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Date : 20201110


Dossier : IMM-6496-19

Référence : 2020 CF 1048

Montréal (Québec), le 10 novembre 2020

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

DAMARIS ORNELAS RIZO

LUIS ERNESTO VALADEZ RIZO

YASLEEN DANELY VALADEZ ORNELAS

KORETTI ANELYZ VALADEZ ORNELAS

STACY MILAGROS VALADEZ ORNELAS

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], à l’encontre d’une décision du 2 octobre 2019 de la Section d’appel des réfugiés [SAR] confirmant une décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR], rendue le 5 janvier 2018, qui refusait la demande d’asile des demandeurs.

[2]  Les parties ont convenu que la Cour décide du mérite de la présente demande sur la base des mémoires écrits et du dossier du tribunal.

I.  Contexte

[3]  Le 28 décembre 2016, les demandeurs, un couple et leurs trois enfants, ont quitté le Mexique pour le Canada où ils ont demandé l’asile. La demanderesse principale craint des individus qui auraient kidnappé leur fille aînée en septembre 2012 et subséquemment libérée contre rançon, ainsi que des individus qui auraient tenté de kidnapper sa sœur cadette en octobre 2016, dans la ville de Leon, État de Guanajuato.

A.  Décision de la SPR

[4]  Les demandeurs n’ont soulevé aucun motif soulevant l’application de l’article 96 de la LIPR. L’État n’est impliqué d’aucune façon dans le préjudice appréhendé par les demandeurs : l’alinéa 97(1)a) de la LIPR, soit le risque d’être soumis à la torture, ne trouve donc pas application. Reste l’alinéa 97(1)b) de la LIPR. À ce chapitre, la SPR conclut que le risque allégué relève de la criminalité et constitue un risque généralisé. Au demeurant, la SPR n’est pas convaincue que les personnes ayant enlevé la fille aînée en septembre 2012 sont les mêmes qui ont tenté d’enlever la cadette en octobre 2016. Étant donné la différence de modus operandi et le long délai entre les deux évènements, la SPR conclut qu’il s’agit d’évènements isolés et aléatoires. De même, la SPR conclut qu’il n’y a pas eu d’évolution du risque encouru alors qu’aucun évènement n’a eu lieu entre le premier enlèvement et la deuxième tentative d’enlèvement, tandis que les demandeurs sont demeurés dans leur résidence entre octobre 2016 et décembre 2016.

B.  Décision de la SAR

[5]  Devant la SAR, les demandeurs ont présenté de nouveaux éléments de preuve, alléguant notamment ce qui suit :

  • a) Le 8 janvier 2018, la cousine de la demanderesse, qui habitait leur maison dans la ville de Silao, aurait été agressée par quatre individus se disant membres du Cartel Jalisco Nueva Generation [le Cartel], et disant être à la recherche de la demanderesse;

  • b) En février 2018, le Cartel aurait laissé, à leur domicile, une lettre de menace exigeant un montant d’argent et menaçant de tuer leur fille;

  • c) À la même époque, la mère du demandeur, propriétaire de la maison qu’habitaient les demandeurs, aurait mis la maison en vente et aurait reçu un appel de menaces de mort, exigeant que l’argent de la vente leur soit versé; et

  • d) La mère du demandeur aurait dénoncé cette situation à un journaliste qui aurait publié un article à ce sujet.

[6]  La SAR conclut que les nouveaux faits allégués et les nouveaux éléments de preuve ne sont pas crédibles et qu’il est invraisemblable que le Cartel ait pu être à leur recherche et qu’il s’en prendrait aux demandeurs s’ils devaient retourner au Mexique puisque:

  • a) Le délai entre les actions alléguées des criminels envers les demandeurs apparait inexplicable et invraisemblable : comment expliquer que le Cartel aurait attendu jusqu’au mois de janvier 2018 pour tenter de retracer les demandeurs en agressant la cousine de la demanderesse, alors qu’il serait à leurs trousses depuis 2016, voire même depuis 2012?;

  • b) En raison du même délai, il est invraisemblable que des criminels, membres ou non du Cartel, aient menacé la mère du demandeur lorsqu’elle tentait de vendre la maison;

  • c) Si les membres du Cartel sont vraiment à la trousse des demandeurs, il est invraisemblable que les membres du Cartel n’aient effectué aucune démarche, depuis février 2018, auprès des membres de la famille qui habite toujours Silao;

  • d) Il est invraisemblable que le Cartel soit soudainement intéressé par les demandeurs, en janvier 2018, alors qu’il ne les aurait jamais ciblés dans le passé; et

  • e) Il est invraisemblable que le Cartel soit intéressé par les demandeurs qui ne sont pas fortunés et qui ne sont pas impliqués dans des activités criminelles reliées au Cartel, tel le trafic de drogue.

[7]  Quant aux nouveaux documents, la SAR considère qu’ils sont non crédibles pour corroborer les nouvelles allégations. L’article de journal mexicain aurait été écrit à la demande de la mère du demandeur. Quant aux lettres de la mère et de la cousine, la SAR conclut qu’elles ne font que reprendre des allégations jugées non crédibles et sont de sources non-officielles et inconnues du tribunal. La SAR n’accorde également aucune valeur aux photos d’une lettre de menace. Quant aux autres documents, ceux-ci ne corroborent pas la version des demandeurs.

