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Date : 20060501

Dossier : IMM-2670-05

Référence : 2006 CF 547

Ottawa (Ontario), le 1er mai 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JAMES RUSSELL

 

ENTRE :

ADDIS GEBREMICHAEL et

HIWOTE GEBREMICHAEL

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

DEMANDE

 

[1]        Il s’agit d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), en vue d’obtenir le contrôle judiciaire de la décision datée du 13 avril 2005 (la décision) par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a décidé qu’Addis Gebremichael (le demandeur principal) et sa sœur Hiwote Gebremichael n’ont pas qualité de réfugiés au sens de la Convention ni de personnes à protéger.

 

CONTEXTE

[2]        Les demandeurs sont citoyens de l’Éthiopie. Ils prétendent craindre avec raison d’être persécutés en Éthiopie du fait de leurs opinions politiques parce qu’ils sont membres du All Ethiopia Unity Party (AEUP), et du fait de leur origine ethnique amharique.

 

[3]        Le demandeur principal, Addis Gebremichael, affirme s’être joint en octobre 2003 au comité local de l’AEUP à Bahir Dar, pendant qu’il fréquentait l’université de Bahir Dar. Il assistait aux réunions hebdomadaires, distribuait des tracts et organisait des rassemblements. Le 8 février 2004, on l’a averti de cesser de participer aux activités de l’AEUP. À la suite d’une manifestation tenue le 21 février 2004, il a été arrêté et gardé en détention au poste de police de Bahir Dar. Il prétend avoir été battu et torturé pendant trois semaines avant d’être relâché, le 24 mars 2004, à la condition de se présenter chaque semaine au poste de police. Il est allé au domicile de ses parents, à Addis-Abeba, avant de se cacher. Le 17 avril 2004, des agents du kebele, qui étaient à sa recherche, se sont présentés au domicile du demandeur principal; ne le trouvant pas, ils ont violé sa sœur, Hiwote. Cette dernière a été hospitalisée pendant trois jours. Les parents des demandeurs ont pris des dispositions pour que ceux‑ci fuient l’Éthiopie. Les demandeurs ont obtenu des visas de visiteur en juillet 2004, sont arrivés au Canada le 20 août 2004 et ont demandé l’asile le 16 septembre 2004.

 

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[4]        La Commission a conclu que la demande d’asile des demandeurs n’était pas crédible et elle a jugé que les demandeurs n’avaient pas qualité de réfugiés au sens de la Convention ni de personnes à protéger. Elle a conclu que ni l’un ni l’autre des demandeurs n’était un témoin digne de foi ou crédible.

 

[5]        La Commission a dit douter que le demandeur principal était membre de l’AEUP. Ce dernier a fourni une lettre signée à Addis-Abeba indiquant qu’il avait été membre de l’AEUP à Bahir Dar, mais la Commission n’y a accordé aucune importance. Elle a fait remarquer que la lettre ne décrivait aucune des activités alléguées du demandeur principal qui avaient amené ce dernier à fuir l’Éthiopie. Elle a décidé que la lettre avait été écrite expressément pour étayer la demande d’asile du demandeur principal.

 

[6]        La Commission a également souligné que le témoignage du demandeur principal selon lequel l’administration de l’université avait informé la police de ses activités politiques et lui était hostile, contredisait une lettre que l’université de Bahir Dar lui avait remise. La Commission a jugé fort peu plausible que l’université remette cette lettre à un étudiant qui avait manifesté contre elle et dont les activités avaient été signalées à la police. La Commission a ajouté que la lettre de l’université ne mentionne aucune des activités politiques présumées du demandeur. Elle a donc conclu que l’absence de ce genre de renseignements donnait à penser que le demandeur principal n’avait pas pris part à des manifestations et n’était pas ciblé par les autorités.

 

[7]        En ce qui concerne les allégations de détention et de torture, la Commission a souligné que le demandeur principal n’avait fourni aucun rapport médical pour étayer sa prétention selon laquelle il avait reçu des soins médicaux pour les blessures subies lorsqu’il avait été battu. Le demandeur principal a soutenu qu’il ne se souvenait pas du nom du médecin, qu’il avait perdu le document que ce dernier lui avait remis et qu’il lui était impossible d’entrer en contact avec la clinique médicale. La Commission a conclu que s’il avait été battu, le demandeur se serait efforcé d’obtenir le document en question. Les parents des demandeurs avaient fait des efforts pour obtenir d’autres documents qui étaient nécessaires pour les visas de visiteur. La Commission a tiré une conclusion défavorable de l’inaction concernant les documents médicaux.

 

[8]        La Commission a tiré aussi une conclusion défavorable à propos de la crainte subjective des demandeurs, car ceux-ci détenaient des visas valides pour les États-Unis mais avaient attendu avant de fuir l’Éthiopie. Les demandeurs ont prétendu avoir entendu dire que les demandes d’asile aux États-Unis étaient refusées et ils ont donc pris des dispositions pour se rendre plutôt au Canada. D’après la Commission, des personnes craignant véritablement pour leur vie se seraient enfuies le plus rapidement possible.

 

[9]        La Commission n’a pas non plus accepté que Hiwote avait été violée par des agents du kebele. Elle n’a pas contesté un rapport médical indiquant que Hiwote avait été violée, mais elle n’a pas cru que ce rapport établissait qu’elle avait été violée précisément par des agents du kebele. De plus, même si un rapport psychologique indiquait que Hiwote souffrait du syndrome de stress post-traumatique (SSPT), la Commission ne croyait pas que les symptômes de ce syndrome étaient attribuables à l’agression sexuelle commise par les agents du kebele parce que Hiwote n’a pas présenté de preuve crédible à l’appui de sa demande d’asile.

