Décisions de la Cour fédérale

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Date : 20201112


Dossier : T-89-18

Référence : 2020 CF 1049

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 12 novembre 2020

En présence du juge responsable de la gestion de l’instance, Kevin R. Aalto

ENTRE :

MUD ENGINEERING INC.

demanderesse

et

SECURE ENERGY SERVICES INC.

ET SECURE ENERGY

(DRILLING SERVICES) INC.

défenderesses

ET ENTRE :

SECURE ENERGY

(DRILLING SERVICES) INC.

demanderesse reconventionnelle

et

MUD ENGINEERING INC.

ET AN-MING (VICTOR) WU

défendeurs reconventionnels

ORDONNANCE ET MOTIFS

[traduction] « […] il est assez difficile pour beaucoup de poursuivre une affaire du début à la fin; pourquoi les contraindre alors à le faire deux fois [1] ? »

I.  INTRODUCTION

[1]  La compétence de la Cour fédérale a fait l’objet de nombreuses décisions et a fait couler beaucoup d’encre. Cette compétence se limite au pouvoir législatif qui a été conféré à la Cour fédérale par la Loi sur la Cour fédérale [2] de 1971, modifiée par la Loi sur les Cours fédérales [3] . La Cour fédérale ne jouit pas d’une compétence inhérente semblable à celle des cours supérieures provinciales; toute sa compétence doit être attribuée dans la Loi sur les Cours fédérales [4] et d’autres lois fédérales [5] .

[2]  Malgré le fait que la Cour fédérale jouit d’une compétence exclusive et concurrente dans les affaires de propriété intellectuelle, il subsiste des doutes quant à l’étendue de cette compétence lorsque des questions relatives à la propriété des brevets se posent, comme en l’espèce. Dans la présente action en contrefaçon de brevet, le litige qui oppose les parties concerne la propriété des brevets (les brevets en litige) et oblige la Cour à examiner et à interpréter des contrats ainsi que d’autres documents liés aux inventions.

[3]  Par la présente requête, la demanderesse et les défendeurs reconventionnels (Mud Engineering) demandent, conformément à l’article 220 des Règles, à la Cour de statuer sur un point de droit – la question de savoir si la Cour est compétente pour statuer sur la propriété des brevets en litige – en rendant un jugement déclaratoire ou une ordonnance.

II.  APERÇU FACTUEL

[4]  La présente action en contrefaçon des brevets en litige se rapporte à des compositions de fluide de forage utilisé dans l’extraction de bitume dans des puits situés dans l’Ouest canadien. Mud Engineering allègue que les défenderesses et la demanderesse reconventionnelle (Secure Energy) ont vendu des produits qui contrefont les brevets en litige.

[5]  En défense, Secure Energy invoque l’absence de contrefaçon et l’invalidité, mais elle affirme aussi être la propriétaire légitime des brevets en litige, allégation clé pour la présente requête. Les faits sur lesquels repose cette allégation découlent de contrats de travail et d’autres documents ainsi que de la conduite de l’inventeur désigné des brevets dans le cadre de son emploi antérieur auprès de Secure Energy ou de la société l’ayant précédée. Pour trancher la présente requête, il n’est pas nécessaire de s’attarder sur les réorganisations compliquées de sociétés qui ont donné lieu aux prétentions concernant la propriété des brevets en litige.

[6]  Vu l’incertitude quant à la compétence de la Cour pour examiner et trancher la question de la propriété, Mud Engineering a intenté une action contre Secure Energy devant la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta (l’action intentée en l’Alberta) [6] . Dans cette action, Mud Engineering alléguait notamment que le brevet avait été contrefait et que le brevet était valide et, plus important aux fins de la présente requête, cherchait à obtenir une déclaration confirmant qu’elle est la propriétaire des brevets en litige. Bien que cette mesure de réparation ait été abandonnée avec le consentement des parties, Secure Energy a soulevé la question de la propriété dans sa demande reconventionnelle. Comme il ressort de l’examen et de la comparaison des actes de procédure présentés par Secure Energy dans le cadre de la présente action et dans l’action intentée en Alberta, les allégations sont tout à fait identiques. La propriété des brevets est donc en litige devant les deux cours.

