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Date : 20021108

Dossier : IMM-1471-02

Référence neutre : 2002 CFPI 1154

OTTAWA (ONTARIO), LE 8 NOVEMBRE 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MARTINEAU

ENTRE :

                                                                 QIN, PENG

                                                                                                                                        demandeur

                                                                            et

                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                         défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande visant l'examen et l'annulation d'une décision prise en vertu de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi), par laquelle Mme Lily Chau, agente des visas au consulat général du Canada à Hong Kong, a refusé, le 22 février 2002, la demande que le demandeur avait présentée en vue de résider en permanence au Canada.

[2]                 Le principal point litigieux porte sur la conclusion de l'agente des visas selon laquelle le demandeur n'avait pas l'expérience voulue en tant qu'hygiéniste dentaire. L'agente n'a donc pas attribué de points d'appréciation pour le facteur « expérience » (facteur 3) et pour le facteur professionnel (facteur 4) prévus dans la colonne 1 du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172 (le Règlement), dans sa forme modifiée. Étant donné que les paragraphes 11(1) et (2) du Règlement interdisent, dans ces conditions, la délivrance d'un visa d'immigrant, l'agente a refusé la demande que le demandeur avait présentée à titre de membre de la catégorie des immigrants indépendants.

[3]                 J'ai avant tout conclu que l'appréciation de l'expérience du demandeur à titre d'hygiéniste dentaire et le refus de l'agente des visas d'attribuer des points d'appréciation pour le facteur expérience et pour le facteur professionnel étaient irréguliers et inéquitables en l'espèce. En outre, la conclusion de l'agente selon laquelle le demandeur [TRADUCTION] « n'avait pas exercé un nombre substantiel des fonctions principales de cette profession établies dans la Classification nationale des professions [la CNP], dont les fonctions essentielles » , est abusive et arbitraire et constitue une erreur de droit susceptible de révision.


[4]                 Le demandeur, M. Peng Qin, est un citoyen chinois âgé de 29 ans. Au mois de juillet 1996, il a obtenu son diplôme de la Second Medical University, à Shanghaï. Le demandeur a joint à sa demande de résidence permanente, qui a été présentée au mois d'octobre 1999, à son certificat d'études universitaires et à son relevé de notes une lettre en date du 3 août 1999 signée par le chef de la clinique de prévention et de traitement des maladies dentaires du district de Shanghaï Zhabei (la clinique). Cette lettre atteste que, depuis le mois de juillet 1996, soit le moment où le demandeur a obtenu son diplôme en médecine buccale, le demandeur a travaillé comme hygiéniste dentaire et comme dentiste à la clinique.

[5]                 Cette lettre atteste également que, de 1996 à 1999, le demandeur a principalement exécuté des tâches et fonctions en conformité avec la fonction et le rôle principal de la clinique, à savoir la prévention des maladies dentaires et la réduction du taux de maladies dentaires dans la population, en particulier parmi les gens vivant dans le district de Zhabei. Les tâches et fonctions exécutées par le demandeur, telles qu'elles sont énumérées dans la lettre, sont les suivantes :

[TRADUCTION]

1.                    Examiner les dents des gens du district selon les calendriers et préparer les rapports y afférents;

2.                    Prendre des radiographies;

3.                    Nettoyer les dents pour prévenir les maladies dentaires;

4.                    Nettoyer et stimuler les gencives pour prévenir les maladies des gencives;

5.                    Obturer les cavités et traiter les maladies dentaires comme la résorption et le traitement de canal;

6.                    Enseigner aux patients comment s'occuper de leur hygiène buccale et de la régénération;

7.                    Renseigner les gens du district au sujet de l'hygiène buccale et dentaire et leur apprendre à prévenir les maladies.