 

[10]      La Commission a de plus souligné que Hiwote a continué de fréquenter l’école jusqu’en juin 2004, après le présumé viol. Hiwote aurait agi ainsi parce que les autorités étaient à la recherche de son frère. La Commission a considéré que cette réponse était insatisfaisante, concluant qu’une victime véritable aurait craint pour sa sécurité et aurait tenté de se protéger pour éviter d’autres rencontres avec les agents du kebele. La Commission a ajouté que la chronologie n’étayait pas la prétention de Hiwote, car ses parents avaient décidé en avril 2004 que son frère et elle devaient fuir l’Éthiopie.

 

[11]      La Commission a aussi tiré des conclusions défavorables au sujet de la crédibilité à cause d’omissions constatées dans les formulaires de renseignements personnels (FRP) des demandeurs. Le demandeur principal a soutenu que sa mère avait été détenue pendant une quinzaine de jours; or, cette information n’apparaissait pas dans son FRP. Il a expliqué qu’il ignorait qu’il devait le mentionner, mais la Commission a jugé cette explication insuffisante. Le demandeur principal a aussi soutenu que d’autres membres de l’AEUP avaient été détenus dans des circonstances analogues. Cette information ne figurait pas dans son FRP parce qu’il ne croyait pas qu’elle était importante. La Commission a rejeté cette explication, car le FRP indique clairement que le demandeur doit fournir des renseignements au sujet de personnes se trouvant dans une situation similaire. Elle a aussi fait remarquer que le demandeur principal avait retenu les services d’un avocat d’expérience. La Commission a conclu que si des pairs du demandeur principal avaient effectivement été détenus, cela aurait été noté dans son FRP. Elle a considéré que cette allégation était une exagération destinée à étayer sa demande d’asile.

 

[12]      La Commission n’a pas non plus accordé de poids à un rapport de police qui a été produit pour prouver que les autorités éthiopiennes recherchaient le demandeur principal. Elle a dit qu’étant donné qu’elle avait conclu que le demandeur principal n’était pas membre de l’AEUP et n’aurait donc pas été ciblé comme il le soutenait, il ne fallait accorder aucun poids à ce rapport.

 

[13]      Le délai de près d’un mois qui s’est écoulé avant que les demandeurs demandent l’asile a aussi amené la Commission à tirer une conclusion défavorable au sujet de leur crainte subjective d’être persécutés. Les demandeurs ont soutenu qu’ils ne pouvaient pas consulter leur oncle au sujet de la demande d’asile

 et qu’ils ont finalement rencontré un membre de la communauté éthiopienne qui les a aidés. Cette explication concernant le délai a été rejetée. La Commission a conclu que l’oncle avait invité les demandeurs et que le père de ces derniers les avait accompagnés au Canada, en apportant tous les documents nécessaires pour étayer leur demande d’asile, et que des gens qui avaient vraiment peur se seraient efforcés de protéger leur statut afin d’éviter d’être renvoyés du Canada.

 

[14]      La réussite sociale et les expériences des demandeurs et de leurs parents, de même que l’absence totale de rapports faisant état de la persécution des Amharas, ont amené la Commission à conclure que les demandeurs n’avaient pas subi de graves préjudices à cause de leur origine ethnique amharique. Elle a conclu qu’il n’y avait pas plus qu’une simple possibilité que les demandeurs soient persécutés du fait de leur origine ethnique s’ils étaient renvoyés en Éthiopie.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[15]      Les demandeurs soulèvent la question suivante :

1.                  La Commission a-t-elle commis une erreur de droit ou de fait, manqué à l’équité ou outrepassé sa compétence en décidant que la preuve des demandeurs n’était pas crédible?

 

OBSERVATIONS DES DEMANDEURS

[16]      Les demandeurs font valoir qu’en rejetant le rapport de police parce que d’autres éléments de preuve avaient été rejetés eux aussi, la Commission a commis une erreur. La Commission a tiré cette conclusion sans se reporter à la preuve. Selon les demandeurs, un document officiel ne peut pas être rejeté pour le simple motif qu’une preuve orale ou d’autres éléments de preuve sont écartés (Ramalingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 10 (QL) (1re inst.)). Ils soutiennent que la Commission avait l’obligation de fournir une raison suffisante au rejet du rapport de police et que cette omission est un motif suffisant pour infirmer la décision (Lin c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 85 FTR 157, [1994] A.C.F. no 1567 (QL) (1re inst.)).

 

[17]      Les demandeurs soutiennent également qu’il était manifestement déraisonnable d’écarter la lettre de l’AEUP pour la simple raison qu’elle provenait de la section d’Addis-Abeba du parti. La lettre avait été écrite par le président du parti et même si la Commission a expliqué que cette lettre aurait dû décrire les activités du demandeur principal au sein de l’AEUP, il n’y avait aucun motif d’écarter l’affirmation selon laquelle le demandeur principal était membre de ce parti. Il est manifestement déraisonnable d’attaquer à toutes fins pratiques la crédibilité de la lettre provenant d’un parti politique parce que celle‑ci n’énumère pas les faits qui constituent de la persécution (Owusu-Ansah c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1988), 8 Imm. L.R. (2d) 106 (C.A.F.)). Étant donné qu’il y avait pour le demandeur principal plus qu’une simple possibilité qu’il soit persécuté en tant que membre de l’AEUP, toute erreur liée à la lettre était clairement déterminante.