[7]  Pour éviter le dédoublement des instances, Mud Engineering a introduit une demande dans le cadre de l’action intentée en Alberta pour que l’examen de toutes les questions concernant la contrefaçon des brevets, la validité des brevets et le titre des brevets en litige soit suspendu et que ces questions soient tranchées dans le cadre de l’action instruite par la Cour fédérale. Secure Energy s’est opposée à cette mesure de réparation au motif qu’il [traduction« n’est pas certain que la Cour fédérale ait compétence pour trancher la question de la propriété ». En particulier, Secure Energy a fait valoir les arguments suivants dans le cadre de l’action intentée en Alberta :

[traduction]

32.  Il est bien établi que la Cour fédérale n’a pas compétence lorsque la question en litige consiste à savoir qui est le propriétaire légitime d’un brevet donné et que la propriété dépend de l’interprétation de divers documents contractuels liant les parties et de l’application et de l’interprétation de principes de droit contractuel.

33.  Les questions de propriété de brevet impliquent souvent une interprétation des documents contractuels liant les parties. Par exemple, en l’espèce, pour statuer sur la question de la propriété, il faudra interpréter des contrats de travail et de cession. Si un litige soulève principalement une question contractuelle, la Cour fédérale n’a pas compétence pour trancher la question de la propriété, car l’interprétation des contrats nécessite une interprétation et une application du droit provincial, et la Cour fédérale n’a pas compétence pour connaître d’un tel litige […].

[…]

39.  La question de la propriété en l’espèce est essentiellement d’ordre contractuel et nécessite l’interprétation des contrats suivants :

i.  le contrat de travail;

ii.  l’entente de confidentialité de 2003;

iii.  les contrats de cession.

40.  La Cour fédérale pourrait ainsi ne pas avoir compétence pour trancher la question de la propriété […] [7]

[8]  La propriété des brevets est une question préliminaire soulevée devant notre Cour ainsi que dans l’action intentée en Alberta. La décision sur cette question déterminera quelles questions la Cour pourra instruire et trancher.

III.  LA DÉCISION DE LA COUR DU BANC DE LA REINE DE L’ALBERTA

[9]  La juge Ashcroft a instruit et rejeté la demande de suspension dans une décision rendue oralement le 17 janvier 2020 [8] . Un aspect fondamental de cette décision portait sur une préoccupation sous‑jacente de la juge quant à la compétence de la Cour fédérale pour trancher des questions contractuelles. La juge Ashcroft a fait l’observation suivante :

[traduction] Comme je le faisais remarquer plus tôt, la question de la compétence incertaine, même si elle n’est peut-être pas décisive, demeure un facteur important pour mon évaluation de la question de savoir si la Cour fédérale est le tribunal plus approprié. La Cour fédérale n’a pas compétence lorsque la question à trancher est de savoir qui est le propriétaire légitime d’un brevet donné et que cette question dépend de l’interprétation de certains contrats : Farmobile, au para 27. En d’autres mots, les questions relatives aux contrats ou à la propriété ne sont pas accessoires à la question des brevets. Je conclus de l’application de la jurisprudence que j’ai passée en revue aux actes de procédure qui m’ont été présentés que même si elle pourrait décider, comme dans Farmobile, de ne pas exclure de la défense les arguments fondés sur les questions relatives à la propriété et aux contrats, la Cour fédérale n’exercera probablement pas sa compétence pour instruire la demande reconventionnelle même si la propriété n’a été plaidée qu’à titre subsidiaire. Le contexte factuel, du moins à ce stade‑ci de l’instance et compte tenu des renseignements limités dont je dispose, semble suffisamment entremêlé avec l’allégation de propriété pour que la Cour fédérale conclue probablement que cette allégation n’est pas uniquement accessoire à la question des brevets. Ainsi, si une suspension est accordée, la demande reconventionnelle devrait probablement être au moins instruite plus tard par la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta [9] . [Non souligné dans l’original.]

[10]  Lorsqu’elle a rejeté la demande de suspension, la juge Ashcroft a expressément renvoyé à [traduction« l’expertise [de la Cour fédérale] en matière de brevets » et a invité les parties à chercher à obtenir une décision préliminaire de la Cour fédérale sur la question de la compétence. La juge Ashcroft a déclaré :

[traduction]

Je reconnais que la Cour fédérale a une expertise particulière en matière de brevets, et aussi que ses jugements peuvent être exécutés partout au Canada. Cependant, ces facteurs ne l’emportent pas sur les questions particulières liées à l’absence de compétence de la Cour fédérale pour trancher des questions de propriété et d’interprétation de contrats de travail, lesquelles sont pertinentes en l’espèce en raison des actes de procédure de la défenderesse.