[6]         Le chef de la clinique conclut [TRADUCTION] qu' « [a]près trois ans de pratique, Qin Peng s'acquitte avec compétence de tâches telles que l'examen des dents, la prise de radiographies, le nettoyage et le traitement » . Le chef joint également un dossier supplémentaire du travail accompli par le demandeur en dehors de la clinique -- qui consistait principalement à effectuer des examens, à s'occuper du nettoyage, du traitement des caries, de l'hygiène dentaire et à effectuer du travail de consultation -, et il donne son numéro de téléphone et son adresse au cas où il faudrait obtenir des renseignements additionnels au sujet du demandeur.

[7]         La preuve susmentionnée est fort pertinente en ce qui concerne l'appréciation de l'expérience du demandeur et de ses fonctions d'hygiéniste dentaire, soit la profession que le demandeur a l'intention d'exercer au Canada. Selon la description donnée au no 3222 de la CNP, « [l]es hygiénistes dentaires assurent un traitement d'hygiène dentaire et donnent des renseignements reliés à la prévention des maladies et des affections des dents et de la bouche » . Il peut y avoir un certain chevauchement entre les tâches d'un hygiéniste dentaire et celles d'un dentiste, mais la preuve montre que le demandeur a travaillé comme hygiéniste dentaire à la clinique depuis le mois de juillet 1996.


[8]         En l'espèce, compte tenu de la preuve documentaire versée au dossier, l'agente des visas a initialement attribué 68 points au demandeur. Elle n'a aucunement remis en question la preuve non contredite susmentionnée soumise par le demandeur avec sa demande. Par conséquent, les trois années d'expérience du demandeur à titre d'hygiéniste dentaire ont été prises en considération et calculées par l'agente des visas dans son appréciation initiale. On a donc convoqué le demandeur à une entrevue.

[9]         L'agente des visas a eu une entrevue avec le demandeur et sa conjointe, qui avait également déjà présenté une demande le 18 février 2002. L'entrevue a duré près de 45 minutes. Dans les notes consignées dans le STIDI, l'agente des visas mentionne [TRADUCTION] qu' « [e]n l'absence de preuve contraire, [elle est] prête à reconnaître que [Peng Qin] remplissait [les] conditions d'accès à la profession pour la profession envisagée d'hygiéniste dentaire » . Dans son affidavit, l'agente des visas affirme que, lors de l'entrevue, elle a utilisé la CNP comme outil afin de déterminer si les fonctions et responsabilités mentionnées par le demandeur correspondaient à celles qui étaient énumérées dans la CNP pour la profession d' « hygiéniste dentaire » .

[10]       J'ai donc comparé les fonctions mentionnées au paragraphe 5 des présents motifs et celles qui sont énumérées dans le no 3222 de la CNP. Il existe une étroite ressemblance entre les deux. Dans la CNP, il est mentionné que les hygiénistes dentaires remplissent « une partie ou l'ensemble » des fonctions ci-après énoncées :


1.                    Examiner les dents des clients et consulter le dentiste au sujet des soins à leur donner;

2.                    Prendre les empreintes des dents;

3.                    Donner des conseils aux clients sur l'hygiène buccale;

4.                    Nettoyer et stimuler les gencives pour prévenir les maladies des gencives;

5.                    Enlever les taches et les dépôts des dents afin de prévenir la carie dentaire et la carie de la racine;

6.                    Enduire les dents de fluorure;

7.                    Prendre et développer des radiographies;

8.                    Effectuer, s'il y a lieu, des actes de dentisterie restaurative ou d'orthodontie, sous la direction d'un dentiste;

