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Date : 20040429

Dossier : T-709-02

   Référence : 2004 CF 631

ENTRE :

                                                          PATRICK E. QUIGLEY

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                    OCEAN CONSTRUCTION SUPPLIES, LTD., MARINE DIVISION

               et LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

                                                                                                                                    défenderesses

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

INTRODUCTION

[1]                Les présents motifs font suite à l'audition d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision du Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal). Dans sa décision, le Tribunal est parvenu à la conclusion suivante :


Je conclus qu'Ocean a mis fin à l'emploi de M. Quigley en raison de sa déficience. Toutefois, Ocean a enclenché en 1991 un processus d'accommodement. La compagnie a finalement rempli son obligation d'accommodement à l'endroit de M. Quigley jusqu'à la contrainte excessive en 1996, lorsque celui-ci a insisté pour que les mesures d'accommodement soient articulées autour du poste de matelot de pont. Même si j'éprouve de la sympathie à l'égard de M. Quigley, et bien que j'admire son courage et son désir de continuer de travailler, je dois rejeter la plainte.[1]

Nous reviendrons sur le « poste de matelot de pont » plus loin dans les présents motifs. La décision faisant l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire a été rendue le 3 avril 2002.

[2]                Dans ces pages, le « demandeur » désigne Patrick E. Quigley. En ce qui concerne Ocean Construction Supplies, Ltd., Marine Division, elle sera désignée par « Ocean » , tout comme dans l'extrait cité ci-haut, tiré des motifs de la décision du Tribunal.

MESURE DE REDRESSEMENT DEMANDÉE

[3]                L'avocat du demandeur soutient que le Tribunal a tiré des conclusions erronées à plusieurs égards pour parvenir à cette décision. En conséquence, le demandeur s'adresse à la présente cour en vue d'obtenir une ordonnance accueillant sa demande avec dépens, annulant la décision du Tribunal et renvoyant sa demande de redressement au Tribunal avec, comme première option, la directive suivante : que le Tribunal accueille sa plainte et examine le dossier en vue de choisir une mesure de redressement appropriée; deuxième option : qu'un tribunal différemment constitué examine de nouveau la plainte; troisième et dernière option : que le Tribunal, constitué différemment ou non, examine de nouveau la plainte conformément aux motifs de la présente cour.


[4]                Ocean demande à la cour de prononcer une ordonnance rejetant la demande de contrôle judiciaire du demandeur avec dépens, sur demande, mais ne s'oppose pas au renvoi de l'affaire devant le Tribunal, tel que constitué en première instance, pour qu'elle soit entendue de nouveau sur la foi du dossier existant, si la cour conclut que la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.

[5]                La Commission canadienne des droits de la personne n'a déposé aucun document dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire et elle n'était pas représentée lors de l'audition de la demande.

CONTEXTE

a)         Le demandeur


[6]                Le demandeur est décrit comme un « cuisinier de profession » dans les motifs de la décision du Tribunal. Lors de l'audience devant la présente cour, il était âgé de quarante-cinq (45) ans. Depuis décembre 1988, il travaillait comme cuisinier sur des remorqueurs exploités par Ocean. Ces remorqueurs, au nombre de cinq, tiraient des chalands vides ou remplis de marchandises groupées ou de produits de ciment dans les voies navigables de la Colombie-Britannique, entre les différents établissements d'Ocean Construction Supplies Ltd. ou entre ces établissements et d'autres établissements, certains situés dans les basses terres de la Colombie-Britannique, d'autres situés beaucoup plus loin, jusqu'à Seattle (État de Washington) ou en Alaska, par exemple.

[7]                À compter de janvier 1991 et jusqu'à son congédiement par Ocean, en août 1996, M. Quigley a été victime de plusieurs tragédies et de divers problèmes de santé qui l'ont empêché de travailler régulièrement. Entre 1991 et la fin de son emploi, il a pris cinq longs (5) congés pour raisons familiales ou incapacité. Plus particulièrement, en août ou en septembre 1992, le demandeur a appris qu'il souffrait du syndrome de la traversée thoracobrachiale (STT). Au printemps 1993, il est retourné au travail pour une série de mises à l'essai. En janvier 1994, le demandeur a subi une intervention chirurgicale pour corriger son problème de STT. Par la suite, il n'est jamais retourné au travail jusqu'à son congédiement, fin août 1996.

[8]                Nous examinerons plus en détail la période au cours de laquelle le demandeur a travaillé pour Ocean plus loin dans les présents motifs.

b)         La défenderesse et ses activités


[9]                Ocean Construction Supplies, Ltd. est une vaste entreprise qui dispose de bureaux en Amérique du Nord, en Europe et en Asie. Elle possède une division spécialisée dans les agrégats et dont les activités, du moins en partie, se déroulent dans la région des terres basses de la Colombie-Britannique. Cette division dessert les centres de la Côte Ouest situés entre Seattle (Washington) et l'Alaska.

[10]            Ocean, c'est-à-dire la Division maritime d'Ocean Construction Supplies, Ltd., soutient les activités de la division d'agrégats d'Ocean Construction Supplies, Ltd. Comme nous l'avons mentionné, Ocean exploite cinq (5) remorqueurs. Quatre (4) de ces remorqueurs sont décrits comme des navires de haute mer tandis que le cinquième navigue dans les eaux intérieures.

[11]            Au cours des années pertinentes, les quatre navires de haute mer s'absentaient pour des périodes de quatorze (14) à quinze (15) jours avant de retourner à leur port d'attache. À leur bord, l'équipage était composé de quatre (4) à cinq (5) membres : le capitaine, qui surveillait l'ensemble des manoeuvres du remorqueur et du navire remorqué, un capitaine en second et à partir de 1991, deux (2) matelots de pont-cuisiniers. Lorsqu'un cinquième membre se joignait à l'équipage, il s'agissait d'un mécanicien chargé de surveiller la salle des machines du remorqueur. Une fois à bord des navires de haute mer, les membres d'équipage effectuaient un quart de travail de six (6) heures, puis se reposaient pendant six (6) heures avant de faire un autre quart. Compte tenu de la taille et du rôle des remorqueurs, il n'est pas surprenant que les couchettes mises à la disposition des membres d'équipage en période de repos étaient quelque peu à l'étroit. Par exemple, le demandeur estimait que la couchette était trop étroite pour lui permettre de dormir sur le dos.

[12]            Le seul navire en eaux intérieures d'Ocean, l'Evco Crest, accomplissait essentiellement les mêmes tâches que les navires en haute mer mais dans une zone moins étendue. Il était en service 24 heures sur 24, sauf certains jours, à raison de deux (2) quarts de travail de douze (12) heures chacun. L'équipage de l'Evco Crest était composé d'un capitaine chargé de superviser les manoeuvres et de conduire le remorqueur, et d'un matelot qui s'occupait du chaland. Compte tenu de la nature des activités sur l'Evco Crest, il n'était pas doté de couchettes pour les membres d'équipage si le voyage se prolongeait. Il appartenait aux membres d'équipage d'apporter leurs propres repas et ceux-ci rentraient à la maison après chaque quart de douze (12) heures.

[13]            L'effectif de la division maritime d'Ocean était formé d'une cinquantaine (50) d'employés, soit la totalité des membres d'équipage des cinq (5) remorqueurs, en nombre suffisant pour permettre aux employés de prendre des « jours de relâche » lorsque des membres d'équipage ou l'un des rares employés de bureau, y compris le directeur ou l'un des répartiteurs, prenait un congé. Le service du personnel et, vraisemblablement, les services financiers et de direction étaient assurés par d'autres unités d'Ocean Construction Supplies, Ltd. Au cours de l'audience devant la présente cour, l'avocat a laissé entendre que l'organisation d'Ocean à titre de division distincte d'Ocean Construction Supplies, Ltd. avait été conçue ainsi en raison du fait, notamment, que les activités d'Ocean relèvent d'un domaine de compétence fédérale, par opposition aux autres activités d'Ocean Construction Supplies, Ltd. au Canada, qui relèvent d'un domaine de compétence provinciale.

