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                                                                                                                              Date : 20020402

                                                                                                                    Dossier : IMM-42-01

                                                                                              Référence neutre : 2002 CFPI 363

Ottawa (Ontario), le 2 avril 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                                                 DRITHIMAN CHOWDHURY

                                                                                                                                        demandeur

                                                                            et

                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                         défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

NATURE DE L'INSTANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section du statut de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SSR) a conclu, le 8 octobre 2000, que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention.


LES FAITS

[2]                 Le demandeur est un citoyen du Bangladesh âgé de 30 ans. Il affirme craindre avec raison d'être persécuté du fait de sa religion, de ses opinions politiques et de son appartenance à un groupe social, à savoir la minorité hindoue au Bangladesh.

[3]                 Selon la preuve présentée par le demandeur, la famille était persécutée par un dirigeant musulman fondamentaliste local qui s'appelait Shah Alam. Deux des frères du demandeur ont donc quitté le pays en 1992 et sont venus au Canada où leur statut de réfugié a été reconnu. Après le départ de ses frères, le demandeur a pris en charge l'entreprise familiale; il affirme que c'est la raison pour laquelle Shah Alam s'en est pris à lui. Le demandeur affirme qu'on lui a soutiré de l'argent tous les mois de 1993 à 1996, mais qu'il ne s'est pas plaint à la police parce qu'il savait que celle-ci ne l'aiderait pas.

[4]                 En 1993, le demandeur est devenu membre de son temple hindou local. Apparemment, les musulmans fondamentalistes ont pillé et saccagé le temple, mais la police n'est pas intervenue.


[5]                 Au mois de juin 1997, le demandeur a été élu secrétaire responsable de la publicité du Bangladesh Hindu Buddha Christian Unity Council (le BHBCUC) du district de Habigong. Au cours de la réunion, un groupe composé d'environ 60 musulmans fondamentalistes est entré dans l'immeuble et a battu les membres; le demandeur a été blessé et a été obligé de se rendre à la clinique pour obtenir les premiers soins. Le lendemain, le président et secrétaire du BHBCUC a signalé l'événement à la police, mais la plainte a été refusée.

[6]                 En 1998, Shah Alam et ses partisans ont fait savoir au père du demandeur qu'ils voulaient sa terre. Ils l'ont menacé ainsi que sa famille lorsqu'il a refusé de la leur vendre. Ils ont pris possession de force de la terre environ un mois plus tard.

[7]                 Selon la preuve du demandeur, Babul, un partisan de Shah Alam, et d'autres musulmans fondamentalistes se sont rendus aux bureaux de son entreprise au mois de janvier 1999 pendant qu'il était absent et ont demandé 50 000 takas au gérant. Le gérant était insulté; lorsqu'il leur a dit qu'il ne pouvait pas verser cette somme, ils l'ont battu. Avant de partir, ils ont volé l'argent de la caisse. Même si on lui avait fortement conseillé de ne pas s'adresser à la police, le demandeur s'est de toute façon plaint, mais la police ne voulait pas prendre de mesures contre Shah Alam parce qu'elle le considérait comme un homme fort puissant. Lorsque Shah Alam a appris que le demandeur s'était adressé à la police, il était apparemment furieux et il a ordonné au père du demandeur de payer 50 000 takas, à défaut de quoi il obligerait l'entreprise à fermer ses portes. Le père du demandeur a décidé de fermer lui-même l'entreprise. Lorsque Shah Alam a appris la chose, il était encore plus furieux et il a menacé la famille.


[8]                 Le demandeur affirme que Shah Alam et ses partisans l'ont persécuté parce qu'il était Hindou et membre du BHBCUC et parce qu'il appuyait activement l'un des membres de sa famille qui s'était porté candidat aux élections municipales au mois de février 1999. Babul

et ses hommes armés sont entrés de force chez le demandeur pendant la nuit parce qu'il avait aidé un parent, mais le demandeur a pu s'échapper par la porte arrière. Le lendemain, le demandeur a appris que des menaces de mort avaient été proférées contre lui; son père lui a conseillé de quitter le pays.

