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Date : 20201022


Dossiers : T‑1265‑19

T‑1266‑19

Référence : 2020 CF 996

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 22 octobre 2020

En présence de madame la juge McVeigh

Dossier : T‑1265‑19

ENTRE :

BRIAN SMITH

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

Dossier : T‑1266‑19

ENTRE :

MICHELLE SMITH

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Les deux demandeurs, Brian et Michelle Smith [les Smith], sont mariés et résident à Kelowna (Colombie‑Britannique). Les présents contrôles judiciaires concernent leurs demandes de prestations [les prestations de la SV] fondées sur la Loi sur la sécurité de la vieillesse, LRC 1985, c O‑9 [la Loi sur la SV], qui ont été faites le 29 mars 2017 par Brian Smith. Ils sollicitent le contrôle judiciaire d’une seule décision prise le 24 juin 2019 [la décision] par le ministre de l’Emploi et du Développement social [le ministre]. La présente demande est inhabituelle, parce que les Smith ne sollicitent pas le contrôle judiciaire d’une décision défavorable, mais plutôt d’une décision favorable qui, selon eux, aurait dû être favorable pour un motif différent, et font valoir qu’ils devraient avoir droit à davantage de prestations rétroactives que ce qui est permis par la loi.

[2]  L’un et l’autre se sont représentés de façon très compétente devant la Cour. Les demandes ont été instruites l’une à la suite de l’autre et Michelle Smith a adopté une bonne partie des arguments de son époux. La demande de M. Smith concerne la perte de ses prestations de supplément de revenu garanti [le SRG] et celle de Mme Smith, la perte de ses prestations d’allocation.

[3]  Étant donné que les demandes de contrôle judiciaire sont très reliées entre elles et concernent la même décision et que la demande d’allocation de Michelle dépend de celle de Brian, je rends une seule décision.

[4]  La Cour est saisie d’une demande qui vise à contester la décision selon laquelle une erreur administrative est survenue, mais aucun avis erroné n’a été donné. Les Smith ont obtenu le paiement rétroactif des prestations pour les mois de mai 2016 à août 2016 (2 020,98 $) aux termes de l’article 32 de la Loi sur la SV, alors qu’ils cherchaient à obtenir les prestations perdues pour la période allant d’avril 2016 à août 2016.

[5]  Les Smith introduisent la présente demande parce qu’ils croient qu’en plus de la réparation qu’ils ont déjà obtenue, ils ont droit à des prestations de la SV pour le mois d’avril 2016 et que cette réparation devrait leur être accordée du fait qu’ils se sont fiés à un avis erroné, et non simplement du fait qu’une erreur administrative est survenue. Ils croient qu’ils ont reçu un avis erroné du site Web, des feuilles d’instructions et des formulaires de demande de Service Canada.

[6]  Le dossier est très bien documenté et aucune question de crédibilité n’est en jeu.

II.  Les faits à l’origine du litige

A.  Les Smith demandent des prestations de la SV : pension, SRG et allocation

[7]  M. Smith a atteint l’âge de 65 ans le 21 mai 2015. Le 29 mars 2017, il a présenté une demande de pension de la SV. À l’époque, Mme Smith était âgée d’au moins 60 ans, mais n’avait pas encore 65 ans, ce qui lui permettait de présenter une demande d’allocation aux termes de la Partie III de la Loi sur la SV. En conséquence, M. Smith a indiqué dans sa demande que son épouse avait l’âge voulu. Il a également indiqué dans sa demande de pension de la SV qu’il voulait demander des prestations de SRG en cochant la case 11 sur le formulaire de demande.

[8]  Il a entrepris le processus de demande de prestations de la SV en prenant connaissance des sites Web du gouvernement du Canada concernant la Loi sur la SV – soit le site Web de Service Canada. Il a également lu les formulaires de demande pertinents ainsi que les feuilles d’instructions qui les accompagnaient. En se fondant uniquement sur cet examen, M. Smith a conclu qu’il devrait d’abord demander une pension de la SV avant de solliciter les autres prestations comme le SRG et l’allocation de son épouse.

[9]  Après leur examen, les Smith ont cru qu’une fois que la demande de pension de la SV serait approuvée, ils pourraient demander les prestations connexes, soit le SRG pour M. Smith et l’allocation pour Mme Smith. Ni M. Smith ni son épouse n’ont parlé à un employé de Service Canada ou à une autre tierce partie ou n’ont consulté un membre du personnel de celui‑ci ou ne se sont fondés sur son avis avant de présenter leur demande.

[10]  M. Smith a présenté sa demande de pension de la SV et Service Canada a reçu la demande au bureau de Victoria le 29 mars 2017. Lorsque la case 11 d’une demande de pension de la SV est cochée pour indiquer que le demandeur veut solliciter des prestations de SRG ou d’allocation, des trousses de demande sont censées être envoyées immédiatement à celui‑ci pour qu’il remplisse les documents. Cela n’a pas été le cas.

[11]  Comme ils n’avaient aucune nouvelle et qu’ils craignaient de ne pas recevoir leurs prestations de SRG et d’allocation, parce qu’ils croyaient qu’ils ne pourraient en faire la demande avant que M. Smith ne reçoive sa pension de la SV, les Smith ont téléphoné à Service Canada pour obtenir une mise à jour le 27 juillet 2017. Ils se sont alors fait dire que l’interprétation de M. Smith selon laquelle il devait attendre que la demande de pension de la SV soit acceptée était erronée et qu’ils devraient déposer immédiatement les demandes de SRG et d’allocation. L’agente leur a ensuite dit qu’elle leur ferait parvenir les demandes à remplir, mais plutôt que d’attendre plus longtemps avant de recevoir des prestations, les Smith ont décidé d’accélérer le processus. Ils ont imprimé les formulaires et les ont remplis immédiatement. Ils ont ensuite écrit le même jour une lettre dans laquelle ils ont expliqué les raisons pour lesquelles ils n’avaient pas présenté toutes leurs demandes de prestations en même temps et ont joint à leur lettre les deux formulaires de demande.

