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Date : 20010627

Dossier : T-493-01

Référence neutre : 2001 CFPI 708

ENTRE :

                                          APOTEX INC.

                                                                                       demanderesse

                                                  - et -

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeurs

        MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE HENEGHAN


[1]    Par avis de requête, AstraZeneca (la requérante) sollicite une ordonnance obligeant Apotex Inc. (la demanderesse) à révéler si son médicament Apo-X est un produit d'oméprazole ou un produit de magnésium de l'oméprazole. Si c'est le cas, alors la requérante sollicite une autre ordonnance l'autorisant à participer à la présente demande de contrôle judiciaire en qualité de partie ou, à titre subsidiaire, en qualité d'intervenante.

[2]    La demanderesse et le défendeur le ministre de la Santé (le ministre) s'opposent à la requête et soutiennent que la requérante n'a droit à aucun des recours qu'elle sollicite.

[3]    La requérante est un fabricant de produits pharmaceutiques. Autrefois connue sous le nom d'AstraPharma Canada Inc., elle a obtenu l'approbation du ministre pour divers produits d'oméprazole et de magnésium de l'oméprazole et est titulaire de brevets inscrits au registre des brevets à l'égard de ces produits. Selon la requérante, jusqu'à présent, il y a eu plusieurs instances concernant la demanderesse, la requérante et soit l'oméprazole soit le magnésium de l'oméprazole et ces instances se rapportent au Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, (le Règlement sur les médicaments brevetés). Au moins deux instances intéressant ces parties, l'un ou l'autre des produits d'oméprazole et le Règlement sur les médicaments brevetés ne sont pas encore réglées.


[4]                La requérante a déposé l'affidavit de Me Gunar Gaikis à l'appui de sa requête. Me Gaikis, un associé du cabinet d'avocats Smart and Bigger, les avocats de la requérante, rappelle l'historique de certaines instances intéressant la demanderesse, la requérante et l'oméprazole. Il signale également qu'il croit que le produit de la demanderesse peut concerner l'oméprazole ou le magnésium de l'oméprazole. Cette croyance est, semble-t-il, partagée par un cadre supérieur de la requérante. À cet égard, la déposition de Me Gaikis est la suivante :

[TRADUCTION] 9. D'après les renseignements contenus dans l'avis de demande de l'espèce, je crois que l'Apo-X peut concerner l'oméprazole ou le magnésium de l'oméprazole et, si c'est le cas, une telle demande doit aussi intéresser des questions en matière de brevets relevant du Règlement, notamment le droit d'AstraZeneca de recevoir une allégation ou de voir tranchée une allégation en instance. J'ai aussi discuté de cette possibilité avec Karen Feltmate, vice-présidente de la réglementation chez AstraZeneca, qui m'a indiqué, et je la crois sincèrement, qu'elle avait pris connaissance de l'avis de demande et qu'elle ne pouvait écarter la possibilité qu'Apo-X mette en cause l'oméprazole ou le magnésium de l'oméprazole.

[5]                La requérante prétend qu'elle devrait être constituée partie à la demande formulée par la demanderesse parce que son brevet pour l'oméprazole et pour le magnésium de l'oméprazole lui confère un intérêt juridique face à la mise au point d'un nouveau médicament susceptible de contenir ces produits. Elle ajoute que l'instance judiciaire actuellement en cours, au sujet d'un différend concernant ses produits et à laquelle la demanderesse est partie, étaye encore sa revendication d'intérêt juridique dans cette demande et l'argument selon lequel la décision qui tranchera cette demande « touche directement » ses droits.


[6]                La requérante soutient qu'elle n'a qu'un intérêt limité à protéger dans la présente demande, à savoir s'assurer que la demanderesse se conforme au Règlement, mais si elle est constituée partie, elle pourra aborder toutes les questions que soulève la demande de contrôle judiciaire sous-jacente. Naturellement, si elle est constituée partie, elle sera aussi en mesure d'examiner tous les renseignements qui sont actuellement protégés par une ordonnance de confidentialité.

[7]                Pour ce qui est de sa requête subsidiaire visant à être autorisée à participer en qualité d'intervenante, elle soutient encore qu'elle ne s'intéresse qu'à la question limitée de s'assurer que la demanderesse respecte le Règlement.

[8]                Comme il a été signalé précédemment, la demanderesse et le ministre s'opposent tous les deux à la présente requête. Tout d'abord, la demanderesse fait valoir que cette requête est inutile.