[9]                 Le demandeur a quitté le Bangladesh le 28 mai 1999; il est arrivé au Canada le lendemain et il a immédiatement revendiqué le statut de réfugié.

DÉCISION DE LA SSR

[10]            En concluant que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention, la SSR a dit ce qui suit :

Le tribunal a été saisi de questions relatives à la crédibilité.

[...]

Le tribunal a conclu que le revendicateur a peut-être été victime d'extorsion parce qu'il exploitait un commerce. Or, cette situation malheureuse ne comporte aucun lien avec la Convention. Quant à ses allégations selon lesquelles les Hindous sont persécutés et ne peuvent obtenir la protection de l'État, elles sont réfutées par la preuve documentaire exposée ci-dessus.

POINTS LITIGIEUX

[11]            Les questions ci-après énoncées ont été plaidées par le demandeur :


            (1) -     La SSR a commis une erreur en fondant sa décision sur des conclusions de fait erronées sans tenir compte des éléments dont elle disposait;

            (2) -     La SSR a commis une erreur en tirant des conclusions déraisonnables au sujet de la vraisemblance et de la crédibilité;

            (3) -     La SSR a commis une erreur en omettant de tenir compte de la principale allégation du demandeur, à savoir qu'il avait été persécuté pour son travail d'activiste et parce qu'il avait mené une campagne pour un candidat hindou.

NORME DE CONTRÔLE

[12]            Il est généralement reconnu que la norme de contrôle applicable aux décisions de la SSR en ce qui concerne les questions de fait ou les questions de fait et de droit est celle de la décision manifestement déraisonnable. La norme de la décision correcte s'applique aux questions d'interprétation d'une loi. [Sivasamboo c. Canada [1995] 1 C.F. 741 (1re inst.), (1994) 87 F.T.R. 46, Pushpanathan c. Canada [1998] 1 R.C.S. 982, (1998) 160 D.L.R. (4th) 193.]


[13]            Dans ses motifs, la SSR a dit ce qui suit : « Dans sa déposition et dans son FRP, le revendicateur laisse entendre que le gouvernement de la Ligue Awami prend parti pour les fondamentalistes contre la minorité hindoue. » Aux paragraphes 11 et 13 de son affidavit, le demandeur déclare que la police appuie les fondamentalistes et que le gouvernement ne prend pas de mesures contre les fondamentalistes qui persécutent les Hindous. Toutefois, la

SSR a conclu que la preuve documentaire démontrait le contraire, à savoir que de fait l'État du Bangladesh prend des mesures appropriées en vue de protéger la minorité hindoue lorsque des événements isolés se produisent. En se fondant sur la preuve documentaire présentée par l'agent chargé de la revendication et par le demandeur, la SSR a cité des exemples à l'appui de sa conclusion.

[14]            Le demandeur soutient que la SSR a commis une erreur en examinant la preuve documentaire d'une façon sélective et qu'elle a uniquement choisi les documents qui étayaient ses conclusions. Le demandeur soutient en outre que la SSR a commis une erreur en se fondant sur des documents clairement périmés, à savoir un rapport en date du mois de juin 1999, alors qu'il existait des documents plus récents.

[15]            Dans ses motifs, la SSR a reconnu que la preuve documentaire indique que, dans certains cas, les Hindous peuvent être victimes de discrimination ou même de persécution. À la page 4 de ses motifs, la SSR signale également une preuve documentaire plus récente, à savoir le compte rendu d'Associated Press en date du 16 juillet 2000, à l'appui de la conclusion selon laquelle la majorité des Hindous estiment être protégés d'une façon adéquate par le gouvernement de la Ligue Awami.


[16]            À mon avis, la Commission n'a pas commis d'erreur en examinant la preuve documentaire contemporaine des présumés événements qui se sont produits. Pareille preuve jetterait fort probablement la lumière sur la vraisemblance de ces présumés événements.