9.                    Surveiller, s'il y a lieu, les assistants dentaires dans la prestation des soins de santé.


[11]       Dans sa lettre de refus, l'agente des visas exprime l'avis selon lequel le demandeur doit exercer [TRADUCTION] « un nombre substantiel des fonctions principales [de la profession] établies dans la Classification nationale des professions, dont les fonctions essentielles [...] » . Tels sont les mots employés à l'annexe I du Règlement à l'égard de l'appréciation du facteur professionnel (le facteur 4). Toutefois, au no 3222 de la CNP, il est clairement dit que « [l]es hygiénistes dentaires remplissent une partie ou l'ensemble des fonctions » indiquées au paragraphe 10. Lorsque les mots « une partie ou l'ensemble » sont employés dans la CNP, comme c'est ici le cas, la présente cour a statué qu'obliger le demandeur à remplir « un nombre substantiel des fonctions principales » constitue une erreur de droit puisque cela voudrait dire que l'on applique la CNP d'une façon incompatible avec son libellé. Il a été décidé que l'expression « une partie ou l'ensemble » l'emporte sur le libellé général « un nombre substantiel des fonctions principales » . Dans ce contexte, l'expression « une partie » s'entend de plus d'un (voir Paracha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 3 Imm. L.R. (3d) 293 (C.F. 1re inst.); Bhutto c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 175 F.T.R. 318 (C.F. 1re inst.); Agrawal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), F.T.R. 157 (C.F. 1re inst.) et A'Bed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 1347 (C.F. 1re inst.).

[12]       Par conséquent, pour être reconnu comme « hygiéniste dentaire » , le demandeur n'avait pas à prouver à l'agente des visas qu'il avait exercé toutes les fonctions énumérées au no 3222 de la CNP au cours des trois années où il avait travaillé à la clinique comme dentiste et comme hygiéniste dentaire.


[13]       Compte tenu de la preuve documentaire qui avait déjà été versée au dossier, le demandeur pouvait raisonnablement s'attendre à ce que l'agente des visas l'apprécie comme hygiéniste dentaire et reconnaisse ses trois années d'expérience à la clinique. Ceci dit, selon la prépondérance des probabilités, après voir minutieusement lu les notes du STIDI, les affidavits et la transcription du contre-interrogatoire de l'agente des visas, je conclus que pendant l'entrevue du demandeur, l'agente des visas n'a posé aucune question au sujet des neuf fonctions d'un hygiéniste dentaire qui sont énumérées dans la CNP, sauf pour ce qui est des radiographies et de l'hygiène buccale. L'agente n'a même pas posé de questions au sujet du nettoyage des dents, soit l'une des fonctions principales d'un hygiéniste dentaire, et ce, parce qu'elle n'avait tout simplement pas le temps [TRADUCTION] « de poser une centaine de questions au sujet des tâches du demandeur » (contre-interrogatoire relatif à l'affidavit de L. Chau, transcription, page 59 du dossier de la demande). Toutefois, dans les notes qu'elle a consignées dans le STIDI, l'agente conclut comme suit : [TRADUCTION] « Étant donné qu'il ne peut pas fournir de détails au sujet de ses fonctions quotidiennes, je n'étais pas convaincue que [Peng Qin] ait eu l'expérience voulue à titre d'hygiéniste dentaire. Même si les références [de Pen Qin] faisaient état de son expérience, j'accorde plus d'importance au compte rendu et à la description qu'il a lui-même faits au sujet de ses fonctions. » Étant donné le bref examen qu'elle a effectué au sujet des fonctions du demandeur, la conclusion de l'agente des visas et les conclusions subséquentes qui ont été tirées à ce sujet sont arbitraires et abusives.


[14]       L'omission du demandeur de fournir des détails au cours de l'entrevue, en ce qui concerne certains aspects techniques de l'appareil de radiographie qu'il utilise et qui est mentionné par l'agente des visas dans les notes du STIDI, n'est pas déterminante. Il s'agit de savoir si le demandeur sait comment utiliser en toute sécurité l'appareil de radiographie. Le demandeur a expliqué comment il utilisait l'appareil de radiographie. Il a également indiqué que la durée d'exposition doit être réglée à 0,3 ou 0,4 seconde et qu'il doit veiller à ce que le patient n'ait pas eu plus de trois radiographies [TRADUCTION] « au cours d'une journée donnée » . (Même si le demandeur n'a pas expressément dit : [TRADUCTION] « au cours d'une journée donnée » lors de l'entrevue, cette inférence doit être faite compte tenu du contexte.)

