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Date : 20040518

Dossier : T-862-02

Référence : 2004 CF 715

Ottawa (Ontario), le 18 mai 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JAMES RUSSELL                         

                                                                             

ENTRE :

                                              CANADIEN PACIFIQUE LIMITÉE

                                                                             

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                                             RON T. CLERK et BRIAN A. DUNN

                                                                                                                                          défendeurs

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La demanderesse, Canadien Pacifique Limitée (CP Rail), sollicite le contrôle judiciaire d'une décision provisoire rendue par le défendeur Brian A. Dunn (l'arbitre) au sujet de la suppression d'un poste et du manque de travail dans le cadre d'une affaire intéressant la section XIV, partie III duCode canadien du travail (le Code). Dans cette décision, qui est datée du 8 mai 2002 et qui a été reçue le 17 mai 2002 (la décision), l'arbitre a rejeté l'exception préliminaire formulée par la demanderesse à l'égard de sa compétence pour instruire la plainte de congédiement injuste déposée par le défendeur Ron T. Clerk (M. Clerk).


GENÈSE DE L'INSTANCE

[2]                L'arbitre a été désigné en vertu de la section XIV de la partie III du Code pour instruire la plainte de congédiement injuste déposée par M. Clerk. L'arbitre a rendu le 8 mai 2002 une décision provisoire dans laquelle il rejetait les exceptions préliminaires formulées par la demanderesse au sujet de l'incompétence de l'arbitre en vertu du paragraphe 242(3.1) du Code.

[3]                M. Clerk a commencé à travailler pour CP Rail le 22 septembre 1969 à titre d'apprenti électricien syndiqué, affecté à la gare de triage de Toronto. Après avoir occupé divers postes, M. Clerk a été nommé surveillant des mécaniciens au Nouveau-Brunswick en décembre 1986. Il a continué à travailler au service de la mécanique de CP Rail au Nouveau-Brunswick à titre d'employé non syndiqué jusqu'à la cessation de son emploi.


[4]                Les activités ferroviaires de CP Rail au Nouveau-Brunswick et dans le reste du Canada atlantique étaient exercées par une entité distincte connue sous le nom de Canadian Atlantic Railways (CAR). En 1992, il est devenu évident pour CP Rail que CAR n'avait pas suffisamment amélioré la viabilité des services ferroviaires de CP Rail dans le Canada atlantique. CP Rail a donc décidé de cesser toutes ses activités ferroviaires au Nouveau-Brunswick et dans le reste du Canada atlantique. CP Rail a présenté une demande officielle à l'Office des transports du Canada pour mettre fin aux services ferroviaires en question. Après avoir examiné les mémoires volumineux qui lui ont été soumis par nombre d'intéressés, l'Office des transports du Canada a ordonné l'abandon de l'exploitation des lignes ferroviaires en question après avoir conclu que leur exploitation n'était pas rentable et qu'il n'y avait aucun motif de croire qu'elles pouvaient le devenir (voir la décision no 569-R-1993 de l'OTC).

[5]                L'abandon de l'exploitation de ces lignes, la fermeture des ateliers mécaniques et la cessation des opérations se sont nécessairement traduits par l'abolition de postes. M. Clerk était l'un des quelque 300 employés dont les postes ont été supprimés dans la foulée de l'abandon de l'exploitation des lignes de CAR.

[6]                La thèse de la demanderesse est que tous les postes de CAR ont été abolis. Il n'y a plus d'employés de CP Rail en service dans la région du Canada atlantique.

[7]                CP Rail n'exploite pas de ligne ferroviaire, soit seule soit par le biais de sociétés apparentées, au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Écosse ou ailleurs sur le territoire du Canada atlantique. Qui plus est, la plupart des lignes ferroviaires de CP Rail au Québec ont été abandonnées ou vendues. À l'heure actuelle, CP Rail ne possède plus qu'un peu moins de 150 milles de voies ferrées au Québec et, en fait, elle n'exploite aucune voie à l'est de Montréal.

[8]                L'abandon de l'exploitation des lignes ferroviaires de CP Rail au Canada atlantique a entraîné une absence complète de travail. CP Rail affirme que la cessation de l'emploi de M. Clerk chez CP Rail est attribuable à la suppression des postes de mécaniciens et à la fermeture de CAR.


[9]                Par ailleurs, CP Rail a procédé et continue de procéder à une réduction sensible des effectifs au sein de son service de la mécanique. CP Rail a effectué, à l'échelle nationale, une réduction de ses effectifs et une restructuration qui ont eu pour effet de supprimer le tiers de tous les postes de cadres du service de la mécanique de CP Rail. Ces mesures ont été accompagnées de fermetures d'installations qui se poursuivent encore à ce jour.

[10]            Dans l'ensemble du réseau du CP Rail, entre 1992 et la fin de 1994, 797 postes de mécaniciens ont été supprimés. Depuis, plusieurs centaines de postes de mécaniciens ont été abolis. Dans l'ensemble du réseau CP Rail, 4 363 postes ont été supprimés entre 1992 et la fin de 1994.

[11]            La demanderesse explique que le poste de M. Clerk, le seul poste de surveillant des mécaniciens qui restait chez CP Rail pour le Canada atlantique, a été supprimé par suite de l'abandon de l'exploitation de CAR. Le 19 mai 1994, une lettre a été envoyée à M. Clerk pour l'informer que, par suite de la restructuration de CP Rail, son poste avait été aboli et que son emploi au sein de la compagnie se terminerait le 1er juillet 1994. Il a accepté l'indemnité de départ de 103 833 $ qui lui a été offerte et qui représentait environ 86 semaines de salaire régulier.

LA DÉCISION FAISANT L'OBJET DU CONTRÔLE

[12]            M. Clerk a déposé une plainte de congédiement injuste en vertu de l'article 240 du Code et l'arbitre a statué le 24 août 2001 sur les exceptions d'incompétence soulevées en vertu du paragraphe 242(3.1) du Code.

[13]            Dans la décision qu'il a rendue le 16 septembre 2001 au sujet de l'exception d'incompétence, l'arbitre a réclamé des renseignements complémentaires.