[17]            Je retiens la position du défendeur, à savoir qu'il existait bon nombre d'éléments de preuve à l'appui de la conclusion que la SSR a tirée au sujet de l'attitude de la police et du gouvernement. Il est de droit constant, dans la mesure où il existe des éléments de preuve à l'appui de la conclusion tirée par un tribunal, que la Cour n'intervient pas s'il existe des éléments de preuve contraires. Dans la décision Ganiyu-Giwa c. MCI [1995] A.C.F. no 506, en ligne : QL, paragraphe 2, Monsieur le juge Wetston, citant la décision Tawfik, a dit ce qui suit :

[...] Dans l'espèce Tawfik c. M.E.I., 93-A-311 [[1993] A.C.F. no 835], le 23 août 1993, le juge MacKay fait observer que la Commission se réfère souvent à des documents renfermant des indications qui tantôt appuient, tantôt contredisent les allégations. La Commission peut, de par son rôle et de par ses connaissances spécialisées, faire le tri dans la preuve qui lui est présentée. [...]

[18]            Dans la décision Barua c. MCI, [2000] A.C.F. no 1342, en ligne : QL, mon collègue, Monsieur le juge Pinard, devait examiner des arguments qui sont fort semblables à ceux qui sont invoqués en l'espèce; il était question de la protection fournie par l'État du Bangladesh. Dans ses motifs, paragraphe 10, le juge a statué ce qui suit :


En ce qui concerne les arguments invoqués par le demandeur qui sont liés à l'omission alléguée de la Commission de tenir compte de la preuve documentaire à l'appui de sa revendication, il faut rappeler au demandeur que la Commission est présumée avoir tenu compte de tous les éléments de preuve qui lui ont été présentés, à moins qu'il soit démontré que ce n'est pas le cas (voir Florea c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1993] A.C.F. no 598, (11 juin 1993), A-1307-91 (C.A.F.)). Règle générale, le fait qu'une preuve documentaire n'est pas mentionnée dans ses motifs n'invalide pas la décision de la Commission (voir Hassan c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1992), 147 N.R. 317, à la p. 318 (C.A.F.)). Il me semble que le demandeur en l'espèce demande à la Cour de substituer sa propre appréciation de la preuve à la décision de la Commission. Toutefois, ce n'est pas là le rôle qui appartient à la Cour dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire (voir Tawfik c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 137 F.T.R. 43, à la p. 46). Je ne suis pas persuadé que la Commission a omis de prendre en compte la preuve qui lui a été présentée ni que son appréciation de la preuve documentaire était déraisonnable. Je suis d'avis qu'il était raisonnable de la part de la Commission de tirer les conclusions auxquelles elle est parvenue concernant la position du gouvernement du Bangladesh à l'égard du Hindu Buddhist Christian Unity Council et la possibilité pour le demandeur de se réclamer de la protection de l'État.

[19]            J'adopte l'analyse susmentionnée du juge Pinard étant donné qu'à mon avis, elle s'applique en l'espèce. Il était raisonnablement loisible à la SSR de tirer les conclusions qu'elle a tirées au sujet de l'attitude de la police et du gouvernement envers les minorités hindoues au Bangladesh et de la possibilité pour l'État de fournir sa protection.

[20]            Le demandeur affirme avoir été persécuté dans son pays avant son départ et il dit que la SSR a tiré des conclusions déraisonnables au sujet de la vraisemblance et de la crédibilité. Le demandeur affirme en outre que la SSR a commis une erreur en omettant de soulever les préoccupations qu'elle avait au sujet de l'invraisemblance avant de rendre sa décision. Sur ce dernier point, mon collègue, Monsieur le juge MacKay, a dit ce qui suit dans la décision Sarker c. MCI (1998) 45 Imm. L.R. (2d) 209 (C.F. 1re inst.) : « Le tribunal n'est nullement tenu de signaler ses conclusions sur l'invraisemblance ni sur la crédibilité générale du témoignage avant de rendre sa décision. » Dans ses motifs, le juge MacKay a dit ce qui suit, page 213 :


En l'espèce, le tribunal ne s'est pas préoccupé des inconsistances dans le témoignage du demandeur. Il a plutôt jugé invraisemblables des aspects principaux du récit du demandeur étant donné sa compréhension générale, compte tenu de la preuve documentaire, de la situation au Bangladesh, et sa propre expérience. La conclusion que le témoignage est invraisemblable est une conclusion fondée sur l'examen de la véracité probable de ce témoignage dans toutes les circonstances. Cette conclusion peut être tirée seulement après que l'audition s'est achevée, que tous les éléments de preuve ont été produits et que le tribunal a eu la possibilité de les examiner.