 

[18]      Les demandeurs soutiennent de plus que la conclusion de la Commission au sujet de la lettre de l’université était conjecturale et manifestement déraisonnable. L’argument premier du demandeur principal est que, même si l’université était hostile à son égard, elle lui aurait quand même fourni la lettre habituelle indiquant qu’il était étudiant.

 

[19]      Quant à l’absence d’un rapport médical, le demandeur principal prétend que la Commission n’a pas pris en considération la totalité de son explication en négligeant de tenir compte de la douleur qu’il éprouvait au moment où il a reçu des traitements médicaux.

 

[20]      Les demandeurs allèguent aussi que la Commission a commis une erreur en concluant que le demandeur principal avait appris par son père que sa mère avait été détenue, alors qu’il avait déclaré lors de son témoignage avoir été mis au courant de la détention de sa mère quand celle‑ci le lui avait dit au téléphone.

 

[21]      Le demandeur principal affirme qu’il n’a pas quitté l’Éthiopie immédiatement parce que ses parents n’avaient pas pu lui trouver une place à bord d’un vol, et qu’il est resté caché jusqu’à ce que les dispositions nécessaires puissent être prises. Selon lui, la Commission a commis une erreur en omettant de dire pourquoi le fait de s’être caché n’expliquait pas de manière satisfaisante ce délai, compte rendu en particulier du fait que la jurisprudence tend à accepter ce genre d’explication.

 

[22]      Au sujet de la crédibilité de Hiwote, les demandeurs affirment que la Commission a commis une erreur en considérant son comportement du point de vue d’un adulte. Ils allèguent que la Commission s’est trompée en ne tenant pas compte du fait que la demanderesse était une mineure souffrant du SSPT. Comme elle était âgée de moins de 18 ans, et qu’elle avait été violée, il aurait fallu considérer que son jugement et son raisonnement étaient ceux d’une mineure. Les demandeurs font remarquer que la Cour a jugé acceptables des cas où une demanderesse a continué de vaquer à ses occupations quotidiennes pendant un certain temps avant de s’enfuir, même lorsqu’elle devait faire face à des incidents de persécution (Anwar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] A.C.F. no 1434, 2002 CFPI 1077 (QL) (1re inst.)).

 

[23]      Les demandeurs allèguent qu’étant donné que la Commission a admis le diagnostic formulé dans le second rapport médical ainsi que l’état psychologique de Hiwote, il était manifestement déraisonnable de conclure que son comportement était peu plausible.

 

[24]      Selon les demandeurs, au moment d’apprécier la crédibilité de Hiwote, la Commission aurait dû tenir compte des Directives données par la présidente (Directives no 3 – Les enfants qui revendiquent le statut de réfugié : Questions relatives à la preuve et à la procédure) concernant l’évaluation du témoignage d’un enfant. L’omission d’appliquer les Directives constituait une erreur de droit (Narvarez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] 2 C.F. 55 (1re inst.)).

 

[25]      La Commission a également conclu de façon manifestement déraisonnable à l’existence d’un délai indu en l’espèce. Les demandeurs font également référence à des causes qui confirment que la Commission n’est pas compétente en matière de documents officiels délivrés par des gouvernements étrangers.

 

[26]      Le demandeur principal a déclaré que, depuis son arrivée au Canada, il a participé aux activités politiques de l’AEUCRO. Les demandeurs affirment que cela constitue un motif distinct pour lequel il serait en danger (argument invoqué par l’avocat des demandeurs devant la Commission; voir le dossier certifié du tribunal, aux p. 405 et 406). Selon eux, la Commission était tenue d’examiner cet élément de la demande d’asile « sur place » en vertu de l’article 96 de la LIPR. Les demandeurs soutiennent aussi que cette omission constitue une erreur capitale susceptible de contrôle (Ghasemian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1266; Chen c. Canada (Solliciteur général) (1993), 68 FTR 9, [1993] A.C.F. no 779 (QL) (1re inst.); Moradi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 155 FTR 269, [1998] A.C.F. no 1348 (QL) (1re inst.), au par. 17).

 

[27]      Enfin, les demandeurs font valoir que la Commission a commis une erreur en n’effectuant pas une analyse fondée sur l’article 97, ce qui était en l’espèce une obligation absolue parce que les activités du demandeur principal étaient de nature politique. Cette analyse s’impose, et ce, même si la Commission conclut que le récit du demandeur n’est pas crédible, du moment qu’il y a une preuve objective et crédible qui se rapporte à l’article 97 (Asu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1693; Soleimanian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1660; Anthonimuthu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 141). Les demandeurs font valoir, subsidiairement, que les motifs de la Commission au sujet de l’article 97 sont insuffisants (Via Rail Canada Inc. c. Office national des transports, [2001] 2 C.F. 25 (C.A.F.)).

 

OBSERVATIONS DU DÉFENDEUR

[28]      Le défendeur soutient que la Commission n’a pas commis d’erreur dans son évaluation de la preuve documentaire produite par les demandeurs.

