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     Date : 19981204

     Dossier : T-1805-98, T-1806-98, T-1807-98



ENTRE :

     RÉVÉREND FRÈRE WALTER A. TUCKER et

     RÉVÉREND FRÈRE MICHAEL J. BALDASARO

     demandeurs

     - et -

     SA MAJESTÉ LA REINE

     défenderesse



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE



LE PROTONOTAIRE ADJOINT GILES

[1]      Par les requêtes dont j'ai été saisi, la Couronne cherche à faire radier trois déclarations distinctes qui ont été déposées dans des actions intentées par les mêmes demandeurs au motif qu'elles ne révèlent aucune cause d'action. Les requêtes ont été présentées par écrit et, à la demande des demandeurs, il a été ordonné qu'elles fassent l'objet d'une audience et aussi qu'elles soient entendues ensemble. La Couronne cherche à faire radier ces requêtes au motif que les demandeurs n'ont pas qualité pour agir dans ces actions. Outre ce motif, la Couronne prétend qu'aucune des déclarations ne révèle une cause d'action.

[2]      L'action intentée dans le dossier T-1805-98 tend à l'obtention d'un jugement déclaratoire portant que la Loi réglementant certaines drogues et autres substances est inconstitutionnelle et ultra vires (l'action relative à certaines drogues).

[3]      L'action intentée dans le dossier T-1806-98 tend à l'obtention d'un jugement déclaratoire portant que l'alinéa 50(1)a) de la Loi électorale du Canada est inconstitutionnel et ultra vires (l'action relative aux élections), et l'action intentée dans le dossier T-1807-98 tend à l'obtention d'un jugement déclaratoire portant que le projet de loi C-68, Loi sur les armes à feu, est inconstitutionnel et ultra vires (l'action relative aux armes à feu).

[4]      La défenderesse soutient que les demandeurs n'ont aucun intérêt direct parce qu'ils ne sont pas directement touchés par les dispositions législatives (et, dans le cas de l'action relative aux armes à feu, parce que les dispositions en question ne sont pas toutes en vigueur). Si tel est le cas, la seule façon dont les demandeurs pourraient avoir qualité pour agir, selon la Couronne, consisterait que ces derniers démontrent : 1) qu'il existe une question sérieuse à juger; 2) qu'ils sont directement touchés ou qu'ils ont un intérêt véritable; et 3) qu'il n'existe aucune autre façon plus raisonnable ou plus efficace d'instruire la question.

[5]      Commençons par l'action relative à certaines drogues et, tout d'abord, par la question de l'intérêt direct. Les demandeurs allèguent qu'ils sont des citoyens canadiens et des ministres de l'Assemblée de l'Église de l'Univers qui consomment quotidiennement du cannabis et d'autres drogues sur le conseil de Dieu. Ils n'allèguent pas qu'ils sont actuellement accusés d'avoir commis une infraction à cette loi, bien qu'ils aient fourni la preuve de condamnations antérieures.

[6]      Selon les Règles, il est statué sur une requête en radiation fondée sur l'absence d'une cause d'action valable en fonction de l'acte de procédure, et aucune preuve n'est admissible (règle 221(2)). Pour les fins d'une requête comme celle qui nous occupe, je dois présumer que tous les faits allégués dans la déclaration sont vrais. Au paragraphe 2 de la déclaration, les demandeurs allèguent qu'ils consomment quotidiennement du cannabis et d'autres substances. Puisqu'il faut nécessairement présumer que c'est le cas, il me paraît aller de soi que les demandeurs ont un intérêt personnel direct dans la contestation de la validité des dispositions législatives en tant que personnes dont la conduite est menacée par ces dispositions. Il ne s'agit pas d'une affaire dans laquelle les demandeurs sont des membres du public dont le droit à la liberté de contrôle qui est reconnu en common law est violé. Il s'agit d'une affaire dans laquelle les droits religieux des demandeurs seraient menacés.

[7]      Si je suis dans l'erreur et que les demandeurs doivent avoir qualité pour agir dans l'intérêt public, je fais remarquer que, selon le critère, il doit y avoir une question sérieuse, les demandeurs doivent être directement touchés ou menacés, ou doivent avoir un intérêt véritable dans la non-validité de la loi, et il ne doit pas y avoir d'autre moyen plus raisonnable et plus efficace de saisir la Cour de l'affaire.