À mon avis, le tribunal n'est nullement tenu de signaler ses conclusions sur l'invraisemblance ni sur la crédibilité générale du témoignage avant de rendre sa décision. Il incombe plutôt au demandeur d'établir, par des éléments de preuve dignes de foi, sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention.

[21]            Il est préférable de laisser les questions de crédibilité à l'appréciation de la SSR. Dans l'arrêt Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 160 N.R. 315, p. 316 et 317, paragraphe 4, Monsieur le juge Décary a statué que ces questions relèvent de la compétence de la SSR et que la norme de contrôle est celle de la décision manifestement déraisonnable :

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire. Dans Giron, la Cour n'a fait que constater que dans le domaine de la plausibilité, le caractère déraisonnable d'une décision peut être davantage palpable, donc plus facilement identifiable, puisque le récit apparaît à la face même du dossier. Giron, à notre avis, ne diminue en rien le fardeau d'un appelant de démontrer que les inférences tirées par le tribunal ne pouvaient pas raisonnablement l'être.

[22]            J'ai minutieusement examiné les arguments du demandeur ainsi que toutes les conclusions défavorables que la SSR a tirées au sujet de la vraisemblance et de la crédibilité. Le demandeur n'a pas réussi à me convaincre que les appréciations de la SSR sont abusives, arbitraires ou manifestement déraisonnables et qu'elles ne sont pas étayées par la preuve.


[23]            Enfin, la prétention du demandeur selon laquelle la SSR n'a pas tenu compte de l'allégation qu'il avait faite, à savoir qu'il était persécuté à cause de son travail d'activiste et parce qu'il avait mené une campagne politique, doit également être rejetée. La SSR a tenu compte de cette allégation à la première page, paragraphe 7 de ses motifs :

Shah Alam et ses hommes de main ont persécuté M. Chowdhury parce qu'il était Hindou, qu'il était membre du Bangladesh Hindu Buddha Christian Unity Council et qu'il a appuyé activement un membre de sa famille candidat à l'élection municipale en février 1999.

J'estime qu'il était raisonnablement loisible à la SSR de tirer la conclusion qu'elle a tirée, à savoir que le demandeur a peut-être été victime d'extorsion.

[24]            En l'espèce, je suis également convaincu que le demandeur n'a pas établi que l'État ne pouvait pas le protéger.

[25]            Pour les motifs susmentionnés, je ne puis trouver aucun motif permettant à cette Cour de modifier la décision de la SSR. La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[26]            Les parties ne m'ont pas demandé de certifier une question grave de portée générale au sens de l'article 83 de la Loi sur l'immigration, et ce, même si elles ont eu la possibilité de le faire. Je ne me propose donc pas de certifier une question grave de portée générale.


                                                              ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

      

                                                                                                                « Edmond P. Blanchard »            

                                                                                                                                                    Juge                              

  

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                              COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                       SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                           AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

  

DOSSIER :                                                               IMM-42-01

INTITULÉ :                                                              DRITHIMAN CHOWDHURY

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

  

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                                    LE 6 NOVEMBRE 2001

  

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                            MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

DATE DES MOTIFS :                                            LE 2 AVRIL 2002

  

COMPARUTIONS :

M. JEAN-MICHEL MONTBRIAND                    POUR LE DEMANDEUR

M. DANIEL LATULIPPE                                       POUR LE DÉFENDEUR

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

DOYON, GUERTIN, MONBRIAND                     POUR LE DEMANDEUR

ET PLAMONDON

MONTRÉAL (QUÉBEC)

M. MORRIS ROSENBERG                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

  
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