[14]            Personne n'a contesté devant la cour que le travail de matelot à bord des remorqueurs de haute mer ou du remorqueur navigant dans les eaux intérieures comportait des tâches ardues et parfois même dangereuses. Si un matelot se blessait, il s'exposait lui-même et le reste de l'équipage à de grands dangers, compte tenu du nombre restreint d'hommes à bord des navires.

c)         Travail du demandeur chez Ocean

[15]                Nous l'avons vu, le demandeur a commencé à travailler chez Ocean en décembre 1988 à titre de cuisinier à bord d'un remorqueur de haute mer. De décembre 1989 à avril 1990, il a pris un congé de deuil suite au décès de sa mère. De la mi-octobre 1990 jusqu'au début du mois de mars 1991, il a pris un autre congé en raison de la perte de son enfant mort-né et d'une intervention qu'il a subie au genou. Durant son absence, en novembre 1990, tous les postes de cuisinier et de matelot de pont à Ocean ont été reclassifiés en postes de cuisinier-matelot de pont. En conséquence, lorsque le demandeur est retourné au travail en mars 1991, il a constaté qu'il n'était plus un cuisinier à bord d'un remorqueur en haute mer mais qu'il était devenu un cuisinier-matelot de pont sur l'un de ces remorqueurs. Il a demandé à suivre une formation pour accomplir son rôle de matelot et son employeur lui a donc offert une « formation » d'une journée comme troisième membre d'équipage à bord du remorqueur en eaux intérieures, l'Evco Crest.


[16]            Vers la fin de 1991, le demandeur a été victime d'un accident à la maison et a subi des blessures aux coudes et aux genoux. En novembre 1991, après avoir travaillé pendant 115 jours à titre de cuisinier-matelot de pont, il a demandé un congé pour incapacité. Il a obtenu son congé le 5 décembre 1991 et ce congé s'est prolongé jusqu'au 4 avril 1993. Pendant son congé, il a subi une intervention au coude, soit en avril 1992. C'est également pendant cette période qu'il a appris qu'il souffrait du STT. Cette maladie a gravement affecté ses capacités d'assumer des tâches physiques ardues, y compris le genre de tâches physiques qu'un matelot de pont est appelé à accomplir.

[17]            Au printemps 1993, le demandeur a demandé qu'on lui accorde un « essai de travail » dans l'espoir de reprendre un poste de matelot de pont. Le Tribunal a jugé qu'à cette époque, le demandeur était très motivé à continuer à travailler. Il a présenté une lettre de son médecin de famille confirmant qu'il était apte au travail. Compte tenu de l'avis formulé par le médecin du demandeur, le gestionnaire d'Ocean, M. Chapman, a prié le demandeur de se présenter chez le médecin d'Ocean Construction Supplies, Ltd. en vue d'obtenir un second rapport médical sur l'aptitude du demandeur à reprendre le travail. Le médecin de la société a jugé qu'un essai de deux semaines serait « sans danger » . Ceci dit, le médecin de la société a prédit que le demandeur éprouverait constamment des problèmes au poste de matelot de pont, qu'éventuellement il aurait à subir une intervention chirurgicale pour son problème de STT et qu'il serait plus prudent pour lui de choisir un travail moins exigeant sur le plan physique. Le médecin a recommandé que le demandeur quitte le poste de matelot de pont pour trouver un travail sédentaire.

[18]            Après avoir examiné les deux (2) rapports médicaux, le gestionnaire des ressources humaines d'Ocean Construction Supplies, Ltd. a recommandé de mettre fin à l'emploi du demandeur. Toutefois, M. Chapman a accepté d'accorder un essai de travail au demandeur. En fait, le demandeur a entrepris quatre (4) essais de travail d'une durée de deux semaines chacun au poste qu'il occupait avant d'être blessé, cuisinier-matelot de pont sur un remorqueur de haute mer. C'est à ce moment-là que le demandeur s'est plaint de ne pas pouvoir dormir sur les couchettes étroites des remorqueurs de haute mer. En conséquence, il a demandé qu'on lui accorde un essai de travail sur le remorqueur en eaux intérieures, l'Evco Crest. Ocean a acquiescé à cette demande. Le 19 avril 1993, Ocean a accordé un essai de travail d'une journée au demandeur à bord de l'Evco Crest.


[19]            Chacun des cinq (5) essais de travail du demandeur fut évalué. Ces évaluations portaient non seulement sur le rendement physique du demandeur mais aussi sur ses connaissances et ses compétences, son attitude, sa condition physique et sa capacité à travailler et à vivre avec les autres dans un milieu clos tel que celui du remorqueur. Parmi les cinq (5) capitaines ayant supervisé les essais de travail du demandeur, un seul a recommandé qu'il soit maintenu au poste de cuisinier-matelot de pont ou de matelot de pont. M. Chapman s'est entretenu avec le demandeur concernant son avenir professionnel. Il a remis au demandeur d'autres formulaires d'invalidité à long terme. Après avoir consulté son médecin, le demandeur a une fois de plus pris un congé d'invalidité à compter du 20 août 1993. Le demandeur a subi une intervention chirurgicale pour son STT. En conséquence, il a prolongé son congé d'invalidité jusqu'en août 1996.

[20]            À la mi-mai 1996, le demandeur a appris que ses prestations d'invalidité à long terme étaient menacées. Il a demandé l'avis de ses médecins. Ceux-ci lui ont seulement fourni quelques recommandations ambiguës préconisant un nouvel essai de travail sur l'Evco Crest.

[21]            M. Chapman a rencontré le demandeur le 13 août 1996 et examiné le dernier rapport médical. Le demandeur cherchait sans détour à obtenir un essai de travail sur l'Evco Crest et a affirmé qu'il était inapte à travailler comme cuisinier-matelot de pont sur les remorqueurs de haute mer. M. Chapman a répondu que selon lui, le demandeur ne semblait pas apte à travailler comme matelot de pont sur l'Evco Crest.

[22]            Conformément aux voeux du demandeur, M. Chapman s'est adressé au médecin spécialiste et au représentant syndical du demandeur. Lors de l'entretien avec le médecin spécialiste, ce dernier s'est dit d'accord avec l'analyse de M. Chapman, soit qu'il ne serait pas sécuritaire de faire subir un essai de travail au demandeur sur un navire disposant d'un équipage de deux hommes tel que l'Evco Crest. Il a reconnu qu'il y avait un risque réel d'exposer l'équipage et le navire au danger si le demandeur devait assumer la tâche de matelot de pont sur l'Evco Crest. Après cette conversation, M. Chapman s'est à nouveau entretenu avec le gestionnaire de ressources humaines d'Ocean Construction Supplies, Ltd.


