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Date : 20060620

Dossier : T‑2150‑05

Référence : 2006 CF 786

Vancouver (Colombie-Britannique), le 20 juin 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE PROTONOTAIRE LAFRENIÈRE

 

ENTRE :

LE WESTERN CANADA WILDERNESS COMMITTEE,

LA DAVID SUZUKI FOUNDATION, FORESTETHICS

et ENVIRONMENTAL DEFENCE CANADA

 

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE L'ENVIRONNEMENT

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Le 5 décembre 2005, les demandeurs ont sollicité le contrôle judiciaire du manquement supposé du ministre de l'Environnement (le ministre) à son obligation légale de recommander au gouverneur en conseil de prendre un décret d'urgence visant la protection de la chouette tachetée de la sous-espèce caurina (aussi appelée chouette tachetée du Nord), espèce sauvage menacée inscrite dans la Loi sur les espèces en péril, L.C. 2002, ch. 29 (la Loi).

[2]               Les demandeurs ont par la suite sollicité la communication des documents suivants sous le régime de l'article 317 des Règles des Cours fédérales :

 

i.          le dossier constitué devant le ministre et le ministère de l'Environnement à la date de la présente demande concernant l'obligation du ministre à l'égard de la chouette tachetée du Nord sous le régime de l'article 80 de la Loi sur les espèces en péril;

 

ii.          tous autres documents susceptibles de se révéler pertinents quant à la présente instance qui pourraient se trouver en la possession ou sous le contrôle du ministre ou du ministère de l'Environnement.

 

[3]               Le défendeur a fait objection à la demande de communication des demandeurs au motif que l'article 317 des Règles, qui prévoit pour les parties un moyen d'obtenir des éléments se trouvant en la possession du décideur, ne s'applique pas à la présente instance puisque celle‑ci n'a pas pour objet une décision ou une ordonnance proprement dite.

 

[4]               La question en litige dans la présente requête est celle de savoir si devrait être ou non accueillie l'objection du ministre à la communication de documents demandée en vertu de l'article 317 des Règles. Cette question se divise en deux sous-questions : l'article 317 est‑il applicable au cas où il n'a pas été rendu d'ordonnance ou de décision proprement dite? dans l'affirmative, quelles doivent être la portée et les conditions de la communication?

 

[5]               Les demandeurs font valoir que, au moment du dépôt de leur avis de demande, il s'était écoulé plus de 18 mois depuis que le ministre avait écrit au Premier ministre de la Colombie‑Britannique pour l'aviser qu'il prévoyait arrêter définitivement au plus tard le 22 mai 2004 son opinion touchant l'opportunité de recommander la prise d'un décret d'urgence sous le régime de l'article 80 de la Loi. Le ministre concluait sa lettre en déclarant qu'il espérait que le Premier ministre lui ferait part avant le 22 mai des projets du gouvernement de la Colombie‑Britannique touchant la protection et la récupération de la chouette tachetée du Nord, ainsi que l'annonce des mesures qu'il prendrait. À la connaissance des demandeurs, le gouvernement de la Colombie-Britannique n'a pas proposé de mesures concrètes, et rien d'autre n'empêche le ministre de recommander la prise d'un décret d'urgence.

 

[6]               Les demandeurs soutiennent qu'ils ont droit à la communication des documents en cause au motif de leur pertinence touchant la question du retard déraisonnable, qui forme un des motifs de contrôle cités dans leur demande. Il serait selon eux injuste de laisser le ministre se soustraire à l'examen de sa conduite en permettant que la Cour ne dispose pas de l'intégralité du dossier constitué devant lui. Ils ajoutent qu'il n'existe aucun autre moyen d'obtenir les documents en question qu'une ordonnance relevant de l'article 317 des Règles.