 

[29]      En ce qui concerne la lettre de la police, le défendeur affirme que la Commission n’y a accordé aucun poids après avoir exprimé des doutes sur son origine. La Commission a souligné que la lettre provenait de la police d’Addis-Abeba, alors que le demandeur principal a eu des démêlés avec la police de Bahir Dar. Elle a aussi indiqué qu’elle n’avait pas tiré ces conclusions isolément, mais que celles-ci faisaient suite à plusieurs conclusions défavorables au sujet de la crédibilité, y compris celle selon laquelle la mère n’avait pas été détenue comme l’alléguaient les demandeurs. Contrairement à ce qu’affirment les demandeurs dans leurs observations, la jurisprudence indique clairement que la Commission peut faire abstraction de documents sans faire de vérifications s’il y a suffisamment d’éléments de preuve permettant de douter de leur authenticité ou si le demandeur n’est pas digne de foi (Allouche c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 339, au par. 4 (QL) (1re inst.); Culinescu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1997), 136 F.T.R. 241, aux par. 14 et 15 (1re inst.); Riveros c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 1009, aux par. 53 et 54). Il ne convient pas de modifier la décision sauf si elle était manifestement déraisonnable.

 

[30]      Le défendeur soutient que la Commission a fourni des motifs suffisants pour expliquer pourquoi elle n’a accordé aucun poids à la lettre de l’AEUP. Elle en a fait autant pour ses conclusions au sujet de la lettre de l’université. La Commission a une expérience et des connaissances spécialisées qui s’étendent aux preuves documentaires, et les conclusions qu’elle a tirées au sujet de ces deux lettres étaient fondées et raisonnables (Merja c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 73, aux par. 45 et 47).

 

[31]      D’après le défendeur, il était raisonnable que la Commission tire une conclusion défavorable du fait que le demandeur principal n’a pas tenté d’obtenir un rapport médical au sujet des traitements reçus pour les blessures qu’il aurait subies lors des présumées agressions. Cette conclusion défavorable a été renforcée par le fait que les parents des demandeurs ont réussi à obtenir d’autres documents.

 

[32]      Le défendeur fait aussi remarquer que la Commission a peut-être bien commis une erreur en laissant entendre que le demandeur principal avait appris par son père, et non pas directement par sa mère, que celle‑ci avait été détenue, mais que cette interprétation erronée de la preuve, qui est isolée, n’est pas importante car le véritable problème que posait la détention alléguée de la mère était que le demandeur principal n’en avait pas fait mention dans son FRP. Selon le défendeur, l’omission de renseignements importants dans un FRP peut amener raisonnablement la Commission à douter de la crédibilité d’un demandeur (Kammoun c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 217; Basseghi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1867 (QL) (1re inst.); Castroman c. Canada (Secrétaire d’État) (1994), 27 Imm. L.R. (2d) 129 (C.F. 1re inst.); Grinevich c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 444 (QL) (1re inst.); Sanchez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 536 (QL) (1re inst.)).

 

[33]      La Commission a souscrit à l’argument des demandeurs selon lequel ils ont vécu cachés jusqu’à ce que des dispositions eurent été prises en vue de leur départ pour le Canada, mais le défendeur affirme que la préoccupation principale de la Commission était qu’ils ne sont pas allés aux États-Unis alors qu’ils avaient des visas américains valides. Il était loisible à la Commission de conclure que l’explication des demandeurs était inacceptable, et il s’ensuit qu’il était raisonnable de conclure que l’inaction des demandeurs ne traduit pas l’attitude de personnes qui ont une crainte fondée et subjective (Huerta c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 157 N.R. 225 (C.A.F.); Radulescu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 589 (QL) (1re inst.); Hristov c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 32 (QL) (1re inst.), aux par. 13 et 22‑24).

 

[34]      Pour ce qui est de la demande d’asile de Hiwote, le défendeur soutient qu’il ressort clairement de la décision que la Commission a tenu compte du fait qu’elle était mineure au moment de l’audience. Dans la décision, la demanderesse est appelée la « demandeure mineure ».

 

[35]      Le défendeur conteste aussi les arguments des demandeurs au sujet du rapport psychologique et il affirme que ces derniers demandent en réalité que la Cour réévalue la preuve psychiatrique, ce qui lui est interdit (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Szoradi, 2003 CFPI 388, au par. 19). Le défendeur soutient que le diagnostic n’empêchait pas la Commission de conclure que la demande de Hiwote est invraisemblable. Il était raisonnable pour la Commission de conclure que le rapport du psychologue confirmait les problèmes de SSPT dont souffrait Hiwote, mais non les faits particuliers qui, d’après elle, donnaient lieu à sa crainte de persécution (Al-Kahtani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 335 (QL) (1re inst.), au par. 14).

 

[36]      Le défendeur conclut que la Commission a fait preuve de bon sens, comme elle est en droit de le faire, en trouvant curieux que Hiwote ait continué de fréquenter l’école après avoir été censément violée par des agents qui étaient à la recherche de son frère. Il était loisible à la Commission de considérer qu’une personne qui aurait vraiment été agressée ou maltraitée se serait efforcée de se protéger contre toute agression ultérieure (Alizadeh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 11 (QL) (C.A.)).

 

ANALYSE

            Crédibilité

                        Norme de contrôle

[37]      À mon avis, la norme de contrôle à appliquer en l’espèce est celle de la décision manifestement déraisonnable. Un résumé utile de plusieurs des principes applicables aux faits de l’espèce figure dans R.K.L. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [2003] A.C.F. no 162, 2003 CFPI 116 (QL) (1re inst.) :

[7]        L'évaluation de la crédibilité d'un demandeur constitue l'essentiel de la compétence de la Commission. La Cour a statué que la Commission a une expertise bien établie pour statuer sur des questions de fait, et plus particulièrement pour évaluer la crédibilité et la crainte subjective de persécution d'un demandeur : voir Rahaman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. n1800, au paragr. 38 (QL) (1re inst.); Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, au paragr. 14.

