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Date : 20201019


Dossier : IMM‑2760‑19

Référence : 2020 CF 980

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 19 octobre 2020

En présence de monsieur le juge Favel

ENTRE :

ZHONGLIANG ZHU

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Contexte

[1]  M. Zhongliang Zhu [le demandeur] est un citoyen chinois. Il a présenté une demande de résidence permanente au Canada à titre de membre de la catégorie des travailleurs autonomes. Un agent des visas [l’agent] a refusé sa demande le 4 mars 2020 [la décision].

[2]  Le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision suivant le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Il demande à la Cour d’annuler la décision et de renvoyer l’affaire pour réexamen, le tout avec dépens.

[3]  Pour les motifs exposés ci‑après, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.  Contexte et décision faisant l’objet du contrôle

[4]  Le demandeur a grandi sur une ferme dans la province de Hunan, en Chine, où il a aidé sa famille à s’occuper de la gestion courante de la ferme jusqu’à ce qu’il termine ses études secondaires. Il a ensuite déménagé à Hengyang pour travailler comme apprenti à l’office de l’électricité.

[5]  Plus tard, le demandeur a mis sur pied sa propre entreprise en Chine, dans laquelle il assume le rôle de directeur général. L’entreprise concentre ses activités sur la conception, la production et l’installation de machinerie, d’outils et d’équipement agricoles. De plus, l’entreprise installe et répare de l’équipement pour les fermes.

[6]  En 2014, le demandeur et son épouse ont acheté une terre agricole en Ontario. Ils disent qu’ils veulent éventuellement cultiver la terre pour y pratiquer l’agriculture biologique, mais que, pour l’instant, ils n’ont besoin que d’une petite partie de la terre. C’est pourquoi ils ont loué à des agriculteurs voisins des parcelles de la terre agricole. Le demandeur et son épouse ont visité plusieurs fermes au Canada et ont reçu une formation ici pour les appuyer dans leur projet.

[7]  En 2018, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente au Canada au titre de la catégorie des « travailleurs autonomes », en s’appuyant sur ses expériences décrites ci‑dessus. En février 2019, il a été reçu en entrevue.

[8]  L’agent a conclu que le demandeur ne répondait pas aux exigences de la catégorie des « travailleurs autonomes » prévues par la loi parce qu’il ne comptait pas deux périodes d’un an d’expérience en gestion agricole au cours des cinq dernières années. L’agent a rejeté la demande présentée par le demandeur en mars 2019.

[9]  La décision comprend une lettre exposant la décision et les notes consignées au Système mondial de gestion des cas [le SMGC] qui l’accompagnent. Les notes du SMGC étayent la conclusion générale exposée dans la lettre de décision en fournissant certains détails additionnels sur les raisons pour lesquelles l’agent a conclu que le demandeur ne répondait pas aux exigences pertinentes prévues par la loi.

III.  Questions en litige et norme de contrôle

[10]  Le demandeur allègue que l’agent a apprécié la preuve de façon déraisonnable et a fourni des motifs insuffisants.

[11]  Dans les deux cas, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]). La première question porte sur l’appréciation de la preuve faite par l’agent, et la deuxième, sur la question de savoir si l’agent a fourni des motifs suffisants à l’appui de la décision. Aucune de ces questions ne porte sur des affaires qui réfutent la nouvelle présomption, selon laquelle la norme de la décision raisonnable, telle que décrite dans l’arrêt Vavilov, s’applique.

[12]  Malgré les observations contraires présentées par les parties, le caractère suffisant des motifs de l’agent touche au caractère raisonnable de la décision quant au fond. Les motifs d’un décideur peuvent avoir une incidence à la fois sur le caractère raisonnable de la décision quant au fond et sur l’équité procédurale d’une décision (voir Vavilov, au para 81). Toutefois, la façon dont le demandeur a présenté son argument concernant [traduction] « l’équité procédurale », c’est‑à‑dire en soutenant que la décision n’était pas [traduction] « justifiée » et qu’il était [traduction] « impossible de comprendre pourquoi l’agent a rejeté l’expérience du demandeur », indique qu’il s’agit d’un argument contre le caractère raisonnable de la décision quant au fond. Ce type de langage employé pour décrire une décision déraisonnable est le même que celui employé dans la décision Dunsmuir et dans la décision Vavilov (voir Vavilov, au para 81).