[15]       Quant à l'hygiène buccale, le demandeur a indiqué pendant l'entrevue qu'en Chine, les gens n' « utilisent pas la soie dentaire » . Il s'agit d'un autre élément que l'agente des visas a mentionné dans les notes qu'elle a consignées dans le STIDI à l'appui du refus de reconnaître que le demandeur avait travaillé comme « hygiéniste dentaire » à Shanghaï. Même si je reconnais que le demandeur n'a pas d'expérience lorsqu'il s'agit de montrer à ses patients comment utiliser la soie dentaire, je conclus qu'il est déraisonnable d'inférer que le demandeur n'avait pas d'expérience lorsqu'il s'agissait d'informer ses patients au sujet de l'hygiène buccale. Le fait qu'à la connaissance de l'agente des visas, il est possible de trouver des produits pharmaceutiques occidentaux à Shanghaï, une ville de treize millions d'habitants, ne permettait pas pour autant à celle-ci de faire une inférence défavorable. Je reconnais également l'argument invoqué par l'avocat du demandeur, à savoir que l'utilisation de la soie dentaire n'a pas encore pris de l'essor en Chine. Ce facteur à lui seul permettrait à l'agente des visas de faire preuve de prudence et de procéder à un examen plus pertinent et plus approfondi des fonctions du demandeur.


[16]       Je conclus donc que la procédure que l'agente des visas a suivie pour apprécier l'expérience professionnelle et les compétences du demandeur était à la fois irrégulière et inéquitable eu égard aux circonstances et que cela constitue un manquement à l'équité procédurale.

[17]       Les erreurs que l'agente des visas a commises en l'espèce sont fondamentales. En outre, il y a eu un manquement général à l'obligation d'équité qui existe envers le demandeur. Il ressort des notes du STIDI et des réponses données par l'agente des visas lorsqu'elle a été contre-interrogée au sujet de son affidavit que l'avis qu'elle avait exprimé au sujet du manque d'expérience du demandeur comme hygiéniste dentaire a fortement influé sur la conduite du reste de l'entrevue et qu'il a eu un effet défavorable sur l'appréciation globale des autres facteurs énumérés à l'annexe I du Règlement comme la personnalité, à l'égard desquels l'agent des visas possède un pouvoir discrétionnaire étendu.


[18]       En outre, je note qu'un événement particulier semble avoir exacerbé et aggravé la tension entre le demandeur et sa conjointe d'une part et l'agente des visas d'autre part. Vers la fin de l'entrevue, l'agente des visas a fait passer un test linguistique afin d'apprécier la capacité du demandeur de lire et d'écrire l'anglais. Dans son affidavit, l'agente des visas déclare que, lorsque le test linguistique a commencé, elle a demandé à la conjointe du demandeur de quitter la pièce. Toutefois, dans les notes qu'elle a rédigées à la main, l'agente a employé des termes plus forts, à savoir [TRADUCTION] « la femme a été mise à la poste pendant les tests linguistiques » . L'explication que l'agente des visas a donnée pour exclure la conjointe du demandeur prêtait quelque peu à confusion et était plutôt contradictoire. Lorsqu'elle a été contre-interrogée, l'agente a déclaré ce qui suit :

[TRADUCTION] Étant donné que Mme Chen marmonnait pendant l'entrevue, j'ai décidé de lui demander de quitter la salle de façon que le test linguistique puisse se dérouler de la façon appropriée (contre-interrogatoire relatif à l'affidavit de L. Chau, transcription, page 35 du dossier de la demande).

[Non souligné dans l'original.]

À ce stade, il n'est pas important pour la Cour de déterminer si l'agente des visas a eu raison de demander à la conjointe du demandeur de quitter la pièce ou si elle devait se montrer plus polie. Toutefois, les mots [TRADUCTION] « la femme a été mise à la porte pendant les tests linguistiques » sont éloquents et indiquent l'état d'esprit de l'agente des visas. Elle avait à coup sûr une opinion préconçue qui a influé d'une façon inéquitable sur le résultat.