 

[7]               S'il est vrai que certains des documents sollicités par les demandeurs pourraient en fin de compte se révéler pertinents dans la présente instance, je ne suis pas convaincu qu'on puisse en contraindre le possesseur à les communiquer à la présente étape sous le régime de l'article 317 des Règles.

 

[8]               Il est de droit constant que l'article 317 des Règles ne vise la communication que des éléments qui étaient à la disposition du décideur au moment de sa décision : Canada (Commission des droits de la personne) c. Pathak, [1995] 2 C.F. 455 (C.A.F.). Il est vrai que les tribunaux judiciaires ont reconnu des exceptions à cette règle fondamentale, mais elles sont peu nombreuses; il s'agit par exemple des cas où il est soutenu que le décideur a manqué à son obligation d'équité procédurale ou fait l'objet d'une crainte raisonnable de partialité : Premières nations Deh Cho c. Canada (Ministre de l'Environnement), (2005) 13 C.E.L.R. (3d) 27 (C.F.), 2005 CF 374.

 

[9]               Les demandeurs invoquent à l'appui d'une interprétation plus large de l'article 317 des Règles la décision rendue par le juge Edmond P. Blanchard dans l'affaire Vlymen c. Canada (Solliciteur général), [2001] A.C.F. no 288 (C.F. 1re inst.) (QL). Cependant, Vlymen ne les aide guère, puisque l'objection du défendeur à la communication de documents dans cette affaire était fondée sur le privilège de non-divulgation, la protection de la vie privée et le caractère non substantiel. En outre, le tribunal administratif avait déjà rendu une décision au moment de la présentation de la demande de communication, ce qui distingue les faits de Vlymen de ceux de la présente espèce.

 

[10]           C'est au requérant qu'il incombe de justifier la demande de documents dont le décideur ne disposait pas au moment de sa décision. Qui plus est, il faut que soit établie l'existence de circonstances spéciales pour contraindre le décideur qui n'a pas encore rendu sa décision à communiquer des documents qu'il pourrait ou non prendre en considération pour la rendre.

 

[11]           Le simple fait que la demande de contrôle judiciaire soit fondée sur le motif du retard ne suffit pas à justifier qu'on s'écarte de la règle générale. Au contraire, il existe de solides raisons d'intérêt général de rejeter la thèse des demandeurs selon laquelle il y aurait lieu de faire une exception pour les demandes fondées seulement sur le temps écoulé. Contrairement aux décisions proprement dites, les « non-décisions » déclarées telles au motif du retard ne mettent pas en jeu un dossier facile à délimiter et de taille raisonnable. Le risque serait donc dans ce cas beaucoup plus grand d'ouvrir la voie à des demandes de communication d'une portée considérable. En étendant le champ d'application de l'article 317 des Règles aux non-décisions, on encouragerait les demandeurs éventuels à essayer d'obtenir la communication de documents de tous ceux qui auraient participé au processus de décision pendant la période de retard.

 

[12]           L'exception deviendrait alors la règle. On prendrait l'habitude de demander aux organismes d'État constitués défendeurs de produire peut-être des milliers de documents, remontant à plusieurs années et provenant de nombreuses personnes qui auraient d'une façon ou d'une autre participé au processus pendant la période visée, afin d'obtenir tous les documents pertinents quant à la « nature de l'obligation » ou à l'historique complet des rapports avec le demandeur, ce qui ralentirait la procédure de contrôle judiciaire et altérerait sa nature sommaire. 

 

[13]           De plus, en permettant la communication de documents relatifs à des non-décisions, on risquerait d'encourager le dépôt de demandes frivoles fondées sur un retard minime aux fins d'obtention de documents de l'État. Il deviendrait ainsi possible en théorie de déposer, sur le fondement de la « non-décision » d'un ministre ou d'un fonctionnaire, une demande de mandamus portant sur les documents visés à l'article 317 des Règles, après un retard d'une journée seulement dans l'exercice de ses pouvoirs d'origine législative. On peut craindre un autre risque d'abus dans le cas où le demandeur ferait valoir l'existence d'une obligation permanente, étant donné qu'il pourrait alors s'abstenir de demander le contrôle judiciaire d'un premier refus et attendre plutôt un retard éventuel dans les décisions ultérieures, dans l'espoir de pouvoir élargir la portée de sa demande de communication. 