[…]

Comme l’affaire fait l’objet d’une gestion de l’instance devant la Cour fédérale, il pourrait être prudent de demander à cette dernière de statuer sur la question de la compétence à titre préliminaire. Cependant, l’action devant la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta peut se poursuivre jusqu’à ce que la Cour fédérale exerce sa compétence à l’égard de toutes les questions soulevées dans les actes de procédure, ou décline compétence.

Si la Cour fédérale choisit d’exercer sa compétence à l’égard de toutes les questions soulevées dans les actes de procédure, la demanderesse pourra présenter à nouveau sa demande de suspension. [Non souligné dans l’original.] [10]

[11]  Les parties ont accepté l’invitation de la juge Ashcroft à chercher à obtenir une décision préliminaire de notre Cour; la présente requête a donc été présentée pour que soit précisément tranché ce point de droit conformément à l’article 220 des Règles des Cours fédérales.

[12]  Désireuse d’obtenir une décision claire sur la question de la compétence, Mud Engineering a présenté la présente requête. Elle croit fermement que la Cour fédérale est compétente pour interpréter des contrats lorsqu’elle statue sur la propriété de brevets. Secure Energy ne s’oppose pas à la requête malgré ses allégations dans ses actes de procédure.

IV.  ARRÊT SALT CANADA

[13]  Ce changement d’approche de Secure Energy pourrait s’expliquer par le fait que la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt récent Salt Canada, a tranché une fois pour toutes cette question de façon catégorique et, espérons‑le, définitive.

[14]  L’arrêt Salt Canada a été rendu après la décision de la juge Ashcroft. À mon avis, il répond totalement à la question de la compétence et traite directement de la question de la propriété des brevets. Cette affaire portait sur la demande introduite par Salt Canada pour que le commissaire aux brevets modifie les dossiers du Bureau des brevets de manière à l’inscrire comme étant la propriétaire d’un brevet. En première instance, la demande a été rejetée au motif que la Cour fédérale n’avait pas compétence pour statuer sur l’affaire, car la demande l’obligeait à interpréter des contrats [11] . Le juge qui a présidé l’audience a estimé que l’interprétation des contrats relevait exclusivement de la compétence des cours supérieures provinciales.

[15]  Pour infirmer la décision de la Cour fédérale, le juge David Stratas, qui s’exprimait au nom de la Cour d’appel fédérale, a effectué une analyse approfondie de la compétence de la Cour fédérale en matière de brevets. Le juge a commencé son analyse en examinant l’article 52 de la Loi sur les brevets [12] , qui prévoit que « [l]a Cour fédérale est compétente […] pour ordonner que toute inscription dans les registres du Bureau des brevets concernant le titre à un brevet soit modifiée ou radiée ». Le juge Stratas a déclaré ce qui suit :

[traduction]

[8]  Le sens ordinaire des mots employés à l’article 52 de la Loi sur les brevets est clair. Le contexte et l’objet confirment ce sens ordinaire : la Cour fédérale est compétente pour modifier ou radier le titre à un brevet inscrit dans les registres du Bureau des brevets.

[9]  Mentionnons à titre d’élément contextuel important que l’article 52 de la Loi sur les brevets confère ce pouvoir à la Cour fédérale, et non au Bureau des brevets. L’on pourrait ainsi conjecturer qu’il s’agit d’un pouvoir judiciaire et non administratif. S’il s’agissait d’un pouvoir purement administratif — entériner un état de fait juridique tranché sur la base des faits et du droit en vigueur ailleurs —, le législateur l’aurait conféré au Bureau des brevets. Or, il l’a confié à la Cour fédérale.

[10]  Le pouvoir conféré en vertu de l’article 52 de la Loi sur les brevets est un pouvoir judiciaire pour trancher des questions de titre à un brevet. Cette détermination pourrait impliquer un certain nombre de choses, notamment l’interprétation de contrats et d’autres instruments commerciaux. Il est tout à fait approprié que ce pouvoir judiciaire ait été confié à la Cour fédérale et non au Bureau des brevets [13] . [Non souligné dans l’original.]

[16]  Sur la question précise de l’interprétation des contrats, le juge Stratas a explicitement dit ceci : [traduction] « Il arrive fréquemment que les Cours fédérales doivent interpréter des contrats pour trancher les questions dont elles sont saisies [14]  ». À titre d’exemples, il cite notamment l’interprétation de [traduction] « contrats et autres instruments commerciaux [15]  » intéressant des questions fiscales, de règlements à l’amiable, de contrats de prix de cession, de contrats de travail, de clauses arbitrales et de contrats de perception de droits d’auteur [16] [renvois omis].