[23]            Après ces consultations, M. Chapman a conclu que le demandeur n'était pas apte à retourner au travail ou à subir un essai de travail comme matelot de pont. Aucun autre poste n'était disponible dans l'effectif limité et par ailleurs, le demandeur ne s'est montré intéressé par aucun autre poste, hormis celui de matelot de pont. En conséquence, M. Chapman a mis fin au contrat de travail du demandeur avec Ocean par une lettre datée du 29 août 1996.

d)         Preuve postérieure à la cessation d'emploi

[24]            De nombreux éléments de preuve postérieurs à la cessation d'emploi concernant l'aptitude du demandeur à retourner au travail ont été déposés au Tribunal. Ces éléments de preuve sont pour le moins ambigus. Par dessus tout, ils indiquent que le demandeur contestait le bien-fondé de son congédiement tout en s'opposant à la cessation de ses prestations pour invalidité prolongée. Dans une déclaration modifiée déposée en son nom contre la société d'assurance-invalidité de longue durée d'Ocean, le demandeur allègue qu'au mois de janvier 1991, le demandeur est devenu totalement et définitivement inapte, en raison de sa maladie, à accomplir son travail habituel chez Ocean et qu'à la date du dépôt de cette déclaration modifiée, en 1999, il était toujours inapte au travail.

[25]            Le Tribunal a choisi de n'accorder aucun poids aux éléments de preuve postérieurs à la cessation d'emploi[2].

e)         Sommaire

[26]            Bien que les paragraphes que précèdent semblent présenter un résumé relativement exhaustif de l'historique d'emploi du demandeur chez Ocean, il est beaucoup moins détaillé que le résumé des faits rédigé par le Tribunal. Ce résumé des faits n'a pas réellement été contesté devant cette cour.

DÉCISION FAISANT L'OBJET DU PRÉSENT CONTRÔLE JUDICIAIRE

[27]            Les motifs du Tribunal au soutien de sa décision sont très exhaustifs. Ils s'étendent sur plus de 97 paragraphes. Après un examen approfondi des faits, le Tribunal donne un résumé des règles applicables en matière de droits de la personne et de l'état du droit en ce qui concerne la preuve postérieure à la cessation d'emploi. Il conclut ensuite que le demandeur a établi une preuve prima facie de discrimination fondée sur son invalidité. Le Tribunal affirme ce qui suit :


À mon avis, M. Quigley s'est acquitté de son fardeau initial, c'est-à-dire établir une preuve prima facie de discrimination fondée sur la déficience. L'état de santé de M. Quigley a certes été l'un des facteurs qui ont influé sur la décision finale d'Ocean de le congédier, en contravention du paragraphe 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Ocean a mis fin à son emploi parce que sa déficience l'empêchait de retourner au travail. Il incombe maintenant à Ocean de prouver que sa décision reposait sur une exigence professionnelle justifiée[3].

[28]            Le Tribunal poursuit son examen en vue de déterminer si Ocean a satisfait au critère en trois volets « pour déterminer si une norme discriminatoire à première vue est une EPJ » (exigence professionnelle justifiée), tel que défini dans Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU (ci-après Meiorin)[4]. À cet égard, il appuie également son raisonnement sur l'arrêt Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c. Colombie-Britannique (Counsel of Human Rights) (ci-après Grismer)[5].

[29]            Après avoir constaté que ni le demandeur, ni l'avocat de la Human Rights Commission (la Commission) ayant comparu devant le Tribunal n'avaient fait valoir qu'Ocean aurait dû

composer avec le demandeur en lui offrant un autre poste que celui de matelot de pont et avoir souligné que la preuve présentée au Tribunal relativement à l'activité des autres divisions et

entreprises d'Ocean et d'Ocean Construction Supplies, Ltd. était négligeable, le Tribunal analyse ainsi les efforts d'Ocean en vue de combler les besoins du demandeur :


À mon avis, les mesures d'accommodement prises par Ocean envers M. Quigley durant la période 1991-1996 étaient relativement justes et raisonnables. J'ai entendu le témoignage de M. Chapman. Il a cherché en tout temps à composer dûment avec M. Quigley. En fait, il a décidé de garder M. Quigley comme employé en 1993, même si le gestionnaire des ressources humaines de la compagnie avait recommandé de mettre fin à son emploi. En outre, en 1993, il a donné à M. Quigley plusieurs essais de travail, et non un seul. Comme ces essais n'avaient pas été concluants, il a rencontré M. Quigley pour s'enquérir de ses besoins et déterminer comment agir au mieux de ses intérêts. En 1993, M. Chapman a reçu l'information médicale du Dr Nelems. Après en avoir pris connaissance, il a décidé d'appuyer la nouvelle demande de prestations d'assurance-invalidité de M. Quigley.

De 1993 à 1996, M. Chapman a gardé M. Quigley comme employé de la compagnie et attendu son retour au travail à la suite de l'intervention chirurgicale.

Il a également traité M. Quigley équitablement lorsque celui-ci a voulu revenir au travail en 1996. Lorsqu'il a reçu la lettre du 6 août 1996 du Dr Nelems, M. Chapman était à juste titre préoccupé. Le Dr Nelems a écrit que M. Quigley estimait à seulement 60 % l'amélioration du côté droit et n'était pas complètement remis. Il a confirmé que M. Quigley avait atteint un plateau pour ce qui est de l'amélioration du côté droit. En outre, il a indiqué que M. Quigley avait ses bonnes journées et ses mauvaises. Il a précisé que les douleurs ressenties par M. Quigley réapparaissaient lorsqu'il s'adonnait à une activité particulièrement problématique. Il a ajouté que M. Quigley continuerait d'éprouver des problèmes permanents, même s'il y avait eu amélioration. Enfin, il a fait remarquer que le problème thoracique du côté gauche s'était aggravé et exigeait un suivi. Dans cette lettre, le Dr Nelems précisait qu'il incombait entièrement à M. Quigley de déterminer s'il y avait lieu de faire un essai de travail. En fait, il ne pouvait en être ainsi puisque la compagnie avait la responsabilité de veiller à ce que le travailleur et ses collègues soient dûment protégés. Le Dr Nelems a écrit que la compagnie devait être souple afin de composer avec M. Quigley relativement à la fréquence des affectations et à la quantité de travail. M. Chapman a fait des efforts pour déterminer ce que cela pourrait impliquer du point de vue de l'accommodement.

M. Chapman a fait des efforts raisonnables pour composer avec M. Quigley, qui ne reconnaissait pas la gravité de son affection médicale. C'est M. Quigley qui a insisté pour qu'on l'autorise à faire un travail plus exigeant que celui qu'il accomplissait comme matelot de pont-cuisinier avant son invalidité. C'est lui également qui a insisté pour qu'on lui accorde un essai de travail comme matelot de pont, réduisant ainsi les possibilités d'accommodement dans un autre emploi. La demande de M. Quigley était simplement irréaliste : le matelot de pont doit lever des poids lourds, tirer des charges vers le haut à la hauteur de sa poitrine tout en les agrippant et les tenant, se pencher en s'étirant pour ramasser des objets, souvent dans l'obscurité, monter et descendre dans des échelles en mouvement à des hauteurs considérables au-dessus de la surface de l'eau ou de quais. De par la nature de son travail physiquement exigeant, l'employé est appelé à garder ses bras en avant et au-dessus de sa tête et à s'étirer ou à se plier, exécutant des mouvements bizarres, de nature répétitive, tout en levant et transportant de lourdes charges. M. Chapman ne disposait pas de suffisamment de preuves que M. Quigley pouvait exécuter ces tâches qui faisaient partie du travail de matelot de pont-cuisinier, et encore moins à titre de matelot de pont pendant 12 heures par jour.

Cependant, malgré les conséquences évidentes de l'évaluation de santé du Dr Nelems, M. Chapman a rencontré M. Quigley pour discuter avec lui des mesures d'accommodement possibles. Lorsqu'il lui a fait part des préoccupations que soulevait le rapport du Dr Nelems, M. Quigley lui a demandé de s'entretenir directement avec celui-ci. Il a également demandé que M. Chapman communique avec son représentant syndical, M. Al Engler. M. Chapman a acquiescé à ces deux demandes. Je conclus qu'il continuait de chercher des façons de composer avec M. Quigley.