 

[8]        En outre, il a été reconnu et confirmé qu'en ce qui concerne la crédibilité et l'appréciation de la preuve, la Cour ne peut pas substituer sa décision à celle de la Commission si le demandeur n'a pas réussi à établir que la décision de la Commission était fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans qu'il soit tenu compte des éléments dont elle disposait : voir Akinlolu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. n296, au paragr. 14 (QL) (1re inst.) (Akinlolu); Kanyai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. n1124, au paragr. 9 (QL) (1re inst.) (Kanyai); le motif de contrôle prévu à l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale.

 

[9]        Normalement, la Commission peut à bon droit conclure que le demandeur n'est pas crédible à cause d'invraisemblances contenues dans la preuve qu'il a présentée, dans la mesure où les inférences qui sont faites ne sont pas déraisonnables et que les motifs sont formulés « en termes clairs et explicites » : voir Hilo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 130 N.R. 236 (C.A.F.); Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.) (Aguebor); Zhou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1087 (QL) (C.A.); Kanyai, précitée, au paragr. 10.

 

[10]      La Commission peut aussi à bon droit tirer des conclusions raisonnables fondées sur des invraisemblances, le bon sens et la raison : voir Shahamati c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 415, au paragr. 2 (QL) (C.A.); Aguebor, précitée, au paragr. 4. La Commission peut rejeter des preuves non réfutées si celles-ci ne sont pas compatibles avec les probabilités propres à l'affaire dans son ensemble, ou si elle relève des contradictions dans la preuve : voir Akinlolu, précitée, au paragr. 13; Kanyai, précitée, au paragr. 11.

 

[11]      Ce ne sont cependant pas tous les types d'incohérence ou d'invraisemblance contenue dans la preuve présentée par le demandeur qui justifieront raisonnablement que la Commission tire des conclusions défavorables sur la crédibilité en général. Il ne conviendrait pas que la Commission tire ses conclusions après avoir examiné « à la loupe » des éléments qui ne sont pas pertinents ou qui sont accessoires à la revendication du demandeur : voir Attakora c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1989), 99 N.R. 168, au paragr. 9 (C.A.F.) (Attakora); Owusu-Ansah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] A.C.F. no 442 (QL) (C.A.) (Owusu-Ansah). La Cour a statué en particulier que le fait qu'un revendicateur voyage avec de faux documents, détruit ses documents de voyage ou ment à leur sujet à son arrivée sur les instructions d'un agent est accessoire et a une valeur très limitée aux fins de l'évaluation de la crédibilité en général : voir Attakora, précitée; Takhar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. n240, au paragr. 14 (QL) (1re inst.) (Takhar).

 

[12]      En outre, la Commission ne devrait pas s'empresser d'appliquer une logique et un raisonnement nord-américains à la conduite du revendicateur. Il faut tenir compte de l'âge, des antécédents culturels et des expériences sociales du revendicateur : voir Rahnema c. Canada (Solliciteur général), [1993] A.C.F. n1431, au paragr. 20 (QL) (1re inst.); El-Naem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. n185 (QL) (1re inst.). De plus, un manque de cohérence dans le témoignage du revendicateur devrait être considéré à la lumière de l'état psychologique de ce dernier, en particulier lorsque cet état est étayé par des documents médicaux : voir Reyes c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 282 (QL) (C.A.); Sanghera c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 73 F.T.R. 155; Luttra Nievas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. n34 (QL) (1re inst.).

 

[13]      Le premier récit que fait une personne est généralement le plus fidèle et, de ce fait, celui auquel il faut ajouter le plus de foi. Cela étant dit, l'omission d'un fait, bien qu'elle puisse être préoccupante, ne devrait pas toujours l'être. Tout dépend encore une fois des circonstances : voir Fajardo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 915, au paragr. 5 (QL) (C.A.); Owusu-Ansah, précité; Sheikh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. n568 (QL) (1re inst.). Lorsqu'elle évalue les premiers rapports du demandeur avec les autorités canadiennes de l'Immigration ou qu'elle fait référence aux déclarations faites par le demandeur au point d'entrée, la Commission devrait être attentive également au fait que [traduction] « la plupart des réfugiés ont vécu dans leur pays d'origine des expériences qui leur donnent de bonnes raisons de ne pas faire confiance aux personnes en autorité » : voir le professeur James C. Hathaway, The Law of Refugee Status, Toronto, Butterworth, 1991, aux p. 84 et 85; Attakora, précitée; Takhar, précitée.

 

[14]      Finalement, la Commission devrait évaluer la crédibilité du demandeur et la vraisemblance de son témoignage en tenant compte des conditions existant dans le pays de celui-ci et des autres éléments de preuve documentaire dont elle dispose. Les incohérences mineures ou secondaires contenues dans la preuve du demandeur ne devraient pas inciter la Commission à conclure à une absence générale de crédibilité si la preuve documentaire confirme la vraisemblance du récit de celui-ci : voir Attakora, précitée; Frimpong c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] A.C.F. no 441 (QL) (C.A.).