[14]            Dans sa décision du 16 septembre 2001, l'arbitre a conclu que CAR n'était pas une entreprise rentable et qu'en janvier 1995, CP Rail avait abandonné l'exploitation de toutes ses lignes et avait supprimé tous les postes qui relevaient de CAR.

[15]            Le seul témoin qui s'est présenté à la barre pour le compte de CP Rail lors de la seconde audience présidée par l'arbitre le 28 février 2002 était M. Denis Moreau, directeur général supérieur, Stratégie et Soutien. Il a témoigné au sujet de la structure de CP Rail au début des années quatre-vingt-dix, du rôle du Service de la mécanique au sein de CP Rail, des fonctions des mécaniciens, de la nature des activités exercées au sein de CAR; de l'abandon de l'exploitation de CAR; de ce qui est arrivé aux employés de CAR par suite de la cessation des activités de CAR, de la restructuration du Service de la mécanique, du déroulement et de l'issue de la réduction des effectifs au sein du Service de la mécanique et d'un aperçu des changements survenus au sein de CP Rail en général.

[16]            Aux dires de M. Moreau, CP Rail ne compte plus aucun employé au Nouveau-Brunswick. Personne n'effectue de travail de mécanicien pour CP Rail dans la région du Canada atlantique. Ce poste a été supprimé. Le travail qu'effectuait M. Clerk au moment de son congédiement n'est accompli par personne aujourd'hui.

[17]            L'arbitre a estimé que la jurisprudence exigeait clairement qu'il aborde en premier lieu la question de la suppression du poste, car cette question était déterminante en ce qui concerne sa compétence.

[18]            Après avoir examiné la jurisprudence, l'arbitre a tiré la conclusion suivante :

[TRADUCTION] Il incombe à l'employeur de me convaincre que le poste de M. Clerk a été supprimé. Or, je constate qu'aucun élément de preuve clair et convaincant ne m'a été soumis en ce sens. Je ne puis accepter qu'une entreprise d'une aussi grande taille que CP Rail n'a plus besoin d'un ou de plusieurs mécaniciens pour exercer les fonctions énumérées dans la description de tâches de M. Clerk, hormis celles qui s'appliquaient uniquement à son travail au Nouveau-Brunswick.

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[19]            La plainte de congédiement injuste déposée par M. Clerk est une plainte déposée conformément aux articles 240 à 246 du Code :



240. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et 242(3.1), toute personne qui se croit injustement congédiée peut déposer une plainte écrite auprès d'un inspecteur si :

a) d'une part, elle travaille sans interruption depuis au moins douze mois pour le même employeur;

b) d'autre part, elle ne fait pas partie d'un groupe d'employés régis par une convention collective.

(2) Sous réserve du paragraphe (3), la plainte doit être déposée dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date du congédiement.

(3) Le ministre peut proroger le délai fixé au paragraphe (2) dans les cas où il est convaincu que l'intéressé a déposé sa plainte à temps mais auprès d'un fonctionnaire qu'il croyait, à tort, habilité à la recevoir.

241. (1) La personne congédiée visée au paragraphe 240(1) ou tout inspecteur peut demander par écrit à l'employeur de lui faire connaître les motifs du congédiement; le cas échéant, l'employeur est tenu de lui fournir une déclaration écrite à cet effet dans les quinze jours qui suivent la demande.

(2) Dès réception de la plainte, l'inspecteur s'efforce de concilier les parties ou confie cette tâche à un autre inspecteur.

(3) Si la conciliation n'aboutit pas dans un délai qu'il estime raisonnable en l'occurrence, l'inspecteur, sur demande écrite du plaignant à l'effet de saisir un arbitre du cas :

a) fait rapport au ministre de l'échec de son intervention;

b) transmet au ministre la plainte, l'éventuelle déclaration de l'employeur sur les motifs du congédiement et tous autres déclarations ou documents relatifs à la plainte.

242. (1) Sur réception du rapport visé au paragraphe 241(3), le ministre peut désigner en qualité d'arbitre la personne qu'il juge qualifiée pour entendre et trancher l'affaire et lui transmettre la plainte ainsi que l'éventuelle déclaration de l'employeur sur les motifs du congédiement.

(2) Pour l'examen du cas dont il est saisi, l'arbitre :

a) dispose du délai fixé par règlement du gouverneur en conseil;

b) fixe lui-même sa procédure, sous réserve de la double obligation de donner à chaque partie toute possibilité de lui présenter des éléments de preuve et des observations, d'une part, et de tenir compte de l'information contenue dans le dossier, d'autre part;

c) est investi des pouvoirs conférés au Conseil canadien des relations industrielles par les alinéas 16a), b) et c).

(3) Sous réserve du paragraphe (3.1), l'arbitre :

a) décide si le congédiement était injuste;

b) transmet une copie de sa décision, motifs à l'appui, à chaque partie ainsi qu'au ministre.

(3.1) L'arbitre ne peut procéder à l'instruction de la plainte dans l'un ou l'autre des cas suivants :

a) le plaignant a été licencié en raison du manque de travail ou de la suppression d'un poste;

b) la présente loi ou une autre loi fédérale prévoit un autre recours.

(4) S'il décide que le congédiement était injuste, l'arbitre peut, par ordonnance, enjoindre à l'employeur :

a) de payer au plaignant une indemnité équivalant, au maximum, au salaire qu'il aurait normalement gagné s'il n'avait pas été congédié;

b) de réintégrer le plaignant dans son emploi;

c) de prendre toute autre mesure qu'il juge équitable de lui imposer et de nature à contrebalancer les effets du congédiement ou à y remédier.

243. (1) Les ordonnances de l'arbitre désigné en vertu du paragraphe 242(1) sont définitives et non susceptibles de recours judiciaires.

(2) Il n'est admis aucun recours ou décision judiciaire -- notamment par voie d'injonction, de certiorari, de prohibition ou de quo warranto -- visant à contester, réviser, empêcher ou limiter l'action d'un arbitre exercée dans le cadre de l'article 242.