[12]  Le 2 août 2017, Service Canada a reçu un document réunissant la demande de prestations de SRG de M. Smith et celle de l’allocation de Mme Smith. Ce document était accompagné d’une lettre dans laquelle les Smith expliquaient qu’ils n’avaient pas compris qu’ils pouvaient demander les prestations de SRG et d’allocation en même temps que la pension de la SV, et qu’ils s’attendaient à ce que chacune de ces prestations soit versée en même temps que la pension de la SV :

[traduction]

Une demande initiale visant à obtenir les prestations de retraite du Régime de pensions du Canada (« RPC ») ainsi que la pension de la SV a été présentée par Brian R. Smith plus tôt cette année en mars 2017; Brian Smith avait alors demandé que le paiement des deux pensions débute (qu’il soit calculé et versé) à partir d’une date remontant à 11 mois plus tôt, en avril 2016. Les prestations du RPC ont été calculées et versées à compter d’avril 2016; Brian R. Smith attend actuellement que sa demande de pension de la sécurité de la vieillesse soit approuvée et, si elle l’est, elle débutera également (elle sera calculée et versée) à compter d’avril 2016.

Ce qui n’a pas été compris initialement dans le cadre de ce processus, c’est que la demande de prestations de SRG et la demande d’allocation au survivant auraient dû être faites en même temps [...]

[13]  M. Smith a parlé à plusieurs agents de Service Canada afin d’obtenir des nouvelles au sujet des demandes. Toutes les conversations sont documentées dans le dossier. M. Smith a reçu des renseignements contradictoires de ces agents, mais de l’avis de tous, les Smith auraient pu demander les prestations de SRG et d’allocation plus tôt et auraient dû recevoir des trousses de demande plus tôt également.

[14]  Le 27 septembre 2017, M. Smith a téléphoné à nouveau à Service Canada et a parlé à une agente prénommée Andrea. Il était au courant de la date de novembre 2017 qui lui avait été mentionnée lors de son appel précédent, mais il a fait savoir à Andrea que son épouse et lui [traduction« [ne pouvaient pas] attendre en raison de leurs difficultés financières. Ils recevaient uniquement des prestations du RPC à l’heure actuelle et devaient emprunter de l’argent à des amis et des parents, parce qu’ils [étaient] incapables de subvenir à leurs besoins essentiels de la vie quotidienne ». M. Smith a demandé que sa demande soit traitée de façon accélérée. Il soutient également qu’Andrea lui a mentionné, au cours de cette conversation téléphonique, que les dates d’entrée en vigueur seraient les mêmes pour sa pension de la SV et ses prestations de SRG ainsi que pour l’allocation de Mme Smith.

[15]  La demande de pension de la SV de M. Smith a été approuvée le 2 octobre 2017, avec entrée en vigueur rétroactive à avril 2016. Deux jours plus tard, la demande de SRG de M. Smith et la demande d’allocation de Mme Smith ont été approuvées rétroactivement à septembre 2016. Chacune des prestations devait entrer rétroactivement en vigueur à une date précédant de 11 mois celle de la demande. La demande de pension de la SV avait été reçue en mars 2017 et celles du SRG et de l’allocation, en août 2017.

[16]  Les 2 et 6 octobre 2017, M. Smith a fait un suivi et parlé à deux agents. La deuxième agente, « Stephanie », lui aurait dit que sa demande de traitement accéléré avait été acceptée. Dans des lettres datées des 10 et 13 octobre 2017, il a finalement reçu une confirmation du fait que sa demande de pension de la SV avait été approuvée le 2 octobre 2017, tandis que sa demande de SRG et la demande d’allocation de Mme Smith l’ont été le 4 octobre 2017.

[17]  Contrairement à ce qu’Andrea leur aurait dit précédemment, Stephanie a informé les Smith que les dates d’entrée en vigueur des prestations étaient calculées en fonction d’une période maximale de rétroactivité de 11 mois avant la réception de la demande de pension de la SV. Cette information figure sur le site Web de Service Canada, ainsi que sur la feuille d’instructions relative à la pension de la SV. En conséquence, la pension de la SV de M. Smith est entrée en vigueur en avril 2016 (étant donné que la demande a été reçue en mars 2017). Les prestations de SRG de M. Smith et celles de l’allocation de Mme Smith sont entrées en vigueur en septembre 2016 (puisque ces demandes ont été reçues en août 2017).

[18]  M. Smith a communiqué à nouveau avec Service Canada le 17 octobre 2017. L’agente à laquelle il a parlé, « Kahlila », aurait confirmé que les Smith auraient pu demander toutes les prestations en même temps en cochant les cases pertinentes de la demande de pension de la SV, et que les dates d’entrée en vigueur des prestations seraient les mêmes (avis semblable à celui qu’Andrea avait donné). Les Smith soutiennent que Kahlila avait acheminé une demande visant à modifier les dates d’entrée en vigueur des prestations afin qu’elles soient les mêmes. Cette allégation va de pair avec les notes suivantes consignées pour cette date dans le Système d’exécution du renouvellement de la TI d’Intranet :

[traduction]

À la demande du client, envoi d’une demande de traitement au deuxième niveau d’urgence afin de corriger la date d’entrée en vigueur du SRG et de recalculer les montants (BESOIN URGENT). Veuillez revoir la question no 11, sur la demande de pension de la SV, au sujet du SRG. Date d’entrée en vigueur des prestations du SRG approuvée pour septembre 2016. Pension de la SV accordée rétroactivement à avril 2016. Le SRG et l’allocation auraient également dû être accordés rétroactivement à avril 2016, en raison de l’intention explicite du client de faire examiner sa demande de SRG. Le client n’a envoyé le formulaire ISP‑3025_16 qu’après avoir été avisé de le faire. Veuillez verser tous les montants au client pour la période allant d’avril 2016 à août 2016. Le client téléphonera après vendredi pour obtenir une mise à jour.