 

[14]           Enfin, des recherches exhaustives ne sont pas nécessaires dans l'intérêt de la justice lorsque le demandeur sollicite un mandamus sur le fondement du retard. C'est au demandeur qu'il incombe de produire les éléments nécessaires pour prouver le bien-fondé de sa thèse et il ne peut invoquer l'article 317 des Règles comme prétexte à une recherche à l'aveuglette qui lui permette d'allonger sa liste de motifs de contrôle judiciaire. Comme le faisait observer la juge Judith A. Snider dans Gaudes c. Canada (Procureur général) (2005), 137 A.C.W.S. (3d) 1082 (C.F.), 2005 CF 351, dans le cas où il n'a pas été rendu de décision, le contenu des documents dont on demande la communication ne peut qu'être objet de spéculation.

 

[15]           Les demandeurs à la présente instance devraient connaître à fond le sujet du débat, y compris les raisons étayant leur thèse que le retard est déraisonnable. En fait, ils admettent dans leurs conclusions écrites que les faits déjà connus d'eux leur permettent de proposer un commencement de preuve de l'existence d'un retard déraisonnable de la part du ministre. C'est alors le ministre qui aurait la charge de fournir une justification satisfaisante du retard présumé. S'il ne s'en acquittait pas, il risquerait de voir prononcer un jugement fondé sur les seuls éléments de preuve produits par les demandeurs. Quoi qu'il en soit, la Cour disposerait des éléments nécessaires pour trancher les questions portées devant elle.

 

[16]           Tout ce qui précède fait ressortir la nécessité de distinguer le droit à un mandamus du droit à la communication de documents sous le régime de l'article 317 des Règles. L'assimilation de l'un à l'autre priverait de sens le libellé de cet article. Il en résulterait une charge de production de documents indûment lourde, disproportionnée au tort imputé au défendeur et contraire à la nature sommaire des demandes de contrôle judiciaire.

 

[17]           En supposant que je sois dans l'erreur touchant l'inapplicabilité de l'article 317 des Règles aux demandes de mandamus dans le cas où il n'a pas été rendu de décision, je refuserais quand même d'accorder la mesure de réparation demandée en me fondant sur les paragraphes 50 à 52 du mémoire du défendeur. Je conclus que la demande de communication des demandeurs est purement et simplement de portée excessive, ayant pour objet une quantité considérable de pièces non pertinentes, non essentielles ou privilégiées.

[18]           Il est de droit constant que la production de documents visée à l'article 317 des Règles n'est pas conçue comme de portée aussi large que la communication préalable dans le contexte d'une action. Ce que les demandeurs veulent ici obtenir en fait, c'est la communication de l'intégralité du dossier du ministre sans conditions de temps ou de pertinence.

 

[19]           Pour ces motifs, je suis d'avis de rejeter la requête et d'adjuger les dépens au défendeur.

 


ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE que la requête soit rejetée et que les dépens soient adjugés au défendeur.

 

                                                                                                            « Roger R. Lafrenière »

Protonotaire

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T‑2150‑05

 

INTITULÉ :                                       LE WESTERN CANADA WILDERNESS COMMITTEE ET AL.

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE L'ENVIRONNEMENT

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER, SANS COMPARUTION DES PARTIES

 

DATE DE L'AUDIENCE :               S/O

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE    

ET ORDONNANCE :                       LE PROTONOTAIRE LAFRENIÈRE

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 20 JUIN 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Devon Page

 

POUR LES DEMANDEURS

Lorne Lachance

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Sierra Legal Defence Fund

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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