 

 

[38]      Bien que les conclusions que tire la Commission en matière de crédibilité commandent une grande retenue, le résumé qui précède indique clairement qu’il existe des cas où une intervention de la Cour peut être justifiée. En l’espèce, les conclusions de la Commission comportent un peu de tout et il faut donc les examiner une après l’autre si l’on veut arriver à des conclusions générales sur la décision qui a été rendue.

 

La demande d’asile du demandeur principal et l’utilisation que la Commission a faite de la preuve documentaire

[39]      L’utilisation que la Commission a faite de la lettre de l’AEUP soulève deux sujets de préoccupation distincts. La Commission dit simplement qu’elle n’a accordé aucun poids à la lettre (décision, page 4). Il lui était loisible de conclure qu’étant donné que la lettre du bureau de l’AEUP à Addis-Abeba ne fournissait aucun détail sur les faits qui avaient amené le demandeur à fuir l’Éthiopie, il ne fallait lui accorder aucun poids au moment de déterminer si les autorités éthiopiennes avaient ciblé le demandeur en raison de ses activités politiques.

 

[40]      Cependant, la conclusion de la Commission selon laquelle elle [Traduction] « n’accorde aucun poids à cette lettre » donne à penser qu’elle a également fait abstraction de ce document lorsqu’elle a examiné si le demandeur principal était bien membre de l’AEUP. C’est ce qui ressort de la conclusion générale de la Commission selon laquelle elle avait [Traduction] « des motifs valables de mettre en doute les prétentions du demandeur d’asile principal selon lesquelles il était membre de l’AEUP ». Je conviens avec les demandeurs que la Commission n’a motivé en aucune façon son rejet de l’affirmation, dans la lettre, que le demandeur était membre de l’AEUP. En concluant qu’elle doutait de l’appartenance du demandeur principal à ce parti, la Commission aurait dû expliquer pourquoi elle ne pouvait pas accepter la lettre de l’AEUP dans le but d’établir l’appartenance du demandeur à cette organisation. La Commission reconnaît que le demandeur principal a produit la lettre de l’AEUP [traduction] « pour montrer qu’il en était un membre actif ». La Commission n’accorde toutefois aucun poids à la lettre car [Traduction] « elle ne dit absolument rien sur les activités du demandeur d’asile principal et les problèmes qu’il aurait eus ». Selon moi, la Commission s’est trompée en tirant une conclusion de fait erronée sur un élément de preuve important. Comme l’appartenance du demandeur principal à l’AEUP était un fait essentiel dans sa demande d’asile, cette erreur était très importante.

 

[41]      Pour ce qui est de la lettre de l’université de Bahir Dar, je crois que la Commission a souligné avec raison qu’elle avait été écrite à la demande de l’étudiant, ce qui jette un doute sur la prétention du demandeur principal selon laquelle c’est son père qui a obtenu ce document. À mon avis, cependant, la Commission s’est fiée à tort à cette lettre en y trouvant plus d’informations qu’elle n’en contient. Il est clair que la lettre de l’université de Bahir Dar est une lettre type qui confirme que le demandeur principal avait le statut d’étudiant pendant la période en cause. La Commission dit qu’elle [traduction] « trouve raisonnable de croire que si le demandeur d’asile était véritablement un activiste politique, l’université aurait fait état dans sa lettre de la conduite du demandeur d’asile principal au sujet de son engagement politique » (décision, page 6). À mon avis, il s’agit d’une présomption manifestement déraisonnable, et la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle en se servant de la lettre pour attaquer, en ces termes, la prétention du demandeur principal :

 

[traduction] [L]’absence de cette information dans la lettre amène la Commission à conclure que le demandeur d’asile principal n’a pas pris part à des manifestations et n’était pas ciblé par les autorités, comme il l’a prétendu.

 

 

À mon avis, la lettre de l’AEUP et celle de l’université de Bahir Dar confirment simplement la participation du demandeur principal à un groupe politique et son statut d’étudiant universitaire. Il s’agit des raisons pour lesquelles ces documents ont été produits. Il était loisible à la Commission de n’accorder à ces lettres aucun poids en ce qui concerne les allégations d’arrestation, de détention et de torture du demandeur principal; cependant, même si ces documents ne confirment pas ces allégations, cela n’aurait pas dû amener la Commission à tirer le genre de conclusions défavorables générales auxquelles elle est arrivée.

 

[42]      La Commission a fait abstraction du rapport de police en disant que [traduction] « [é]tant donné qu’il a conclu que le demandeur d’asile n’était pas membre de l’AEUP et n’était pas ciblé comme il le prétendait, le tribunal n’accorde aucun poids à ce document » (décision, p. 10). Comme je crois qu’il était manifestement déraisonnable de conclure, sur la foi de la lettre de l’AEUP, que le demandeur principal n’était pas membre de ce parti, il s’ensuit qu’il était manifestement déraisonnable d’écarter ainsi le rapport de police. Même si la Commission souligne aussi que le rapport a été établi à Addis-Abeba alors que les problèmes du demandeur principal ont eu lieu à Bahir Dar, ce n’est pas là, selon moi, un motif probant suffisant pour douter de l’authenticité du document.