Lorsque M. Chapman a communiqué avec le Dr Nelems, celui-ci a confirmé la teneur de sa lettre. Le Dr Nelems a été incapable d'affirmer que M. Quigley était en mesure de travailler comme matelot de pont. Il a également comparu devant ce Tribunal. À mon avis, il représente le médecin idéal, faisant preuve d'une grande intégrité et rigueur intellectuelle et de beaucoup de compassion. Malgré son ardent désir d'aider M. Quigley, il a dû se contenter de dire, au sujet de l'état de santé de celui-ci avant la cessation d'emploi, qu'on aurait dû lui accorder un essai de travail; cependant, il ne savait pas à l'époque que M. Quigley avait fait un essai en 1993 sur l'Evco Crest. Le Dr Nelems a par ailleurs reconnu volontiers que l'ergonomie n'était pas sa spécialité. Il a admis que la compagnie connaissait mieux que lui les tâches de matelot de pont-cuisinier et de matelot de pont et leurs exigences. Enfin, au cours de sa conversation avec M. Chapman, le Dr Nelems a convenu qu'il ne serait pas sécuritaire de donner à M. Quigley un essai de travail comme matelot de pont au sein d'un équipage de deux personnes. Étant donné que l'information que possédait le Dr Nelems au sujet de l'emploi lui avait été fournie par M. Quigley, qui ne lui avait jamais expliqué de façon détaillée les tâches qu'accomplissent les matelots de pont-cuisiniers et les matelots de pont, je ne suis pas convaincu que le Dr Nelems connaissait suffisamment la nature du travail pour se prononcer de façon convaincante en faveur d'un essai de travail au poste en question. En fait, en avril 1995, le Dr Nelems a laissé entendre que M. Quigley pouvait retourner au travail en attendant l'autorisation de son médecin de famille, le Dr Lacroix.

En résumé, je conclus que M. Chapman a raisonnablement jugé que M. Quigley n'était pas apte à se soumettre à un essai de travail comme matelot de pont. Son appréciation était conforme à celles des Dr Nelems, Troffe et Lacroix, avant la cessation d'emploi. Je ne souscris pas à l'argument de la Commission voulant que l'appréciation de M. Chapman ait été fondée sur des impressions. Son jugement reposait sur un certain nombre d'éléments, notamment le fait que les tâches du matelot de pont étaient plus exigeantes que celles du matelot de pont-cuisinier et l'appréciation de 1996 du Dr Nelems voulant que M. Quigley fût dans un piètre état de santé. L'appréciation de M. Chapman était également fondée sur les résultats mitigés de M. Quigley lors de l'essai de 1993, avant l'intervention chirurgicale. Vu le résultat de l'intervention (amélioration d'au plus 60 %), et compte tenu du fait que M. Quigley manifestait également des symptômes du STT du côté gauche, ainsi que de ses autres problèmes de santé, il était logique de croire que ses capacités étaient tout au mieux comparables à celles qu'il possédait en 1993, avant l'intervention[6].           

[30]            Compte tenu de ces conclusions, le Tribunal est parvenu à la décision citée au début des présents motifs.

   


TEXTES DE LOI PERTINENTS

[31]               Les articles de loi pertinents sur lesquels repose la décision faisant l'objet du présent contrôle sont les articles 2 et 7, l'alinéa 15(1)a) et le paragraphe 15(2) de la Loi canadienne des droits de la personne[7]. Elles se lisent comme suit :


2. La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, au principe suivant_: le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l'égalité des chances d'épanouissement et à la prise de mesures visant à la satisfaction de leurs besoins, indépendamment des considérations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'orientation sexuelle, l'état matrimonial, la situation de famille, la déficience ou l'état de personne graciée.

...             


2. The purpose of this Act is to extend the laws in Canada to give effect, within the purview of matters coming within the legislative authority of Parliament, to the principle that all individuals should have an opportunity equal with other individuals to make for themselves the lives that they are able and wish to have and to have their needs accommodated, consistent with their duties and obligations as members of society, without being hindered in or prevented from doing so by discriminatory practices based on race, national or ethnic origin, colour, religion, age, sex, sexual orientation, marital status, family status, disability or conviction for an offence for which a pardon has been granted.

...


7. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects_:

a) de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu;

b) de le défavoriser en cours d'emploi.

...


7. It is a discriminatory practice, directly or indirectly,

(a) to refuse to employ or continue to employ any individual, or

(b) in the course of employment, to differentiate adversely in relation to an employee,

on a prohibited ground of discrimination.

...


15. (1) Ne constituent pas des actes discriminatoires_:

a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l'employeur qui démontre qu'ils découlent d'exigences professionnelles justifiées;

...


15. (1) It is not a discriminatory practice if

(a) any refusal, exclusion, expulsion, suspension, limitation, specification or preference in relation to any employment is established by an employer to be based on a bona fide occupational requirement;

...                             



15. (2) Les faits prévus à l'alinéa (1)a) sont des exigences professionnelles justifiées ou un motif justifiable, au sens de l'alinéa (1)g), s'il est démontré que les mesures destinées à répondre aux besoins d'une personne ou d'une catégorie de personnes visées constituent, pour la personne qui doit les prendre, une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité.

...


15. (2) For any practice mentioned in paragraph (1)(a) to be considered to be based on a bona fide occupational requirement and for any practice mentioned in paragraph (1)(g) to be considered to have a bona fide justification, it must be established that accommodation of the needs of an individual or a class of individuals affected would impose undue hardship on the person who would have to accommodate those needs, considering health, safety and cost.

...


LES QUESTIONS EN LITIGE

[32]            Dans son exposé des faits et du droit, le demandeur définit ainsi les questions en litige dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire : Premièrement, quelle est la norme de contrôle applicable à la décision du Tribunal? Deuxièmement, le Tribunal a-t-il commis une erreur dans l'interprétation et l'application du critère relatif à la preuve d'une exigence professionnelle justifiée de bonne foi et d'une contrainte excessive, tel que défini par la Cour suprême du Canada? Troisièmement, le Tribunal a-t-il commis une erreur en omettant de tenir compte des éléments de preuve postérieurs au congédiement ou à la cessation d'emploi, éléments qui étaient d'une grande pertinence pour déterminer si les mesures d'adaptation avaient atteint un niveau où elles représentaient une contrainte excessive pour l'employeur?


[33]            En ce qui concerne la troisième question, le demandeur allègue que le Tribunal a commis une erreur en omettant de tenir compte des éléments de preuve postérieurs au congédiement; pour ma part, j'estime qu'il serait plus approprié de libeller cette question ainsi : le Tribunal a-t-il commis une erreur en refusant d'accorder une quelconque force probante aux éléments de preuve postérieurs au congédiement ou à la cessation d'emploi? Pour la cour, il est clair que le Tribunal a effectivement examiné la preuve postérieure au congédiement. Dans ses motifs, il procède à une certaine analyse de cette preuve. Ceci dit, il ne fait aucun doute que le Tribunal a décidé de n'accorder aucun poids à cette preuve[8].