[8]      La Couronne a invoqué plusieurs décisions portant sur le cannabis dans lesquelles différents moyens constitutionnels ont été exposés. Cela voudrait dire que des questions touchant le cannabis pourraient faire problème. Dans son argumentation, la Couronne a mentionné qu'un certain nombre de ces décisions se rapportaient à la religion, mais elle n'en a invoquée aucune, peut-être parce que la production d'éléments de preuve n'est pas permise dans le cadre de ce genre de requête. Je n'ai relevé aucune affaire semblable et je considère que la constitutionnalité des dispositions législatives visant le contrôle du cannabis face à un impératif religieux est une question qui peut être sérieuse. Je viens de mentionner que les demandeurs ont un intérêt véritable. Comme aucune autre personne n'aurait des motifs religieux de contester la validité de ces dispositions législatives, je serais disposé à reconnaître que les demandeurs ont qualité pour agir si c'est nécessaire.

[9]      La Couronne a prétendu que la loi contestée n'est pas en vigueur dans son intégralité et, comme les demandeurs ne contestent pas des dispositions précises de cette loi, ils pourraient essayer de contester des dispositions qui ne sont pas en vigueur. Je remarque qu'au moins soixante dispositions ont été proclamées en vigueur, et comme le jurilex précise qu'une foule de dispositions réglementaires ont été modifiées, retirées ou de nouveau promulguées, une consultation de la Gazette serait nécessaire pour déterminer si certaines dispositions réglementaires touchant le cannabis ne sont pas en vigueur.

[10]      La Couronne a invoqué des décisions à l'appui d'une non-reconnaissance de la qualité pour agir au motif qu'il s'agit d'un gaspillage du temps précieux de la Cour. En toute déférence, je refuse de perdre mon temps à recenser les dispositions législatives qui ne sont pas en vigueur. Si la Couronne souhaite se fonder sur de tels faits, elle devrait préciser en quoi consistent ces faits. Je ne suis pas disposé à statuer à ce moment-ci sur la question de savoir si elle peut le faire dans une requête dans le cadre de laquelle aucune preuve n'est admissible. De toute façon, elle ne l'a pas fait à l'audience.

[11]      La déclaration proprement dite est totalement imprécise. À titre d'exemple, y sont mélangés des numéros d'articles de la Charte et des numéros d'articles de ce qu'on appelait l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. Les demandeurs s'appuient sur de nombreuses dispositions pour faire valoir la violation de leurs droits. Je prends l'exemple de l'article 26. Cette disposition de la Loi constitutionnelle de 1867 (l'AANB) porte sur la nomination au Sénat de quatre à huit nouveaux membres. L'article 26 de la Charte dispose que les garanties contenues dans la Charte ne doivent pas être interprétées de manière à nier l'existence des autres droits et libertés qui existent. Cette disposition n'est pas censée protéger nos droits préexistants contre des lois autres que la Charte. La pertinence de l'article 26 m'échappe. Les demandeurs invoquent de la même façon beaucoup d'autres dispositions, mais ils n'allèguent aucun fait qui démontrerait comment ces dispositions pourraient leur permettre d'obtenir la réparation demandée.

[12]      Selon moi, la déclaration ne révèle aucune cause d'action valable et sera radiée, mais comme je ne suis pas convaincu qu'il est évident qu'il n'existe aucune cause d'action, je vais accorder l'autorisation de déposer une déclaration modifiée d'ici le 10 janvier 1999.

[13]      Le dossier T-1806-98 vise l'obtention d'un jugement déclaratoire portant que le paragraphe 50(1) de la Loi électorale du Canada est inconstitutionnel et ultra vires puisqu'il porte atteinte aux droits des demandeurs. Les demandeurs invoquent plusieurs dispositions de la Charte dans la déclaration, mais ils ne précisent pas en quoi chaque disposition pourrait être pertinente. Au cours des débats, les demandeurs ont indiqué que le droit qui serait violé est celui de recueillir les suffrages de personnes de moins de 18 ans. Tout d'abord, il ne s'agit pas d'un droit mais d'un privilège pouvant découler du droit d'autrui de voter. Les demandeurs ne sont pas touchés différemment d'un autre membre du public qui veut se porter candidat. Je conclus que les demandeurs n'ont pas qualité pour intenter l'action.