[19]  La démarche des Smith a donné lieu à des conversations avec d’autres agents lors d’appels téléphoniques subséquents à Service Canada et les Smith ont été informés qu’ils pouvaient demander une révision. Ils l’ont fait le 6 novembre 2017 et cette demande a fait l’objet d’une réponse le 28 décembre de la même année [la demande de révision].

B.  Examen de premier niveau : la demande de révision est rejetée

[20]  Dans leur demande de révision, les Smith soutiennent notamment ce qui suit :

[traduction]

[...] nous nous sommes vus refuser des prestations prévues dans la [Loi sur la SV] par suite de l’avis confus, trompeur et erroné que nous avons reçu de Service Canada. En raison de l’avis que nous avons reçu de Service Canada, lequel figure dans différents documents fournis par Service Canada, nous avons été incités à croire que les différentes demandes visant à obtenir [la pension de la SV] et d’autres prestations prévues dans la Loi, soit [le SRG et l’allocation] devaient être présentées par ordre chronologique.

Les Smith ont demandé que le paiement de toutes leurs prestations [traduction« commence en même temps que celui de la pension de la SV ».

[21]  Le 24 mai 2018, les services de la Sécurité de la vieillesse de Service Canada ont refusé la demande de révision et le refus a été confirmé dans des lettres envoyées aux Smith. Les lettres indiquaient simplement ce qui suit :

[traduction]

Le paiement de prestations de la sécurité de la vieillesse peut être versé rétroactivement jusqu’à 11 mois avant la date à laquelle nous recevons votre demande; cependant, cette période de rétroactivité ne peut couvrir aucun mois précédant celui qui suit votre 65e anniversaire de naissance.

[22]  Toujours insatisfaits, les Smith sont allés plus loin. Le 5 juin 2018, ils ont déposé une demande de communication de renseignements personnels visant les dossiers de la SV les concernant et les notes consignées à leur sujet dans le Système d’exécution du renouvellement de la TI. Par la suite, le 20 août 2018, les Smith ont interjeté appel du refus de leur demande de révision devant le Tribunal de la sécurité sociale ‑ Division générale [le TSS].

C.  Examen de deuxième niveau : appel devant le TSS et intervention ministérielle

[23]  Les appels des Smith (chaque époux ayant interjeté un appel) portaient sur les mêmes questions en litige formulées dans leur demande de révision. Dans leurs avis d’appel, les Smith ont souligné qu’ils ne demandaient pas seulement que la prise d’effet soit fixée rétroactivement à avril 2016. Ils souhaitaient également faire examiner l’omission, de la part de Service Canada et du ministre, de donner des conseils qui auraient permis d’atteindre ce résultat, même si le ministre a répété à maintes reprises que les Smith auraient dû être au courant de ces renseignements en consultant le site Web de Service Canada. Plus précisément, les Smith allèguent qu’ils se sont vu :

[traduction]

refuser tout ou partie des prestations prévues dans la [Loi sur la SV], [parce qu’ils] se sont fiés à l’avis donné par Service Canada, qui agissait au nom du ministre. [Les Smith] ont soutenu que l’avis donné par Service Canada [...] n’indique pas que les demandes de pension de la SV, de SRG et d’allocation peuvent toutes être déposées en même temps. Dans la mesure où cet avis est censé transmettre ce message et ne le fait pas, il prête à confusion et est trompeur et inexact, comme [ils] l’ont souligné.

[24]  En résumé, si les Smith avaient su qu’ils pouvaient demander toutes les prestations en même temps, ils l’auraient fait, mais ils affirment que Service Canada ne mentionne cette possibilité nulle part, ce qui leur a fait perdre plusieurs mois de prestations.

[25]  Le 5 septembre 2018, le TSS a acheminé au ministre les avis d’appel et les documents des Smith. La compétence du TSS ne couvre pas l’article 32 de la Loi sur la SV; en conséquence, le ministre est intervenu et a entrepris une enquête. Dans l’intervalle, le TSS a suspendu l’examen de l’affaire des Smith jusqu’à la décision du ministre. Cette suspension a été confirmée dans des lettres datées du 22 janvier 2019 qui ont été envoyées aux Smith. Les lettres visaient également à obtenir des Smith des renseignements et éléments de preuve supplémentaires au soutien de leur demande, pour les besoins de l’enquête. Les Smith se sont conformés à la demande du mieux qu’ils ont pu le 21 février 2019.

[26]  Après avoir pris connaissance du dossier, le ministre a conclu qu’une erreur administrative était survenue, en raison du retard à fournir aux Smith les trousses de demande de SRG et d’allocation, qui n’ont pas été envoyées immédiatement après la réception du dossier de demande de M. Smith. Les demandeurs ont reçu un paiement rétroactif pour la période allant de mai 2016 à août 2016, mais non pour le mois d’avril. La Loi sur la SV prévoit que la période de rétroactivité ne peut dépasser 11 mois (Loi sur la SV, art 11(7), 19(6)). La demande a été reçue le 29 mars 2017, et si la demande relative au SRG avait été envoyée immédiatement, les Smith ne l’auraient pas reçue ou présentée avant avril 2017. En conséquence, le ministre a conclu qu’ils étaient admissibles au SRG à compter de mai 2016.

[27]  Le décideur n’a pas conclu qu’un avis erroné avait été donné, mais plutôt qu’une erreur administrative était survenue. Dans sa décision datée du 24 juin 2019, le ministre a modifié les dates de prise d’effet à mai 2016 afin de tenir compte du retard dans l’envoi des trousses de demande aux demandeurs.

[28]  Les Smith sollicitent aujourd’hui le contrôle judiciaire de la décision du ministre devant la Cour fédérale.

III.  Les questions en litige

[29]  Les demandeurs ont formulé les questions à trancher comme suit :

  1. Quelle est la norme de contrôle applicable?

  2. Le ministre a‑t‑il commis un manquement à un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale ou à toute autre procédure qu’il était légalement tenu de respecter?

  3. Le ministre a‑t‑il fondé ses conclusions dans la troisième décision sur une interprétation erronée de l’article 32 de la Loi sur la SV?