ANALYSE

a)         Norme de contrôle applicable

[34]               Dans International Longshore & Warehouse Union (Marine Section), Local 400 c. Oster[9], j'écrivais ceci, au paragraphe [22] :

En me fondant sur les principes que la Cour suprême du Canada a énoncés dans l'arrêt Pushpanathan et, plus récemment, dans l'arrêt Baker c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (...), je suis convaincu que la norme d'examen relative aux décisions du Tribunal en l'espèce est la norme de la décision correcte en ce qui a trait aux questions de droit, la norme de la décision raisonnable simpliciter dans le cas des questions mixtes de droit et de fait et la norme de la décision manifestement déraisonnable en ce qui concerne « ...l'appréciation des faits et les décisions dans un contexte de droits de la personne » . Compte tenu des faits mis en preuve en l'espèce, j'estime que la norme d'examen applicable aux questions de droit et aux questions portant sur l'appréciation des faits et sur les décisions dans un contexte de droits de la personne n'a pas été modifiée par les récents jugements de la Cour suprême du Canada ou de la Cour d'appel fédérale au sujet de l'analyse pragmatique et fonctionnelle visant à déterminer la norme en question.                                                                                                      [Une référence omise]


[35]               L'expression entre guillemets dans ce paragraphe (l'appréciation des faits et les décisions dans un contexte de droits de la personne) est tirée des motifs du jugement des juges LaForest et Iacobucci dans Canada (procureur général) c. Mossop[10], dans lesquels ils s'expriment ainsi, à la page 585 :

(...) l'expertise supérieure d'un tribunal des droits de la personne porte sur l'appréciation des faits et sur les décisions dans un contexte de droits de la personne et ne s'étend pas aux questions générales de droit comme celle qui est soulevée en l'espèce. Ces questions relèvent de la compétence des cours de justice et font appel à des concepts d'interprétation des lois et à un raisonnement juridique général, qui sont censés relever de la compétence des cours de justice. Ces dernières ne peuvent renoncer à ce rôle en faveur du tribunal administratif. Elles doivent donc examiner les décisions du tribunal sur des questions de ce genre du point de vue de leur justesse et non en fonction de leur caractère raisonnable.

[36]               Mais le raisonnement qui précède pourrait bien ne plus être suffisant puisque ma conclusion dans Oster n'était pas appuyée par une analyse pragmatique et fonctionnelle. Dans Dr. Q. c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia[11], la juge en chef McLachlin explique ce qui suit, au nom de la cour, au paragraphe [22] de ses motifs :


Dans le cas d'un contrôle judiciaire, comme en l'espèce, la cour applique la méthode pragmatique et fonctionnelle établie dans l'arrêt de notre Cour U.E.S., Local 298 c. Bibeault (...) et consacrée dans les arrêts Canada (directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc. (...) et Pushpanathan c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (...). Le terme « contrôle judiciaire » comprend le contrôle des décisions administratives autant par voie de demande de contrôle judiciaire que d'un droit d'appel prévu par la loi. Chaque fois que la loi délègue un pouvoir à une instance administrative décisionnelle, le juge de révision doit commencer par déterminer la norme de contrôle applicable selon l'analyse pragmatique et fonctionnelle. Dans Pushpanathan, la Cour a accepté sans équivoque la primauté de la méthode pragmatique et fonctionnelle dans la détermination de la norme de contrôle judiciaire applicable aux décisions administratives. Le juge Bastarache affirme que « [l]a détermination de la norme de contrôle que la cour de justice doit appliquer est centrée sur l'intention du législateur qui a créé le tribunal dont la décision est en cause » (...). Cependant, cette méthode tient aussi dûment compte des « conséquences qui découlent d'un octroi de pouvoir » (...) et, tout en sauvegardant « [l]e rôle des cours supérieures dans le maintien de la légalité » (...), renforce le principe selon lequel il ne faut pas recourir sans nécessité à ce pouvoir de surveillance. La méthode pragmatique et fonctionnelle implique ainsi l'examen de l'intention du législateur, mais sur l'arrière-plan de l'obligation constitutionnelle des tribunaux de protéger la légalité.                                                                 [Références omises; c'est nous qui soulignons]

[37]            L'un des exemples où a été appliquée la méthode pragmatique et fonctionnelle que connaît bien la présente cour se trouve dans les motifs de la majorité dans l'arrêt de la Cour suprême du Canada Baker c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[12], à partir du paragraphe [57]. Quatre facteurs doivent être examinés dans la méthode pragmatique et fonctionnelle : le premier est la présence ou l'absence d'une clause privative dans la loi pertinente, soit la Loi canadienne sur les droits de la personne, en l'espèce; le deuxième est l'expertise du décideur; le troisième est l'objet des dispositions sur lesquelles est fondée la décision faisant l'objet du contrôle et de la Loi dans son ensemble; le dernier facteur est la nature du problème en cause et, plus particulièrement, le fait qu'il concerne une question de droit ou de faits.


[38]            La Loi canadienne sur les droits de la personne ne contient aucune clause privative et aucun droit d'appel en ce qui concerne les décisions du Tribunal, ce qui indique que la cour est appelée à faire preuve d'un niveau de retenue ou de déférence limité si tous les autres facteurs sont égaux[13].

[39]            Le paragraphe 48.1(2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne précise que « les membres doivent avoir une expérience et des compétences dans le domaine des droits de la personne, y être sensibilisés et avoir un intérêt marqué pour ce domaine » . Le paragraphe (3) de cette disposition ajoute que le président et le vice-président doivent être membres en règle du barreau d'une province ou de la Chambre des notaires du Québec depuis au moins dix (10) ans et qu'au moins deux (2) autres membres du Tribunal, sur un total de quinze (15), doivent être membres en règle du barreau d'une province ou de la Chambre des notaires du Québec. Le paragraphe 49(5) précise que lorsqu'une plainte dont est saisi le Tribunal « met en cause la compatibilité d'une disposition d'une autre loi fédérale ou de ses règlements d'application avec la [Loi canadienne sur les droits de la personne] ou ses règlements d'application » , le membre instructeur ou celui qui préside l'instruction, lorsqu'elle est menée par un collège de trois (3) membres, doit être membre du barreau d'une province ou de la Chambre des notaires du Québec.

[40]            Apparemment, aucune précision n'a été donnée quant à « l'expérience » , aux « compétences » et à « l'intérêt marqué » pour les droits de la personne. En outre, il est bien évident que les conflits de lois ou de règlements ne sont pas les seules questions de droit soumises à l'examen du Tribunal.


[41]            Je ne suis pas convaincu que les dispositions précitées de la Loi canadienne sur les droits de la personne ont pour effet de hausser le niveau de retenue dont les juges de cette cour doivent faire preuve envers les décisions du Tribunal à un niveau plus élevé que celui que j'ai retenu dans Oster[14].

[42]               Le troisième facteur à prendre en compte est l'objet de la Loi en général et des dispositions particulières qui sont soumises à l'examen de cette cour. L'article 2 de la Loi précise qu'elle a pour objet de donner effet au principe de l'égalité des chances, à l'exclusion de toute discrimination fondée sur les motifs énumérés, dont la déficience. Au paragraphe [31] de la décision Dr. Q., précitée, le juge en chef souligne qu'une loi dont l'objet exige qu'un organisme tel que le Tribunal « choisisse parmi diverses réparations ou mesures administratives, qui concerne la protection du public, qui fait intervenir des questions de politiques ou qui comporte la pondération d'intérêts ou de considérations multiples, exige une plus grande déférence de la part de la cour de révision » , ce qui est certainement le cas en l'espèce. À titre de comparaison, toutefois, le juge en chef ajoute ce qui suit :

(...) une disposition ou une loi qui vise essentiellement à résoudre des différends ou à statuer sur les droits de deux parties appelle moins de déférence. Plus la loi se rapproche d'un paradigme judiciaire conventionnel mettant en cause un pur lis inter partes dont l'issue est largement tranchée par les faits présentés devant le tribunal, moins la cour de révision est tenue à la déférence.


Ainsi, vu les faits en l'espèce et bien que l'objet de la Loi canadienne sur les droits de la personne plaide en faveur d'une plus grande déférence, le rôle joué par le Tribunal en ce qui concerne les faits soumis à l'examen de cette cour, essentiellement axé sur le règlement d'un différend ou la détermination des droits entre deux parties, exige un degré de déférence moins élevé.

