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Date : 20050804

Dossier : T-1476-04

Référence : 2005 CF 1068

Vancouver (Colombie-Britannique), le jeudi 4 août 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL

ENTRE :

                                                           ROGER ELLINGSON

                                                                                                                                          demandeur

                                                                          - et -

                                          LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La présente demande de contrôle judiciaire a trait à une décision rendue en date du 20 juillet 2004, par laquelle un fonctionnaire autorisé de l'Agence des douanes et du revenu du Canada (l'ADRC) a exigé du demandeur, en application de l'alinéa 231.2(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1 (la Loi), qu'il fournisse ses déclarations de revenu signées pour les années 1999 à 2003, qu'il n'avait pas produites précédemment, ainsi que des états signés de ses actif, passif et dépenses personnelles pour les mêmes années (la demande péremptoire). La disposition sur laquelle le fonctionnaire s'est appuyé prévoit ce qui suit :



Production de documents ou fourniture de renseignements

231.2. (1) Malgré les autres dispositions de la présente loi, le ministre peut, sous réserve du paragraphe (2) et, pour l'application et l'exécution de la présente loi, y compris la perception d'un montant payable par une personne en vertu de la présente loi, par avis signifié à personne ou envoyé par courrier recommandé ou certifié, exiger d'une personne, dans le délai raisonnable que précise l'avis :

Requirement to provide documents or information

231.2. (1) Notwithstanding any other provision of this Act, the Minister may, subject to subsection (2), for any purpose related to the administration or enforcement of this Act, including the collection of any amount payable under this Act by any person, by notice served personally or by registered or certified mail, require that any person provide, within such reasonable time as is stipulated in the notice,

a) qu'elle fournisse tout renseignement ou tout renseignement supplémentaire, y compris une déclaration de revenu ou une déclaration supplémentaire;

(a) any information or additional information, including a return of income or a supplementary return;


[2]                La demande péremptoire a été envoyée sur l'avis d'un vérificateur de l'ADRC (le vérificateur) lorsque ce dernier a été mis au courant des prétendues activités criminelles du demandeur. Aussi, on considérera en l'espèce que la demande péremptoire a été envoyée par le vérificateur.


[3]                En janvier 2004, le demandeur a été accusé de différentes infractions en Californie relativement à une opération d'importation et de distribution de drogue illicite et au blanchiment des produits de cette opération entre juin 2000 et mars 2004 environ. L'acte d'accusation du grand jury a été ouvert le 1er avril 2004 (Dossier de demande du demandeur (DD), aux pages 18 à 27) et un communiqué de presse mentionnant le nom du demandeur a été diffusé le lendemain par le procureur général des États-Unis du district du sud de la Californie (DD, aux pages 28 à 32). La semaine suivante, deux journaux de la Colombie-Britannique, The Province à Vancouver (DD, aux pages 33 et 34) et The Herald à Penticton (DD, aux pages 35 et 36), ont parlé des accusations en matière de drogue portées contre le demandeur. La demande péremptoire a été envoyée trois mois plus tard.

[4]                Le demandeur refuse de répondre à la demande péremptoire parce que, dans les circonstances, le vérificateur a outrepassé sa compétence en la lui envoyant. Les parties conviennent que c'est la décision correcte qui s'applique comme norme de contrôle à la décision d'envoyer la demande péremptoire.


[5]                La question de la compétence découle de l'arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire R. c. Jarvis, [2002] 3 R.C.S. 757. Cet arrêt étaie des propositions de droit concernant la protection contre l'auto-incrimination; un contribuable est tenu de se conformer à une demande péremptoire lorsque l' « objet prédominant » (l'objet) de celle-ci est de déterminer l'obligation fiscale du contribuable. Par contre, une demande péremptoire ne doit pas être utilisée aux fins d'une enquête sur la responsabilité pénale. Par conséquent, lorsque l'objet n'est plus la détermination de l'obligation fiscale mais l'établissement de la responsabilité pénale en vertu de la Loi, le contribuable n'est pas tenu de répondre à la demande péremptoire. Il en est évidemment de même si l'objet initialement visé était l'établissement de la responsabilité pénale. En ce qui concerne l'utilisation de la preuve obtenue grâce à une demande péremptoire, si cette preuve a été obtenue avant le début d'une enquête sur la responsabilité pénale, elle est admissible et peut être utilisée dans le cadre de cette enquête et de la poursuite éventuelle, mais tout renseignement obtenu une fois l'enquête sur la responsabilité pénale commencée ne sera admissible que si les droits du contribuable sont protégés par la Charte.