  4. Le ministre a‑t‑il fondé ses conclusions dans la troisième décision sur une conclusion de fait erronée selon laquelle il n’avait pas transmis d’avis erroné par suite duquel le demandeur a été privé d’une partie des prestations auxquelles il avait droit aux termes de la Loi sur la SV?

  5. Subsidiairement, le ministre a‑t‑il fondé ses conclusions dans la troisième décision sur une conclusion de fait erronée selon laquelle il n’avait commis aucune erreur administrative par suite de laquelle le demandeur a été privé d’une partie des prestations auxquelles il avait droit aux termes de la Loi sur la SV?

  6. Le ministre a‑t‑il commis une erreur de droit ou agi d’une façon contraire à la loi dans la troisième décision en limitant le montant des prestations refusées aux termes de sa conclusion quant à l’existence d’une erreur administrative?

[30]  Je reformulerai ainsi les questions en litige proposées par les demandeurs :

  1. Le ministre a‑t‑il commis un manquement à un principe de justice naturelle ou à une obligation d’équité procédurale?

  2. La décision du ministre était‑elle déraisonnable?

A.  La norme de contrôle

[31]  Il est généralement admis que la norme de contrôle applicable à la question de savoir si la décision examinée a été prise dans le respect de l’équité procédurale est celle de la décision correcte. Cependant, tenter de caser la question de l’équité procédurale dans une analyse relative à la norme de contrôle applicable est un exercice non rentable (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, aux para 34‑56, citant Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au para 79). La question fondamentale demeure celle de savoir si les demandeurs connaissaient la preuve à réfuter et s’ils ont eu une possibilité complète et équitable d’y répondre.

[32]  En ce qui concerne la deuxième question en litige, la norme de la décision raisonnable s’applique (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]). Dans des affaires similaires portant sur une décision de nature discrétionnaire prise par le ministre de l’Emploi et du Développement social, la norme de la décision raisonnable a été appliquée (Torrance c Canada (Procureur général), 2020 CF 634, aux para 27‑31 [Torrance]).

[33]  Selon la norme de la décision raisonnable, la Cour n’interviendra que si elle est convaincue que la décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100). Ces critères sont satisfaits si les motifs permettent à la Cour de comprendre le fondement de la décision et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Vavilov, aux para 85‑86, citant Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au para 47).

B.  Le ministre a‑t‑il commis un manquement à un principe de justice naturelle ou à une obligation d’équité procédurale?

[34]  Les arguments concernant l’équité procédurale prêtent quelque peu à confusion et les demandeurs semblent tenter de résoudre le problème de la quadrature du cercle. Cependant, étant donné que les demandeurs se représentent eux‑mêmes, je m’efforcerai d’analyser leurs arguments comme ils les ont présentés.

[35]  Les demandeurs ont soutenu que la décision de Service Canada n’était pas équitable sur le plan procédural, parce que le décideur n’a pas expliqué de façon suffisamment détaillée pourquoi il n’avait pas conclu qu’un avis erroné leur avait été donné. Les demandeurs affirment que, dans leurs observations, ils avaient soutenu qu’un avis erroné figurait sur le site Web et n’ont jamais reçu d’explication quant aux raisons pour lesquelles il ne s’agissait pas d’un avis erroné allant à l’encontre du texte législatif.

[36]  De l’avis des demandeurs, Service Canada devait, aux termes du paragraphe 27.1(2) de la Loi sur la SV, fournir des motifs suffisants. Selon le texte de cette disposition, le ministre, « [...] sans délai, [...] notifie sa décision et ses motifs ». Les demandeurs résument leur argument ainsi : [traduction« Le demandeur fait valoir que le ministre est tenu de fournir des motifs à l’appui de la troisième décision, conformément à une obligation découlant tant de la common law, dans le cadre de l’obligation d’équité procédurale, que du texte législatif ».

[37]  Même s’ils conviennent qu’ils n’ont pas reçu d’avis erroné de l’un ou l’autre des membres du personnel de Service Canada, les demandeurs ont fait valoir que l’avis erroné figurait sur le site Web, sur les formulaires de demande et sur les feuillets de renseignements de Service Canada. Comme je l’ai expliqué plus haut aux paragraphes 5 et 9, M. Smith s’est fié au site Web, ce qui l’a incité à croire qu’il s’agissait d’un processus chronologique. Il a pensé qu’il devait d’abord demander des prestations de la SV, et qu’il devait ensuite attendre que sa demande soit acceptée avant de demander des prestations de SRG et l’allocation de son épouse.

[38]  Dans leurs observations écrites, les demandeurs renvoient à trois décisions qui, selon eux, font ressortir le manquement à l’équité procédurale découlant de l’absence de motifs qui expliqueraient pourquoi le fait qu’ils se sont appuyés sur le site Web ne constituait pas un avis erroné. Les trois décisions auxquelles les demandeurs renvoient sont les suivantes :

  • 1) la décision initiale dans laquelle le ministre a fixé la date de prise d’effet à avril 2016;

  • 2) la deuxième décision, ou la décision rendue à l’issue de la demande de révision, qui ne comporte aucun motif au sujet de l’absence d’avis erroné et d’erreur administrative, contrairement aux allégations des demandeurs, les motifs portant uniquement sur le retard des demandeurs à déposer la demande de SRG;

  • 3) la troisième décision, dans laquelle le ministre a conclu qu’une erreur administrative était survenue, mais non qu’un avis erroné avait été donné. La troisième décision était datée du 24 juin 2019 et les demandeurs l’ont reçue le 4 juillet 2019.

[39]  Dans leurs arguments concernant le manquement à l’équité procédurale, les demandeurs semblent avoir des préoccupations au sujet de l’absence d’analyse ou de motifs à l’appui de la conclusion d’absence d’avis erroné dans le document relatif à l’avis erroné ou à l’erreur administrative intitulé [traduction] « Recommandations et approbation par l’autorité désignée en date du 31 mai 2019 ».