[43]                Passons maintenant au quatrième et dernier facteur, la nature du problème en cause. Nous venons de le mentionner, il s'agit de résoudre un différend et de déterminer les droits entre le demandeur et Ocean. Bien que ce litige exige que le Tribunal apprécie les faits et rende une décision dans le contexte des droits de la personne, cette tâche s'exerce dans le cadre des dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne et d'un important volume de jurisprudence.


[44]            Compte tenu de l'analyse pragmatique et fonctionnelle qui précède, je pense que les conclusions auxquelles je suis parvenu sur la question de la norme de contrôle appropriée dans Oster, précité, demeure applicable en l'espèce. Pour conclure ainsi, je me suis appuyé sur l'analyse beaucoup plus approfondie et nuancée qu'a donné le juge Evans, alors juge à la Section de première instance de la Cour fédérale, sur la norme de contrôle des décisions du Tribunal en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne; cette analyse se trouve dans les motifs de la décision du juge Evans dans Canada (procureur général) c. Alliance de la fonction publique du Canada[15], à partir du paragraphe [73] de ses motifs.

[45]               Dans les pages qui suivent, où il s'agit d'appliquer la norme de contrôle appropriée, je m'appuierai sur le court passage suivant, tiré de Canada (directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc.[16] :

En résumé, les questions de droit concernent la détermination du critère juridique applicable; les questions de fait portent sur ce qui s'est réellement passé entre les parties; et, enfin, les questions de droit et de fait consistent à déterminer si les faits satisfont au critère juridique.

b)         Le Tribunal a-t-il commis une erreur dans l'interprétation et l'application du critère relatif à la preuve d'une exigence professionnelle justifiée de bonne foi et d'une contrainte excessive pour l'employeur?

[46]               Dans Meiorin[17], le juge McLachlin, s'exprimant au nom de la cour, écrit ce qui suit aux paragraphes [54] et [55] :

(...) je propose d'adopter la méthode en trois étapes qui suit pour déterminer si une norme discriminatoire à première vue est une EPJ. L'employeur peut justifier la norme contestée en établissant selon la prépondérance des probabilités :

(1) qu'il a adopté la norme dans un but rationnellement lié à l'exécution du travail en cause;

(2) qu'il a adopté la norme particulière en croyant sincèrement qu'elle était nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail;


(3) que la norme est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail. Pour prouver que la norme est raisonnablement nécessaire, il faut démontrer qu'il est impossible de composer avec les employés qui ont les mêmes caractéristiques que le demandeur sans que l'employeur subisse une contrainte excessive.

Cette méthode est fondée sur la nécessité d'établir des normes qui composent avec l'apport potentiel de tous les employés dans la mesure où cela peut être fait sans que l'employeur subisse une contrainte excessive. Il est évident que des normes peuvent léser les membres d'un groupe particulier. Mais, comme le juge Wilson l'a fait remarquer dans Central Alberta Dairy Pool, « [s]'il est possible de trouver une solution raisonnable qui évite d'imposer une règle donnée aux membres d'un groupe, cette règle ne sera pas considérée comme [une EPJ] » . Il s'ensuit que la règle ou la norme jugée raisonnablement nécessaire doit composer avec les différences individuelles dans la mesure où cela ne cause aucune contrainte excessive. À moins qu'aucun accommodement ne soit possible sans imposer une contrainte excessive, la norme telle qu'elle existe n'est pas une EPJ, et la preuve prima facie de l'existence de discrimination n'est pas réfutée. [Référence omise]

[47]            Comme nous l'avons déjà souligné, les motifs de la décision faisant l'objet du présent contrôle judiciaire sont très détaillés. Ils s'étalent sur quatre-vingt-dix-sept (97) paragraphes. Ceci dit, les soixante-quinze (75) premiers paragraphes sont composés d'une introduction, d'un énoncé des faits et de conclusions sur les faits ayant trait à l'historique d'emploi du demandeur auprès d'Ocean, à ses périodes d'invalidité prolongées alors qu'il était au service d'Ocean et aux efforts d'Ocean pour tenter de trouver des mesures d'adaptation face aux déficiences du demandeur, la plus grave étant le STT. Nous l'avons également vu dans ces motifs, les faits ayant donné lieu au congédiement du demandeur par Ocean ne sont pas réellement contestés devant cette cour. Je considère que toutes les conclusions du Tribunal concernant les faits, jusqu'au congédiement du demandeur par Ocean, comme des conclusions de fait dans le cadre des droits de la personne. Puisque la norme de contrôle pour de telles conclusions de fait est le caractère manifestement déraisonnable, j'estime que les conclusions du Tribunal satisfont raisonnablement à cette norme.

[48]            Par comparaison, l'analyse du Tribunal en ce qui concerne le critère établi dans Meiorin en vue de déterminer si une norme discriminatoire à première vue constitue une exigence professionnelle justifiée est relativement courte et, au moins sur trois aspects, erronée. Ce critère est défini plus amplement dans les présents motifs[18].

[49]               La première étape du critère de Meiorin consiste à déterminer la norme en cause mise de l'avant au nom d'Ocean. Dans ce cas, le Tribunal ne fait que répondre indirectement à la question. Sous le titre « Détermination des normes ayant entraîné le congédiement de M. Quigley [le demandeur] » , le Tribunal écrit ce qui suit :

Les faits de l'espèce ne ressemblent pas à ceux entourant les affaires Meiorin ou Grismer. Dans Meorin [sic], le gouvernement préconisait l'application d'une norme aérobique particulière aux pompiers. Dans Grismer, les personnes qui demandaient un permis de conduire devaient avoir un certain champ visuel. Dans ces affaires-là, la Cour a indiqué le critère à utiliser pour évaluer la rationalité, la bonne foi et la nécessité de la norme. En l'espèce, la norme d'Ocean faisait en sorte que l'état de santé de M. Quigley devait être évalué par son propre médecin. Le médecin de la compagnie acceptait ou rejetait cette évaluation. En cas de désaccord, la compagnie avait le loisir de demander une évaluation indépendante par un médecin choisi conjointement par elle et le syndicat de l'employé. Ni M. Quigley ni la Commission n'a sérieusement soutenu que la procédure suivie pour évaluer l'état de santé d'un employé en vue de sa réintégration dans les fonctions qu'il exerçait avant son invalidité était en soi discriminatoire. La pratique de la compagnie d'exiger que les employés qui demandaient de réintégrer leurs fonctions après une maladie prolongée démontrent leur aptitude au travail était conforme à la norme de l'industrie et à la Loi sur la marine marchande du Canada. L'objectif de la compagnie était de s'assurer que M. Quigley pouvait s'acquitter de ses tâches de façon efficace et en toute sûreté. La procédure a été adoptée de bonne foi. Elle était raisonnablement nécessaire dans le sens où elle faisait en sorte d'évaluer l'état de santé de M. Quigley en fonction d'une norme réaliste tenant compte de ses propres capacités et de sa dignité, dans la mesure où cela n'imposait aucune contrainte excessive. La procédure en vigueur comportait l'administration de tests individuels.