[6]                Les parties conviennent que la seule question sur laquelle la Cour doit se prononcer en l'espèce est la suivante : une enquête sur la responsabilité pénale était-elle en cours lorsque le vérificateur a décidé d'envoyer la demande péremptoire? Elles reconnaissent que, si la réponse à cette question est affirmative, le vérificateur a outrepassé sa compétence selon l'arrêt Jarvis.

[7]                La norme de preuve qui s'applique à cette question n'est pas rigoureuse. Certains facteurs qui doivent être pris en compte pour déterminer l'objet sont proposés dans l'arrêt Jarvis, le premier étant formulé ainsi : « Semble-t-il, au vu du dossier, que l'on aurait pu prendre la décision de procéder à une enquête criminelle? » La Cour d'appel fédérale a statué que ce critère « est libellé en des termes indiquant une simple possibilité par opposition à une probabilité » (le juge Létourneau dans l'arrêt Kligman c. Canada (Ministre du Revenu national - M.R.N.), [2004] A.C.F. no 639, au paragraphe 31).

[8]                En l'espèce, il faut, pour répondre à la question, analyser les éléments de preuve relatifs, d'une part, à la compréhension du vérificateur et à son intention lorsqu'il a envoyé la demande péremptoire telles qu'il les a décrites et, d'autre part, à l'obligation et à l'intention de l'organisation au sein de laquelle il travaillait.


A. La preuve

[9]                Les parties reconnaissent que l'ensemble de la preuve relative à l'envoi de la demande péremptoire doit être pris en compte pour déterminer l'objet de cette demande. Ainsi, l'opinion du vérificateur sur l'objet n'est pas déterminante; l'objet doit être déterminé au moyen d'une analyse « objective » de toute la preuve (voir la décision Capital Vision c. Canada (Ministre du Revenu national - M.R.N.), [2002] A.C.F. no 1797 (C.F. 1re inst.)).

1. La compréhension et l'intention du vérificateur

[10]            La preuve du vérificateur est exposée dans l'affidavit qu'il a déposé en l'espèce :

[TRADUCTION]

1.              Je suis un vérificateur du Programme spécial d'exécution (le PSE) de la Division des enquêtes du bureau des services fiscaux de l'intérieur méridional de la Colombie-Britannique (le BSFIM) de l'Agence des douanes et du revenu du Canada (l'ADRC).

2.              J'ai effectué une recherche minutieuse dans les dossiers de l'ADRC et j'ai fait les autres recherches nécessaires avant de rédiger le présent affidavit.

3.              J'ai une connaissance personnelle des faits et des questions traités dans le présent affidavit, sauf lorsqu'il est indiqué que ceux-ci sont basés sur des renseignements que j'ai obtenus, et je les crois vrais.

4.              J'effectue actuellement la vérification du demandeur. J'ai examiné les dossiers avec soin et le présent affidavit est basé sur les renseignements contenus dans le dossier ainsi que sur ce que je sais.

5.              Je suis vérificateur du PSE du BSFIM depuis décembre 2001. Auparavant, j'ai travaillé comme vérificateur à la Division de la validation et de l'exécution du BSFIM.


6.              Le PSE est un service de vérification distinct au sein de la Division des enquêtes. De la même manière que le service responsable de la vérification des entreprises s'occupe de la vérification des entreprises légales, le PSE effectue la vérification de contribuables soupçonnés d'avoir tiré un revenu d'activités illégales. Il ne mène pas d'enquêtes. Lorsqu'on découvre, au cours d'une vérification du PSE, qu'une infraction a peut-être été commise, le dossier est transféré à un enquêteur de la Division des enquêtes.