244. (1) La personne intéressée par l'ordonnance d'un arbitre visée au paragraphe 242(4), ou le ministre, sur demande de celle-ci, peut, après l'expiration d'un délai de quatorze jours suivant la date de l'ordonnance ou la date d'exécution qui y est fixée, si celle-ci est postérieure, déposer à la Cour fédérale une copie du dispositif de l'ordonnance.

(2) Dès le dépôt de l'ordonnance de l'arbitre, la Cour fédérale procède à l'enregistrement de celle-ci; l'enregistrement confère à l'ordonnance valeur de jugement de ce tribunal et, dès lors, toutes les procédures d'exécution applicables à un tel jugement peuvent être engagées à son égard.

245. Le gouverneur en conseil peut, par règlement, préciser, pour l'application de la présente section, les cas d'absence qui n'ont pas pour effet d'interrompre le service chez l'employeur.

246. (1) Les articles 240 à 245 n'ont pas pour effet de suspendre ou de modifier le recours civil que l'employé peut exercer contre son employeur.

(2) L'article 189 s'applique dans le cadre de la présente section.

240. (1) Subject to subsections (2) and 242(3.1), any person

(a) who has completed twelve consecutive months of continuous employment by an employer, and

(b) who is not a member of a group of employees subject to a collective agreement,

may make a complaint in writing to an inspector if the employee has been dismissed and considers the dismissal to be unjust.

(2) Subject to subsection (3), a complaint under subsection (1) shall be made within ninety days from the date on which the person making the complaint was dismissed.

(3) The Minister may extend the period of time referred to in subsection (2) where the Minister is satisfied that a complaint was made in that period to a government official who had no authority to deal with the complaint but that the person making the complaint believed the official had that authority.

241. (1) Where an employer dismisses a person described in subsection 240(1), the person who was dismissed or any inspector may make a request in writing to the employer to provide a written statement giving the reasons for the dismissal, and any employer who receives such a request shall provide the person who made the request with such a statement within fifteen days after the request is made.

(2) On receipt of a complaint made under subsection 240(1), an inspector shall endeavour to assist the parties to the complaint to settle the complaint or cause another inspector to do so.

(3) Where a complaint is not settled under subsection (2) within such period as the inspector endeavouring to assist the parties pursuant to that subsection considers to be reasonable in the circumstances, the inspector shall, on the written request of the person who made the complaint that the complaint be referred to an adjudicator under subsection 242(1),

(a) report to the Minister that the endeavour to assist the parties to settle the complaint has not succeeded; and

(b) deliver to the Minister the complaint made under subsection 240(1), any written statement giving the reasons for the dismissal provided pursuant to subsection (1) and any other statements or documents the inspector has that relate to the complaint.

242. (1) The Minister may, on receipt of a report pursuant to subsection 241(3), appoint any person that the Minister considers appropriate as an adjudicator to hear and adjudicate on the complaint in respect of which the report was made, and refer the complaint to the adjudicator along with any statement provided pursuant to subsection 241(1).

(2) An adjudicator to whom a complaint has been referred under subsection (1)

(a) shall consider the complaint within such time as the Governor in Council may by regulation prescribe;

(b) shall determine the procedure to be followed, but shall give full opportunity to the parties to the complaint to present evidence and make submissions to the adjudicator and shall consider the information relating to the complaint; and

(c) has, in relation to any complaint before the adjudicator, the powers conferred on the Canada Industrial Relations Board, in relation to any proceeding before the Board, under paragraphs 16(a), (b) and (c).

(3) Subject to subsection (3.1), an adjudicator to whom a complaint has been referred under subsection (1) shall

(a) consider whether the dismissal of the person who made the complaint was unjust and render a la decision thereon; and

(b) send a copy of the la decision with the reasons therefor to each party to the complaint and to the Minister.

(3.1) No complaint shall be considered by an adjudicator under subsection (3) in respect of a person where

(a) that person has been laid off because of lack of work or because of the discontinuance of a function; or

(b) a procedure for redress has been provided elsewhere in or under this or any other Act of Parliament.

(4) Where an adjudicator decides pursuant to subsection (3) that a person has been unjustly dismissed, the adjudicator may, by order, require the employer who dismissed the person to

(a) pay the person compensation not exceeding the amount of money that is equivalent to the remuneration that would, but for the dismissal, have been paid by the employer to the person;

(b) reinstate the person in his employ; and

(c) do any other like thing that it is equitable to require the employer to do in order to remedy or counteract any consequence of the dismissal.

243. (1) Every order of an adjudicator appointed under subsection 242(1) is final and shall not be questioned or reviewed in any court.

(2) No order shall be made, process entered or proceeding taken in any court, whether by way of injunction, certiorari, prohibition, quo warranto or otherwise, to question, review, prohibit or restrain an adjudicator in any proceedings of the adjudicator under section 242.

244. (1) Any person affected by an order of an adjudicator under subsection 242(4), or the Minister on the request of any such person, may, after fourteen days from the date on which the order is made, or from the date provided in it for compliance, whichever is the later date, file in the Federal Court a copy of the order, exclusive of the reasons therefor.

(2) On filing in the Federal Court under subsection (1), an order of an adjudicator shall be registered in the Court and, when registered, has the same force and effect, and all proceedings may be taken thereon, as if the order were a judgment obtained in that Court.

245. The Governor in Council may make regulations for the purposes of this section defining the absences from employment that shall be deemed not to have interrupted continuity of employment.

246. (1) No civil remedy of an employee against his employer is suspended or affected by sections 240 to 245.

(2) Section 189 applies for the purposes of this section.


[20]            Les dispositions précitées confèrent, définissent et délimitent la compétence de l'arbitre saisi d'une plainte de congédiement injuste.

QUESTIONS EN LITIGE

[21]            La demanderesse soulève les questions suivantes :

Quelle est la norme de contrôle qui s'applique à la décision par laquelle l'arbitre s'est déclaré compétent pour conclure que M. Clerk avait été congédié injustement et pour déclarer que la restriction énoncée au paragraphe 242(3.1) du Code ne s'appliquait pas?