J'interprète plutôt les arguments de M. Quigley et de la Commission de la façon suivante :


-                En fait, M. Quigley était apte à faire un essai de travail et à se soumettre à un programme de réentraînement à l'effort, après son congé d'invalidité de longue durée;

-                En fait, Ocean a manqué à son obligation d'accommodement à l'égard de M. Quigley avant sa cessation d'emploi en omettant de composer avec sa déficience jusqu'à la contrainte excessive. Ocean n'a pas discuté avec le Dr Nelems de la possibilité que M. Quigley participe à l'essai de travail en tant que troisième membre d'équipage de l'Evco Crest. Ce faisant, elle a à tort obtenu l'accord tacite du Dr Nelems pour mettre fin à son emploi. Le Dr Nelems avait convenu avec M. Chapman qu'il ne serait pas sécuritaire de donner à M. Quigley un essai de travail en tant que membre d'un équipage de deux personnes; dans les circonstances, cet accord n'était pas suffisant pour soustraire Ocean à son obligation d'accommodement à l'endroit de M. Quigley. Du point de vue de M. Quigley, la lettre en date du 13 septembre 1996 que le Dr Nelems a rédigée après la cessation d'emploi, dans laquelle le spécialiste se prononçait en faveur d'un essai à titre de troisième membre d'équipage sur l'Evco Crest, constituait la preuve qu'un tel accommodement était possible et aurait dû être offert à M. Quigley au préalable, c'est-à-dire avant de mettre fin à son emploi.

Avant d'examiner ces arguments, je constate que ni M. Quigley ni la Commission n'a soutenu qu'Ocean aurait dû composer avec lui en lui offrant un autre poste que celui de matelot de pont. La preuve présentée au Tribunal relativement à l'activité des autres divisions et entreprises d'Ocean est négligeable. Par conséquent, le Tribunal doit en l'espèce se contenter de déterminer si Ocean aurait dû et pu composer avec M. Quigley relativement au poste de matelot de pont[19].                                                                                                                    [C'est nous qui soulignons]


Vu ce qui précède, je conclus que la « norme en cause » était « l'état de santé d'un employé en vue de sa réintégration dans les fonctions qu'il exerçait avant son invalidité » ou, autrement dit, que le demandeur « pouvait s'acquitter de ses [anciennes] tâches [ou des tâches qu'on lui proposait] de façon efficace et en toute sûreté » , c'est-à-dire les tâches d'un cuisinier-matelot de pont ou, comme le soutient l'avocat du demandeur, celles d'un matelot de pont. Dans l'extrait des motifs qui précède, l'aptitude à faire un essai de travail et à se soumettre à un programme de réentraînement à l'effort ainsi que la « sûreté » sont définis comme des éléments de la norme en cause. Je pense que dans l'ensemble, la norme en cause était « la condition physique nécessaire pour travailler en tant que seul matelot à bord » en vue d'assurer la sécurité à bord.

[50]               Dans Oak Bay Marina Ltd. c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission)[20], la Cour d'appel de la Colombie-Britannique était saisie d'une affaire portant sur des faits relativement semblables aux circonstances dans la présente espèce. Principale distinction, le demandeur dans Oak souffrait d'une maladie affective bipolaire plutôt que d'une maladie physique. Le poste duquel il avait été congédié était celui de guide de pêche. Ainsi, les personnes dont la sécurité était mise en jeu étaient des clients et non des collègues de travail. L'employé était le seul homme d'équipage à bord du navire et non un membre d'un équipage très réduit. Au paragraphe [22] de ses motifs, le juge NewBury s'exprime ainsi :

[Traduction] L'application de la loi concernant les mesures d'adaptation lorsque la déficience n'est pas d'ordre physique mais plutôt de nature mentale est particulièrement délicate. La « norme » (qui, faut-il le souligner, a été acceptée par le tribunal en l'espèce) n'est pas un critère que l'on peut définir objectivement mais plutôt un impératif incontournable lié aux activités de l'employeur - la sécurité à bord. Il ne s'agit pas d'un but que l'on cherche à atteindre et que l'on peut manquer dans le cours normal des événements; Oak Bay Marina ne peut se contenter de veiller à ce que ses invités soient « raisonnablement en sécurité » ; elle doit prendre toutes les mesures possibles pour éliminer les risques d'accident à bord. Bien sûr, il y a toujours un risque de crise cardiaque, dans la mesure où l'on est en présence d'êtres humains, mais ce type d'événement n'est pas prévisible et par conséquent, il se distingue des déficiences épisodiques telles que la maladie affective bipolaire.                                                                                             [C'est nous qui soulignons.]


[51]            Je suis d'avis que l'on peut reprendre les mêmes observations concernant les faits en l'espèce, malgré les distinctions entre les déficiences mentales et physiques et même si les personnes dont la sécurité est en jeu sont des collègues de travail plutôt que des « invités » . Il est certain que l'objectif ou le « but » , peu importe la différence, est le même : assurer une sécurité raisonnable à bord et éliminer les risques d'accident à bord, dans la mesure du possible.

[52]            Examinons maintenant la « norme discriminatoire » retenue par Ocean. À cet égard, j'appliquerai les trois (3) éléments du critère Meiorin. Selon le premier élément, Ocean doit avoir adopté cette norme pour une raison rationnellement liée à l'exécution des tâches. À mon avis, « la condition physique nécessaire pour travailler en tant que seul matelot à bord » , la norme en cause, dont l'objectif était d'assurer la sécurité à bord, était rationnellement liée à l'accomplissement des tâches du poste que souhaitait obtenir le demandeur, à savoir le poste de matelot de pont sur le remorqueur naviguant en eaux intérieures, l'Evco Crest, doté d'un équipage de deux hommes. Je suis également d'avis que les parties n'ont pas réellement contesté le fait qu'Ocean a adopté cette norme en croyant honnêtement et de bonne foi qu'elle était nécessaire pour réaliser un objectif professionnel légitime, à savoir assurer la sécurité à bord.

[53]               Le troisième élément du critère Meiorin est un peu plus délicat. Par souci de commodité, je reproduis cet élément une deuxième fois :

(...) que la norme est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail. Pour prouver que la norme est raisonnablement nécessaire, il faut démontrer qu'il est impossible de composer avec les employés qui ont les mêmes caractéristiques que le demandeur sans que l'employeur subisse une contrainte excessive.


Si l'on considère qu'Ocean est une entité distincte d'Ocean Construction Supplies, Ltd., et les parties n'ont jamais prétendu devant le Tribunal ou devant cette cour qu'il en était autrement, il s'agit d'une très petite entreprise. Ses principales équipes de travail, soit celles à bord des remorqueurs, sont très réduites. En particulier, la seule équipe de travail dans laquelle le demandeur cherchait à obtenir un poste était composée de deux membres d'équipage. Dans ces circonstances, j'estime que le Tribunal pouvait raisonnablement conclure qu'il était impossible pour Ocean de prendre des mesures d'accommodement pour le demandeur, compte tenu de sa déficience, dans la seule équipe de travail où il souhaitait travailler, sans qu'il n'en découle une contrainte excessive pour Ocean.

[54]            Ceci dit, l'avocat du demandeur prétend que le processus d'Ocean en août 1996 était irrémédiablement non fondé. L'avocat soutient que compte tenu des faits en l'espèce, le Tribunal ne devait pas examiner l'ensemble des efforts déployés par Ocean pour combler les besoins du demandeur de 1991 jusqu'à son congédiement, en août 1996 et qu'au contraire, Ocean aurait dû approfondir sa pratique ou politique de mise à l'épreuve individuelle complète, à l'époque. L'avocat du demandeur n'a mentionné aucune jurisprudence au soutien de cette théorie.