7.              Mes fonctions au sein du PSE consistent à recueillir les renseignements nécessaires pour déterminer si une vérification devrait être effectuée et à procéder à la vérification de contribuables n'ayant pas produit de déclarations de revenu qui sont soupçonnés d'avoir tiré un revenu d'activités illégales. À titre de membre du PSE, je ne mène pas d'enquêtes criminelles.

8.              Depuis décembre 2001, j'ai effectué plusieurs douzaines de vérifications. Je n'ai jamais transféré l'un de mes dossiers à un enquêteur de la Division des enquêtes. Mes vérifications se sont toujours soldées soit par l'établissement d'une cotisation soit par la prise d'aucune mesure.

9.              Le 16 avril 2004 ou vers cette date, la Division des enquêtes du BSFIM a reçu une copie d'un Formulaire de renseignements sur les transactions financières douteuses (le Formulaire) qui avait été transmis par la Banque HSBC au CANAFE, lequel formulaire décrivait de façon détaillée un dépôt de 5 000 $ en billets de 20 $ effectué dans le compte du demandeur. L'annexe A du présent affidavit est une copie du Formulaire.

10.            Le Formulaire a été transmis au PSE de l'ADRC par la Section des produits de la criminalité de la GRC. Il avait été initialement reçu par [JL], la personne chargée des liaisons entre l'ADRC et cette section.

11.            Le Formulaire a ensuite été transmis à [DW], un enquêteur du PSE de la Division des enquêtes de l'ADRC. Le bureau de [DW] se trouve également dans les locaux du BSFIM.

12.            [DW] a retracé un article publié dans le Penticton Herald du 7 avril 2004 (l'article). L'article constitue l'annexe D de l'affidavit de [DW] souscrit le 1er septembre 2004 et déposé en l'espèce.

13.            [DW] a alors effectué une recherche appelée « Option I » dans la base de données électronique de l'ADRC afin de savoir quelles déclarations de revenu le demandeur avait produites. L'annexe B du présent affidavit est une copie de l'imprimé des résultats de cette recherche (l'imprimé).

14.            L'imprimé montre que le demandeur n'a pas produit de déclaration de revenu pour les années 1997 à 2003.

15.            Après que [DW] a déterminé que le demandeur avait omis de produire certaines déclarations de revenu, le Formulaire, l'article et l'imprimé m'ont été transmis pour que j'y donne suite.


16.            Si rien n'avait permis de soupçonner que le revenu du demandeur pouvait provenir d'activités illégales, son dossier aurait été transmis au Service des non-déclarants/non-inscrits de la Division du recouvrement des recettes de l'ADRC.

17.            Le 20 juillet 2004, j'ai envoyé une lettre datée du même jour (la demande péremptoire) au demandeur.

18.            L'envoi de cette demande péremptoire est la seule mesure que j'ai prise jusqu'à maintenant à l'égard du demandeur.

19.            La demande péremptoire renfermait les exigences habituelles dans les cas où le contribuable n'a pas produit de déclaration de revenu et où nous possédons aucun ou très peu de renseignements sur sa situation financière :

a)              comme le demandeur a omis de produire certaines déclarations de revenu, la demande péremptoire exigeait, au paragraphe (A), qu'il produise une déclaration de revenu, que je pourrais ensuite examiner et vérifier;

b)              comme, selon mon expérience, un grand nombre de vérifications de ce genre ne permettent pas d'obtenir des renseignements suffisants concernant les sources de revenu mais se soldent plutôt par l'établissement de cotisations basées sur la valeur nette, les paragraphes (B) et (C) visaient à obtenir les renseignements nécessaires pour déterminer si une évaluation de la valeur nette était justifiée et, le cas échéant, cette valeur.

20.            Le défendeur a envoyé la demande péremptoire au demandeur aux fins de l'administration et de l'application de la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi) et non aux fins d'une enquête criminelle visant le demandeur.

21.            Le demandeur ne fait l'objet d'aucune enquête criminelle.

22.            La vérification dont le demandeur fait actuellement l'objet a pour but de déterminer son obligation fiscale.

23.            Avant de voir l'affidavit souscrit par [DW] le 1er septembre 2004, je n'avais jamais vu les annexes A, B et C qui y sont jointes.