[40]  La présente demande concerne la décision du 24 juin 2019. Même si le décideur a eu en main toute la documentation précédente ainsi que des observations détaillées des demandeurs chaque fois qu’une décision a été rendue, la demande de contrôle judiciaire porte uniquement sur la décision du 24 juin 2019.

[41]  La Cour suprême du Canada [la CSC] a souligné que, lorsque les motifs sont insuffisants, il est possible d’utiliser le dossier certifié du tribunal [le DCT] pour les compléter, mais je ne crois pas que la CSC voulait dire par là que chacune des décisions ou mesures procédurales mentionnées dans le DCT doit être examinée (voir les Règles des Cours fédérales, (DORS/98‑106) art 302; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au para 15; Vavilov, au para 94).

[42]  Je ne relève aucun manquement à l’équité procédurale dans cette décision. Le décideur s’est fondé sur toutes les observations des demandeurs ainsi que sur la recommandation de mai 2019 (voir plus haut, au para 39). Cette recommandation couvrait dans les faits les observations relatives à l’avis erroné, mais le décideur n’y a analysé que l’erreur administrative, puis a recommandé directement que l’article 32 de la Loi sur la SV soit [traduction] « invoqué et que des mesures soient prises pour que M. Smith soit replacé dans la situation où il serait si l’erreur n’était pas survenue ».

[43]  Je ne vois aucune erreur de procédure ou violation d’un principe de justice fondamentale, étant donné que la décision elle‑même comporte des motifs à l’appui de la conclusion d’absence d’avis erroné (voir ci‑après au paragraphe 55). En conséquence, les demandeurs ont été replacés dans la situation où ils seraient si l’erreur n’était pas survenue. La réparation n’est pas différente selon qu’il s’agit d’un avis erroné ou d’une erreur administrative. L’absence de motifs dans la recommandation de mai ne constitue pas un manquement, puisque ce n’est pas la décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

[44]  Les demandeurs ont soutenu à l’audience que le fait qu’un avis erroné pouvait provenir d’un site Web et non seulement d’un contact direct (dans les deux sens) avec un membre du personnel de Service Canada était une question de droit portant sur l’interprétation législative. Cet argument n’a été formulé dans aucune des observations que les demandeurs avaient antérieurement présentées au décideur.

[45]  Le défendeur s’est opposé à l’examen de ce dernier argument supplémentaire, présenté très tardivement, puisque le décideur n’en avait pas été saisi, de sorte qu’il ne fait pas partie du dossier. Je conviens que cet argument n’a ni été présenté au décideur ni a été inclus dans la documentation avant le « dossier supplémentaire des demandeurs » déposé le 10 août 2020.

[46]  Dans la même veine, il n’est pas équitable pour le défendeur qu’un argument soit présenté 10 jours avant l’audience. Le 5 août 2020, la protonotaire Furlanetto a accordé aux demandeurs la permission de déposer un dossier supplémentaire après qu’ils lui eurent demandé s’ils pouvaient commenter l’arrêt Vavilov. Cependant, les observations supplémentaires renferment de nouveaux arguments portant sur l’interprétation législative, selon lesquels l’avis devrait inclure le fait de s’appuyer sur le site Web, ainsi que sur la façon dont l’arrêt Vavilov s’applique à ces arguments.

[47]  Je ne crois pas que cet élément appartient à l’une des catégories de cas exceptionnels dans lesquels de nouveaux éléments de preuve peuvent être présentés au sujet d’un argument d’équité procédurale, puisqu’il s’agit d’un argument sur un point de droit et qu’il aurait pu être présenté au décideur (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, au para 20). Les demandeurs ne peuvent soutenir aujourd’hui que le décideur a commis un manquement à l’équité procédurale en ne se prononçant pas sur un argument dont il n’a pas été saisi. Même si les demandeurs affirment que la question concernant l’avis erroné n’est devenue une question en litige qu’après la communication de la décision, de sorte que le fait qu’ils n’ont pas invoqué cet argument devant le décideur n’a pas d’importance selon eux, je ne suis pas d’accord. Si le décideur a été saisi de l’argument selon lequel les demandeurs se sont fondés sur l’interprétation législative pour affirmer que le sens donné aux avis erronés dans la jurisprudence actuelle devrait être élargi pour inclure les avis donnés dans le site Web, les demandeurs auraient pu (et auraient dû) présenter cet argument au décideur.

[48]  Si j’ai examiné cet argument, l’interprétation du mot « avis » par les demandeurs au paragraphe 39 de leurs observations, je ne crois pas que cette forme d’« avis à sens unique » est expressément appuyée par l’arrêt King c Canada (Ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2009 CAF 105, comme ils l’ont soutenu. Même si j’acceptais l’interprétation des Smith selon laquelle les [traduction« renseignements, instructions, directives et conseils » communiqués « par Internet » peuvent constituer un avis erroné au sens de l’article 32 de la Loi sur la SV, les demandeurs n’expliquent pas pour autant en quoi la décision est incompatible avec l’avis en question.

[49]  Les demandeurs ne peuvent soutenir que l’interprétation du ministre selon laquelle l’avis erroné doit être une communication dans les deux sens est erronée, car, dans ce contexte, cette interprétation est tout à fait compatible avec l’article 32 de la Loi sur la SV ainsi qu’avec la décision Torrance.

[50]  C’est aux demandeurs qu’incombe le fardeau de prouver qu’un avis erroné leur a été donné (Manning c Canada (Développement des ressources humaines), 2009 CF 523, au para 37). Pour prouver que l’avis était erroné, les demandeurs doivent démontrer que l’avis en question a donné lieu au refus de tout ou partie d’une prestation (Torrance, au para 50). Même si j’avais conclu que les demandeurs s’étaient fiés à un avis erroné, ce que je n’ai pas fait, il incomberait encore aux demandeurs de prouver que le site Web contenait un avis erroné. Les demandeurs ne se sont pas déchargés de ce fardeau.