L'arbitre a-t-il commis une erreur ou tiré une conclusion manifestement déraisonnable en concluant qu'il n'y avait pas eu suppression d'un poste ou que le plaignant n'avait pas été licencié en raison du manque de travail au sens du paragraphe 242(3.1) du Code?

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

La demanderesse

Norme de contrôle

[22]            Reprenant le libellé du paragraphe 242(3.1) du Code, la demanderesse affirme que l'arbitre n'a pas compétence pour décider si le congédiement était injuste lorsque le licenciement résulte d'un manque de travail ou de la suppression d'un poste.

[23]            Il y a donc une question préliminaire de compétence à se poser et la norme de contrôle applicable est celle de la « décision correcte » (Énergie atomique du Canada c. Jindal, [1998] A.C.F. no 847 (C.A.), Société canadienne des postes c. Pollard, [1994] 1 C.F. 652 (1re inst.)).

[24]            Dans le jugement Roe c. Rogers Cablesystems Ltd., [2000] A.C.F. no 1457 (C.F. 1re inst.), la Cour a appliqué la méthode d'analyse fonctionnelle et pragmatique pour en arriver à la conclusion suivante :

(ii) Norme de contrôle

Il faut tenir compte ici du fait que l'article 243 du Code contient une clause privative applicable à la décision de l'arbitre soumise à la Cour.

Il est bien établi en droit que l'existence d'une clause privative donne lieu à la retenue judiciaire. Une clause privative reflète l'intention du Parlement que la Cour ne vienne pas substituer son point de vue à celui de l'arbitre.

Nonobstant ce principe, il est aussi bien établi que les questions de compétence sont soumises au contrôle judiciaire. On a jugé que la décision prononcée par un arbitre sans prendre en considération les preuves pertinentes qui lui étaient soumises pouvait être qualifiée d'erreur juridictionnelle.

Dans le cadre de cette demande de contrôle judiciaire, je me range à l'avis de l'avocate de Mme Roe qui porte que dans l'examen de la décision de l'arbitre pour voir s'il n'a pas tenu compte des faits qui lui étaient soumis, la norme de contrôle est celle de la décision manifestement déraisonnable. Lorsqu'il s'agit de déterminer si l'arbitre avait compétence pour entendre la plainte, la norme de contrôle est celle de la décision correcte.

[25]            Suivant la demanderesse, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte pour ce qui est de la question de compétence de savoir si M. Clerk a été congédié en raison d'un manque de travail ou de la suppression d'un poste. Les conclusions de fait sont toutefois assujetties à la norme de contrôle de la décision manifestement déraisonnable.

Compétence

[26]            La demanderesse affirme que le congédiement de M. Clerk de CP Rail est attribuable à un manque de travail et à la suppression d'un poste au sens du paragraphe 242(3.1). Outre le poste qu'occupait M. Clerk, CP Rail avait abandonné l'exploitation de toutes ses lignes et avait supprimé tous les postes de mécaniciens dans la région du Canada atlantique.

[27]            L'arbitre a conclu qu'il y avait eu suppression de tous les postes de mécaniciens et abandon de l'exploitation de tous les services ferroviaires du CP Rail dans la région du Canada atlantique. La demanderesse affirme que, selon l'alinéa 242(3.1)a) du Code, l'arbitre n'avait pas compétence pour décider si le congédiement était injuste et qu'il n'avait pas compétence pour accorder une réparation.


[28]            Lorsqu'une personne est licenciée, de façon permanente ou de façon temporaire, pour des raisons économiques se rattachant à l'absence de travail ou à la suppression d'un poste par suite d'une restructuration, ce licenciement ne peut être considéré comme un « congédiement injuste » . L'employé peut être parfaitement irréprochable et il se peut que rien ne permette de conclure à un « motif valable » , et pourtant le congédiement ne sera pas considéré comme injuste (Énergie atomique du Canada, précité).

[29]            Pour l'application du paragraphe 242(3.1), la demanderesse estime que le mot « suppression » vise l'ensemble des attributions se rattachant à une charge ou un poste déterminé. Si les activités ressortissant à cet ensemble ne sont plus exercées, ou si elles sont redistribuées, il y a alors « suppression » de ce poste (Flieger c. Nouveau-Brunswick, [1993] 2 R.C.S. 651; Bande indienne de Moricetown c. Morris, [1996] A.C.F. no 1268 (C.F. 1re inst.), Énergie atomique du Canada, précité, Lignes aériennes Canadien International Ltée c. Husain, [1998] A.C.F. no 607 (C.A.)).

[30]            La demanderesse rappelle que l'employeur a le droit de réorganiser son entreprise, de supprimer des postes et de réduire ses effectifs. Le paragraphe 242(3.1) consacre ce droit de gestion de l'entreprise, qui a été constamment confirmé par les tribunaux et par les arbitres. Dès lors que la restructuration n'est pas un moyen détourné utilisé par l'employeur en vue de se débarrasser d'un employé déterminé, l'employeur a le droit de licencier des employés dans le cadre de la suppression d'un poste (Flieger, précité; Bande indienne de Moricetown, précité; Énergie atomique du Canada, précité; Lignes aériennes Canadien International, précité; Darwin Brown c. Canadien Pacifique Limitée, 10 novembre 2000 (arbitre Anderson) décision arbitrale non publiée rendue sous le régime de la section XIV, partie III du Code canadien du travail; Roe, précité).

[31]            Dès lors qu'il est décidé que le plaignant a été licencié en raison du manque de travail ou de la suppression d'un poste et non pour un autre motif, l'arbitre ne peut plus instruire le dossier parce que le paragraphe 242(3.1) du Code le déclare incompétent en pareil cas.

[32]            Dans le cas qui nous occupe, M. Clerk a été licencié, avec des dizaines d'autres employés de CAR, en raison de l'abandon de l'exploitation de tout le réseau ferroviaire du CP Rail au Canada atlantique. Par ailleurs, des centaines d'autres employés du Service de la mécanique et des milliers d'employés de CP Rail travaillant dans d'autres services ont été licenciés à la même époque dans le cadre de la restructuration de l'entreprise. Depuis 1994, des milliers d'employés de plus ont été licenciés et continuent de l'être alors que CP Rail tente de répondre aux pressions et aux exigences économiques.