24.            Je fais le présent affidavit en opposition à une demande présentée par le demandeur afin d'obtenir une ordonnance annulant la demande péremptoire.


[11]            Ainsi, lorsque la demande péremptoire a été envoyée, le vérificateur n'était pas au courant de la décision du grand jury ou du communiqué de presse du procureur général. Il en savait cependant plus au sujet de la conduite suspecte que ce qu'il déclare expressément dans son affidavit. Il est indiqué ce qui suit dans la section intitulée « Activités douteuses » du Formulaire :

(FRTFD 9584804) Activités douteuses*

Le client s'est présenté à la Banque HSBC avec une somme de 5 000 $ en billets de 20 $ afin de rembourser une partie de deux prêts-autos. Le RSC a remarqué que l'argent avait l'odeur particulière de la marijuana. Un examen plus approfondi des prêts a révélé que le client faisait constamment des versements en argent comptant pour les rembourser.

Prêts

no 1 : consenti le 30 août 2002, montant original : 50 084,00 $, solde actuel : 23 799,73 $; le client a remboursé plus de 25 000 $ en 15 mois;

no 2 : consenti le 10 juin 2003, montant original : 19 218,00 $, solde actuel : 7 769,42 $; le client a remboursé plus de 10 000 $ en six mois.

Il n'est certainement pas difficile de comprendre pourquoi le PSE s'intéressait au demandeur et le soupçonnait d'avoir tiré un revenu d'activités illégales.

[12]            Quoi qu'il en soit, l'avocat du demandeur a reconnu, au cours de l'audition de la demande, que le vérificateur croyait honnêtement que la demande péremptoire était envoyée à des fins fiscales seulement et qu'il avait l'intention qu'il en soit ainsi.

[13]            L'avocat du défendeur soutient que la preuve du vérificateur montre de manière concluante que la demande péremptoire avait trait à l'obligation fiscale du demandeur :

[TRADUCTION]


29. Le demandeur ne peut que supposer que la demande péremptoire lui a été envoyée aux fins d'une enquête criminelle dont il aurait été l'objet (pour des infractions en matière fiscale ou autres). Il ressort de manière non équivoque de la preuve du vérificateur que la demande péremptoire n'avait trait qu'à une vérification, ce qui est tout à fait logique compte tenu de l'absence de communication entre l'ADRC et les autorités américaines responsables du dépôt des accusations, du fait que l'ADRC ne disposait d'aucun document à la date de la demande péremptoire et des renseignements très préliminaires exigés dans celle-ci.

30. Il ne fait aucun doute que l'ADRC en est aux toutes premières étapes de son examen (pour employer un terme neutre) des affaires fiscales du demandeur. La CSC a reconnu le problème qu'il peut y avoir à stopper le travail de l'ADRC si tôt dans une enquête dans l'arrêt Jarvis, au paragr. 90 :

90. On peut encore moins retenir comme critère le simple soupçon qu'une infraction a été commise. Au cours de sa vérification, le vérificateur peut soupçonner toutes sortes de conduites répréhensibles, mais on ne peut certainement pas affirmer qu'une enquête est enclenchée dès l'apparition d'un soupçon. Sur le fondement de quels éléments de preuve un enquêteur pourrait-il obtenir un mandat de perquisition si un vague soupçon était suffisant pour bloquer le processus de vérification qui permet d'établir les faits? L'intérêt qu'a l'État à poursuivre ceux qui éludent volontairement le paiement d'un impôt revêt une grande importance, et nous devons nous garder de neutraliser la capacité de l'État d'enquêter et de recueillir des éléments de preuve de la perpétration de ces infractions.

31. Comme le fait de contrecarrer une poursuite criminelle, interdire au ministre d'utiliser ses pouvoirs en matière de demande péremptoire pour obtenir le genre de renseignements très préliminaires exigés dans la demande péremptoire pourrait empêcher que les affaires fiscales du demandeur soient examinées parce qu'il est loin d'être certain que le ministre pourrait satisfaire aux exigences préalables à l'obtention d'un mandat de perquisition vu le peu de renseignements dont il dispose.