IV.  Thèses des parties

A.  La décision était‑elle raisonnable?

(1)  L’appréciation de la preuve faite par l’agent

[13]  Le demandeur conteste l’appréciation faite par l’agent de la preuve de son expérience de la gestion de sa parcelle de terre expérimentale en Ontario. Il prétend que l’agent a indûment écarté cette preuve, même si elle permet de prouver une expérience utile en gestion agricole acquise au Canada.

[14]  Le demandeur s’oppose également au traitement par l’agent de la preuve relative à ses expériences de travail en Chine, qui, selon lui, devraient être considérées comme de l’expérience en gestion agricole. Il prétend que le traitement en question a entraîné une décision déraisonnable fondée sur des considérations non pertinentes et sans égard à la preuve dont l’agent disposait.

[15]  Le défendeur soutient que la décision était raisonnable. Le demandeur n’ayant pas démontré qu’il avait l’expérience requise en gestion agricole, l’agent a alors refusé sa demande.

[16]  Le défendeur souligne que, lors de son entrevue, le demandeur a reconnu que sa dernière expérience de gestion agricole remontait à 1998, puis que, par la suite, il a uniquement travaillé à temps partiel. Cette information figure dans les notes consignées dans le SMGC. La preuve était claire.

[17]  Le défendeur fait valoir que les arguments du demandeur au sujet de ses expériences [traduction] « en lien avec » la gestion agricole sont insuffisants. Ce qu’il faut, ce sont deux périodes d’un an d’expérience à temps plein en gestion agricole au cours des cinq dernières années. La preuve du demandeur selon laquelle il a travaillé dans une ferme dans son enfance, exploité une entreprise d’équipement agricole et loué une parcelle de terre agricole au Canada n’était pas suffisante pour satisfaire à l’exigence prévue par la loi. Le défendeur soutient que le demandeur n’est tout simplement pas d’accord avec l’appréciation de la preuve faite par l’agent.

(2)  Caractère suffisant des motifs

[18]  Le demandeur prétend que l’agent a commis une erreur en ne justifiant pas suffisamment sa décision. Il soutient que la décision ne [traduction] « répondait pas aux exigences en matière d’équité » parce que l’agent n’a exposé aucun motif pour justifier son refus de l’expérience professionnelle du demandeur ou les raisons pour lesquelles il a jugé que cette expérience n’était pas utile. De plus, le demandeur soutient qu’il est impossible de comprendre la raison pour laquelle l’agent a rejeté son expérience et sa capacité à contribuer à l’économie du Canada.

[19]  Le demandeur s’appuie sur les décisions Canada (Citoyenneté et Immigration) c Jeizan, 2010 CF 323 [Jeizan] et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Wong, 2009 CF 1085 [Wong]. Dans la décision Jeizan, au para 17, le juge de Montigny affirme qu’une « décision est suffisamment motivée lorsque les motifs sont clairs, précis et intelligibles et lorsqu’ils disent pourquoi c’est cette décision‑là qui a été rendue. Une décision bien motivée atteste une compréhension des points soulevés par la preuve, elle permet à l’intéressé de comprendre pourquoi c’est cette décision‑là qui a été rendue, et elle permet à la cour siégeant en contrôle judiciaire de dire si la décision est ou non valide ».

[20]  Dans la décision Wong, la juge Tremblay‑Lamer a accueilli la demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par un juge de la citoyenneté parce qu’elle a estimé que les motifs du juge étaient déficients. La Cour a conclu que le juge, dans ses motifs, « n’a pas indiqué quel critère de résidence il appliquait et qu’il n’a ni abordé les facteurs juridiques pertinents ni les points soulevés par la preuve » [voir Wong, au para 16].

[21]  Le défendeur considère que les motifs exposés par l’agent étaient suffisants. Il cite un passage bien connu de l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au para 22, où la Cour déclare que lorsqu’il y a des motifs, il convient d’analyser leur caractère suffisant suivant le caractère raisonnable de la décision dans son ensemble.

