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Date : 20201104


Dossier : IMM‑4809‑19

Référence : 2020 CF 1032

[TRADUCTION FRANÇAISE]

St. John’s (Terre‑Neuve‑et‑Labrador), le 4 novembre 2020

En présence de madame la juge Heneghan

ENTRE :

SHAH WALI NAZARI

RAZIA NAZARI

FOROZAN NAZARI

BASIRA NAZARI

LIDA JAN NAZARI

ALI DIDAR NAZARI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  M. Shah Wali Nazari (le demandeur principal), son épouse Razia Nazari et leurs enfants Forozan Nazari, Basira Nazari, Lida Jan Nazari et Ali Didar Nazari (collectivement, les demandeurs) sollicitent le contrôle judiciaire de la décision du 22 juillet 2019, par laquelle un agent de migration (l’agent) a rejeté leur demande de résidence permanente au Canada au titre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières, telle qu’elle a été définie aux articles 144 et 145 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement).

[2]  Les demandeurs sont des citoyens de l’Afghanistan. Ils ont d’abord demandé la résidence permanente au Canada en présentant une demande au Pakistan en mai 2004. Dans le cadre de cette demande, le demandeur principal s’est présenté à une entrevue le 30 décembre 2005. La demande a été rejetée le 4 janvier 2006, et les demandeurs sont par la suite retournés en Afghanistan.

[3]  En avril 2017, les demandeurs ont été reconnus comme des réfugiés au sens de la Convention par le Tadjikistan. Ils ont présenté une autre demande de résidence permanente le 16 août 2017, puis le demandeur principal s’est présenté à une entrevue avec l’agent à Douchanbé, au Tadjikistan, le 6 mai 2019.

[4]  Par la suite, l’agent a envoyé une lettre relative à l’équité procédurale, datée du 12 juin 2019, faisant état de ses doutes quant à la véracité de certaines réponses données par le demandeur principal et lui offrant la possibilité de fournir de plus amples renseignements. Plus précisément, l’agent s’est dit préoccupé par les récits changeants du demandeur principal au sujet du temps qu’il avait passé en Iran dans les années 1980.

[5]  Dans une lettre datée du 9 juillet 2019, le conseil des demandeurs a admis que, lors de l’entrevue, le demandeur principal avait fourni des renseignements mensongers concernant le temps qu’il avait passé en Iran.

[6]  L’agent a rejeté la demande de résidence permanente lorsqu’il a conclu que le demandeur principal manquait de crédibilité. Il a également conclu que le demandeur principal n’avait pas fourni un témoignage sincère, comme l’exige le paragraphe 16(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, SC 2001, c 27 (la Loi). Il a déterminé que les demandeurs n’avaient pas satisfait aux exigences prévues pour immigrer au Canada, car il n’était pas convaincu que le demandeur principal n’était pas interdit de territoire au Canada, comme l’exige le paragraphe 11(1) de la Loi.

[7]  Les demandeurs soutiennent maintenant que l’agent a porté atteinte à leurs droits en matière d’équité procédurale en omettant de communiquer au demandeur principal les préoccupations quant à sa crédibilité et en ne lui donnant pas l’occasion d’y répondre. Ils affirment également que la conclusion défavorable quant à la crédibilité était déraisonnable et que le fait que l’agent n’a pas tiré de conclusion d’interdiction de territoire rend la décision déraisonnable.

[8]  En outre, les demandeurs plaident que l’agent a commis une erreur en rejetant leur demande, au titre du paragraphe 25(1) de la Loi, d’exercice positif du pouvoir discrétionnaire fondé sur des considérations d’ordre humanitaire.

[9]  De plus, les demandeurs soutiennent que l’agent a porté atteinte à leurs droits à l’équité procédurale en considérant la question de la « solution durable », dont fait état l’alinéa 139(1)d) du Règlement, sur la base d’un examen superficiel de la preuve qu’ils avaient soumise et au moyen de sources extrinsèques.

[10]  En outre, les demandeurs ont allégué dans leur plaidoirie que, en l’espèce, une « solution durable » exigeait qu’ils soient établis dans un autre pays, et que leur statut de « réfugié au sens de la Convention » au Tadjikistan n’a pas satisfait à cette exigence.

[11]  Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le défendeur) fait valoir, entre autres, que l’agent a appliqué le principe d’équité procédural, a tiré des conclusions raisonnables quant à la crédibilité et à l’interdiction de territoire, a raisonnablement exercé son pouvoir discrétionnaire et n’a pas autrement commis d’erreur susceptible de contrôle.

[12]  Les questions d’équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte; voir l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, [2009] 1 RCS 339.

[13]  À la suite du récent arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, la norme de la décision raisonnable est présumée s’appliquer aux décisions administratives, y compris les décisions rendues en application de la Loi, à moins que l’intention du législateur ou la primauté du droit n’exige le contraire; voir l’arrêt Vavilov, précité, au paragraphe 23.

[14]  Dans l’examen du caractère raisonnable, la Cour doit se demander si la décision faisant l’objet du contrôle « possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci »; voir l’arrêt Vavilov, précité, au paragraphe 99.

[15]  Je ne suis pas persuadée que les demandeurs ont démontré un manquement à l’équité procédurale de la part de l’agent.

[16]  Dans la lettre relative à l’équité procédurale, l’agent a clairement exprimé son doute quant à la véracité du témoignage du demandeur principal au sujet du temps qu’il avait passé en Iran. Il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale du fait que l’agent n’a pas relevé d’autres questions à examiner.