(Mémoire du défendeur, aux paragraphes 29 à 31)

[14]            Se fondant sur l'affidavit du vérificateur, l'avocat du défendeur prétend également que le rôle du PSE est d'effectuer des vérifications et non des enquêtes criminelles. Aussi, le fait que le vérificateur disposait de renseignements insuffisants et que des renseignements préliminaires ont été demandés montre qu'il tentait d'obtenir des renseignements afin de déterminer si une vérification devait être entreprise.

[15]            L'avocat du demandeur soutient qu'en fait, ce n'est pas la conviction et l'intention du vérificateur dont il faut tenir compte pour connaître le véritable objet de la demande péremptoire, mais plutôt l'obligation et l'intention de l'organisation pour laquelle celui-ci travaillait.


2. L'obligation et l'intention de l'organisation

[16]            L'avocat du demandeur soutient que l'objet de la demande péremptoire est prouvé par la nature du cadre institutionnel dans lequel elle a été envoyée. Selon lui, peu importe la conviction et l'intention personnelles du vérificateur, l'obligation et l'intention de l'organisation au sein de laquelle il travaillait étaient, depuis le début, de mener une enquête dans le but de déterminer la responsabilité pénale du demandeur.

[17]            Le vérificateur a envoyé la demande péremptoire en qualité d'employé du PSE, un programme faisant partie de la Division des enquêtes spéciales (la DES) de l'ADRC, conformément au Manuel des opérations de l'impôt de 1992 et à un accord de travail (l'accord) (DD, aux pages 136 à 144) conclu en 1992 entre la Gendarmerie royale du Canada (la GRC) et le prédécesseur de l'ADRC. Cet accord prévoit ce qui suit au sujet du PSE :

[TRADUCTION] Les diverses activités effectuées en vertu du présent accord porteront le nom de « Programme fiscal » pour la GRC et de « Programme spécial d'exécution » pour le RCI.

Les parties reconnaissent que leur objectif général est le suivant :

« Afin de s'attaquer plus efficacement à l'accumulation de sommes illicites non déclarées par le crime organisé, de rendre plus efficace l'application du droit pénal et, ainsi, d'ébranler le plus possible le crime organisé, de mettre fin à l'infiltration d'éléments criminels dans les entreprises légitimes et de réduire les activités du crime organisé, le RCI et la GRC conviennent d'unir leurs efforts afin de lutter contre le crime organisé par l'application de la Loi de l'impôt sur le revenu. »

[Non souligné dans l'original]

(DD, à la page 136)


[18]            L'avocat du demandeur qualifie le PSE de [traduction] « programme d'enquêtes quasi criminelles » et soutient que [traduction] « les membres du PSE participent directement ou indirectement (en qualité d'agents de la GRC ou d'agents ou d'autres représentants de la Division des enquêtes spéciales) aux enquêtes criminelles » (Mémoire du demandeur, au paragraphe 33).

[19]            L'avocat du demandeur s'appuie à cet égard sur la décision R. c. Harris, [1995] B.C.J. no 1467. La personne en cause dans cette affaire était accusée de ne pas s'être conformée au même type de demande péremptoire que celle qui a été envoyée au demandeur en l'espèce. Le juge Oliver, de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, a confirmé la suspension des procédures et a dit ce qui suit au sujet du fonctionnement du PSE :

[TRADUCTION]

9. Il est admis que M. Anderson a signifié les demandes péremptoires à M. Harris, en vertu du paragraphe 231.2(1), en sa qualité de fonctionnaire se conformant aux buts et aux objectifs du Programme. Il est clair que l'on ne peut pas dire en l'espèce que la Loi de l'impôt sur le revenu, qui a été utilisée avec « l'assistance et le soutien du ministère du Solliciteur général, représenté par la GRC » , l'a été à des fins exclusivement réglementaires ou administratives. La première étape, pour M. Anderson, consiste à identifier les personnes qui tirent un revenu d'activités illégales et de déterminer leur position dans la communauté criminelle. L'appelant aimerait que la Cour ne tienne pas compte de la relation de travail étroite qui existe entre le ministère du Revenu national et la GRC dans le cadre du Programme spécial d'exécution. Je ne suis toutefois pas disposé à le faire. Ce n'est pas seulement le rôle de la Loi de l'impôt sur le revenu qui doit être pris en compte ici (comme c'était le cas dans McKinlay), mais c'est le rôle de la Loi de l'impôt sur le revenu combiné au Programme spécial d'exécution dont il faut tenir compte. Je suis d'accord avec l'instance inférieure qui a considéré que la présente affaire était différente de McKinlay et que, en l'espèce, les procédures et les méthodes qui ont été suivies font ressortir un rôle en matière criminelle ou quasi criminelle.