[9]                Lorsque la requérante a déposé son avis de requête le 23 mai 2001, la demanderesse sollicitait une ordonnance enjoignant au ministre de délivrer un avis de conformité relativement à l'Apo-X. Toutefois, avant l'audition de la requête et à la connaissance de la requérante, la demanderesse a obtenu une ordonnance, avec le consentement du ministre, modifiant la demande de contrôle judiciaire. La modification se rapporte précisément à la délivrance d'un avis de conformité et vise à supprimer cette demande de redressement et à la remplacer par la suivante :

[TRADUCTION] 3. Une ordonnance enjoignant au ministre d'examiner immédiatement la présentation concernant l'Apo-X conformément au Règlement et à toute ordonnance prononcée par la présente Cour.

L'ordonnance permettant cette modification a été prononcée le 6 juin 2001.


[10]            Il ressort nettement du renvoi à l'alinéa 1d) de la demande présentée par la demanderesse que le Règlement mentionné au paragraphe 3 est le Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870 (le Règlement sur les aliments et drogues) et que cette instance n'a rien à voir avec le Règlement sur les médicaments brevetés invoqué par la requérante dans son avis de requête et ses observations.

[11]            Deuxièmement, la demanderesse prétend qu'elle n'est aucunement obligée de communiquer l'objet de sa présentation de drogue nouvelle (PDN). Elle soutient que personne, à part le ministre et un fabricant de produits pharmaceutiques qui dépose une présentation, n'a le droit de connaître ce qui fait l'objet du dépôt, et cela inclut les concurrents du fabricant qui dépose une présentation.


[12]            La demanderesse soutient que la jurisprudence reconnaît que le ministre, pour s'acquitter de son obligation de s'assurer de l'innocuité d'un nouveau produit pharmaceutique, n'est pas tenu de prendre en considération les intérêts commerciaux des concurrents d'un fabricant de produits pharmaceutiques qui dépose une présentation; elle ajoute que la requérante, en sollicitant la qualité pour participer à la présente demande, cherche essentiellement à protéger sa compétitivité. La demanderesse invoque la jurisprudence suivante à l'appui de son argument : Pfizer Canada Inc. c. Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social et al. (1986), 12 C.P.R. (3d) 438, à la page 440 (C.A.F.); Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (1997), 80 C.P.R. (3d) 550, à la page 557 (C.F. 1re inst.); conf. (1999) 3 C.P.R. (4th) 77 (C.A.F.); Glaxo Canada Inc. c. Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social et al. (1987), 18 C.P.R. (3d) 206, aux pages 214 et 215 (C.F. 1re inst.), conf. (1990), 31 C.P.R. (3d) 29 (C.A.F.).

[13]            Selon la demanderesse, les seules parties nécessaires pour le règlement de toutes les questions soulevées dans sa demande sont elle et le ministre, et elles sont toutes les deux actuellement devant la Cour. La demande de contrôle judiciaire vise le contrôle judiciaire du refus du ministre d'approuver le produit pharmaceutique Apo-X en reconnaissant son innocuité et son efficacité aux termes du Règlement sur les aliments et drogues. Il s'agit d'un contrôle judiciaire exercé sur dossier et la requérante n'est aucunement en mesure de contribuer à ce dossier.

[14]            Finalement, toute preuve susceptible d'être produite maintenant par la requérante et qui n'était pas soumise au ministre, n'est pas pertinente. Sur ce point, la demanderesse invoque les décisions Hoffmann-LaRoche Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social et al.) (1996), 67 C.P.R. (3d) 484, à la page 492 (C.F. 1re inst.); Ismaili c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 100 F.T.R. 139, à la page 143 (C.F. 1re inst.) et Lemiecha et al. c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 72 F.T.R. 49, à la page 51 (C.F. 1re inst.).


[15]                        Ensuite, la demanderesse soutient que la requérante a négligé de produire une preuve à l'appui de sa demande de participation en qualité d'intervenante et invoque trois décisions récentes de la Cour d'appel fédérale dans lesquelles la Cour a décidé qu'en examinant la requête d'une partie qui demande à intervenir, la Cour doit se demander si l'intervenante serait « directement touchée » par l'issue du litige. Elle a ajouté que la personne qui se propose d'intervenir doit, en plus, expliquer pourquoi elle estime que sa « position » dans le litige ne serait pas déjà adéquatement défendue par l'une des parties au litige[1].

