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Date : 20050530

Dossier : IMM-6423-04

Référence : 2005 CF 766

Ottawa (Ontario), le 30 mai 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

ENTRE :

MARLAIN HENIN (alias Marlain Sobby Henin), AZIZ AZIZ,

CHRISTIN AZIZ et MARINA AZIZ

                                                                                                                                          demandeurs

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Les demandeurs sont des ressortissants de l'Égypte et des chrétiens coptes. Ils prétendent craindre d'être persécutés par les fondamentalistes musulmans en Égypte en raison de leur religion. M. Aziz a quitté l'Égypte pour les États-Unis en novembre 1993. Mme Henin a suivi avec leurs enfants en août 1995. On leur a refusé l'asile aux États-Unis et l'appel interjeté contre cette décision a été rejeté. Ils se sont ensuite rendus au Canada en octobre 2002 et ont revendiqué immédiatement le statut de réfugiés.


[2]                Mme Henin était la revendicatrice principale. Elle a été professeure de sciences religieuses en Égypte de 1987 à 1992. Elle a également été désignée pour enseigner les sciences religieuses aux étudiants chrétiens de son école. Elle prétend avoir été harcelée au travail par des collègues enseignants et avoir subi des pressions afin de porter le hijab et de se convertir à l'Islam. Elle allègue que son refus de se convertir s'est traduit par du vandalisme sur sa voiture, des menaces de mort et une correction dont son époux a été victime. Elle allègue aussi avoir reçu des menaces à l'effet que ses enfants seraient convertis de force.

[3]                Mme Henin allègue avoir été arrêtée pour avoir insulté l'Islam et causé un conflit religieux une semaine seulement avant que toute la famille parte pour les États-Unis, à l'automne 1993. Elle a été détenue initialement pendant une période de quatre jours, qui s'est prolongée à deux semaines. En bout de ligne, elle a été détenue pendant huit mois. Après sa libération, elle allègue que sa photo avait été affichée sur les murs en public et qu'en septembre 1994, alors qu'elle marchait avec sa fille, celle-ci a été poussée. Elle allègue qu'elle a été incapable de quitter le pays pendant une année étant donné l'obligation d'être disponible pour de nouveaux interrogatoires.


[4]                La Commission a conclu qu'il était improbable qu'une personne qui est affectée à l'enseignement des sciences religieuses aux chrétiens dans le cadre d'un programme gouvernemental subisse des pressions de la part de ses collègues afin de porter le hijab ou de se convertir, après avoir enseigné à la même école pendant six ans. La Commission a également jugé improbable que les collègues de Mme Henin aient tenté de renverser une exigence pédagogique gouvernementale. La Commission a finalement jugé improbable que Mme Henin n'ait pas demandé à être transférée dans une autre école publique ou privée si elle avait vraiment subi des pressions pour se convertir.

[5]                La Commission a conclu qu'il était improbable que Mme Henin ait été arrêtée pour avoir insulté l'Islam, violé la tranquillité publique et causé un conflit religieux entre les chrétiens et les musulmans une semaine avant que sa famille parte pour les États-Unis, et que son mari l'ait simplement laissée dans une prison égyptienne. Il n'était pas crédible, compte tenu de la preuve documentaire, qu'elle ait été détenue pendant huit mois. La Commission a jugé improbable qu'elle ait échappé aux menaces de conversion forcée par les islamistes durant un an suivant sa libération. La Commission a également jugé improbable qu'elle ait été capable de conserver son passeport alors qu'on lui avait interdit de quitter l'Égypte.

[6]                La Commission a conclu finalement que, selon la preuve documentaire, les chrétiens coptes ne sont pas persécutés en Égypte.

[7]                La demanderesse a soulevé un certain nombre de questions dans les observations écrites, mais elle ne m'en a présenté que trois :

1.          La Commission s'est-elle fondée sur des facteurs incorrects pour rendre sa décision?


2.          La Commission a-t-elle ignoré une preuve documentaire importante?

3.          Les conclusions de la Commission relativement à la vraisemblance étaient-elles justifiées et raisonnables?

1.          L'utilisation de facteurs incorrects

[8]                Les demandeurs soutiennent que la Commission a entravé abusivement l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en se fondant sur la décision négative rendue aux États-Unis, selon laquelle les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention. Les demandeurs prétendent que si la Commission n'adopte pas cette décision, elle l'appuie de manière inappropriée.