[51]  Cependant, une bonne partie de l’historique des démarches des Smith qui est exposé dans cette section de leur argumentation n’est pas pertinente quant au dossier porté devant le TSS et, plus tard, devant le ministre, parce qu’ils ont fait valoir ce qui suit :

[traduction]

Mon épouse et moi‑même avions demandé de bonne foi des prestations aux termes de la Loi, en l’occurrence, la pension de la SV, le SRG et l’allocation, en nous fondant uniquement sur les instructions, les directives et les avis écrits contenus dans le site Web de Service Canada et sur les feuilles de renseignements qui accompagnent les formulaires de demande de pension de la SV, de SRG et d’allocation, lesquelles feuilles de renseignements indiquent comment ces formulaires doivent être interprétés et remplis, ainsi que sur les instructions et directives énoncées sur les formulaires de demande en question.

[52]  Le défendeur souligne à juste titre que si les Smith n’ont pas fait valoir auprès du ministre qu’ils s’étaient fiés à l’avis (erroné ou non) d’agents de Service Canada, le ministre a agi de façon raisonnable en orientant l’analyse vers le site Web, les formulaires de demande et les feuilles d’instructions de Service Canada, soit les seuls renseignements sur lesquels les Smith se sont fondés. Même si l’affidavit de M. Smith semble comporter des allégations non contestées qui démontrent que des agents de Service Canada ont fait des affirmations contradictoires, voire inexactes, les Smith ne se sont pas fondés sur ces avis lorsqu’ils ont présenté leurs demandes.

[53]  Bref, les demandeurs soutiennent qu’ils avaient le droit de s’attendre à ce que le décideur détermine s’il y a eu un avis erroné et que, en ne se prononçant pas sur cette question, le décideur a commis un manquement à l’équité procédurale.

[54]  Le dossier n’appuie tout simplement pas une telle allégation. Comme je l’ai mentionné plus haut dans le résumé des faits, les agents de Service Canada ont offert aux Smith de nombreuses occasions d’enclencher le processus et ont pris des mesures à maintes reprises pour les accommoder par suite des préoccupations qu’ils avaient soulevées. Dans l’ensemble, Service Canada a constamment agi de bonne foi pour tenter de remédier à la situation des Smith, bien que parfois avec une certaine lenteur, et il a finalement été conclu qu’une erreur administrative était survenue, de sorte que les Smith ont obtenu le remboursement des prestations qu’ils avaient perdues, sauf pour le mois d’avril. J’y reviendrai plus loin.

[55]  De plus, les Smith semblent soutenir, de façon générale, que le ministre n’a pas fourni de motifs ou, à tout le moins, n’a pas fourni de motifs suffisants. Le premier argument n’est pas fondé, car le ministre a effectivement fourni des motifs, même s’ils sont brefs, sur la question de l’avis erroné. Voici les motifs sur lesquels le décideur s’est fondé pour conclure à l’absence d’avis erroné :

[traduction]

Il n’est pas conclu qu’un avis erroné vous a été donné par un employé de Service Canada, ce qui a entraîné le retard dans le traitement de votre demande de supplément de revenu garanti reçue. C’est votre interprétation des feuillets de renseignements et du site Web de Service Canada qui est à l’origine du retard, et cette interprétation n’est pas considérée comme un avis erroné.

[56]  En ce qui a trait au caractère suffisant des motifs, les Smith semblent reprocher au ministre de ne pas avoir fait d’analyse en profondeur de leur preuve selon laquelle un avis erroné aurait été donné. À mon avis, les motifs étaient suffisamment détaillés pour permettre aux demandeurs de comprendre pourquoi le décideur a conclu qu’ils n’avaient pas reçu un avis erroné. La raison réside dans le fait que les demandeurs eux‑mêmes avaient mal interprété le site Web et les feuillets de renseignements.

[57]  Je ne crois pas qu’il y ait eu un manquement à l’équité procédurale qui comporterait une erreur susceptible de contrôle judiciaire, étant donné que le ministre est investi d’un large pouvoir discrétionnaire pour déterminer la procédure et en arriver à une décision sur les faits. Je conclus que les motifs de la décision sont suffisants et qu’ils respectent les droits procéduraux des Smith.

C.  La décision du ministre était‑elle déraisonnable?

[58]  Dans les motifs qui suivent, je tente de couvrir toutes les questions que les demandeurs ont soulevées (voir plus haut au paragraphe 29). Mes réponses sont parfois redondantes, car les questions soulevées et les arguments présentés sont nuancés et liés de très près à d’autres questions. Cependant, étant donné qu’il s’agit d’une longue démarche très personnelle pour les demandeurs, j’exposerai les motifs de mes conclusions même s’ils sont parfois répétitifs.

[59]  Je conclus que la décision était raisonnable, pour les motifs exposés ci‑dessous.

(1)  Interprétation de l’article 32 de la Loi sur la SV

[60]  Les Smith soutiennent d’abord que le ministre s’est fondé sur une interprétation erronée de l’article 32 de la Loi sur la SV. Cet argument est sans fondement, car le ministre n’a pas interprété l’article 32 d’une façon incompatible avec les allégations des Smith.

[61]  Cependant, dans la mesure où l’interprétation que les Smith donnent à l’article 32 est exacte, il était loisible au ministre de conclure que ceux‑ci avaient mal interprété ces communications, plutôt que de conclure qu’elles étaient erronées.

(2)  Conclusion erronée quant à l’absence d’avis erroné

[62]  Néanmoins, il appert clairement du résumé des faits à l’origine du litige que les Smith :

  • a) ont consulté le site Web et tiré une conclusion quant au processus à suivre sans tenter d’obtenir des éclaircissements auprès de qui que ce soit avant de présenter une demande;

  • b) ont attendu pratiquement jusqu’au mois d’août 2017 pour communiquer avec un agent de Service Canada, qui leur a dit de présenter immédiatement une demande afin d’obtenir le SRG et l’allocation, ce qu’ils ont fait;

  • c) dans la mesure où les Smith ont reçu des avis contradictoires d’agents de Service Canada pendant le processus, de telles contradictions n’a eu aucun effet sur la date du traitement de leur demande et sur les dates de prise d’effet des prestations qui en ont découlé;

  • d) dans la mesure où une erreur administrative a touché les dates de prise d’effet des prestations des Smith, cette erreur a été corrigée dans la décision de manière à tenir précisément compte de l’interprétation que les Smith admettent avoir faite à la lumière du site Web de Service Canada, soit qu’ils devaient d’abord présenter une demande de pension de la SV, puis attendre que cette demande soit approuvée avant de présenter une demande de prestations de SRG et d’allocation.