[22]  Le défendeur ajoute que la décision se comprend aisément et qu’il n’y a pas de raison [traduction] « mystérieuse ou inconnue » pour laquelle la demande a été refusée. Il est précisé dans la lettre de décision et les notes du SMGC que la demande a été refusée parce que le demandeur ne satisfaisait pas aux exigences pertinentes prévues par la loi.

V.  Analyse

A.  La décision était‑elle raisonnable?

[23]  La décision était raisonnable. Le demandeur n’a pas démontré qu’une erreur a été commise ni dans l’appréciation de la preuve faite par l’agent ni quant à l’insuffisance des motifs de l’agent.

(1)  Contexte législatif

[24]  Le demandeur a présenté une demande au titre de la sous‑catégorie économique des « travailleurs autonomes » (voir Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, art 100(2) [le Règlement], reproduit ci‑dessous) :

Travailleurs autonomes

Self‑employed Persons Class

Qualité

Members of the class

100 (1) Pour l’application du paragraphe 12(2) de la Loi, la catégorie des travailleurs autonomes est une catégorie réglementaire de personnes qui peuvent devenir résidents permanents du fait de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada et qui sont des travailleurs autonomes au sens du paragraphe 88(1).

100 (1) For the purposes of subsection 12(2) of the Act, the self‑employed persons class is hereby prescribed as a class of persons who may become permanent residents on the basis of their ability to become economically established in Canada and who are self‑employed persons within the meaning of subsection 88(1).

Exigences minimales

Minimal requirements

(2) Si le demandeur au titre de la catégorie des travailleurs autonomes n’est pas un travailleur autonome au sens du paragraphe 88(1), l’agent met fin à l’examen de la demande et la rejette.

(2) If a foreign national who applies as a member of the self‑employed persons class is not a self‑employed person within the meaning of subsection 88(1), the application shall be refused and no further assessment is required.

[25]  Comme il a été mentionné ci‑dessus, le demandeur de cette catégorie doit avoir « l’expérience utile » et « [avoir] l’intention et [être] en mesure de créer son propre emploi au Canada et de contribuer de manière importante à des activités économiques déterminées au Canada », comme le prévoit l’article 88 du Règlement :

88 (1) a) S’agissant d’un travailleur autonome autre qu’un travailleur autonome sélectionné par une province, s’entend de l’expérience d’une durée d’au moins deux ans au cours de la période commençant cinq ans avant la date où la demande de visa de résident permanent est faite et prenant fin à la date où il est statué sur celle‑ci, composée :

88 (1) (a) a self‑employed person, other than a self‑employed person selected by a province, means a minimum of two years of experience, during the period beginning five years before the date of application for a permanent resident visa and ending on the day a determination is made in respect of the application, consisting of

[26]  Pour la catégorie « gestion d’une ferme », il faut deux périodes d’un an d’expérience au cours de la période de cinq ans précédant la date de la demande (Règlement, art 88(1)a)(iii) « expérience utile »).

[27]  Le demandeur soutient que le terme « gestion » d’une ferme n’est pas clairement défini. Le défendeur soutient que la Classification nationale des professions précise ce qu’il faut entendre par « gestion ».

(2)  Appréciation de la preuve faite par l’agent

[28]  La Cour ne peut accorder une réparation que dans les cas où un aspect de la décision est déraisonnable. La Cour ne peut apprécier à nouveau la preuve dont disposait l’agent (voir Vavilov, aux para 125‑126).

[29]  En ce qui concerne l’appréciation de la preuve faite par l’agent, je juge que l’analyse de l’agent est raisonnable. Le demandeur, sans entrer dans les détails, a affirmé que l’agent a tiré les mauvaises conclusions par rapport aux éléments de preuve à sa disposition. En toute déférence, je conclus qu’il s’agit là d’une requête à la Cour pour qu’elle apprécie à nouveau la preuve dont disposait le décideur, ce que ne peut pas faire la Cour.

[30]  Par ailleurs, le demandeur soutient que l’expression « gestion d’une ferme » n’est pas clairement définie et que la preuve présentée démontre de l’expérience en gestion. Bien que ces mots ne soient pas explicitement définis, je suis d’accord avec le défendeur pour dire qu’il y a suffisamment d’exemples des types d’activités qui s’inscrivent dans ce concept dans la Classification nationale des professions.