[17]  Enfin, il est important de mentionner que le juge Stratas conclut sans ambiguïté cette analyse en ces termes :

[traduction] Les affaires de contrefaçon de brevet fournissent aussi de nombreux exemples. Ainsi, les défendeurs dans des actions en contrefaçon de brevet devant la Cour fédérale soutiennent parfois en défense que le demandeur n’est pas propriétaire du brevet. Cette question, fréquemment tranchée après interprétation des contrats et d’autres instruments, peut être examinée par la Cour fédérale dans les actions en contrefaçon de brevet […] [17] . [Non souligné dans l’original, renvois omis.]

[18]  En l’espèce, Secure Energy prétend être la propriétaire des brevets en litige, et c’est cet argument qu’elle soulève comme défense à l’action en contrefaçon. Elle sollicite donc une ordonnance en vue de faire corriger les registres du Bureau des brevets. Une telle demande est conforme à la conclusion du juge Stratas selon laquelle une décision sur la propriété des brevets nécessite l’interprétation de documents, qu’il s’agisse d’ententes, de contrats de travail ou autres.

[19]  Un avocat à l’esprit vif pourrait soutenir que les observations du juge Stratas sont incidentes étant donné qu’elles ne se rattachent pas directement à l’analyse relative à la Loi sur les brevets. Un tel avocat pourrait conclure pour ce motif que la question de la compétence de notre Cour en matière d’interprétation des contrats dans une affaire de contrefaçon de brevet n’a pas encore été réglée. J’estime toutefois qu’il s’agirait d’une exagération et d’une distinction sans importance. Intrinsèquement, il n’existe aucune différence entre l’interprétation de contrats aux fins de l’enregistrement d’un brevet ou de la détermination de la propriété d’un brevet dans une action en contrefaçon.

V.  RÉPARATION DEMANDÉE

[20]  Mud Engineering sollicite en vertu de l’article 64 des Règles un jugement déclaratoire portant que notre Cour est compétente. Je statuerai plutôt sur un point de droit conformément à l’article 220 des Règles. La décision prise à cet égard fera en sorte que la présente ordonnance ne sera pas considérée comme relative à un cas d’espèce, car la réponse à un point de droit a une portée plus large. Mud Engineering demande à la Cour de répondre à la question suivante dans le cadre de la présente requête (Question proposée) :

  • (i). [traduction] La Cour fédérale a‑t‑elle compétence pour statuer sur la demande de Secure Energy (Drilling Services) Inc. relative au titre des brevets canadiens nos 2,635,300 et 2,725,190 dans chacun des actes de procédure suivants : (i) défense à une allégation de contrefaçon de ces brevets et (ii) demande reconventionnelle visant à obtenir une déclaration de propriété et une ordonnance en vertu de l’article 52 de la Loi sur les brevets pour que soient modifiés les registres du Bureau des brevets de manière à désigner Secure Drilling Services comme la propriétaire des brevets, conformément à ce qui a été plaidé dans l’action relative au dossier T‑89‑18?

[21]  À mon avis, et pour les motifs exposés ci‑dessous, la réponse à la question est un oui non équivoque.

[22]  L’article 220 des Règles est libellé comme suit :

Décision préliminaire sur un point de droit ou d’admissibilité

220 (1) Une partie peut, par voie de requête présentée avant l’instruction, demander à la Cour de statuer sur :

a)  tout point de droit qui peut être pertinent dans l’action;

b)  tout point concernant l’admissibilité d’un document, d’une pièce ou de tout autre élément de preuve;

c)  les points litigieux que les parties ont exposés dans un mémoire spécial avant l’instruction de l’action ou en remplacement de celle-ci.

[23]  Pour présenter une telle requête, la partie doit s’assurer qu’un critère en trois volets est rempli. La Cour doit être convaincue que :

(a)  la question proposée est un pur point de droit et il est possible d’y répondre sans tirer de conclusion de fait;

(b)  la question en cause n’est pas théorique et sera « péremptoir[e] […] aux fins d’un point en litige »;

(c)  en recourant à cette procédure « exceptionnelle », la Cour est convaincue que des économies de temps et d’argent seront réalisées [18] .