[9]                Je ne vois aucun bien-fondé dans cet argument. La décision de la Commission comporte un court paragraphe relatant le rejet de la revendication aux États-Unis, tout comme je l'ai fait dans le paragraphe d'introduction des motifs en l'espèce. Rien d'autre ne laisse croire que ces faits ont influé sur la décision de la Commission. Le résultat est simplement inscrit à la fin de l'analyse de la crédibilité effectuée par la Commission. La Commission est clairement arrivée à ses propres conclusions. Je ne peux conclure que le fait de prendre note du rejet de la revendication aux États-Unis constituait une erreur.

[10]            Les demandeurs soutiennent également que la Commission s'est fondée abusivement sur ses connaissances de la situation en Inde et a appliqué les « valeurs indiennes » aux questions présentées plutôt que les valeurs auxquelles les demandeurs auraient été confrontés en Égypte.

[11]            Bien que l'on puisse remettre en question la pertinence de la comparaison faite par la Commission entre la situation des chrétiens coptes en Égypte et celle des minorités en Inde, je ne crois pas que cette comparaison ait été pertinente et je ne suis pas convaincu que cela équivalait à imposer des « valeurs indiennes » à l'examen de la demande.

2.          La preuve documentaire

[12]            Les demandeurs soutiennent que l'évaluation que la Commission a faite de la preuve documentaire est déraisonnable parce que celle-ci n'a pas évalué correctement la preuve documentaire qu'ils ont déposée : Smirnov c. Canada (Secrétariat d'État), [1995] 1 C.F. 780 (C.F., 1re inst.), paragraphe 3.


[13]            Les demandeurs ont allégué que l'inférence de la Commission selon laquelle la documentation copte aux États-Unis est biaisée a peu de sens, si l'on considère qu'il n'y a pas de raison de parler d'une persécution inexistante. En outre, la publication Freedom House, dont la Commission ne tient pas compte, n'est pas produite par un groupe chrétien, mais plutôt par un organisme généraliste de protection des droits de l'homme. Les demandeurs soutiennent que la Commission a ignoré les pages 22 et 23 de la publication Freedom House, qui expliquent pourquoi les Coptes n'utilisent pas le mot « persécution » pour décrire leur situation. Les rapports du Département d'État américain indiquent d'une année à l'autre que les Coptes ont réellement des problèmes graves en Égypte.

[14]            La demanderesse s'est reportée à ma récente décision, Ibrahim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 671, dans laquelle j'ai conclu qu'une analyse similaire de la situation des chrétiens coptes en Égypte était erronée en raison de contradictions importantes non reconnues et parce qu'elle ne donnait aucune explication satisfaisante à l'écartement d'une partie de la preuve documentaire.

[15]            Le défendeur soutient que la décision Ibrahim est différente. Je suis d'accord. Le traitement de la preuve documentaire en l'espèce n'est pas le même que dans la décision Ibrahim. La preuve examinée ne comporte pas de contradiction flagrante qui est passée inaperçue, comme j'ai conclu dans l'affaire Ibrahim. La Commission a indiqué sa préférence pour les documents de l'APR. Elle avait droit de préférer des documents provenant de ses sources plutôt que des sources du demandeur. Elle n'a pas ignoré les documents des demandeurs pour un motif qui ne s'applique simplement pas à eux, comme dans le cas Ibrahim. La Commission a examiné la documentation sur le pays de manière exhaustive et, étant donné les documents présentés, je ne conclus pas que ses conclusions sont erronées.


3.          La vraisemblance

[16]            Les demandeurs soutiennent que la Commission n'a relevé aucun problème de crédibilité dans la demande, mais simplement que certains éléments n'étaient pas plausibles. Le témoignage sous serment des demandeurs aurait dû être reconnu comme vrai. La Commission aurait alors dû examiner les motifs pour lesquels elle pensait que des parties du récit n'étaient pas vraies, puis évaluer ces motifs avant de renverser la présomption de véracité : Maldonado c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1980] 2 C.F. 302 (C.A.).

[17]            Les demandeurs soutiennent que l'existence d'une politique gouvernementale autorisant l'enseignement religieux chrétien dans les écoles n'est pas décisive en ce qui concerne le caractère plausible du ciblage d'un enseignant chrétien par des collègues sectaires.