[31]  En ce qui concerne l’expérience du demandeur relativement à sa parcelle de terre agricole au Canada, je ne vois pas pourquoi l’agent a commis une erreur lorsqu’il a conclu qu’elle ne constituait pas une expérience de la « gestion d’une ferme ». Comme le défendeur l’a souligné, l’agent a examiné cette question au cours de l’entrevue du demandeur. La déclaration du demandeur selon laquelle il [traduction] « [n’a pas] encore immigré au Canada, de sorte que je n’ai aucun moyen de gérer une ferme » figure dans les notes consignées dans le SMGC. De plus, il est précisé dans les notes du SMGC que le demandeur a répondu par la négative lorsque l’agent lui a demandé s’il exploitait présentement une ferme en Chine.

[32]  L’affirmation du demandeur selon laquelle [traduction] « l’agent […] ne semble pas accepter ni reconnaître son expérience en Chine, c’est‑à‑dire la gestion de son entreprise […] » est vraie à première vue. Toutefois, l’agent était manifestement au courant que le demandeur possédait une entreprise, comme l’indiquent les notes de l’entrevue du demandeur consignées dans le SMGC. En l’occurrence, il devient évident que l’exploitation de l’entreprise n’a pas été retenue comme une expérience en gestion agricole par cet agent. Cette conclusion respecte les limites du caractère raisonnable.

[33]  Prises ensemble, les réponses aux questions n’ont pas permis de convaincre l’agent que le demandeur s’occupait de la gestion d’une ferme selon les paramètres établis dans le Règlement et la Classification nationale des professions.

[34]  Dans l’ensemble, j’estime que l’appréciation de la preuve faite par l’agent est raisonnable.

(3)  Caractère suffisant des motifs

[35]  La Cour suprême a récemment donné des indications sur le caractère suffisant des motifs dans une décision administrative, affirmant que les motifs doivent justifier les raisons pour lesquelles un ensemble donné de circonstances a mené à un résultat particulier. Il ne s’agit pas d’une analyse dans laquelle les motifs sont interprétés séparément; ceux‑ci doivent plutôt être interprétés à la lumière de l’ensemble des circonstances d’une décision. Certains résultats sont tellement détachés des circonstances pertinentes qu’ils ne peuvent jamais être justifiés par les motifs, même les plus convaincants, tandis que certains résultats, qui peuvent être raisonnables en soi, peuvent être annulés s’ils sont fondés sur des motifs insuffisants (Vavilov, au para 86).

[36]  La décision, qui est composée de la lettre de décision et de notes du SMGC, me permet de comprendre pourquoi l’agent a refusé la demande en se fondant sur les documents présentés en preuve par le demandeur et les réponses de ce dernier aux questions qui lui ont été posées à l’entrevue. Comme le montre l’analyse ci‑dessus, l’agent estimait que le demandeur n’avait pas accumulé l’expérience requise en [traduction] « gestion agricole », soit les deux périodes d’un an d’expérience au cours des cinq dernières années. Le raisonnement est simple et rationnellement lié à la décision. J’estime qu’il justifie la décision de l’agent.

VI.  Conclusion

[37]  Les parties ont reconnu à juste titre que le défendeur a été désigné à tort dans l’intitulé. L’intitulé sera modifié pour désigner le défendeur comme étant « Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration ».

[38]  Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[39]  Aucuns dépens ne sont adjugés.

[40]  Les parties n’ont pas soulevé de question grave de portée générale aux fins de certification et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑2760‑19

LA COUR ORDONNE :

  1. L’intitulé est modifié, avec effet immédiat, en remplaçant « Le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté » par « Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration », comme défendeur.
  2. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.
  4. Il n’y a aucune question à certifier.

« Paul Favel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIER :

IMM‑2760‑19

 

INTITULÉ :

ZHONGLIANG ZHU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE toronto (ontario) ET Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 31 AOÛT 2020

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FAVEL

DATE DES MOTIFS :

LE 19 OctobRE 2020

COMPARUTIONS :

Hadayt Nazami

POUR LE DEMANDEUR

 

David Joseph

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nazami & Associates

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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