[Non souligné dans l'original]


[20]            L'avocat du défendeur ne conteste pas que, au moment de l'envoi de la demande péremptoire, l'accord était toujours en vigueur. Il fait toutefois valoir que son application a changé de manière significative :

[TRADUCTION]

36. Le demandeur a cependant omis de faire référence à un document publié en 2002 par l'ADRC (dossier de demande du demandeur, aux pages 149 à 163) qui traite spécifiquement du Programme spécial d'exécution. Le tout premier paragraphe de ce document jette un doute sur la pertinence du document précédent et de la décision R. c. Harris, [1993] B.C.J. no 3140 (C. prov. C.-B.), conf. par [1995] B.C.J. no 1467 (C.S. C.-B.), en indiquant : « Ce programme [le PSE] a évolué avec le temps et il est passé graduellement, en majeure partie, du secteur criminel à celui de procédure au civil. » Peu importe la situation en 1992, en 1993 ou en 1995, le Programme avait clairement changé en 2002 et il portait surtout sur les vérifications de nature civile et non plus sur les enquêtes criminelles. Il semble que la situation ait de nouveau changé depuis 2002 puisque, selon la preuve [du vérificateur], le PSE effectue actuellement uniquement des vérifications et non plus des enquêtes criminelles.

37. Ce changement est compréhensible vu les arrêts rendus par la Cour suprême du Canada dans les affaires Jarvis et Ling, le 21 novembre 2002. Il serait un peu naïf de prétendre, après ces arrêts qui ne laissent planer aucun doute, que l'ADRC a maintenu en place un programme complet permettant que les pouvoirs en matière de demande péremptoire soient utilisés aux fins d'enquêtes criminelles.

(Mémoire du défendeur, aux paragraphes 36 et 37)

Le défendeur fait également référence aux passages suivants des lignes directrices opérationnelles de 2002 sur le PSE au soutien de sa thèse :

[TRADUCTION]

39. La section 20.4 (dossier de demande du demandeur, à la page 154) traite précisément des vérifications effectuées par le Programme spécial d'exécution. L'article 20.4.1 énonce l'objectif de ces vérifications :

Les vérifications relatives au PSE ont pour but de déterminer de façon aussi précise que possible les impôts, droits ou tarif, intérêts et pénalités exigibles en vertu de la Loi, par les personnes ayant tiré un revenu d'activités illégales et de repérer les indices de fraude fiscale. Les vérifications PSE servent également à déterminer les mouvements de fonds dans le but d'identifier les personnes à la tête de certaines organisations criminelles précises.


40. Le paragraphe 20.4.2(2) (dossier de demande du demandeur, à la page 160) indiquait comment les vérifications se terminaient :

Les vérifications seront terminées au moment de l'émission des cotisations et des pénalités pertinentes, sauf dans les cas où l'on aura relevé des indices de fraude fiscale; ceux-ci seront renvoyés aux fins d'enquête à l'aide du formulaireT134. [Non souligné dans l'original]

(Mémoire du défendeur, aux paragraphes 39 et 40)

[21]            L'avocat du demandeur répond qu'en réalité, aucune déclaration intéressée figurant dans les lignes directrices de 2002 ne peut rien changer au fait que l'accord et les mesures prises sous son régime ont tous trait à des poursuites. Aussi, malgré l'objectif énoncé dans les lignes directrices de 2002, selon lequel « [l]es vérifications relatives au PSE ont pour but de déterminer de façon aussi précise que possible les impôts, droits ou tarif, intérêts et pénalités exigibles en vertu de la Loi, par les personnes ayant tiré un revenu d'activités illégales » , ces vérifications ont en fait pour but, par le jeu de l'accord, de déterminer la responsabilité pénale.