[63]  Le défendeur souligne que le site Web donne des renseignements généraux et que, si des préoccupations spécifiques ou d’autres questions se posent après la consultation du site, il est raisonnable de penser que les demandeurs auraient dû communiquer avec Service Canada, ce qui est mentionné dans le site Web. Dans l’arrêt Mauchel c Canada (Procureur général), 2012 CAF 202 [Mauchel], qui concernait une affaire d’assurance‑emploi, la Cour d’appel fédérale en est arrivée précisément à cette conclusion. Dans cette affaire‑là, le demandeur a soutenu qu’il s’était fié, à son détriment, au contenu du site Web et avait conclu que les renseignements qui y figuraient « au sujet de l’admissibilité à l’assurance‑emploi étaient véridiques et faisaient autant autorité [...] » (Mauchel, au para 5). Il a ensuite voulu que sa demande soit antidatée. Le juge Evans en est arrivé à la conclusion suivante :

[...] Une personne raisonnable qui se fie au site Web pour obtenir des renseignements doit faire une recherche plus approfondie que celle à laquelle M. Mauchel semble s’être livrée [sic]. Une personne raisonnable ne se serait pas laissée induire en erreur par les premières informations générales apparaissant sur le site au sujet de l’admissibilité aux prestations au point d’être dissuadée de chercher des renseignements plus précis concernant sa situation. Ces premières informations selon lesquelles l’assurance‑emploi est destiné [sic] aux personnes qui perdent leur emploi sans y être pour quoi que ce soit sont suffisamment générales pour viser les personnes qui sont sans emploi parce qu’elles ont volontairement quitté celui qu’elles avaient pour un motif valable.

14  À mon avis, le site Web contenait suffisamment de renseignements pour amener une personne raisonnable placée dans une situation semblable à celle de M. Mauchel à se demander si elle pouvait être admissible à des prestations et à communiquer avec la Commission pour obtenir une réponse ou présenter une demande. La question n’est pas de savoir si un prestataire en particulier a trouvé les renseignements clairs et non équivoques et décidé qu’il était inutile de fouiller davantage sur le site Web, mais bien de savoir si une personne raisonnable aurait pensé ainsi. Nul ne prétend que le site Web contenait des renseignements erronés.

15  Puisque le site Web n’est pas censé répondre à tous les cas particuliers, les prestataires ne peuvent pas raisonnablement considérer les renseignements qui y figurent comme des renseignements personnalisés offerts par un agent en réponse à leurs demandes d’information quant à leur admissibilité.

[Mauchel, aux para 13‑15, non souligné dans l’original.]

Ce raisonnement peut également être appliqué à la présente affaire.

[64]  Dans la même veine, dans le cas des Smith, la décision selon laquelle les demandeurs ne se sont pas fondés sur un avis erroné est raisonnable. Selon la jurisprudence actuelle de la CAF, il doit y avoir un avis découlant d’une communication dans les deux sens, et aucun avis erroné de cette nature n’a été donné aux demandeurs, puisque l’avis était à sens unique et que ce sont eux‑mêmes qui ont consulté le site Web, les feuilles d’instructions et les formulaires de demande de Service Canada. D’un point de vue pragmatique, le seul avis erroné possible sur lequel les demandeurs se sont fondés était leur propre avis.

(3)  Conclusion erronée quant à l’absence d’avis erroné donnant lieu à un refus de prestations

[65]  Les demandeurs ont soutenu que, subsidiairement, si le ministre n’a pas donné d’avis erroné en se fondant sur une conclusion de fait erronée, une erreur administrative est survenue, au sens où des renseignements inexacts ou trompeurs ont été présentés sur le site Web, sur le formulaire de demande et sur le feuillet de renseignements de Service Canada. De l’avis des demandeurs, cette erreur provient du fait que le ministre est chargé de l’administration de la Loi sur la SV et qu’une partie de cette administration consiste à assurer des communications efficaces.

[66]  Les demandeurs soutiennent qu’il n’y avait pas de conclusion de fait autre que la conclusion selon laquelle l’interprétation qu’ils ont donnée au site Web et à la documentation de Service Canada était erronée. Les demandeurs prétendent qu’ils se sont fiés à ces renseignements et qu’ils ont été incités à croire qu’il y avait un ordre chronologique à suivre lors du processus de présentation des demandes. L’argument des demandeurs est formulé ainsi : [traduction« [...] si le ministre n’a pas donné d’avis erroné par suite d’une conclusion de fait erronée qu’il a tirée, ce que le demandeur n’admet pas, mais conteste, le ministre a commis une erreur administrative en se fondant sur une conclusion de fait erronée qu’il a tirée ».

[67]  Cet argument très confus peut être résumé de la façon suivante. Les demandeurs ont affirmé que [traduction« la preuve la plus flagrante de cette erreur administrative réside dans le formulaire de demande de pension de la SV ». Les demandeurs affirment que l’avis erroné que comporte le formulaire de demande découle d’une décision administrative. M. Smith semble réaffirmer qu’il est mentionné sur le formulaire qu’il s’agit d’un exercice chronologique et qu’il s’agit là de l’erreur sur laquelle il s’est fondé. La preuve qu’il invoque réside à nouveau dans le fait que, après la demande des demandeurs, Service Canada a apporté des changements à ses formulaires (en novembre 2018) et a modifié son programme afin qu’il y ait désormais inscription automatique au SRG et à la pension de la SV (en novembre 2017).