[24]  En l’espèce, ces trois exigences ont été remplies. Premièrement, la question proposée touche directement une question importante, à savoir la compétence de notre Cour pour interpréter des contrats afin de se prononcer sur la propriété d’un brevet. Il ne s’agit pas d’une question théorique malgré le fait que l’arrêt Salt Canada y a répondu. Les actes de procédure en l’espèce soulèvent encore la question et on soutient que la détermination de la propriété échappe à la compétence de la Cour fédérale. Par exemple, Secure Energy fait valoir ce qui suit dans sa demande reconventionnelle :

[traduction] 37.  Secure Energy fonde ses allégations de propriété des brevets 300 et 190, exposées aux paragraphes 28‑44, sur la violation d’un contrat de travail et une appropriation illicite de renseignements confidentiels. Les demandes de réparation dans la demande reconventionnelle sont indépendantes et distinctes des moyens de défense avancés par Secure dans l’action et pourraient constituer des causes d’action indépendantes dans d’autres instances. Les allégations ne sont accessoires à aucune question relevant à bon droit de la compétence de la Cour fédérale.

[25]  La dernière phrase de l’acte de procédure de Secure Energy, à savoir [traduction« [l]es allégations ne sont accessoires à aucune question dont la Cour fédérale est dûment saisie », fait intervenir le critère en trois volets énoncé dans l’arrêt ITO-Int. Terminal Operators Ltd. v Miida Electronics Inc (ITO) [19] . L’arrêt ITO et la jurisprudence qui en découle autorisent la Cour fédérale à exercer sa compétence à l’égard de questions pour lesquelles elle n’est pas directement compétente en vertu de la loi, à condition que ces questions soient « accessoires » à des demandes relevant à bon droit de sa compétence. Secure Energy soutient que la Cour fédérale n’acquiert pas de compétence à l’égard de la propriété des brevets lorsque l’interprétation des contrats est une question accessoire à la contrefaçon des brevets. Il convient de noter que l’arrêt ITO n’a été ni analysé ni mentionné par le juge Stratas dans l’arrêt Salt Canada et ce, avec raison, puisqu’il n’était pas nécessaire d’analyser la compétence de la Cour fédérale à l’égard de la propriété des brevets sur le fondement de moyens accessoires étant donné que la compétence de la Cour est clairement énoncée à l’article 52 de la Loi sur les brevets [20] .

[26]  Si une requête en radiation de ce paragraphe de l’acte de procédure avait plutôt été présentée, il aurait encore fallu répondre à ce point de droit. Il ne s’agit donc pas d’une question théorique. Par ailleurs, la question de la compétence de la Cour fédérale est intégrée à la définition des [traduction] « Questions de responsabilité » de l’ordonnance de disjonction [21] rendue relativement à la présente affaire. Encore une fois, il faudrait répondre à la question proposée.

[27]  Deuxièmement, il n’est pas nécessaire de tirer des conclusions de fait pour répondre à la question de savoir si notre Cour possède la compétence nécessaire. Il s’agit d’un pur point de droit.

[28]  Troisièmement, il ne fait pas vraiment de doute dans mon esprit que le fait de répondre à la question proposée permettra de réaliser des économies d’argent, de ressources judiciaires et de temps. La remarque du juge Stratas reproduite avant l’exposé des présents motifs est très à‑propos. Il n’est pas nécessaire de tenir deux procès devant deux tribunaux différents sur des questions qui se chevauchent pour statuer sur les questions en litige. La Cour fédérale est compétente à l’égard de toutes les questions, si bien que l’action intentée en l’Alberta est redondante. Éviter cette redondance permet des économies d’argent et de temps pour les parties et de grandes économies de ressources judiciaires. En évitant une multiplicité d’instances se rapportant aux mêmes questions, on évite également le risque de conclusions et de décisions incohérentes.

[29]  Par ailleurs, comme j’ai conclu que notre Cour a compétence pour examiner et trancher la question préliminaire de la propriété des brevets en litige, les parties pourront réaliser d’importantes économies d’argent en recourant à une procédure sommaire pour trancher cette question si elles le souhaitent. Comme l’a noté Mud Engineering aux paragraphes 48 et 49 de ses observations écrites :

[traduction]

48.  D’ailleurs, une conclusion favorable à Mud Engineering devrait répondre à la plupart des allégations de Secure Energy qui figurent dans sa défense 35 sous le titre « Mud Engineering n’est pas propriétaire des brevets 300 et 190 » et répondrait totalement à la demande reconventionnelle dans laquelle Secure Energy soutient que Mud Engineering contrefait ses propres brevets et est par ailleurs responsable des infractions de propriété illégitime ou d’appropriation illicite de l’objet de ces brevets.

