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Date : 20050304

Dossier : IMM-6240-04

Référence : 2005 CF 324

Ottawa (Ontario), le 4 mars 2005

Présent :        Monsieur le juge Blais

ENTRE :

                                                STEPHANE ADOUM DAISSALA

                                                                                                                                      demandeur

                                                                            et

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                        ET DE L'IMMIGRATION

                                                                             

                                                                                                                                         défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue le 16 juin 2004 par la Section de la protection des réfugiés (tribunal) qui ne reconnaissait pas à M. Stephane Adoum Daissala (demandeur) la qualité de réfugié au sens de la Convention, ni de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 respectivement de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (Loi).


FAITS PERTINENTS

[2]                Le demandeur est un citoyen de la République du Tchad. Il est originaire du sud de ce pays, et a donc la désignation Kirdis, terme utilisé pour désigner les non-musulmans. En janvier 2001, le demandeur a adhéré à l'Association pour la liberté fondamentale du Tchad (APLFT), et aurait dénoncé son gouvernement en faisant de la propagande en faveur de son association afin de recruter le plus de membres possible pour lutter contre le régime au pouvoir au Tchad.

[3]                En mai 2003, le demandeur est intervenu dans une dispute entre un Kirdis et un Zakhawa, terme utilisé pour désigner les musulmans du nord du Tchad. Après cet événement, le Zakhawa aurait menacé le demandeur à plusieurs reprises, lui reprochant d'être intervenu pour l'empêcher de tuer le Kirdis.

[4]                Quelques jours plus tard, le Zakhawa, accompagné de membres de la garde présidentielle, ont passé au domicile du demandeur pour l'arrêter. Ne le trouvant pas à la maison, ils ont battu les parents du demandeur en leur disant que si leur fils ne renonçait pas à ses actions avec l'APLFT, il allait être éliminé.

[5]                Le demandeur s'est donc caché plusieurs jours chez des amis en banlieue, avant de quitter le Tchad le 2 janvier 2004, pour arriver au Canada, via Paris et New York, trois jours plus tard.

QUESTIONS EN LITIGE

[6]                1.         Le tribunal a-t-il commis une faute manifestement déraisonnable dans son analyse des faits?

2.         Le tribunal a-t-il erré en appliquant la mauvaise norme de preuve à la demande de réfugié de M. Adoum Daissala?

ANALYSE

1.         Le tribunal a-t-il commis une faute manifestement déraisonnable dans son analyse des faits?

[7]                Tel indiqué dans l'affaire Leung c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 774 au paragraphe 14, la décision d'un tribunal doit être faite compte tenu de la totalité de la preuve et doit être motivée en citant les faits sur lesquels il se base pour arriver à sa conclusion :


Les deux sections de cette Cour ont uniformément jugé que les décisions de la Commission devaient reposer sur la totalitédes éléments de preuve versés au dossier (voir par exemple Toro c. M.E.I., [1981] 1 C.F. 652 (C.A.F.), et Okyere-Akosah c. Canada (M.E.I.) (6 mai 1992), A-92-91 (C.A.F.)). Cela ne signifie toutefois pas que la Commission doit résumer tous les éléments de preuve, ni qu'une décision sera annulée simplement parce que la Commission a omis de faire état d'une certaine pièce secondaire de preuve documentaire dans ses motifs. (Voir Noor Hassan c. M.E.I. (9 octobre 1992), A-831-90 (C.A.F.).) Néanmoins, la Commission est clairement tenue de justifier ses conclusions sur la crédibilitéen faisant expressément et clairement état des éléments de preuve. (Voir par exemple Armson v. M.E.I. (1989), 9 Imm. L.R. (2d) 150 (C.A.F.) et Rajaratnam v. Canada (M.E.I.) (1991), 135 N.R. 300 (C.A.F.).) (Je souligne.)