[55]            J'estime que le Tribunal a tenu compte à juste titre de l'ensemble des efforts déployés par Ocean pour tenter de combler les besoins du demandeur et plus particulièrement des efforts déployés à partir du moment où le demandeur a appris qu'il souffrait du STT, en août ou en septembre 2002. Si, en août 1996, le processus ayant abouti au congédiement du demandeur était moins que parfait, et il était effectivement loin d'être parfait, selon moi, je suis également convaincu que le Tribunal n'a commis aucune erreur susceptible de faire l'objet d'un contrôle judiciaire, selon la norme du caractère raisonnable simpliciter, en concluant qu'il était impossible pour Ocean de prendre d'autres mesures pour combler les besoins du demandeur, étant donné la nature extrêmement spécifique de sa demande de retour au travail, en août 1996, ou à tout le moins de sa demande d'essai de travail, sans subir une contrainte excessive, et plus particulièrement, sans imposer une contrainte excessive aux autres employés qui travaillaient à bord du remorqueur en eaux intérieures, l'Evco Crest.

c)         Le Tribunal a-t-il commis une erreur en omettant de tenir compte des éléments de preuve postérieurs au congédiement ou à la cessation d'emploi, éléments qui étaient d'une grande pertinence pour déterminer si les mesures d'adaptation avaient atteint un niveau où elles représentaient une contrainte excessive pour l'employeur?

[56]               Comme je l'ai déjà mentionné, je pense que cette question est mal énoncée. Le Tribunal a effectivement examiné les éléments de preuve postérieurs au congédiement, ou à la cessation d'emploi, mais il a décidé de ne pas leur accorder de poids. Le Tribunal traite des éléments de preuve postérieurs à la cessation d'emploi au paragraphe 95 de ses motifs :


Passons maintenant à la preuve d'événements postérieurs à la cessation d'emploi présentée à l'audience. Comme je l'ai mentionné, les cours n'ont pas approuvé de façon non équivoque le recours à une telle preuve. Par conséquent, je n'y attache aucun poids. Par ailleurs, si je le faisais, cette preuve ne serait pas à mon avis particulièrement utile à la cause de M. Quigley. La Commission et M. Quigley ont soutenu que cette preuve permet de conclure que le plaignant était en mesure de travailler comme matelot de pont. Je ne suis pas d'accord. D'abord, même si un médecin de Transports Canada a déclaré que M. Quigley était apte à faire un travail de matelot de pont en 1999, le Dr Lacroix n'était pas de cet avis si l'on en juge par son appréciation de 1997. Le Dr Nelems lui-même respectait le jugement du Dr Lacroix, le médecin généraliste de M. Quigley. L'opinion exprimée par le Dr Lacroix après la cessation d'emploi dans sa lettre du 22 avril 1997 est conforme à celle de 1993 du Dr Troffe, à savoir que M. Quigley devait renoncer à travailler dans l'industrie du transport maritime. Dans sa lettre de1997, le Dr Lacroix a écrit que M. Quigley était incapable d'effectuer un retour au travail à titre de matelot de pont-cuisinier, ou à un autre poste. Elle a alors fait observer que du point de vue médical, il était incapable de retourner à ses tâches difficiles sur les navires. Le 21 avril 1997, le Dr Lacroix a indiqué qu'elle avait encouragé M. Quigley à renoncer à travailler sur les navires. Ensuite, le rapport de 1997 du Dr Hirsch n'a pas été utile pour plusieurs raisons. Il semble que la Maritime ait retenu les services du Dr Hirsch pour appuyer sa position voulant que M. Quigley était capable de retourner au travail, après qu'elle eut cessé de lui verser des prestations d'invalidité; l'opinion du Dr Hirsch contredit les conclusions du Dr Lacroix et la vaste preuve médicale présentée à cette audience. Enfin, le rapport d'évaluation de mai 2001 de la Maritime n'est pas à mon avis utile, en partie pour les mêmes raisons. Il énumère par ailleurs ses nombreuses difficultés fonctionnelles, mais fonde sa conclusion sur la mauvaise catégorie de la CNP. Par conséquent, les preuves d'événements postérieurs à la cessation d'emploi n'aident guère la cause de M. Quigley.[21]

[57]            Le Tribunal a peut-être exagéré dans son raisonnement lorsqu'il affirme que le recours aux éléments de preuve postérieurs à la cessation d'emploi n'a pas été expressément reconnu par les tribunaux mais je pense que cette affirmation, même si elle n'est pas entièrement exacte, ne constitue pas une erreur susceptible de faire l'objet d'un contrôle judiciaire, selon la norme du caractère raisonnable simpliciter. L'élément le plus important de l'analyse du Tribunal consiste en la plus grande partie du paragraphe cité, où il conclut que la preuve postérieure à la cessation d'emploi n'aide guère la cause du demandeur. Je suis d'avis que cette conclusion est non seulement raisonnable mais qu'elle est également correcte. En fait, j'irais même plus loin, compte tenu des éléments de preuve déposés devant cette cour, et j'affirme que les éléments de preuve postérieurs à la cessation d'emploi ne sont d'aucune utilité au demandeur.


CONCLUSION

[58]            Compte tenu de ce qui précède, je suis d'avis que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Le Tribunal n'a commis dans sa décision aucune erreur susceptible de faire l'objet d'un contrôle judiciaire.

DÉPENS

[59]            Comme mentionné plus haut dans les présents motifs, en tenant pour acquis qu'Ocean allait obtenir gain de cause, cette dernière a réclamé ses dépens, sur demande. Je pense que dans la présente demande de contrôle judiciaire, il est approprié d'allouer les dépens selon l'issue de la cause. Ceci dit, je n'ordonnerai pas au demandeur d'acquitter les dépens si Ocean n'en fait pas la demande. Aucune ordonnance n'est prononcée contre la Commission canadienne des droits de la personne.

                       

              « Frederick E. Gibson »                

               Juge

Ottawa (Ontario)

Le 29 avril 2004

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                                COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                    SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DE DOSSIER :                           T-709-02

INTITULÉ :                                                     PATRICK E. QUIGLEY c. OCEAN CONSTRUCTION SUPPLIES LTD ET AL

LIEU DE L'AUDIENCE :                             Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                           6 et 7 avril 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               Le juge Gibson

DATE :                                                            29 avril 2005                                                  

COMPARUTIONS :

Paul Champ                                                                Pour le demandeur

Michael W. Hunter                                                      Pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raven Allen Cameron

& Ballantyne                                                                Pour le demandeur                           

Ottawa (Ontario)

Morris Rosenberg                                                      Pour la défenderesse

Sous-procureur général du Canada                                                           




[1]       Dossier du demandeur, volume XIII, onglet C19, pages 20 et 21.

[2]         Dossier du demandeur, volume XIII, onglet C19, page 20, paragraphe 95.

[3]       Dossier du demandeur, volume XIII, onglet C19, page 17, paragraphe 80.

[4]         [1999] 3 R.C.S. 3, paragraphe 54.

[5]         [1999] 3 R.C.S. 868.

[6]       Dossier du demandeur, volume XIII, onglet C19, pages 18 et 19, paragraphes 84 à 90.

[7]         L.R.C. 1985, ch. H-6.

[8]         Supra, note 2.

[9]         [2002] 2 C.F. 430 (Section de 1re instance).

[10]       [1993] 1 R.C.S. 554.

[11] [2003] 1 R.C.S. 226.

[12]       [1999] 2 R.C.S. 817.

[13]       Voir : Dr. Q., supra, note 11, au paragraphe [27].

[14]       Supra, note 9.

[15]       [2000] 1 C.F. 146.

[16]       [1997] 1 R.C.S. 748.

[17]       Supra, note 4.

[18]       Voir le paragraphe 46.

[19]      Dossier du demandeur, volume XIII, onglet C19, pages 17 et 18, paragraphes 81 à 83.

[20]       (2002) 5 B.C.L.R. (4th) 115 (Cour d'appel de la Colombie-Britannique).

[21]      Dossier du demandeur, volume XIII, onglet C19, page 20.

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