 

[43]      Malgré ces erreurs, d’autres preuves documentaires et orales étayent la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur principal n’a pas pris part à des manifestations politiques, n’a pas été arrêté et n’a pas été torturé. Il était loisible à la Commission de tirer une conclusion défavorable du fait que le demandeur principal n’a pas tenté de trouver une preuve documentaire des traitements médicaux qu’il aurait reçus après avoir été censément incarcéré et torturé. En outre, étant donné que l’omission de faits cruciaux dans un FRP peut fonder une conclusion défavorable quant à la crédibilité, la Commission était en droit de conclure que la mère des demandeurs n’avait pas été détenue comme ils le prétendaient et il était raisonnable d’attaquer pour cette raison la crédibilité de la demande d’asile du demandeur principal (El Masalati c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1311; Robles c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. no 520 (QL) (1re inst.), au par. 43).

 

[44]      Habituellement, il peut être justifié pour une personne de tarder à fuir un pays si elle vit cachée à ce moment-là, mais la Commission a clairement expliqué pourquoi, en l’espèce, elle a tiré une conclusion défavorable au sujet du délai. Il lui était loisible de conclure que les raisons invoquées pour ne pas avoir quitté le pays plus tôt n’expliquaient pas de manière suffisante pourquoi les demandeurs n’étaient pas partis alors qu’ils avaient des visas valides pour les États‑Unis. La Commission a conclu que [traduction] « une personne craignant véritablement pour sa vie fuirait le pays à la première occasion » (décision, p. 7; dossier des demandeurs, p. 13). Selon moi, cette conclusion raisonnable explique clairement pourquoi la Commission a tiré une conclusion défavorable au sujet de la crainte subjective des demandeurs.

 

[45]      De plus, il n’était pas déraisonnable pour la Commission de tirer une conclusion défavorable du temps qu’a mis le demandeur principal à solliciter l’asile après son arrivée au Canada. La Commission a clairement expliqué que ce délai, même s’il ne s’agissait pas d’un facteur déterminant, dénotait bel et bien un comportement qui ne cadrait pas avec une crainte subjective de persécution.

 

                        La demande d’asile de la demanderesse mineure

 

[46]      En ce qui concerne la demande d’asile de Hiwote, la Commission a conclu que [traduction] « une personne qui aurait été vraiment agressée et maltraitée craindrait pour sa sécurité et s’efforcerait de se protéger contre toute rencontre de ce genre à l’avenir » (décision, p. 8). La Commission a tiré une conclusion défavorable au sujet de la crainte subjective de Hiwote. Je crois qu’en agissant ainsi, la Commission est tombée dans le piège contre lequel une mise en garde a été formulée dans Anwar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1077.

 

[47]      Dans Anwar, comme le signalent les demandeurs, une personne a continué de vaquer à ses occupations quotidiennes après avoir été arrêtée et mise en liberté à quatre occasions distinctes. Ce n’est qu’après la cinquième fois qu’elle s’est cachée. Dans Anwar, la Cour a fait une série d’observations utiles :

[48]      L'analyse faite par le tribunal en ce qui a trait aux arrestations de la revendicatrice et à ses comportements subséquents mérite un examen. Le tribunal a conclu que le comportement de la demanderesse et de sa famille lors des quatre premières arrestations n'était pas vraisemblable. Une telle conclusion a été formulée et expliquée tout au long des motifs du tribunal.

 

[49]      À mon avis, le tribunal a cependant évalué la vraisemblance de leur conduite pendant cette période avec un recul qui ne convient pas. En jetant un coup d'œil rétrospectif sur la période concernée, on voit quatre arrestations successives en 1999. Le fait que la revendicatrice ait continué à aller à l'école après chacune des quatre premières arrestations, plutôt que de demeurer à la maison, a constitué un élément qui a amené le tribunal à conclure que la version des événements présentée par la demanderesse était invraisemblable.

 

[50]      Toutefois, le dossier qui contient la transcription de l'audience, révèle que la revendicatrice agissait en étant convaincue qu'elle n'avait rien fait de mal et que par conséquent elle ne devrait pas changer la manière dont elle menait sa vie. Dans Samani, précitée, le juge Hugessen a dit au paragraphe 4 :

 

[...] L'argument voulant qu'une action soit invraisemblable simplement parce qu'elle peut se révéler dangereuse pour celui qui la commet par engagement politique, n'a jamais été particulièrement convaincante.

 

[51]      J'hésite à accepter complètement la prétention de la demanderesse que le fait qu'elle aille à l'école dans les circonstances devait être considéré comme le comportement d'une personne politiquement engagée. Cependant, j'accepte le raisonnement du juge Hugessen pour qui le comportement qu'un demandeur rapporte dans son témoignage n'est pas invraisemblable simplement parce qu'il est considéré comme à risques à partir de la position d'observation privilégiée d'un tribunal de la SSR, ou de celle d'une cour de justice qui procède à un contrôle judiciaire en ayant à sa disposition un dossier complet. Sans m'engager dans une spéculation comme celle qui a amené le tribunal à s'égarer dans la présente affaire, je ne peux m'imaginer que la preuve documentaire ou toute autre preuve au dossier mènerait nécessairement à la conclusion que la demanderesse n'avait aucune raison de croire, ou d'espérer, qu'après la première période de détention, pendant laquelle elle a nié être au courant de ce qui était allégué, ses démêlés avec les autorités prendraient fin.