[8]                Or, dans le présent cas, bien que le demandeur allègue que le tribunal a commis une erreur déraisonnable en jugeant de façon arbitraire que celui-ci n'était pas crédible; la décision du tribunal indique plusieurs motifs pour soutenir sa conclusion de manque de crédibilité :

·                [B]ien que le demandeur dit avoir été un membre actif de l'APLFT, soit l'Association pour la promotion des libertés fondamentales au Tchad, ce dernier a été incapable dans un premier temps de dire la signification de cet acronyme. (page 2 de la décision du 16 juin 2004)

·                Le demandeur n'est pas parvenu à expliquer clairement son rôle dans cette association. Il a dit qu'il organisait des jeux dans des centres de jeunes afin qu'ils ne deviennent pas des brutes et qu'il intervenait pour les libertés fondamentales sans être capable de fournir des explications plus détaillées.

(page 2 de la décision du 16 juin 2004)

·                Le demandeur a déposé une carte de membre six jours avant l'audition contrevenant ainsi aux 20 jours prévus. Le demandeur n'a pas gardé l'enveloppe d'envoi. (page 3 de la décision du 16 juin 2004)

·              L'adresse mentionnée sur sa carte de membre était incohérente avec celle qu'il allègue habiter. (page 3 de la décision du 16 juin 2004)

·              Le demandeur était incapable de mentionner les différentes sections formant l'APLFT. (page 4 de la décision du 16 juin 2004)

·              Lorsqu'il a été confronté sur son rôle auprès des enfants il a simplement répondu qu'il y avait des tuteurs qui malmenaient les enfants et que "on leur dit non, pas comme ça." (page 3 de la décision du 16 juin 2004)

[9]                De plus, bien que le demandeur allègue que le tribunal a erré en ne lui permettant pas d'expliquer les soi-disant invraisemblances, il faut indiquer dans un premier temps qu'il n'y a aucune obligation pour le tribunal d'indiquer ses conclusions sur la crédibilité de demander avant de rendre sa décision finale :


La conclusion que le témoignage est invraisemblable est une conclusion fondée sur l'examen de la véracité probable de ce témoignage dans toutes les circonstances. Cette conclusion peut être tirée seulement après que l'audition s'est achevée, que tous les éléments de preuve ont été produits et que le tribunal a eu la possibilité de les examiner.

À mon avis, le tribunal n'est nullement tenu de signaler ses conclusions sur l'invraisemblance ni sur la crédibilité générale du témoignage avant de rendre sa décision. Il incombe plutôt au demandeur d'établir, par des éléments de preuve dignes de foi, sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention. Le tribunal n'a pas commis d'erreur ni n'a omis de s'assurer du respect de l'équité procédurale en concluant qu'il existait des invraisemblances dans le témoignage du demandeur sans avoir au préalable porté celles-ci à l'attention de ce dernier et sans lui avoir donné la possibilité d'y répondre. (Sarker c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 987 aux paragraphes 14 et 15)

[10]            Deuxièmement, j'indiquerai que même sans obligation de le faire, le tribunal a néanmoins donné l'opportunité au demandeur de le convaincre de la véracité de son histoire :

Le tribunal a voulu donner une dernière chance au demandeur en le priant de dire s'il y avait d'autres commissions au sein de son association. Le demandeur a répondu : « Oui je pense » , hésitant longuement avant de répondre : « Droits de la femme et service à la clientèle » . Encore une fois, la pièce P-7 nous enseigne qu'il y a :

« Cinq commissions permanentes spécialisées en études et recherches, formation, sensibilisation et vulgarisation, droits de la femme, de l'enfant, assistance et conseil juridiques, vigilance, droits et libertés. »

(page 4 de la décision du 16 juin 2004)

[11]            Le demandeur soutient par ailleurs être persécuté par les Zakhawas parce qu'il a porté secours à un Kirdis. Considérant les conclusions du tribunal sur la première partie de son témoignage, je ne trouve pas la décision sur cette deuxième partie déraisonnable.