[33]            La demanderesse soutient qu'il est indubitable que M. Clerk a été licencié tant en raison d'un manque de travail qu'à cause de la suppression de son poste, au sens le plus littéral du terme. Dans ces conditions, l'arbitre n'avait pas compétence pour instruire la présente plainte et il a commis une erreur en ne concluant pas qu'elle devait être rejetée.


[34]            La thèse de la demanderesse est simplement que l'arbitre a commis une erreur de droit en concluant qu'il n'y avait pas eu de suppression de poste en l'espèce. Le critère qu'il a appliqué, en l'occurrence celui de savoir si une entreprise de la taille de CP Rail avait besoin d'un mécanicien pour exécuter les fonctions énumérées dans la description d'emploi de M. Clerk, hormis celles qui étaient propres à son affectation au Nouveau-Brunswick, était un critère erroné.

[35]            Si l'ensemble des activités ne sont plus exécutées ou sont réparties entre d'autres employés, il y a « suppression » de ce poste (Flieger, précité; Bande indienne de Moricetown, précité; Énergie atomique du Canada, précité; Lignes aériennes Canadien International, précité).

[36]            La demanderesse souligne que ce critère a été appliqué correctement par d'autres arbitres dans des situations moins extrêmes que la fermeture d'une unité d'exploitation entraînant le licenciement de quelque 300 employés (Desgagné c. Purolator Courrier Ltd., [1993] C.L.A.D. No. 919; Paeste c. Purolator Courrier Ltd., [2002] C.L.A.D. No. 521; McMurty c. Air Canada, [2002] C.L.A.D. No. 536; Ritter c. Shaw Cablesystems G.P., [2002] C.L.A.D. No. 295).

[37]            En raison de cette grave erreur de droit qui s'est traduite par la décision de l'arbitre de se déclarer compétent en contravention des dispositions du Code, la réparation appropriée consiste en une ordonnance de la Cour annulant la décision et rejetant la plainte de congédiement injuste déposée par M. Clerk pour défaut de compétence (Énergie atomique du Canada, précité; Lignes aériennes Canadien International, précité; Bande indienne de Moricetown, précité).

Le défendeur

Considérations d'ordre général

[38]            M. Clerk (qui a plaidé lui-même sa propre cause avec habileté) signale que la demanderesse a contesté une décision sur la question de la « compétence » en se fondant sur la présumée « suppression d'un poste » . Se rattachait au « poste » de surveillant des mécaniciens au sein du Service de la mécanique la responsabilité pour [TRADUCTION] « l'inspection, l'entretien et la réparation du matériel de traction et du matériel roulant » . M. Clerk explique que ces fonctions étaient courantes chez les surveillants des mécaniciens de CP Rail et que CP Rail les avait maintenues après son congédiement.


[39]            M. Clerk explique qu'il n'a pas été licencié en raison de l'abandon de l'exploitation de la subdivision CAR de CP Rail. L'Office des transports du Canada a ordonné l'abandon de l'exploitation de CAR à compter du 1er janvier 1995. Forts de l'engagement du gouvernement fédéral de rembourser à la compagnie de chemin de fer, conformément à la Loi sur le transport national, toutes les pertes entraînées par la poursuite de l'exploitation du chemin de fer entre la date de la demande et celle à laquelle l'abandon de l'exploitation a pris effet, les cadres supérieurs ont informé tous les surveillants de CP Rail travaillant à la subdivision CAR en février 1993 que leur poste ne serait supprimé qu'à la fermeture complète de la subdivision CAR, qui s'est produite le 1er janvier 1995. M. Clerk affirme qu'il est le seul surveillant dont le poste avait été ciblé de façon illégitime six mois plus tôt. Il signale que les 19 autres surveillants qui travaillaient à CAR ont vu leur poste supprimé le 31 décembre 1994. Il souligne que la suppression de son poste ne se justifiait pas sur le plan chronologique avec la fermeture de CAR et qu'elle n'était pas attribuable à cette dernière. Il fait valoir qu'il est invraisemblable que toute restructuration qui aurait eu lieu le 1er juillet 1994 au sein d'une compagnie de la taille de CP Rail n'ait pu toucher qu'un seul employé. CP Rail exploite présentement environ 14 000 milles de voies ferrées, compte approximativement 15 500 employés et possède plus de 1 500 locomotives et 44 000 wagons dont l'inspection, l'entretien et la réparation relèvent du Service de la mécanique.

[40]            M. Clerk explique qu'après que le poste qu'il occupait à la subdivision CAR eut été supprimé, le poste de surveillant des mécaniciens au sein du Service de la mécanique a continué à être exercé jusqu'à ce que cette subdivision cesse ses opérations. Il ajoute qu'après avoir réfuté les allégations dégradantes qui avaient été formulées à son sujet relativement au motif de son congédiement, et parce qu'il refusait catégoriquement de signer quelque écrit que ce soit qui mettrait un terme à sa carrière, on l'a convaincu de signer un document de « congé payé » après avoir obtenu l'engagement qu'il aurait un emploi lorsque sa situation se serait régularisée. Il explique que, peu de temps après avoir obtenu l'autorisation de reprendre le travail, il a accepté une mutation à Golden, en Colombie-Britannique, en mars 1995, et que là-bas, il s'occupait de l'inspection, de l'entretien et de la réparation des locomotives et du matériel roulant, croyant de bonne foi qu'on lui accorderait un poste permanent. On a toutefois refusé de lui attribuer un poste permanent et on l'a finalement congédié malgré le fait qu'il avait toujours bien précisé qu'il était prêt à être encore muté ailleurs.