[19]       Ces divers éléments, auxquels viennent s'ajouter d'autres signes d'hostilité ou de rigidité de la part de l'agente des visas lorsqu'elle a été contre-interrogée au sujet de l'affidavit, signes que l'avocat du demandeur a également soulignés au cours de l'audience, contribuent tous à donner l'impression générale que l'entrevue s'est mal déroulée et qu'en d'autres circonstances, l'agente des visas aurait peut-être été portée à se prononcer d'une façon plus favorable sur la demande de résidence permanente et aurait donc été plus généreuse dans son appréciation des connaissances en anglais (le facteur 8) et de la personnalité (le facteur 9) du demandeur.


[20]       Selon la prépondérance des probabilités, après avoir examiné le dossier dans son entier, je conclus que la procédure suivie par l'agente des visas était inéquitable et qu'à tout le moins, elle n'a pas respecté l'esprit de la loi. Je souscris entièrement aux remarques ci-après énoncées que le juge en chef adjoint Jerome (tel était alors son titre) a faites dans la décision Hajariwala c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1988), 6 Imm. L.R. (2d) 222, à la page 226 :

[...] Avant tout, il est important de garder à l'esprit que l'intention animant le Parlement lors de l'adoption de la Loi sur l'immigration était la définition de la politique du Canada en matière d'immigration à la fois pour les Canadiens et pour les personnes qui souhaitent venir au Canada de l'étranger. Une telle politique ne peut exister sans une réglementation complexe, dont une bonne partie des dispositions apparaissent être de nature restrictive, mais elle devrait toujours être interprétée comme ayant un caractère positif. Le but de la Loi est de permettre l'immigration, non de l'empêcher. Il s'ensuit que les requérants ont le droit de présenter leur demande de façon à maximiser leurs chances d'entrer au pays. Les agents d'immigration ont une obligation correspondante de poser une appréciation complète et équitable, et de justifier, le cas échéant, leur refus par des motifs adéquats.

[Non souligné dans l'original.]

[21]       Malgré les savants arguments de l'avocate du défendeur, eu égard aux circonstances particulières de l'affaire, je ne reconnais pas que les questions ouvertes que l'agente des visas a posées peuvent suffire pour satisfaire à l'obligation générale qui existe envers le demandeur en ce qui concerne l'équité procédurale. Dans la décision Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 582, la Cour s'est exprimée ainsi au paragraphe 12 :


Dans la présente affaire, lorsque l'agent des visas a commencé à craindre que le requérant ne possède peut-être pas les qualités requises pour entrer dans la catégorie d' « investisseurs » , elle aurait dû l'interroger expressément sur chacun des critères séparément. Le fait pour elle d'avoir simplement exprimer une crainte de façon générale et de s'être attendue ensuite à une réponse significative n'est pas compatible, selon moi, avec les exigences de l'équité en matière de procédure. En affirmant cela, je ne laisse pas entendre que l'agent des visas doit tenir avec chaque requérant un colloque sur les exigences de la Loi sur l'immigration ou des Règlements ou en effet formuler les questions en utilisant toujours des expressions ou des mots particuliers. Toutefois, lorsque les exigences auxquelles il faut satisfaire en vertu de la Loi ou des Règlements sont assez simples et que l'agent des visas craint que le requérant ne possède peut-être pas les qualités requises, je ne crois pas que ce soit trop demander à l'agent des visas de traiter chaque exigence expressément et les réponses illicites de sorte qu'il soit possible d'évaluer clairement si le requérant est visé par la définition pertinente de la Loi ou du Règlement. Cela n'a pas été fait en l'espèce.

[Non souligné dans l'original.]

[22]       À l'audition de la présente demande, l'avocate a convenu que si l'agente des visas avait commis une erreur en appréciant le facteur expérience et le facteur professionnel, le demandeur obtiendrait 69 points d'appréciation sur les 70 points mentionnés à l'alinéa 9(1)b) du Règlement. Le défendeur affirme malgré tout avec insistance que le demandeur doit démontrer à la Cour que l'agente des visas a commis une erreur en appréciant d'autres facteurs. Autrement, la Cour ne devrait pas intervenir.