B. La conclusion sur la preuve

[22]            Je souscris aux arguments du demandeur. Je considère en particulier que les commentaires formulés par le juge Oliver dans la décision Harris s'appliquent à la demande péremptoire envoyée en l'espèce.


[23]            À mon avis, l'accord est l'élément de preuve le plus important qui permet de conclure que l'objet visé par la demande péremptoire était de mener une enquête sur la responsabilité pénale du demandeur. L'accord prouve de manière convaincante que c'était là l'obligation et l'intention de l'ADRC. L'un des objectifs de l'accord est [traduction] « de mettre fin à l'infiltration d'éléments criminels dans les entreprises légitimes et de réduire les activités du crime organisé » . Il prévoit en outre que la GRC et l'ADRC conviennent « d'unir leurs efforts afin de lutter contre le crime organisé par l'application de la Loi de l'impôt sur le revenu » . À mon avis, il est difficile de comprendre comment la GRC et l'ADRC peuvent réduire les activités du crime organisé et mettre fin à l'infiltration de celui-ci au moyen de mesures d' « application » autrement qu'en concertant rapidement leurs efforts en matière d'enquête afin que des sanctions pénales soient imposées au bout du compte.

[24]            Au cours des plaidoiries, j'ai demandé s'il est certain que la réponse que le demandeur pourrait donner à la demande péremptoire serait envoyée immédiatement à la GRC. Cette question n'a pas été débattue. L'ADRC doit agir de concert avec la GRC selon l'accord et l'intention de la GRC ne fait aucun doute : l'imposition de sanctions pénales aux personnes ayant commis des actes répréhensibles. De ce fait, je ne peux conclure que l'ADRC, l'autre partie liée par l'accord, recueille des renseignements dont les deux parties à l'accord peuvent se servir dans un autre but que celui d'imposer des sanctions pénales en matière fiscale.


[25]            Je n'accorde aucun poids à la preuve selon laquelle il existe au sein du PSE une division administrative entre les fonctions en matière de « vérification » et celles en matière d' « enquête » . À mon avis, un examen objectif de l'ensemble de la preuve révèle que le PSE consacre toutes ses activités aux enquêtes sur la responsabilité pénale, dans le cadre desquelles différentes personnes exécutent différentes fonctions. À cet égard, j'estime que l'envoi de la demande péremptoire par le vérificateur constitue en réalité une étape préliminaire en vue de la tenue d'une enquête.

[26]            En outre, je ne pense pas que les déclarations figurant dans les lignes directrices de 2002, selon lesquelles le PSE « a évolué avec le temps et est passé graduellement, en majeure partie, du secteur criminel à celui de procédure au civil » , constituent une preuve de l'objet de la demande péremptoire. Il se pourrait très bien qu'une « procédure au civil » soit finalement utilisée dans de nombreux cas, mais cela ne signifie pas que l'obligation et l'intention initiales n'ont pas trait à l'imposition de sanctions pénales.

[27]            Comme il est indiqué au paragraphe 6 ci-dessus, la Cour doit décider si une enquête sur la responsabilité pénale était en cours lorsque le vérificateur a décidé d'envoyer la demande péremptoire. À mon avis, il faut répondre à cette question par l'affirmative.

[28]            Par conséquent, j'estime que le vérificateur a outrepassé sa compétence en envoyant la demande péremptoire.


                                        ORDONNANCE

Par conséquent, j'annule la demande péremptoire.

J'accorde les dépens au demandeur.

                                                                      _ Douglas R. Campbell _                     

                                                                                                     Juge                                      

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                             T-1476-04

INTITULÉ :                                                            ROGER ELLINGSON

c.

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :                                    LE 2 AOÛT 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                            LE JUGE CAMPBELL

DATE DES MOTIFS :                                           LE 4 AOÛT 2005

COMPARUTIONS :

Steve Cook                                                               POUR LE DEMANDEUR

Robert Carvalho                                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Thorsteinssons LLP                                                   POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.                                                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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