[41]            M. Clerk affirme que son congédiement était entaché de mauvaise foi. Il précise qu'il a été avisé, tant verbalement que par écrit, par un cadre supérieur du Service de la mécanique, qu'il ne pouvait plus être un surveillant à cause des allégations dont il faisait l'objet. Il explique qu'une note de service interne sur cette situation (rédigée le 29 juin 1994 par le vice-président du Service de la mécanique et communiquée uniquement aux cadres supérieurs de CP Rail) précisait bien qu'il ne se verrait pas offrir un poste au sein des services mécaniques parce que son nom avait été inscrit sur une liste noire. M. Clerk affirme qu'il n'a appris l'existence de cette note de service qu'en février 2002, et qu'avant d'être congédié, il s'attendait à être muté, présumant à tort que le fait qu'il avait réfuté les fausses allégations formulées contre lui lui permettrait d'accepter un poste permanent.

[42]            M. Clerk signale qu'en février 2002, l'arbitre a entendu des témoignages et reçu des éléments de preuve qui indiquaient qu'il n'y avait pas eu de suppression du poste d'inspection, d'entretien et de réparation du matériel de traction et du matériel roulant. M. Clerk a expliqué que ces fonctions étaient nécessaires à l'exploitation, en toute sûreté, du réseau ferroviaire de CP Rail au Canada et aux États-Unis et qu'elles sont prescrites par la Loi sur la sécurité ferroviaire et par son équivalent américain. C'est le Service de la mécanique qui se charge de ce travail.


[43]            À l'audience du 28 février 2002, M. Moreau a témoigné sur la façon dont CP Rail a restructuré les postes de surveillants des mécaniciens au cours de l'année 1993 (s'attelant à cette tâche presque deux ans avant l'abandon de l'exploitation de CAR). Tous les postes de surveillants des mécaniciens ont été regroupés au sein du Service de la mécanique, qui est une entité du Réseau CP Rail qui couvre tout le réseau de CP Rail en Amérique du Nord. M. Clerk affirme qu'il a soumis son curriculum vitae en vue d'être promu d'un poste de surveillant à un poste de direction et que sa candidature a été examinée. Il ajoute qu'il a été ensuite désigné de nouveau comme surveillant au Service de la mécanique du Réseau CP Rail et qu'il travaillait alors au sein de la subdivision CAR. Au cours de l'année 1994, quinze autres postes ont été supprimés au Service de la mécanique, la plupart par attrition.

[44]            M. Clerk précise que beaucoup de postes deviennent vacants par attrition au CP Rail. D'autres surveillants exerçant les mêmes fonctions que lui à Saint John ont été dûment mutés à des postes dont les fonctions étaient comparables au sein du Service de la mécanique.

[45]            M. Clerk soutient que CP Rail a soumis une masse de renseignements pour la plupart inutiles qui n'ont rien à voir avec [TRADUCTION] « l'ordonnance à l'égard de laquelle une réparation est sollicitée » dans la présente demande.

[46]            M. Clerk se fonde sur la décision du juge Rouleau dans l'affaire Frezza v. Canadien Pacifique Limitée, [1999] A.C.F. no 105 (C.F. 1re inst.), où l'on trouve ce qui suit, au paragraphe 38 :

Il est bien établi que la Cour doit permettre aux tribunaux administratifs d'exercer les fonctions que leur assigne leur loi habilitante et doit faire preuve de retenue lorsqu'elle contrôle leurs décisions. Cela vaut plus particulièrement dans les cas où la loi habilitante comporte une disposition privative sévère, telle celle figurant à l'article 243 du Code canadien du travail. Voici ce que prévoit cet article :

243(1) Les ordonnances de l'arbitre désigné en vertu du paragraphe 242(1) sont définitives et non susceptibles de recours judiciaire.

(2) Il n'est admis aucun recours ou décision judiciaire - notamment par voie d'injonction, de certiorari, de prohibition ou de quo warranto - visant à contester, réviser, empêcher ou limiter l'action d'un arbitre exercée dans le cadre de l'article 242.

[47]            Dans le jugement Frezza, précité, au paragraphe 39, le juge Rouleau cite sa décision dans l'affaire Kelowna Flightcraft Air Charter Ltd c. Kmet, (1998), A.C.F. no 740 (C.F. 1re inst.) :


Pareille disposition privative signifie que la décision d'un arbitre n'est pas susceptible de contrôle judiciaire sauf si elle est à ce point déraisonnable qu'elle ne puisse rationnellement s'appuyer sur la loi habilitante et que l'équité exige l'intervention de la Cour.

Qu'importe, par conséquent, que la Cour soit ou non d'accord sur la conclusion tirée par le tribunal dans la cause qui lui est soumise; elle n'interviendra que si la décision est entachée d'une erreur de droit telle qu'elle constitue une interprétation fautive des dispositions législatives sur lesquelles elle s'appuie, si elle se fonde sur des conclusions de fait dénuées de preuve ou si le tribunal a outrepassé sa compétence d'une autre façon. Pour que la décision d'un arbitre soit tenue pour manifestement déraisonnable, il faut que la Cour la juge nettement irrationnelle du fait qu'aucune preuve ne l'appuie.

[48]            L'arbitre a précisé ce qui suit dans sa décision :

[TRADUCTION] Je n'ai pas l'intention d'ordonner la réintégration de M. Clerk dans son poste. La seule question qu'il nous reste à résoudre est celle de l'indemnité. Les deux aspects à examiner sont, d'abord, la perte de salaire, s'il en est, et les incidences sur le régime de retraite de M. Clerk. Il est évident que j'aurais besoin du témoignage d'un actuaire sur cette dernière question.

[49]            M. Clerk affirme qu'il est indéniable qu'il s'agit là d'une conclusion favorable à CP Rail en ce qui a trait à la question de la réintégration. Il reste à faire des rajustements financiers, dont CP Rail n'a contesté ni l'existence ni la preuve documentée et que CP Rail a déclaré qu'elle avait l'intention d'aborder. Il explique qu'il serait contraire aux principes de la justice naturelle de retarder encore le règlement final de la plainte et les rajustements financiers à effectuer.