[18]            Il devrait être plus facile de renverser une conclusion relative à la vraisemblance qu'une conclusion relative à la crédibilité, parce que la Commission n'est pas mieux placée que la Cour pour tirer des conclusions fondées sur le bon sens : Callejas c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. No 113 (C.F., 1re inst.); Karikari c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. No 586 (C.F., 1re inst.); Parizi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1994] A.C.F. No 1977 (C.F., 1re inst.); Singh c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 69 F.T.R. 142 (C.F., 1re inst.); Soto y Giron c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. No 481 (C.A.F.)


[19]            Le défendeur soutient que la conclusion d'absence de crédibilité des demandeurs était correcte et que cette conclusion a été décisive dans la demande. Les demandeurs n'ont pas réussi à présenter une preuve crédible qu'ils ont subi ou pourraient être maltraités en Égypte : Yassine c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) [1994] A.C.F. No 949 (C.A.F.), paragraphes 8, 11; Djouadou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1999] A.C.F. No 1568 (C.F., 1re inst.), paragraphe 4.

[20]            Les décisions relatives à la vraisemblance du comportement humain relèvent de la compétence de la Commission. Il n'existe aucune preuve que la Commission a appliqué de manière incorrecte les perspectives canadiennes : Gonzalez c. Canada (Ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1999] A.C.F. No 805 (C.F., 1re inst.); Faryna c. Chorney, [1952] 2 D.L.R. 354 (C.A.C.-B.).

[21]            Les questions relatives à la crédibilité et à la pondération de la preuve relèvent particulièrement de la compétence de la Commission. Elles ne doivent pas faire l'objet d'un examen microscopique. Si la décision est raisonnable, elle doit être confirmée : Dhak c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (26 janvier 1989) 88-A-316 (C.A.F.).


[22]            Je ne peux conclure que les conclusions relatives à la vraisemblance sont manifestement déraisonnables. Je suis d'accord avec l'évaluation de l'état du droit qui a été faite par le juge Cullen dans l'arrêt Ismaeli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] A.C.F. No 573, concernant la retenue judiciaire à l'égard de ces conclusions. L'instance révisionnelle devrait refuser de s'ingérer dans les décisions qui traitent de crédibilité ou de vraisemblance, pourvu qu'elles soient fondées adéquatement en preuve, qu'elles n'ignorent pas la preuve ou qu'elles soient étayées par celle-ci.

[23]            En l'espèce, la Commission relie les revendications de la demanderesse au tableau qu'elle dresse à partir des documents sur la situation en Égypte. Contrairement à la prétention de la demanderesse selon laquelle les conclusions négatives étaient fondées sur des questions de vraisemblance plutôt que de crédibilité, il est clair d'après les motifs exposés par la Commission que le manque de vraisemblance a découlé principalement des contradictions et des incohérences entre le témoignage et la documentation sur la situation dans le pays et non pas simplement d'inférences relatives au comportement humain.


[24]            Au centre de ces conclusions relatives à l'invraisemblance se trouve le choix de la demanderesse de ne pas quitter le système public d'éducation au moment où elle a été victime de discrimination, ou de ne pas être transférée dans une des écoles chrétiennes publiques ou privées. Lorsqu'on lui demande pourquoi, elle mentionne simplement qu'elle n'a jamais pensé à cette solution. Selon la preuve documentaire, le caractère obligatoire de l'enseignement religieux en Égypte s'applique aux écoles privées et publiques. Selon ses réponses aux questions de la Commission, Mme Henin connaissait clairement leur existence. La conclusion relative à l'invraisemblance que la Commission a tirée était raisonnable dans les circonstances.

[25]            Aucune question de certification n'a été proposée, et aucune n'est certifiée.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande soit rejetée. Aucune question n'est certifiée.

                                                                                                                          « Richard G. Mosley »                      

                                                                                                                                                     Juge                                    

Traduction certifiée conforme

Julie Poirier, traductrice


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        IMM-6423-04

INTITULÉ :                                       MARLAIN HENIN (alias Marlain Sobby Henin),

AZIZ AZIZ, CHRISTIN AZIZ ET MARINA AZIZ

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 26 MAI 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :                     LE 30 MAI 2005

COMPARUTIONS :

Randal Montgomery                                                                  POUR LA DEMANDERESSE

Patricia MacPhee                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

RANDAL MONTGOMERY                                                    POUR LA DEMANDERESSE

Avocat et procureur

Toronto (Ontario)

JOHN H. SIMS, c.r.                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

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