[16]                        Comme il a été mentionné précédemment, le ministre s'oppose lui aussi à la présente requête. L'avocate du ministre a comparu à l'audience et a souscrit aux observations faites par la demanderesse, en plus d'avancer des arguments concis et pertinents dans son dossier de requête. Plus particulièrement, le ministre fait valoir que la décision visée par la demande présentée conformément à la Loi sur les aliments et drogues, L.R., ch. F-27, et aux règlements d'application de cette Loi, relève entièrement du pouvoir discrétionnaire du ministre et ne requiert, à aucun titre, la participation de la requérante pour garantir le règlement complet des questions en litige.


[17]            La présente requête est régie par les règles 104(1)b), 303(1)a) et 109(1) des Règles de la Cour fédérale (1998) (les Règles). La règle 104(1)b) est la règle générale applicable à la jonction d'une partie et la règle 303(1)a) précise quelles doivent être les parties à une demande. Elles prévoient ce qui suit :

104. (1) La Cour peut, à tout moment, ordonner :

[...]

b) que soit constituée comme partie à l'instance toute personne qui aurait dû l'être ou dont la présence devant la Cour est nécessaire pour assurer une instruction complète et le règlement des questions en litige dans l'instance; toutefois, nul ne peut être constitué codemandeur sans son consentement, lequel est notifié par écrit ou de telle autre manière que la Cour ordonne.

104. (1) At any time, the Court may :

[...]

(b) order that a person who ought to have been joined as a party or whose presence before the Court is necessary to ensure that all matters in dispute in the proceeding may be effectually and completely determined be added as a party, but no person shall be added as a plaintiff or applicant without his or her consent, signified in writing or in such other manner as the Court may order.

303. (1) Sous réserve du paragraphe (2), le demandeur désigne à titre de défendeur :

                                              

a) toute personne directement touchée par l'ordonnance recherchée, autre que l'office fédéral visé par la demande;

303. (1) Subject to subsection (2),an applicant shall name as arespondent every person

                 

(a) directly affected by the order sought in the application, other than a tribunal in respect of which the application is brought; or


[18]            La règle 104(1)b) vise à s'assurer que toute personne nécessaire à l'instruction complète et au règlement d'une question soit constituée comme partie. Il ne suffit pas de prétendre qu'une personne peut simplement produire une preuve pertinente; voir la décision Stevens c. Canada (Commissaire, Commission d'enquête), [1998] 4 C.F. 125. La requérante n'a présenté aucune preuve établissant que sa présence est requise pour garantir l'instruction complète et le règlement des questions en litige entre la demanderesse et le ministre et elle n'a pas satisfait aux exigences de la règle 104b).

[19]            La règle 303(1)a) des Règles enjoint à celui qui demande un contrôle judiciaire de désigner à titre de défendeur toute personne « directement touchée » par l'ordonnance recherchée.

[20]            À mon avis, la requérante n'a pas démontré non plus qu'elle était « directement touchée » par la présente demande de contrôle judiciaire. L'affidavit de Me Gaikis ne contient aucun élément de fond étayant une telle conclusion. Par conséquent, la requête présentée en vue d'être constituée partie est rejetée.

[21]            Passons maintenant à la requête sollicitant que la requérante soit autorisée à participer à titre d'intervenante conformément à la règle 109(1) des Règles. Cette règle est ainsi rédigée :

109. (1) La Cour peut, sur requête, autoriser toute personne à intervenir dans une instance.

109. (1) The Court may, on motion, grant leave to any person to intervene in a proceeding.


[22]            Dans la décision Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), (2000), 4 C.P.R. (4th) 421, madame le juge McGillis a examiné à fond les éléments à considérer dans le cadre d'une requête en vue d'obtenir la qualité d'intervenante. Aux pages 428 et 429, elle dit ce qui suit au sujet de la demande formulée par une personne qui désire intervenir :