[50]            M. Clerk est d'avis que l'arbitre a été « dûment diligent » et qu'il a agi entièrement dans les limites du pouvoir discrétionnaire que lui confère le Code. Le CP Rail s'est vu accorder un délai supplémentaire pour préparer et présenter sa cause. M. Clerk estime que l'arbitre a dûment examiné la preuve produite par les deux parties et qu'il a rendu sa décision conformément à la loi. Il n'a pas commis d'erreur procédurale ni d'erreur dans la façon dont il a traité la preuve. Il a tiré une conclusion qui entrait dans le cadre de sa compétence et qui reposait sur la preuve.

ANALYSE

[51]            À mon avis, la présente demande implique l'examen d'une question étroite de compétence. Les propos de l'arbitre permettent de conclure qu'il était bien au courant de ce dont il était saisi :

[TRADUCTION] Je suis d'accord avec l'avocat de l'employeur. Si je conclus que le poste de M. Clerk a été supprimé, le débat est clos. Je n'ai plus compétence alors pour instruire la plainte.

[52]            L'arbitre poursuit en tirant quelques conclusions de fait essentielles :

[TRADUCTION]

1. CP Rail est un transporteur ferroviaire national et jusqu'en janvier 1995, il exploitait Canadian Atlantic Railways, essentiellement à l'est du Québec. Lorsqu'il a obtenu l'approbation de cesser l'exploitation de l'entreprise à cette date, celle-ci n'était pas rentable.

2. CP Rail a continué ses activités ailleurs au Canada après l'abandon de l'exploitation de Canadian Atlantic Railways.

3. Par suite de la fermeture de Canadian Atlantic Railways, environ 302 employés ont perdu leur emploi; certains d'entre eux ont trouvé un emploi ailleurs au Canada chez CP Rail.

4. Dans le cas qui m'est soumis, CP Rail n'a pas cessé d'exister. L'une de ses unités d'exploitation, Canadian Atlantic Railways, a fermé ses portes, mais la compagnie a continué d'exercer ses activités en tant que grand transporteur.

5. Le fait que CP Rail ait retenu des employés qui avaient moins d'ancienneté que M. Clerk et que CP Rail ait confié à au moins un d'entre eux un poste de direction n'est pas un élément dont je puis tenir compte pour déterminer si le poste de M. Clerk a été supprimé.

[53]            Le paragraphe clé de la décision se trouve à la page 7. En voici le texte :

[TRADUCTION] Il incombe à l'employeur de me convaincre que le poste de M. Clerk a été supprimé. Or, je constate qu'aucun élément de preuve clair et convaincant ne m'a été soumis en ce sens. Je ne puis accepter qu'une entreprise d'une aussi grande taille que CP Rail n'a plus besoin d'un ou de plusieurs mécaniciens pour exercer les fonctions énumérées dans la description de tâches de M. Clerk, hormis celles qui s'appliquaient uniquement à son travail au Nouveau-Brunswick. Comme je l'ai déjà précisé, M. Moreau a déclaré dans son témoignage que CP Rail recourt encore à des surveillants sur tout son réseau.

[54]            Ainsi, malgré le fait qu'il avait accepté que l'exploitation de CAR avait été complètement abandonnée, l'arbitre a conclu qu'il n'y avait aucun « élément de preuve clair et convaincant » que le poste de M. Clerk avait été supprimé. Cette apparente contradiction s'explique par le fait que CP Rail a encore besoin de mécaniciens et de personnes qui accomplissent le genre de fonctions que M. Clerk exécutait.

[55]            Il y a donc lieu de croire que l'arbitre était d'avis qu'un poste n'est pas supprimé si un autre employé du même employeur effectue des fonctions analogues ou si l'employeur a encore besoin de personnel pour exécuter des tâches semblables.

[56]            En toute déférence, je ne crois pas que c'est là le sens de l'expression « suppression d'un poste » que l'on trouve dans les décisions pertinentes.


[57]            Il est de jurisprudence constante que l'employeur a toute latitude pour décider comment organiser son entreprise et qu'il peut licencier des employés pour des raisons commerciales légitimes sans risquer de se faire accuser de congédiement injustifié. Le juge Muldoon a précisé ce qui suit dans le jugement Bande indienne de Moricetown c. Morris, [1996] A.C.F. no 1268 (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 30 et 31 :

30. Bien que le Code impose certaines restrictions aux employeurs, il ne les prive pas de toute liberté de restructurer et réorganiser leur entreprise. Monsieur le juge Pratte, dans l'arrêt Transport Guilbault Inc. c. Scott, A-618-85 (21 mai 1986) (C.A.F.), a déclaré, au sujet de la décision de réduire le personnel : « Dès lors que cette décision est réelle et n'a rien de simulé, on ne saurait interpréter autrement l'article 61.5(3)a) [maintenant l'alinéa 242(3.1)a) du Code canadien du travail] sans limiter indûment la liberté de l'employeur de structurer et organiser son entreprise comme il l'entend. » Monsieur le juge Pratte faisait évidemment référence à la restructuration qui a entraîné la « suppression d'une fonction » . En conséquence, dans des circonstances semblables, si l'employeur prend sa décision de bonne foi comme l'a conclu l'arbitre et pour des motifs légitimes, on peut affirmer qu'il y a eu suppression de poste.

31 Certes, la suppression d'un ou de plusieurs postes par un employeur aux fins de réduire les frais généraux d'un service, pour octroyer des sommes aux frais généraux d'un autre service, constitue une réorganisation légitime d'une entreprise, s'il en est, à condition que l'employeur croie, de bonne foi, que les dépenses constantes reliées à tous les postes sont trop élevées.

[58]            Il me semble qu'il n'y a vraiment rien dans la preuve soumise à l'arbitre en l'espèce qui permette de penser que CP Rail n'avait pas entrepris une restructuration légitime de son entreprise lorsqu'il a congédié M. Clerk. Il ressort d'ailleurs clairement des lettres écrites par M. Clerk lui-même qu'il a accepté la situation lorsqu'elle s'est présentée et que sa seule préoccupation était de se trouver un autre poste au sein de CP Rail ailleurs au Canada.