[68]  Les demandeurs ont affirmé dans leurs observations que les documents appuient leur interprétation. Ils prétendent que le ministre est responsable du formulaire de demande et de son contenu. Qui plus est, au cours de leurs différents démêlés juridiques concernant les présentes demandes, les demandeurs ont été informés que Service Canada modifiait ses formulaires afin d’utiliser un formulaire de demande double et que, à compter de novembre 2017, il y aurait inscription automatique à la fois à la pension de la SV et au SRG. C’est ce qui incite les demandeurs à affirmer que leur interprétation n’était pas erronée.

[69]  Je ne suis pas d’accord et j’estime qu’il était raisonnable de la part des décideurs de conclure que les demandeurs avaient tort. Tout au long du processus, il n’a jamais été mis en doute que les demandeurs avaient tort de penser que M. Smith devait attendre que sa demande soit acceptée avant de demander le SRG et l’allocation de Mme Smith. Si les demandeurs avaient demandé un avis dans le cadre d’une communication bilatérale, c’est ce qu’ils se seraient fait dire. D’ailleurs, lorsqu’ils ont parlé à un agent de Service Canada, c’est ce qui s’est produit.

[70]  L’erreur que le décideur a constatée réside dans le fait que les formulaires de demande relatifs au SRG et à l’allocation n’ont pas été postés immédiatement lorsque la case 11 de la demande a été cochée. La décision ne devient pas déraisonnable du fait que des changements ont été apportés au formulaire et au processus de demande après le dépôt de la demande des Smith.

(4)  Limite des prestations

[71]  Les demandeurs réaffirment qu’en raison de l’objet de la réponse à la question 11 figurant sur le formulaire de demande, soit exprimer l’intention de demander le SRG, il est logique de penser que le processus est chronologique. De l’avis des demandeurs, cette erreur du ministre a eu l’effet opposé de celui qu’il disait rechercher et il s’agit là d’[traduction] « une erreur administrative dans le plein sens du terme ». Cela signifie, selon les demandeurs, qu’ils ne devraient pas se voir refuser une partie du SRG que M. Smith aurait reçu si le ministre avait indiqué correctement qu’il était possible de demander la pension de la SV et le SRG en même temps. Cette « erreur » concerne le mois d’avril pour lequel les paiements n’ont pas été versés aux demandeurs alors qu’ils ont reçu la décision favorable faisant l’objet du présent contrôle judiciaire.

[72]  Il ressort clairement de mes conclusions susmentionnées que je ne crois pas que la conclusion de fait du décideur selon laquelle les demandeurs ont commis une erreur en interprétant le processus comme un processus chronologique était déraisonnable. Faute d’une telle conclusion déraisonnable sous‑jacente, l’argument des demandeurs doit à nouveau être rejeté.

[73]  La présente demande repose en entier sur le fait que les demandeurs n’ont pas reçu un mois additionnel de prestations rétroactives. Comme le décideur l’explique en détail dans la décision, la raison pour laquelle les demandeurs n’ont pas reçu de prestations rétroactives pour ce mois‑là est la suivante :

[traduction]

Étant donné que notre bureau a reçu votre demande de pension de la sécurité de la vieillesse le 29 mars 2017, une demande de supplément de revenu de garanti aurait dû vous être envoyée sans délai, parce que vous pouviez avoir droit à un paiement rétroactif. Cela signifie que votre demande de supplément de revenu garanti aurait pu être reçue en avril 2017. Étant donné que Service Canada ne peut verser de paiement que pour une période de rétroactivité maximale de 11 mois avant la date de réception de la demande, votre demande de supplément de revenu garanti aurait pu être approuvée en mai 2016. Comme vous pouvez le voir, même si l’erreur administrative n’avait pas été commise, Service Canada n’aurait pu vous envoyer une demande et la recevoir une fois remplie à temps pour que vos prestations débutent en avril 2016.

J’ai donc le plaisir de vous informer que les renseignements fournis ont permis au ministre de prendre les mesures de nature à vous replacer dans la situation où vous seriez aux termes du programme de la sécurité de la vieillesse si aucune erreur administrative n’était survenue. Il a été présumé que votre demande de supplément de revenu garanti a été reçue en avril 2017, de sorte que vous êtes admissibles à recevoir les prestations de supplément de revenu garanti à compter de mai 2016 plutôt que septembre 2016.

[74]  Il s’agit d’une décision raisonnable, eu égard, notamment, au fait que la demande des demandeurs a été reçue à Victoria (au bureau de Service Canada) le 29 mars 2017 et que, s’il n’y avait pas eu d’erreur administrative, les formulaires relatifs aux demandes de SRG et d’allocation auraient été postés aux demandeurs à Kelowna. Cela signifie que les formulaires ne pouvaient être reçus à Kelowna avant avril. En conséquence, la réparation aurait été la même, que le décideur ait conclu qu’il y avait eu un avis erroné (ce qu’il n’a pas fait) ou une erreur administrative. De plus, la décision du décideur d’accorder aux demandeurs un paiement rétroactif depuis mai 2016 est raisonnable. La réparation a permis aux demandeurs de recevoir les 11 mois de versements rétroactifs de prestations auxquels ils avaient droit en vertu du texte législatif.

[75]  Les deux présentes demandes de contrôle judiciaire seront rejetées.

[76]  Le défendeur n’a pas sollicité de dépens, et aucuns ne sont adjugés.


JUGEMENT RENDU dans les dossiers T‑1265‑19 et T‑1266‑19

LA COUR ORDONNE :

  1. Les deux demandes sont rejetées.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Glennys L. McVeigh »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1265‑19

 

INTITULÉ :

BRIAN SMITH c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

ET DOSSIER :

T‑1266‑19

 

INTITULÉ :

MICHELLE SMITH c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

audience tenue par conférence téléphonique le 20 août 2020 depuis VANCOUVER (Colombie‑Britannique) (COUR) et kelowna Colombie‑Britanique) (parties)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 août 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

la juge MCVEIGH

 

DATE DES MOTIFS :

LE 22 octobre 2020

 

COMPARUTIONS :

Michelle Smith

Brian Smith

 

pour les demandeurs,

agissant en leur propre nom

 

Tiffany Glover

pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

pour le défendeur

 

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