[12]            Il était raisonnable pour le tribunal de se baser sur l'entièreté du témoignage du demandeur, ainsi que sur le sens commun et la vraisemblance pour arriver à sa conclusion qu'il ne jugeait pas crédibles les allégations de persécution par des musulmans Zakhawas. (Voir Roy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1425 au paragraphe 8; Shahamati c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 415 au paragraphe 2; Kabuyamulamba-Kabitanga c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 351, [2002] A.C.F. no 462 aux paragraphes 28 et 29.)

[13]            Ceci est d'autant plus vrai, si l'on considère que le demandeur avait reçu son passeport plus d'un an avant son départ, qu'il avait reçu un visa américain plus d'un mois avant son départ, et qu'il a pu quitter le Tchad sous sa véritable identité sans problème, même s'il allègue que c'était la garde présidentielle qui le cherchait pendant plus de six mois.

2.         Le tribunal a-t-il erré en appliquant la mauvaise norme de preuve à la demande de réfugié de M. Adoum Daissala?


[14]            Le demandeur soutient que le tribunal a fondé sa décision sur un fardeau de preuve trop élevé, soit celui de la balance des probabilités. Or, bien que le demandeur n'ait pas à établir une possibilité de persécution, il doit quand même établir ses prétentions selon la prépondérance des probabilités. (Voir Ates c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 1599 au paragraphe 11.) Je mentionnerais aussi la décision Adjei c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 2 C.F. 680 au paragraphe 5 :

Il n'est pas contesté que le critère objectif ne va pas jusqu'à exiger qu'il y ait probabilité de persécution. En d'autres termes, bien que le requérant soit tenu d'établir ses prétentions selon la prépondérance des probabilités, il n'a tout de même pas à prouver qu'il serait plus probable qu'il soit persécuté que le contraire.

[15]            Finalement, dans l'arrêt Chan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] 3 R.C.S. 593, la Cour Suprême précise :

Tant l'existence d'une crainte subjective que le fondement objectif de cette crainte doivent être établis selon la prépondérance des probabilités. Dans l'arrêt Adjei c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 2 C.F. 680, la Cour d'appel fédérale a statué que, dans le contexte spécifique de la détermination du statut de réfugié, le demandeur n'est pas tenu d'établir, pour satisfaire à l'élément objectif du critère, qu'il est plus probable qu'il sera persécuté que le contraire. Il doit cependant établir qu'il existe plus qu'une "simple possibilité" qu'il soit persécuté.

[16]            Dans sa décision, le tribunal a bien indiqué qu'il a adopté le test de la balance des probabilités uniquement pour établir s'il acceptait les faits soumis par le demandeur comme étant véridiques :

Étant donné que le demandeur soutient n'avoir vécu aucun problème avant les événements allégués, qui n'ont pas étédémontrés, selon la balance des probabilités, le tribunal ne croit pas non plus qu'il y aurait des problèmes s'il retournait dans son pays de citoyenneté parce qu'il est originaire du sud de son pays. (page 5 de la décision du 16 juin 2004) (Je souligne.)

[17]            Je rejetterais donc l'argument du demandeur comme quoi le tribunal a appliqué un fardeau de preuve trop élevé.

[18]            En conséquence, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE:

-          La demande de contrôle judiciaire soit rejetée;

-          Aucune question pour certification.

                 « Pierre Blais »                

                      J.C.F.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        IMM-6240-04

INTITULÉ :                                      

                                                 STEPHANE ADOUM DAISSALA

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :               3 mars 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE: M. le juge Blais

DATE DES MOTIFS :                     4 mars 2005

COMPARUTIONS :

Me Louis Nadeau                                                                      POUR LE DEMANDEUR

Me Diane Lemery                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rondeau, Nadeau                                                                      POUR LE DEMANDEUR

5022, Côte des Neiges

Bureau 3

Montréal (Québec) H3V 1G6

Ministère de la Justice                                                                POUR LE DÉFENDEUR

Complexe Guy-Favreau

200, boul. René Lévesque ouest

Tour est, 5e étage

Montréal (Québec) H2Z 1X4


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