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Date : 20050224

Dossier : IMM-10401-03

Référence : 2005 CF 276

Ottawa (Ontario), le 24 février 2005

EN PRÉSENCE DU JUGE EN CHEF

ENTRE :

                                                                 ISHAK KARLI

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Le demandeur, un citoyen de la Turquie âgé de 41 ans, prétend avoir été victime toute sa vie d'actes discriminatoires graves dans son pays parce qu'il est de religion alevie et d'origine ethnique laze. De plus, sa famille aurait été impliquée dans une vendetta avec Ahmet Bektas, un homme d'affaires local puissant. En 1987, le frère du demandeur a été déclaré coupable d'avoir tué le frère de M. Bektas au cours d'une bagarre. En 1993, le demandeur s'est marié malgré la vive opposition manifestée par M. Bektas, lequel convoitait sa future épouse. Le demandeur soutient que M. Bektas l'a lui-même menacé de mort à plusieurs reprises ou a chargé des intermédiaires de le faire.

[2]                En juillet 1999, après avoir soi-disant reçu des menaces, le demandeur a quitté la Turquie pour les États-Unis, où il est resté pendant six mois. Il est ensuite retourné en Turquie durant trois mois pour prendre soin de son épouse, qui apparemment souffrait d'une dépression. Il est retourné aux États-Unis en avril 2000. Trois mois plus tard, il est de nouveau retourné en Turquie pour aider son épouse. Pendant qu'il se trouvait dans ce pays, il aurait été arrêté après que des renseignements fournis par M. Bektas eurent amené les autorités à le soupçonner de mener des activités politiques de gauche. Il est de nouveau allé aux États-Unis avant de retourner en Turquie entre août et octobre 2000. Il a quitté ce pays en avril 2001 pour demander l'asile au Canada après être passé par les États-Unis.

[3]                Dans sa décision défavorable, la commissaire de la Section de la protection des réfugiés a expliqué pourquoi elle n'ajoutait pas foi aux allégations du demandeur. Elle n'a pas cru que le demandeur avait été persécuté par M. Bektas. Elle a constaté que le demandeur s'était rendu aux États-Unis pour des motifs professionnels et non parce qu'il craignait d'être persécuté. En outre, elle n'a pas cru que le demandeur avait été victime de persécution politique. De plus, elle n'était pas convaincue que le demandeur était actif sur le plan politique. Elle a conclu que le fait que le demandeur s'était continuellement réclamé de la protection de son pays minait la crédibilité de toute crainte subjective de persécution.

[4]                Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la commissaire pour deux raisons principales : un représentant n'aurait pas dû être désigné et la commissaire n'a pas bien apprécié la preuve médicale.

[5]                Le premier jour de l'audience, la commissaire s'est intéressée uniquement à la capacité du demandeur de comprendre les questions et de fournir des réponses concernant sa demande. Elle s'était alors fondée pour ce faire sur des rapports médicaux concernant la déficience cognitive moyenne du demandeur.

[6]                Résumant cette première séance, la commissaire a conclu que le demandeur pouvait comprendre les questions et fournir des réponses. Elle a cependant convenu avec l'avocat du demandeur que les intérêts de celui-ci pourraient être mieux servis si un représentant était désigné. L'audience a été ajournée pour permettre à l'avocat de trouver un tel représentant.

[7]                L'audience a repris des mois plus tard, après que l'avocat du demandeur eut trouvé un représentant. Il s'agissait d'un avocat agissant cependant à titre personnel. Ce dernier comprenait que son rôle consistait à aider le demandeur pendant l'audience et à évaluer ses réponses à la lumière des renseignements que celui-ci lui avait communiqués avant l'audience. Il estimait également qu'il devait aider le demandeur à fournir un témoignage clair de la manière la plus cohérente possible.

[8]                Le paragraphe 167(2) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés régit la question de la désignation d'un représentant :

(2) Est commis d'office un représentant à l'intéressé qui n'a pas dix-huit ans ou n'est pas, selon la section, en mesure de comprendre la nature de la procédure.

(2) If a person who is the subject of proceedings is under 18 years of age or unable, in the opinion of the applicable Division, to appreciate the nature of the proceedings, the Division shall designate a person to represent the person.