[59]            La jurisprudence applicable ne laisse également planer aucun doute sur ce qu'implique la notion de « suppression d'une fonction » . Pour citer les propos du juge Létourneau dans l'arrêt Énergie atomique du Canada c. Jindal, [1998] A.C.F. no 847 (C.A.), au paragraphe 15, « la "suppression d'un poste" ne se produit pas seulement lorsque les activités cessent d'être exercées, mais aussi lorsque les activités qui font partie du groupe d'activités exercées par un employé sont désormais réparties entre d'autres personnes » .

[60]            Or, l'arbitre a expressément conclu : « Je ne dispose d'aucun élément de preuve qui permettrait de penser que le genre de travail qu'effectuait M. Clerk a été réparti entre les autres employés. »

[61]            Dans ces conditions, la seule question qui se pose est celle de savoir si les activités exercées par M. Clerk « ont cessé d'être exercées » lorsqu'il a été congédié.

[62]            Mon examen du dossier m'amène à conclure que l'arbitre ne disposait d'aucun élément de preuve tendant à démontrer que M. Clerk avait été licencié pour quelque autre raison que le fait que le CP Rail faisait l'objet d'une restructuration massive et que son poste était supprimé. Son poste a tout simplement été aboli.


[63]            CP Rail ne lui a pas trouvé un autre poste ailleurs au sein de son entreprise comme il l'aurait souhaité, mais cela ne change rien au fait que son congédiement s'expliquait par une restructuration légitime de l'entreprise qui exigeait la suppression de son poste et de bon nombre d'autres postes au sein de CP Rail. Le fait que d'autres employés de CP Rail à l'extérieur de CAR aient pu continuer à exercer des fonctions semblables et/ou que CP Rail ait besoin de mécaniciens comme M. Clerk ailleurs dans son réseau n'est pas pertinent en l'espèce. Bon nombre d'autres personnes qui ont été congédiées à l'occasion de la restructuration ont également demandé à être mutées ailleurs sur le réseau de CP Rail. Certaines ont eu de la chance et ont réussi à se trouver un poste ailleurs. D'autres, comme M. Clerk, n'ont pas eu cette chance.

[64]            Mais cela ne change rien au fait que le poste qu'occupait M. Clerk au sein de CP Rail, chez CAR, a cessé d'exister. Ce poste a disparu lors de la restructuration. Il s'ensuit que son poste a effectivement été supprimé. Comme la Cour suprême du Canada l'a bien précisé dans l'arrêt Flieger c. Nouveau-Brunswick, [1993] 2 R.C.S. 651, aux paragraphes 25 et 26, « le mot "suppression" indique manifestement la fin de quelque chose qui est appelé une fonction. Une "fonction" doit être le "poste", c'est-à-dire l'ensemble de responsabilités, de tâches et d'activités dont s'acquitte un employé en particulier ou un groupe donné d'employés » . La Cour suprême précise par ailleurs que « [c]'est cette définition du mot "fonction", au sens de "poste", qui s'accorde le mieux avec l'environnement du milieu de travail » .

[65]            En d'autres termes, ainsi qu'il a été souligné dans la décision Ritter c. Shaw Cablesystems G.P., [2002] C.L.A.D. No. 295, « poste » et « fonction » sont synonymes. La fonction qu'exerçait M. Clerk a disparu. Pour cette raison, son poste a été supprimé.


[66]            Bien qu'il ait d'abord accepté qu'il avait été licencié pour des raisons commerciales légitimes, une fois qu'il s'est rendu compte qu'il ne serait pas réembauché, M. Clerk a commencé à se demander si son poste avait véritablement été supprimé. Il a soulevé devant la Cour la question des délais et de la mauvaise foi, et il a fait valoir que, depuis son départ, son travail était effectué par quelqu'un d'autre. Indépendamment du fait que ces questions ne font pas réellement partie de la décision de l'arbitre au sujet de sa compétence, mon examen du dossier ne m'a pas convaincu qu'en licenciant M. Clerk, CP Rail était motivé par quelque autre motif que la restructuration légitime de son entreprise. Qui plus est, M. Clerk n'a déposé aucun affidavit pour appuyer les allégations qu'il formule dans la présente demande, de sorte que ses assertions ne reposent pas, comme elles le devraient, sur la preuve.

[67]            Malgré toute la sympathie que j'éprouve envers M. Clerk pour le sort peu enviable qui lui échoit, force m'est de conclure que l'arbitre a eu tort sur la question de la compétence. J'estime que la norme de contrôle applicable en l'espèce est celle de la « décision correcte » (voir, par exemple, Roe c. Rogers Cablesystems Ltd., [2000] A.C.F. no 1457 (C.F. 1re inst.)), mais peu importe la norme que j'applique, je crois que l'arbitre a commis une erreur donnant ouverture au contrôle judiciaire en se déclarant compétent pour instruire la présente plainte de congédiement injuste. L'emploi de M. Clerk a été supprimé en raison du manque de travail et de la suppression du poste qu'il occupait chez CP Rail. Il s'ensuit qu'aux termes du paragraphe 242(3.1) du Code, l'arbitre n'avait pas compétence pour instruire la plainte de congédiement injuste de M. Clerk.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La décision de l'arbitre est annulée;

2.          La plainte de congédiement injuste de M. Clerk est rejetée pour incompétence au sens du paragraphe 242(3.1) du Code canadien du travail;

3.          Aucuns dépens ne sont adjugés.

                         « James Russell »        

           Juge

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL.L.


                                                  COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                T-862-02

INTITULÉ :               CANADIEN PACIFIQUE LIMITÉE

                                                                      

c.

                               RON T. CLERK et BRIAN A. DUNN

LIEU DE L'AUDIENCE :                              OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 29 MARS 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :LE JUGE RUSSELL

DATE DES MOTIFS :                                   LE 18 MAI 2004

COMPARUTIONS :

Marc Shannon                                                   POUR LA DEMANDERESSE

Ron T. Clerk                                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Marc Shannon                                                   POUR LA DEMANDERESSE

Gulf Canada Square, bureau 2000

401, 9e Avenue Sud-Ouest

Calgary AB

T2P 4Z4

Ron T. Clerk                                                     POUR LE DÉFENDEUR

(agissant pour son propre compte)


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