[23]       Dans sa lettre de refus, l'agente des visas mentionne que malgré sa conclusion principale, le demandeur [TRADUCTION] « n'aurait malgré tout pas suffisamment de points d'appréciation pour passer l'étape de la sélection même s'il obtenait le nombre maximum de points pour le facteur expérience et pour le facteur professionnel » . Toutefois, comme l'avocate en a convenu, il ne manquerait qu'un point au demandeur. Je note qu'en pareil cas, l'agent des visas peut néanmoins délivrer un visa d'immigrant en vertu du paragraphe 11(3) du Règlement s'il est d'avis qu'il existe de bonnes raisons de croire que le nombre de points d'appréciation obtenu ne reflète pas les chances de cet immigrant particulier et des personnes à sa charge de réussir leur installation au Canada. À coup sûr, l'agente des visas n'a pas fait mention ou tenu compte de cet aspect de son pouvoir discrétionnaire.


[24]       En outre, le demandeur a soulevé d'autres motifs de révision. Je ne les énumérerai pas tous; je me contenterai d'en mentionner deux. En premier lieu, le demandeur a soutenu avec véhémence que l'agente des visas a commis une erreur en exigeant qu'il obtienne le maximum des points en ce qui concerne le test de lecture pour que soit reconnue son habileté à lire l'anglais couramment. En second lieu, le demandeur a affirmé que la conclusion de l'agente des visas selon laquelle il avait fait preuve d'un manque d'initiative et d'ingéniosité dans les recherches qu'il avait effectuées en vue de son établissement est manifestement déraisonnable si l'on tient compte de la documentation et des explications qu'il avait fournies. À cet égard, le demandeur a soutenu que l'appréciation du facteur personnalité effectuée par l'agente des visas (4 points) est erronée et que l'agente aurait dû lui accorder un plus grand nombre de points. L'avocat du demandeur a également référé la Cour à la décision Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2001), 15 Imm. L.R. (3d) 42, dans laquelle Madame le juge Dawson fait remarquer ce qui suit au paragraphe 10 :

[...] Une publication préparée par le Centre régional des programmes d'immigration pour les États-Unis informe les demandeurs qu'en moyenne, de cinq à sept points sont attribués pour la personnalité.

[Non souligné dans l'original.]


[25]       À mon avis, il n'est pas nécessaire de trancher ces questions puisque j'ai déjà conclu qu'un manquement à l'obligation d'équité commis par l'agent des visas suffit pour annuler une décision lorsque, comme c'est ici le cas, le manquement est de nature générale et vicie l'appréciation dans son ensemble. Je ne puis faire de conjectures au sujet du résultat de la demande si une nouvelle appréciation est effectuée, mais il se peut que le demandeur obtienne plus de 69 points puisqu'il n'a pas obtenu le nombre maximum de points pour le facteur 8 (connaissance de l'anglais et du français) et le facteur 9 (personnalité) énumérés à l'annexe I du Règlement.

[26]       Lorsque, dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire du refus d'un agent des visas de délivrer un visa, la Cour conclut que l'agent a commis une erreur susceptible de révision et a attribué au demandeur un nombre insuffisant de points d'appréciation, la Cour peut, à sa discrétion, refuser d'annuler la décision dans le cas où, à son avis, l'erreur n'aurait rien changé à la décision de l'agent des visas parce que, même si l'erreur était corrigée, le demandeur n'aurait néanmoins pas obtenu un nombre suffisant de points pour qu'un visa soit délivré. Toutefois, la Cour et la Cour d'appel fédérale ont hésité à exercer leur pouvoir discrétionnaire pour refuser d'annuler une décision lorsqu'il manquait un ou deux points seulement au demandeur (voir Hameed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2001), 268 N.R. 185 (C.A.F.), aux paragraphes 23 et 24; Tahir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2001), 209 F.T.R. 62 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 12; Patel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2002), 288 N.R. 48 (C.A.F.), au paragraphe 4 et Bawa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2002), 19 Imm. L.R. (3d) 320 (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 9 à 13). En l'espèce, l'avocate du défendeur n'a pas réussi à me convaincre que la Cour devrait, à sa discrétion, refuser d'annuler la décision.