[17]  La question déterminante dans la présente demande de contrôle judiciaire est celle de la conclusion défavorable de l’agent quant à la crédibilité. Cette conclusion est directement liée aux [traduction] « divers récits » du demandeur principal concernant le temps qu’il a passé en Iran dans les années 1980.

[18]  À mon avis, la norme de la décision raisonnable s’applique en l’espèce aux conclusions de l’agent sur la crédibilité, à l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi, et à son traitement de la question de la « solution durable », telle qu’elle s’applique aux demandeurs en tant que membres de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières.

[19]  Selon l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190, la norme de la décision raisonnable exige que la décision soit justifiable, transparente et intelligible et qu’elle appartienne aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[20]  Compte tenu de la preuve contenue dans le dossier certifié du tribunal, la conclusion défavorable de l’agent quant à la crédibilité est raisonnable. L’agent a examiné les notes consignées dans le Système mondial de gestion des cas en 2006 concernant la demande de résidence permanente présentée antérieurement par le demandeur principal.

[21]  Selon les notes de 2006, telles qu’elles ont été citées par l’agent dans ses notes de l’entrevue de 2019, le demandeur principal avait donné des réponses différentes quant à l’endroit où il se trouvait dans les années 1980.

[22]  Plus précisément, l’agent a souligné que, lors de l’entrevue de 2006, le demandeur principal avait déclaré qu’il avait travaillé pour son père en Afghanistan jusqu’en 1986. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il n’avait pas commencé son service militaire lorsqu’il avait eu 18 ans en 1982, le demandeur principal a répondu qu’il avait été en Iran. Il a d’abord dit qu’il avait été en Iran pour une période de deux ou trois mois, puis il a dit qu’il y avait été pendant deux ou trois ans et, enfin, il a déclaré qu’il y avait été de 1981 à 1986.

[23]  Selon les notes de l’agent, lors de l’entrevue de 2019, le demandeur principal a prétendu qu’il n’était jamais allé en Iran et qu’il avait vécu avec son grand-père dans la province afghane de Parwan pendant quatre ans, avant de commencer son service militaire en 1987.

[24]  Dans la réponse à la lettre relative à l’équité procédurale, le conseil des demandeurs a affirmé que le demandeur principal avait vécu en Iran dans les années 1980.

[25]  L’agent a exprimé l’avis que, compte tenu du fait qu’il avait changé son récit, le demandeur principal [traduction] « n’avait pas la moindre crédibilité ».

[26]  Dans ces circonstances, la conclusion défavorable de l’agent quant à la crédibilité satisfait à la norme juridique de la décision raisonnable.

[27]  Après avoir conclu que le demandeur principal n’était pas crédible, l’agent n’était pas tenu de décider s’il était interdit de territoire. À cet égard, je renvoie à la décision Ramalingam c Canada (Citoyenneté et Immigration), [2012] 4 RCF 457, au paragraphe 37 :

[…] un agent peut rejeter une demande [fondée sur le paragraphe 11(1)] sans avoir à conclure expressément que le demandeur est interdit de territoire, au motif que, comme le demandeur n’a pas donné un portrait complet de ses antécédents, l’agent n’est pas en mesure de conclure que le demandeur n’est pas interdit de territoire.

[28]  Selon la décision dans la présente demande de contrôle judiciaire, l’agent a pris en compte l’intérêt supérieur des enfants mineurs lorsqu’il a apprécié l’exercice du pouvoir discrétionnaire fondé sur des considérations d’ordre humanitaire. Il a conclu que cet intérêt n’avait pas dissipé les préoccupations qu’il avait et qui l’empêchaient d’être convaincu que le demandeur principal n’était pas interdit de territoire au Canada.

[29]  À mon avis, la conclusion de l’agent relative aux considérations d’ordre humanitaire était raisonnable, compte tenu de la preuve et des observations présentées.

[30]  L’agent n’a pas abordé directement la question de la « solution durable » au sens qu’ont ces mots à l’alinéa 139(1)d) du Règlement. Dans son analyse relative aux considérations d’ordre humanitaire, il a plutôt fait remarquer que les demandeurs résidaient au Tadjikistan à ce moment‑là, et pouvaient continuer d’y résider, sous le statut de réfugié.

[31]  En tenant compte de la preuve dont disposait l’agent, je suis convaincue qu’il a raisonnablement examiné et tranché la question relative à la solution durable.

[32]  Les demandeurs n’ont pas établi qu’il y avait eu un manquement à l’équité procédurale ni que l’agent avait commis une autre erreur susceptible de contrôle. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.

[33]  L’intitulé de la cause a été modifié pendant l’audience, de manière à ce que le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, désigné à titre de défendeur, soit remplacé par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑4809‑19

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.

« E. Heneghan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B., juriste‑traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4809‑19

 

INTITULÉ :

SHAH WALI NAZARI, RAZIA NAZARI, FOROZAN NAZARI, BASIRA NAZARI, LIDA JAN NAZARI, ALI DIDAR NAZARI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

L’AUDIENCE A ÉTÉ TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE LE 2 SEPTEMBRE 2020 À ST. JOHN’S (TERRE-NEUVE-ET-LABRADOR) (LA COUR), AINSI QU’À OTTAWA (ONTARIO) ET À TORONTO (ONTARIO) (LES PARTIES)

JUGEMENT ET MOTIFS :

la juge heneghan

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 4 NOVEMBRE 2020

COMPARUTIONS :

Mohammad Hadi Hakimi

Farah Issa

POUR LES DEMANDEURS

Susanne Wladysiuk

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Hakimi Law Office

Avocat

Ottawa (Ontario)

Farah Issa

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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