49.  D’un autre côté, une conclusion selon laquelle Secure Energy a des droits légitimes à l’égard des brevets de Mud Engineering constituerait probablement une défense pleine et entière aux allégations de contrefaçon avancées contre elle dans l’action T‑89‑18 et Secure Energy pourrait alors décider de donner suite ou non à sa demande reconventionnelle.

VI.  CONCLUSION

[30]  L’article 220 des Règles prévoit une procédure en deux étapes. Premièrement, la Cour décide si la question proposée doit être tranchée avant le procès. Deuxièmement, si une ordonnance est rendue en ce sens, la Cour peut tenir une deuxième audience pour statuer sur le point de droit. Cependant, les parties peuvent consentir à ce que les deux audiences soient combinées en une seule [22] . C’est ce qui était prévu en l’espèce.

[31]  En conséquence, la question proposée reçoit une réponse affirmative. Notre Cour est compétente pour trancher la question de la propriété des brevets en litige.

[32]  Compte tenu de la conclusion de la Cour relativement au point de droit, l’ordonnance de disjonction ainsi que les actes de procédure des parties doivent être modifiés conformément aux présents motifs.

[33]  Mud Engineering sollicite dans la présente requête des dépens de 1 500 $, montant que je trouve éminemment raisonnable.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

  1. La réponse à la question proposée est oui.

  2. Une conférence préparatoire sera convoquée pour finaliser les actes de procédure respectifs des parties conformément aux présents motifs.

  3. Mud Engineering a droit aux dépens relatifs à la présente requête, lesquels sont par les présentes fixés à 1 500 $ et payables sur‑le‑champ.

« Kevin R. Aalto »

Juge responsable de la gestion

de l’instance

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-89-18

INTITULÉ :

MUD ENGINEERING INC. c SECURE ENERGY SERVICES INC., ET SECURE ENERGY, (DRILLING SERVICES) INC. ET VICTOR HUNG

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE LA CONFÉRENCE :

LE 9 septembre 2020

ORDonnance ET MOTIFS :

Kevin R. Aalto, juge responsable de la gestion de l’instance

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

LE 12 novembre 2020

COMPARUTIONS :

Ryan T. Evans

pour la demanderesse/LES défendeUrs reconventionnels

Sharn K. Mashiana

Emilie Feil-Fraser

pour les défenderesseS/LA demanderesse reconventionnelle

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Smart & Biggar S.E.N.C.R.L.

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE/LES DÉFENDEURS RECONVENTIONNELS

Gowlings WLG (Canada) S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDEresses/LA DEMANDERESSE reconventionnelLE

 



[1] Le juge David Stratas de la Cour d’appel fédérale, Salt Canada Inc. c Baker, 2020 CAF 127 au para 38 (Salt Canada)

[2] LRC 1920, c 10 (2e supplément)

[3] LRC 1985, c F-7

[4] Ibid.

[5] Pour une analyse plus complète de la compétence de la Cour fédérale, voir Saunders, Rennie et Garton, Federal Courts Practice 2020, Thomson Reuters Canada Limited, 2019, aux p 1‑33

[6] Action no 1801-04988

[7] Mémoire en réponse de Secure Energy daté du 7 novembre 2019 dans ABQB no 1801-04988, ¶32-39 – Affidavit de Nathan Simpson, daté du 28 août 2020, pièce 6; MR, onglet B6

[8] Décision rendue de vive voix par la juge Ashcroft le 17 janvier 2020 dans ABQB no 1801-04988

[9] Ibid., p 6

[10] Ibid., p 7

[11] 2016 CF 830

[12] L.R.C. 1985, c. P-4

[13] Ibid., p 3

[14] Ibid., au para 15

[15] Ibid., au para 16

[16] Ibid., au para 17

[17] Ibid., au para 20

[18] Apotex Inc. c Pfizer Ireland Pharmaceuticals, 2012 CF 1301 au para 8; Perera c Canada, [1998] 3 CF 981 (CA)

[19] [1986] 1 RCS 752 à la p 766. Pour qu’il y ait compétence accessoire, il doit y avoir a) attribution de compétence par une loi; b) un ensemble de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du litige et qui constitue le fondement de l’attribution légale de compétence; et la loi invoquée dans l’affaire doit être « une loi du Canada » au sens où cette expression est employée à l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867.

[20] Ibid., note de bas de page 12

[21] Sous‑alinéa 1c)(iii) de l’ordonnance de disjonction datée du 20 mars 2019 (T-18-89 dossier no 41)

[22] Canadian Private Copying Collective c J & E Media Inc., 2010 CF 102

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