[27]       Pour tous ces motifs, une ordonnance sera rendue en vue d'annuler la décision de l'agente des visas et de renvoyer l'affaire à un autre agent des visas pour qu'une nouvelle décision soit rendue conformément au droit.

[28]       L'avocat du demandeur a souligné jusqu'à quel point il est important d'examiner la demande du demandeur avant le 31 mars 2003 en vertu du Règlement. Si l'examen a lieu après le 31 mars 2003, il faudra appliquer le Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le nouveau Règlement). Bref, le présent contrôle judiciaire n'aurait plus qu'un intérêt théorique parce que le demandeur serait évalué selon un système de points plus strict entièrement différent. La décision de la Cour serait annulée, ce qui ne serait pas dans l'intérêt de la justice.

[29]       Je remarque que le nouveau Règlement, qui est entré en vigueur le 22 juin 2002, prévoit ce qui suit au paragraphe 350(3) :

350(3) Il est disposé conformément aux paragraphes 361(3) et (5) du présent règlement de toute décision ou mesure prise par le ministre ou un agent d'immigration sous le régime de l'ancienne loi à l'égard de la personne visée au sous-alinéa 9(1)b)(i) ou à l'alinéa 10(1)b) de l'ancien règlement qui est renvoyée par la Cour fédérale ou la Cour suprême du Canada pour nouvel examen et dont il n'a pas été disposé avant l'entrée en vigueur du présent article.

[30]       Les paragraphes 361(3) et (5) du nouveau Règlement sont ainsi libellés :

361(3) Pendant la période commençant à la date d'entrée en vigueur du présent article et se terminant le 31 mars 2003, les points d'appréciation sont attribués conformément à l'ancien règlement à l'étranger qui est un immigrant qui :

a) d'une part, est visé au paragraphe 8(1) de ce règlement, autre qu'un candidat d'une province;


b) d'autre part, a fait, conformément à ce même règlement, une demande de visa d'immigrant avant le 1er janvier 2002, pendante à l'entrée en vigueur du présent article, et n'a pas obtenu de points d'appréciation en vertu de ce règlement.

[...]

(5) Si les points d'appréciation exigés par l'ancien règlement n'ont pas été attribués avant le 1er avril 2003 à l'étranger visé à l'alinéa (2)a) qui a demandé un visa d'immigrant avant le 1er janvier 2002, ce dernier doit obtenir un minimum de soixante-dix points au regard des facteurs visés à l'alinéa 76(1)a) du présent règlement pour devenir résident permanent au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral).

[31]       L'avocate du défendeur n'a pas soutenu que l'agente des visas ne sera pas en mesure d'examiner la demande avant le 31 mars 2003. Toutefois, je crois que la question ne devrait pas être laissée à la discrétion du défendeur. En conséquence, j'ordonnerai donc également que le nouvel examen soit effectué au plus tard le 31 mars 2003.

[32]       Ce faisant, j'ai tenu compte des remarques suivantes que Monsieur le juge Gibson a faites dans la décision Hilewitz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 1121, au paragraphe 31 :

[31] Le Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, qui est entré en vigueur le 28 juin 2002, décrit en détail, à partir de l'article 350, la façon dont doivent être traités les décisions et les actes du défendeur ou d'un agent d'immigration pris aux termes de la Loi sur l'immigration et renvoyés au défendeur par la Cour pour nouvel examen lorsque ce nouvel examen n'a pas été effectué avant le 28 juin 2002. Je suis convaincu qu'une ordonnance de la Cour qui renverrait cette affaire pour nouvel examen conformément à la Loi sur l'immigration et son Règlement serait en fait illégale. Je ne suis donc pas disposé à prononcer une telle ordonnance. Je ne suis pas non plus disposé à dicter les termes qui devraient s'appliquer au réexamen de la demande de résidence permanente au Canada présentée par le demandeur.