[9]                Les deux avocats étaient d'avis que la commissaire avait commis une erreur en désignant un représentant. Selon eux, la loi ne l'autorisait à désigner un représentant que si elle concluait que le demandeur n'était pas en mesure « de comprendre la nature de la procédure » au sens du paragraphe 167(2). Or, elle n'a pas tiré une telle conclusion. Au contraire, elle a conclu que le demandeur pouvait participer à la procédure.

[10]            À mon avis, même si la commissaire a commis une erreur de droit en désignant un représentant - et j'ai choisi de ne pas me prononcer sur cette question en l'espèce -, une telle erreur n'était pas importante. Il me semble que la commissaire et le conseil ont fait preuve de prudence en voulant que quelqu'un aide le demandeur au besoin avant et pendant l'audience, compte tenu des rapports médicaux sur sa santé mentale.

[11]            Il existe différents types de déficience cognitive. L'incapacité d'un demandeur d'asile de comprendre la nature de la procédure n'est pas toujours nettement définie. Les commentaires accompagnant l'article 15 des Règles de la Section de la protection des réfugiés indiquent :



Rôle adapté aux circonstances

... Son rôle varie cependant en fonction du niveau de compréhension de l'intéressé. [...] Les personnes incapables ont aussi une certaine aptitude à participer aux décisions, selon le type de décision à prendre et selon la nature et la gravité de leur maladie ou de leur incapacité.

Role of the designated representative will vary

...the role of the designated representative will vary, depending on the level of understanding of the minor or incompetent person. ... Incompetent persons may also have some ability to participate in making decisions, depending on the type of decision that has to be made and the nature and severity of their disorder or disability.


Il me semble que la décision de désigner un représentant en l'espèce était à la fois prudente et conforme à ces commentaires.

[12]            Selon ce que je comprends de la deuxième prétention du demandeur, la commissaire aurait commis une erreur dans son appréciation des deux rapports rédigés par un psychiatre et d'un autre rapport émanant d'un psychologue. Je ne suis toutefois pas de cet avis.

[13]       Je considère que la commissaire a exposé les motifs de sa conclusion défavorable concernant la crédibilité en termes clairs et explicites. Elle a interrogé à fond le demandeur le premier jour d'audience afin d'évaluer sa capacité de participer à la procédure après avoir examiné les dossiers médicaux. Elle a permis au représentant désigné d'aider le demandeur pendant l'audience en répétant les questions en termes plus directs et plus simples lorsque cela était nécessaire. Dans les deux avant-derniers paragraphes de sa décision portant sur les évaluations psychiatriques et psychologique, elle a indiqué que ces rapports médicaux n'avaient pas influé sur sa conclusion défavorable relative à la crédibilité.


[14]       À mon avis, elle pouvait arriver à cette conclusion. Elle s'est montrée réceptive et sensible aux rapports médicaux avant l'audience et pendant toute la durée de celle-ci. Elle savait que le demandeur avait des problèmes cognitifs. J'estime, après avoir examiné la transcription, qu'elle pouvait tirer la conclusion défavorable concernant la crédibilité à laquelle elle est arrivée, même en tenant compte des rapports médicaux. Bien qu'il ait peut-être été préférable qu'elle ne dise pas : « j'estime que le diagnostic proposé n'a rien de sûr » , ce choix de mots ne révèle aucune erreur susceptible de contrôle lorsque l'on tient compte de l'ensemble du dossier du tribunal.

[15]       Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Aucune partie n'ayant proposé une question grave à des fins de certification, aucune question ne sera certifiée.

                                                                ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question de portée générale n'est certifiée.

                                                                                                                                      _ Allan Lutfy _                

                                                                                                                                          Juge en chef                  

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                              IMM-10401-03

INTITULÉ :                                                             ISHAK KARLI

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                     LE 1ER DÉCEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                        LE JUGE EN CHEF ALLAN LUTFY

DATE DES MOTIFS :                                            LE 24 FÉVRIER 2005

COMPARUTIONS :

Lorne Waldman                                                         POUR LE DEMANDEUR

Lorne McClenaghan                                                   POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lorne Waldman                                                         POUR LE DEMANDEUR

(416) 482-6501

John H. Sims, c.r.                                                       POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

(416) 973-2300


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