 

[52]      Le tribunal a constaté que ses trois premières périodes de détention avaient duré respectivement une semaine, deux jours et cinq jours et qu'entre mai 1999 et mars 2000, la demanderesse n'avait pas été arrêtée. Il n'était pas invraisemblable pour elle de croire, pendant cette période, que le pire pour elle était passé. Il n'était pas non plus invraisemblable de croire que malgré les atteintes à son intégrité physique, comme le fait d'avoir reçu des électrochocs, d'avoir été battue et arrosée d'eau froide, il ait fallu une menace à son intégrité sexuelle pour faire naître chez elle la volonté d'entrer dans la clandestinité. Les conclusions du tribunal à cet égard sont déraisonnables étant entendu qu'elles ne sont pas justifiées par le dossier qui m'est soumis.

 

 

[48]      À mon avis, en l’espèce, la Commission a examiné le comportement de Hiwote, et surtout son retour à l’école, avec un recul qui ne convient pas. Il n’était pas invraisemblable que Hiwote ait cru ou espéré honnêtement qu’elle ne serait plus agressée sexuellement et qu’elle ne courrait pas de danger parce que les autorités s’intéressaient à son frère et non à elle. Les conclusions de la Commission sur ce point semblent avoir été tirées dans l’abstrait et ne tiennent pas compte du SSPT dont souffrait Hiwote ou des facteurs culturels qui peuvent avoir influencé sa décision de continuer de fréquenter l’école. Dans son rapport, le psychologue souligne que, dans les cultures amharique et éthiopienne, l’agression sexuelle est hautement stigmatisée (rapport Devins, dossier des demandeurs, page 62). La Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte de cet élément de preuve important et pertinent. Le défendeur fait remarquer que la Commission utilise les mots « demandeure mineure » pour désigner Hiwote et a donc pris acte de son âge. Cependant, quand on lit l’ensemble de la décision de la Commission, on constate qu’il s'agissait manifestement d’une façon de désigner la demanderesse plutôt que d’une manière de montrer que la Commission avait tenté d’examiner le témoignage de Hiwote du point de vue d’une personne ayant le même âge et le même bagage culturel. C’est là l’aspect de la décision qui me préoccupe le plus. La Commission évalue le caractère raisonnable de l’explication de Hiwote selon son propre point de vue et non selon celui de Hiwote.

 

                        Conclusion

[49]      Il y a effectivement un peu de tout dans cette affaire mais, dans l’ensemble, je ne crois pas que l’on puisse maintenir les conclusions défavorables tirées au sujet de la crédibilité. La Commission s’est concentrée d’une manière abusive sur la réponse de Hiwote à la question de savoir pourquoi elle avait continué de fréquenter l’école. Elle n’a pas non plus tenu suffisamment compte de son âge ou de son bagage culturel. La Commission a aussi commis une erreur en entretenant des attentes manifestement déraisonnables quant au contenu des lettres de l’AEUP et de l’université, et en concluant que le demandeur principal n’était pas membre de l’AEUP sans fournir de motifs suffisants pour expliquer pourquoi elle rejetait les documents qui lui avaient été soumis.

 

[50]      À mon avis, ces erreurs, prises cumulativement, minent la décision en entier et il convient d’infirmer celle‑ci. Je vais toutefois examiner les questions qui subsistent.

 

            La demande « sur place » et la demande fondée sur l’article 97

[51]      Dans le survol qu’ils ont fait de l’article 97, les demandeurs se reportent à une décision récente, Kandiah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 181. Dans cette décision, le juge Martineau a dit, au paragraphe 16, « [o]n a parfois conclu dans des causes ultérieures que l’absence d’une analyse distincte de l’article 97 pouvait faire l’objet d’un contrôle judiciaire et on a parfois conclu qu’elle ne pouvait pas faire l’objet d’un contrôle judiciaire, selon les circonstances ». En l’espèce, étant donné que la Commission a statué que le demandeur principal n’était pas membre de l’AEUP, il est compréhensible qu’il n’y ait pas eu analyse distincte de l’article 97. Cependant, comme je l’ai expliqué plus haut, la Commission a commis une erreur en tirant cette conclusion. La possibilité que le demandeur principal ait été membre de l’AEUP, de même que sa présumée adhésion ultérieure à la section de ce parti à Toronto, amènent à se demander s’il pourrait être une personne à protéger advenant son retour en Éthiopie.

 

[52]      Selon les demandeurs, il ressort de la preuve documentaire que toute personne connue pour être un membre actif de l’opposition à l’étranger s’expose à des problèmes si elle retourne en Éthiopie et pourrait être ciblée par les autorités (dossier certifié du tribunal, p. 405-406). Je ne suis pas sûr que la documentation démontre que le demandeur principal est une personne à protéger en vertu de l’article 97, mais il s’agit là d’une décision qui relève de la compétence exclusive de la Commission. Je conviens avec les demandeurs que la Commission aurait dû examiner les éléments « sur place » de la demande d’asile. Cette omission est également une erreur susceptible de contrôle. Les demandeurs ont produit des éléments de preuve et des arguments sur le sujet, et la Commission aurait dû les examiner.


 

ORDONNANCE

 

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision rendue par la Commission le 13 avril 2005 est infirmée et la demande d’asile des demandeurs est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour réexamen.

 

2.                  Il n’y a pas de question à certifier.

 

 

« James Russell »

JUGE

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                          IMM-2670-05

 

INTITULÉ :                                                         ADDIS GEBREMICHAEL et al.

                  c.

                  MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                   Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                 Le 15 mars 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :                    LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                                        Le 1er mai 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Crane                                                        POUR LES DEMANDEURS

 

John Provart                                                           POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michael Crane

Avocat

Toronto (Ontario)

                                                                              POUR LES DEMANDEURS

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                         POUR LE DÉFENDEUR

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