[33]       Je ne puis constater aucune contradiction entre la position que j'ai décidé d'adopter en l'espèce et la réserve que le juge Gibson a faite dans la décision Hilewitz, précitée. Premièrement, j'ordonnerai qu'un nouvel examen soit effectué « conformément au droit » . Je n'ordonnerai pas que le nouvel examen soit effectué « conformément à la Loi sur l'immigration et au Règlement sur l'immigration de 1978 » . En second lieu, l'alinéa 18.1(3)b) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F-7, confère un large pouvoir discrétionnaire à la Cour lorsqu'il s'agit de donner les « instructions qu'elle estime appropriées » dans les cas où elle décide d'annuler une décision et de renvoyer l'affaire pour réexamen. Troisièmement, en l'espèce, la Cour ne dicte pas les termes qui devraient s'appliquer au réexamen (ce qui serait le cas, par exemple, si la Cour ordonnait à l'agent des visas d'accorder un certain nombre de points pour un facteur particulier mentionné à l'annexe I du Règlement). La Cour prescrit simplement que le réexamen doit être effectué dans un délai précis.


[34]       Les parties ont présenté des arguments au sujet des dépens. Je suis convaincu qu'il existe des raisons spéciales justifiant l'adjudication des dépens en faveur du demandeur. L'erreur principale commise par l'agente des visas était flagrante. L'agente n'a pas suivi une règle commune dictée par le bon sens, en ce sens qu'elle n'a pas apprécié l'expérience du demandeur dans son ensemble, mais qu'elle a plutôt mis l'accent sur deux points précis relatifs à son expérience. Rien ne montre qu'il y ait eu mauvaise foi, mais le manquement à l'obligation d'équité pendant l'entrevue était grave et a eu des conséquences défavorables sur la demande du demandeur. Je désapprouve fortement la position déraisonnable qui a été adoptée et la rigidité dont l'agente des visas a fait preuve. Une mise en garde s'avère donc nécessaire. En outre, la condamnation actuelle sous la forme du paiement des dépens devrait permettre d'examiner, et peut-être de modifier, certaines pratiques ou attitudes puisque le défendeur a affirmé avec insistance que l'agente des visas s'était bien acquittée de sa tâche. Toutefois, je tiens à dire que je n'ai rien à reprocher personnellement à l'avocate du défendeur, celle-ci ayant fait de son mieux pour défendre la position intenable prise par l'agente des visas. Pour ces motifs, je crois qu'il convient d'adjuger les dépens au demandeur, ces dépens étant taxés conformément à la colonne III du tarif B des Règles de la Cour fédérale (1998).

[35]       Malgré la possibilité qui leur a été donnée, les parties n'ont pas demandé la certification d'une question grave de portée générale et la Cour ne certifiera aucune question.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est accueillie, les dépens étant adjugés au demandeur, ces dépens devant être taxés conformément à la colonne III du tarif B des Règles de la Cour fédérale (1998);

2.          La décision du 22 février 2002 dans laquelle Mme Lily Chau, agente des visas au consulat général du Canada à Hong Kong, a refusé la demande que le demandeur avait présentée en vue de résider en permanence au Canada est annulée;


3.          La demande que le demandeur a présentée en vue de résider en permanence au Canada sera renvoyée à un autre agent des visas pour qu'un nouvel examen soit effectué conformément au droit;

4.          Le nouvel examen de la demande que le demandeur a présentée en vue de résider en permanence au Canada sera effectué au plus tard le 31 mars 2003.

                                                                        

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                              COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                       SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                           AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                  IMM-1471-02

INTITULÉ :                                                 Qin, Peng

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                         Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                       le 24 octobre 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :        Monsieur le juge Martineau

DATE DES MOTIFS :                               le 8 novembre 2002

COMPARUTIONS :

M. Lawrence Wong                                      POUR LE DEMANDEUR

Mme Pauline Anthoine                                    POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lawrence Wong et associés                         POUR LE DEMANDEUR

Vancouver (Colombie-Britannique)

M. Morris Rosenberg                                    POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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