II.  Analyse

[8]  Lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, cette Cour doit d’abord examiner les motifs donnés avec une attention respectueuse et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à une conclusion. Ce que doit faire le décideur pour justifier sa décision dépend du contexte dans lequel la décision est rendue. La décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente, rationnelle et justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti. En bref, il incombe au décideur d’apprécier et d’évaluer la preuve qui lui est soumise. À moins de circonstances exceptionnelles, cette Cour ne doit pas modifier ses conclusions de fait (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 125 [Vavilov]). Ceci étant dit, « le caractère raisonnable d’une décision peut être compromis si le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte » (Vavilov au para 126).

[9]  Essentiellement, les demandeurs contestent les conclusions et inférences suivantes du tribunal :

  • a) Le délai entre la tentative d’enlèvement de 2016 et les évènements de janvier 2018 n’a rien d’invraisemblable. Étant donné que les évènements de 2012 et 2016 n’ont pas eu lieu à leur domicile, les demandeurs soutiennent que les membres du Cartel ne connaissaient pas leur adresse et qu’en considérant la grande population du Mexique, il est normal que ceux-ci aient pris un certain temps avant de les localiser;

  • b) La SAR ne pouvait conclure qu’aucun évènement n’a eu lieu depuis février 2018 puisque la demanderesse n’a plus de contact avec ses frères et sœurs. Conséquemment, les demandeurs ne savent tout simplement pas si un autre évènement a eu lieu;

  • c) La SAR a déraisonnablement conclu qu’il était invraisemblable que les demandeurs soient visés par le Cartel parce que ses activités dépassent le trafic de drogue à grande échelle et incluent l’extorsion et les enlèvements. Les demandeurs ayant vécu aux États-Unis et ayant toujours de la famille là-bas sont plus à risque d’être visés; et

  • d) La conclusion de non-crédibilité de la SAR quant aux nouveaux documents déposés en preuve est révisable. Le journaliste n’a pas mentionné directement le nom du Cartel parce qu’il aurait pris un risque important en agissant autrement. De même, la SAR aurait dû accepter la version de la mère du demandeur indiquant qu’elle a contacté le journaliste parce que la police ne souhaitait pas inscrire sa plainte. La SAR aurait dû accepter les lettres de la mère et la cousine des demandeurs, celles-ci étant signées et datées et leur provenance étant avérée. Finalement, les demandeurs soutiennent que la SAR aurait dû trouver crédibles les photos d’une lettre de menace puisqu’il était déraisonnable d’exiger que la lettre soit datée et signée, ou que sa source puisse être confirmée.

[10]  Il n’y a pas lieu d’intervenir en l’espèce. La Cour endosse les motifs de rejet formulés dans le mémoire écrit du défendeur. Les demandeurs nous demandent essentiellement de refaire l’analyse de la preuve au dossier. Au risque de nous répéter, le rôle de cette Cour n’est pas de substituer sa propre vision des faits à celle de la SAR. Dans le cas sous étude, cette Cour ne trouve aucune erreur révisable dans le raisonnement de la SAR, tandis que la conclusion de rejet s’appuie sur la preuve et n’est pas déraisonnable.

[11]  En l’espèce, il n’est pas déraisonnable de conclure que deux évènements à quatre ans d’intervalle ne sont pas reliés. Cela est d’autant plus vrai que les demandeurs n’ont jamais déménagé, que les enfants ont toujours fréquenté la même école et que les demandeurs opéraient un dépanneur ouvert au public. Rappelons que le Cartel est une organisation criminelle aux ressources importantes, qui aurait pu les retrouver bien avant. S’il est également vrai que les activités du Cartel dépassent le simple cadre du trafic de drogue, la SAR pouvait douter qu’elle soit intéressée par les demandeurs qui ne sont pas particulièrement fortunés. Quant à la nouvelle preuve documentaire, la SAR pouvait également la considérer non crédible ou non concluante. Les lettres de la mère et de la cousine ne font que réaffirmer les allégations des demandeurs. Quant à l’article de journal, il n’était pas déraisonnable de ne pas le considérer crédible étant donné la source de l’article qui ne fait essentiellement que répéter les allégations de la mère des demandeurs. Finalement, contrairement à ce que prétend les demandeurs, la SAR n’a pas écarté la lettre de menace à cause de l’absence de signature ou de date, mais plutôt parce qu’elle n’est pas crédible, étant donné le contexte de la demande; il s’agissait également d’une conclusion raisonnable, ouverte à la SAR.

III.  Conclusion

[12]  Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question grave de portée générale ne se soulève en l’espèce.

 


JUGEMENT au dossier IMM-6496-19

LA COUR STATUE ET ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6496-19

 

INTITULÉ :

DAMARIS ORNELAS RIZO, LUIS ERNESTO VALADEZ RIZO, YASLEEN DANELY VALADEZ ORNELAS, KORETTI ANELYZ VALADEZ ORNELAS, STACY MILAGROS VALADEZ ORNELAS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AFFAIRE décidée sur la base des mémoires écrits et du dossier du tribunal

 

 

 

JUGEMENT ET motifs :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

LE 10 novembre 2020

 

COMPARUTIONS :

Me Manuel Centurion

 

Pour leS demandeurS

Me Barbara Boily

Me Andréa Shahin

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Manuel Centurion, avocat

Montréal (Québec)

 

Pour leS demandeurS

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

 

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