Bref, lorsqu'une requête en intervention est présentée en vertu de la règle 109, il s'agit de savoir si la participation de la personne qui désire intervenir aidera la Cour à déterminer une question de fait et de droit se rapportant à l'instance. Étant donné le changement d'orientation manifesté par le libelléde la règle 109 des Règles de la Cour fédérale (1998), il convient de faire preuve de prudence à lgard de l'approche adoptée dans la jurisprudence en ce qui concerne les interventions fondées sur les diverses dispositions des anciennes Règles de la Cour fédérale. Toutefois, certains facteurs énoncés dans les décisions antérieures sont encore pertinents dans une requête en intervention fondée sur la règle 109, lorsqu'il s'agit de déterminer si la participation de l'intervenant éventuel aidera la Cour à trancher une question de fait et de droit se rapportant à l'instance. Ainsi, la Cour peut entre autres choses tenir compte de la nature de la preuve qui serait présentée et de la capacité des parties existantes de soumettre tous les éléments de preuve pertinents ou de faire valoir d'une façon adéquate [la position] de l'intervenant éventuel et elle doit se demander si elle peut instruire l'affaire au fond sans l'aide de l'intervenant.

[23]            La requérante n'a produit aucune preuve sur le genre de preuve ou la nature des arguments juridiques qu'elle avancerait si elle obtenait la qualité d'intervenante dans la présente instance. Dans l'affidavit à l'appui qu'il a déposé, Me Gaikis n'aborde pas ces questions. À mon avis, la requérante n'a pas réussi à satisfaire aux exigences de la règle 109(1) des Règles et cette partie de la requête est également rejetée.

[24]            Comme j'ai refusé d'exercer mon pouvoir discrétionnaire d'accorder à la requérante la qualité de partie ou d'intervenante, je ne vois aucun motif justifiant d'ordonner à la demanderesse d'identifier ce qui fait l'objet de sa PDN. La requérante n'a aucun droit actuel d'obtenir cette information.


[25]            La requête est rejetée avec dépens en faveur de la demanderesse et du ministre. L'opportunité de formuler la présente requête à l'heure actuelle est fortement contestable et les dépens qui seront adjugés devraient en tenir compte. Par conséquent, les dépens seront taxés sur la base du maximum de la fourchette prévue à la colonne IV du tarif B des Règles, auxquels s'ajouteront les frais de déplacement et les débours. Les dépens ainsi taxés sont immédiatement exigibles.

                                                 ORDONNANCE

[26]            La requête est rejetée avec dépens en faveur de la demanderesse et du ministre; les dépens seront taxés sur la base du maximum de la fourchette prévue à la colonne IV du tarif B des Règles de la Cour fédérale (1998), auxquels s'ajouteront les frais de déplacement et les débours. Les dépens ainsi taxés sont immédiatement exigibles.

                                                                                                     « E. Heneghan »                     

                                                                                                                 J.C.F.C.                         

Toronto (Ontario)

Le 27 juin 2001

Traduction certifiée conforme :

                                               

Richard Jacques, LL. L.


                     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                     Avocats inscrits au dossier

DOSSIER :                                                     T-493-01

INTITULÉ DE LA CAUSE :               APOTEX INC.

- et -

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

DATE DE L'AUDIENCE :                              LE MARDI 12 JUIN 2001

LIEU DE L'AUDIENCE :                                OTTAWA (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE PRONONCÉS par le juge Heneghan, le mercredi 27 juin 2001.

ONT COMPARU :                                         Andrew R. Brodkin

Pour la demanderesse

Marie Crowley

Pour les défendeurs

J. Sheldon Hamilton

Filko Prugo

Pour la défenderesse éventuelle (Astrazeneca Canada Ltd.)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:       Goodmans s.r.l.                                     Avocats

250, rue Yonge, pièce 2400

Toronto (Ontario)

M5B 2M6

Pour la demanderesse

                                                                                                                        .../2


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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :                                                                  

(Suite)                                                               Ministère de la Justice

284, Wellington,

Édifice commémoratif de l'Est

Ottawa

Pour les défendeurs

Smart and Biggar

Avocats

483, avenue University

Pièce 1500

Toronto (Ontario)

M5G 2K8

Pour la défenderesse éventuelle

(Astrazeneca Canada Ltd.)


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

Date : 20010627

Dossier : T-493-01

ENTRE :

APOTEX INC.

                                                                                                     Demanderesse

- et -

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

Défendeurs

                                                                                           

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

                                                                                           



[1] Syndicat canadien de la fonction publique (Division du transport aérien) c. Lignes aériennes Canadien International Ltée, [2000] A.C.F. n º 220 (C.A.F.); Benoit c. Canada 2001 CAF 71, [2001] A.C.F. n º 518 et Eli Lilly Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) 2001 CAF 108, [2001] A.C.F. n º 613.

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