[14]      La déclaration est radiée et l'action est rejetée.

[15]      Le dossier T-1807-98 vise l'obtention d'un jugement déclaratoire portant que la Loi sur les armes à feu est inconstitutionnelle et ultra vires au motif qu'elle porte atteinte aux principes de justice fondamentale. Les demandeurs invoquent des dispositions de la Déclaration canadienne des droits, de la Grande Charte et de ce qu'ils appellent la Charte des droits et libertés, 1867 - 1998. Les dispositions de ce dernier texte auxquelles ils font référence se rapportent à la Charte des droits et libertés et à l'AANB. Quelques-uns des droits prévus dans la Déclaration canadienne des droits et la Grande Charte auxquels ils font référence sont visés par l'article 26 de la Charte des droits et libertés. Cette disposition prévoit qu'on ne doit pas interpréter la Charte de manière à nier l'existence de tels droits, mais elle ne constitutionnalise pas ces droits (c'est-à-dire qu'elle ne les soustrait pas à l'application de dispositions législatives ordinaires qui les modifient ou les abrogent).

[16]      En supposant que notre constitution, du moins dans les provinces de common law, ait été correctement exprimée par le vers [traduction] « une règle ancienne qui passe inaperçue comme l'air que nous respirons veut que soit subordonné à la loi le droit de chacun de vivre à sa façon » , on peut clairement voir qu'une personne aurait le droit de porter des armes ou de consommer des champignons jusqu'à ce que ce droit lui soit enlevé par une loi. Si aucune protection explicite n'est conférée par la Charte, rien n'empêche un gouvernement ayant la compétence voulue de supprimer ces droits. Lorsqu'un gouvernement prétend supprimer de tels droits, nous sommes tous touchés, mais seules les personnes qui sont directement touchées ont qualité pour intenter une action ou, plus vraisemblablement, pour contester la validité des dispositions législatives justifiant une mesure gouvernementale.

[17]      Les demandeurs à l'instance n'allèguent aucun intérêt particulier qui leur donnerait qualité pour agir, ni aucune des conditions préalables nécessaires pour qu'on les reconnaisse comme des personnes ayant qualité pour agir dans l'intérêt public. La déclaration dans l'action relative aux armes à feu sera radiée au motif qu'elle ne révèle aucune cause d'action et l'action est rejetée.


     ORDONNANCE

     1.      La déclaration dans l'action T-1805-98 est radiée au motif qu'elle ne révèle aucune cause d'action, mais l'autorisation de la modifier d'ici le 8 janvier 1999 est accordée.
     2.      La déclaration dans l'action T-1806-98 est radiée et l'action est rejetée.
     3.      La déclaration dans l'action T-1807-98 est radiée et l'action est rejetée.



                                 « Peter A. K. Giles »

                                     Protonotaire adjoint




TORONTO (ONTARIO)

Le 4 décembre 1998





Traduction certifiée conforme


Marie Descombes, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Noms des avocats et avocats inscrits au dossier

NUMÉRO DU GREFFE :                  T-1805-98, T-1806-98, T-1807-98

INTITULÉ :                          RÉVÉREND FRÈRE WALTER A. TUCKER et RÉVÉREND FRÈRE MICHAEL J. BALDASARO

                             - et -

                             SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE :                  LE LUNDI 9 NOVEMBRE 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE PROTONOTAIRE ADJOINT GILES

EN DATE DU :                      VENDREDI 4 DÉCEMBRE 1998

COMPARUTIONS :                  Révérend frère Walter A. Tucker et

                             Révérend frère Michael J. Baldasaro

                                 Pour les demandeurs


                             Ann Margaret Oberst

                                 Pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :          Révérend frère Walter A. Tucker et
                             Révérend frère Michael A. Baldasaro

                             Sanctuary - Church of the Universe

                             401, rue Eagle nord
                             Cambridge (Ontario)
                             N3H 1C1
                                 Pour les demandeurs
                             Morris Rosenberg
                             Sous-procureur général du Canada
                                 Pour la défenderesse
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