément important de l’action (Bensol, au paragraphe 11). Je conclus que le principe de l’impossibilité d’exécution, comme l’a plaidé la demanderesse, n’est pas une loi fédérale ni accessoire à une loi ou une règle de droit fédérale, essentielle à la solution de la présente affaire.

(iii)  Loi fédérale

[54]  Il existe un chevauchement important entre cet élément et le précédent. En général, il n’y a pas de difficulté « si le litige doit être tranché en fonction d’un texte de loi fédéral existant » (Roberts, au paragraphe 14). Tout comme j’ai écarté les arguments de la demanderesse concernant le cadre réglementaire et la common law fédérale, je conclus également que cette condition n’est pas remplie.

V.  Conclusion

[55]  L’histoire de la compétence de notre Cour en tant que cour de justice d’origine législative a évolué. Bien qu’elle soit une cour de justice d’origine législative, la Cour suprême du Canada a refusé de limiter la compétence de notre Cour selon le principe de la compétence inhérente. Lorsque notre Cour a compétence aux termes de la LCF, un empiétement accessoire sur la compétence provinciale est inévitable. La Cour fédérale, cour bilingue et bijuridique du Canada et dont la compétence s’étend à l’ensemble du pays, est en mesure de se prononcer sur des questions complexes de dimension nationale.

[56]  Cependant, en l’espèce, la demanderesse demande à notre Cour d’étendre cette compétence au-delà de ce qui a été conféré par la loi. Notre Cour a compétence pour se prononcer sur les procédures contentieuses en matière de transport aérien en application de la Convention de Montréal, toutefois la présente procédure n’est pas visée par cette convention.

[57]  De même, le cadre réglementaire visant les tarifs aériens est insuffisant pour conférer compétence à notre Cour. Il s’agit de la seule conclusion raisonnable à tirer par suite d’un examen approfondi de la LCF, qui prévoit une cause d’action indépendante relativement au transport ferroviaire et non en ce qui concerne le transport aérien. Qui plus est, notre Cour n’est pas disposée à étendre sa compétence à toutes les procédures contentieuses relatives au transport aérien d’après la qualification de la common law fédérale établie par la demanderesse.

[58]  Puisque la présente affaire n’est fondée sur aucune loi, aucun règlement, ni aucun principe de common law fédérale applicable et qu’aucune de ces règles ne la reconnaît, il est évident et manifeste que notre Cour n’a pas compétence et que la déclaration doit être radiée sans autorisation de la modifier.

[59]  Compte tenu de ma décision selon laquelle il est évident et manifeste que la Cour n’a pas compétence et voulant que la déclaration de la demanderesse soit radiée sans autorisation de la modifier, je conclus qu’il est inutile de trancher sur la requête en autorisation et qu’il serait inopportun de le faire.

VI.  Dépens

[60]  Ni l’une ni l’autre des parties n’a présenté d’observations concernant les dépens. Par conséquent, aucuns dépens ne seront adjugés.


ORDONNANCE DANS LE DOSSIER T-428-20

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

  1. La requête en radiation de la déclaration, sans autorisation de la modifier, est accueillie.

  2. Le recours collectif à l’encontre des défenderesses WestJet, Swoop, Sunwing, Air Canada et Air Transat est rejeté.

  3. Aucuns dépens ne seront adjugés.

« Michael D. Manson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-428-20

 

INTITULÉ :

JANET DONALDSON c SWOOP INC ET AL.

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE LE 2 NOVEMBRE 2020, À VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE) (COUR ET PARTIES), À TORONTO (ONTARIO) (PARTIES), À MONTRÉAL (QUÉBEC) (PARTIES) ET À BURNABY (COLOMBIE-BRITANNIQUE) (PARTIES)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 NOVEMBRE 2020

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

le 26 novembre 2020

COMPARUTIONS :

Simon Lin

Sébastien Paquette

Jérémie John Martin

M. McLean

M. Good

POUR LA DEMANDERESSE

 

Andrew Borrell

Sylvie Rodrigue

James Gotowiec

Andrew Bernstein

Leora Jackson

Michael Dery

Shaun Foster

Nicolas Pimentel

Messica Bari

M. Francis Thibault-Menard

M. Perrier

POUR LA DÉFENDERESSE,

AIR TRANSAT A.T. INC.

POUR LA DÉFENDERESSE,

AIR CANADA

POUR LA DÉFENDERESSE,

SWOOP INC., WESTJET AIRLINES LTD. ET SUNWING AIRLINES INC.

POUR L’INTERVENANT

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Champlain Avocats

Montréal (Québec)

Evolink Law Group

Burnaby (Colombie-Britannique)

Hammerberg Lawyers LLP

Vancouver (Colombie-Britannique)

Matthew P. Good Law Corporation

Vancouver (Colombie-Britannique)

Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Vancouver (Colombie-Britannique)

Torys LLP

Toronto (Ontario)

Alexander Holburn Beaudin & Lang LLP

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour la demanderesse

Pour la demanderesse

Pour la demanderesse

Pour la demanderesse

Pour la défenderesse,

AIR TRANSAT A.T. INC.

POUR LA DÉFENDERESSE,

AIR CANADA

POUR LA DÉFENDERESSE,

SWOOP INC., WESTJET AIRLINES LTD. ET SUNWING AIRLINES INC.

 

Perrier Law

Montréal (Québec)

POUR L’INTERVENANT

 

 

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