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Date : 20010604

Dossier : T-1485-00

Référence neutre : 2001 CFPI 584

Ottawa (Ontario), le 4 juin 2001

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

HARI CHAND SHARMA

demandeur

- et -

LE MINISTRE RESPONSABLE DE L'AGENCE DES DOUANES

ET DU REVENU DU CANADA

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE PELLETIER


[1]                 Au début des années 1990, la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi ou LIR) a été modifiée de façon à inclure des dispositions donnant au ministre du Revenu national (le ministre) un pouvoir discrétionnaire lui permettant d'annuler dans certains cas les arriérés d'intérêts et les pénalités. Au même moment, d'autres dispositions accordant au ministre un pouvoir discrétionnaire pour permettre à des contribuables de faire certains choix, même après l'expiration du délai prévu pour ce faire, ont été incorporées à la Loi. Ces modifications sont couramment nommées « les dispositions d'équité » . Dans la présente affaire, un contribuable a demandé à bénéficier de l'une de ces dispositions, le paragraphe 220(3.2) de la Loi, qui traite des choix faits en retard relativement à l'étalement du revenu sur les années suivantes. Sa demande ayant été refusée, le contribuable a présenté à la Cour une demande de contrôle judiciaire de la décision.

                                                                                                                   

[2]                 La courte description qui suit relativement à l'étalement du revenu est extraite du mémoire des faits et du droit du défendeur :

[TRADUCTION]

Mécanisme de La loi de l'impôt sur le revenu quant à l'étalement sur les années suivantes

16.            Entre les années d'imposition 1982 et 1987, un contribuable pouvait, dans certaines circonstances, étaler son revenu suivant l'article 110.4 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi). Afin de pouvoir étaler son revenu, un individu devait présenter un choix suivant le paragraphe 110.4(1) de la Loi relativement à un montant de revenu (le montant) et payer les impôts sur ce montant pour l'année d'imposition pour laquelle il avait effectué le choix. Pour une année suivante, le contribuable pouvait présenter un choix pour une deuxième fois, suivant le paragraphe 110.4(2) de la Loi, et inclure ce montant dans son revenu, ou une fraction de ce montant, mais obtenir le crédit pour les impôts déjà payés l'année précédente sur le montant. L'étalement sur les années suivantes n'était avantageux que si le contribuable avait payé des impôts sur le montant l'année précédente à un taux marginal plus élevé que dans l'année suivante.

                                Articles 110.4 et 120.1 de la Loi de l'impôt

sur le revenu, 1970-71-72, ch. 63, tels que modifiés.


[3]                 M. Sharma a immigré au Canada au cours des années 1980. Il était financièrement prospère et a payé des montants importants d'impôts. Il a fait le choix d'étaler son revenu sur les années suivantes. Il a alors émigré du Canada vers la Nouvelle-Zélande où il est resté jusqu'en 1994. Il est revenu au Canada en février 1994. Lorsqu'est venu le temps de produire sa déclaration de revenu, il a confié la tâche à un bureau de comptables qui a demandé des renseignements à Revenu Canada. Dans les présents motifs, Revenu Canada et l'Agence des douanes et du Revenu du Canada sont nommés « l'Agence » . On lui a envoyé de l'information qui incluait des renseignements relatifs à l'exemption du gain en capital, mais aucun renseignement quant aux montants qu'il pouvait étaler sur les années suivantes. Lorsque M. Sharma a reçu son avis de cotisation en 1995, il a constaté qu'il avait un solde important dans son compte d'étalement du revenu et il a rapidement demandé qu'on lui permette de présenter un choix visant à étaler son revenu et ainsi obtenir les avantages de l'étalement du revenu.


[4]                 Au même moment, M. Sharma a produit des états financiers modifiés qui réduisaient son revenu de 10 000 $. La tâche de traiter ces états modifiés a été confiée à M. Guimond, de l'Examen au bureau, du Centre fiscal de Surrey. La déductibilité des dépenses additionnelles réclamées par M. Sharma a par la suite été réglée. L'examen de la demande de prise en considération des dispositions d'équité a aussi été confié à M. Guimond. Il s'est occupé de l'enquête initiale et a préparé un rapport. Son rapport, qui ne portait pas de date, recommandait que la demande soit refusée. M. Guimond a mentionné ce qui suit :

[TRADUCTION]

[...] M. Sharma déclare que son comptable, M. Shailendra Singh, du bureau de Evancic Perrault Robertson, à Surrey, a demandé de l'information relativement à plusieurs années d'imposition avant de produire sa déclaration de revenu pour l'année 1994, mais qu'il n'a reçu le 2 mai 1995 que des renseignements incomplets. Lorsque M. Sharma a produit des déclarations modifiées qui demandaient le retrait, il a de plus produit des états financiers modifiés de son entreprise qui montraient une diminution de revenus de plus de 10 000 $. Une lettre demandant des documents justificatifs quant aux dépenses d'entreprise réclamées, qui apparaissaient être élevées et déraisonnables dans les circonstances, a été envoyée le 1er mai 1997, mais aucun renseignement n'a été fourni. [...]

En nous fondant sur les renseignements fournis par le contribuable, sur le fait que nous n'avons reçu aucune réponse à notre lettre datée du 1er mai 1997 et sur le fait que le contribuable n'a pas résidé au Canada tout au long de l'année 1994, nous recommandons que la demande de permettre l'étalement du revenu suivant le paragraphe 110.4(2) de la LIR soit rejetée.

[5]                 Le rapport énonçait ensuite de façon détaillée la justification de la recommandation. À l'égard de l'année 1994, M. Guimond a mentionné le paragraphe 110.4(2) de la Loi qui prévoit expressément qu'une personne doit résider au Canada tout au long de l'année pour faire le choix de l'étalement du revenu :


(2) Le particulier qui présente au ministre, en même temps que sa déclaration de revenu produite en vertu de la présente partie pour une année d'imposition se terminant avant 1998 et tout au long de laquelle il a résidé au Canada, un choix sur le formulaire prescrit, au plus tard à la date à laquelle il est tenu de produire cette déclaration ou en serait tenu s'il devait payer un impôt en vertu de la présente partie pour l'année [...]


(2) Where an individual files with the individual's return under this Part for a taxation year ending before 1998 and throughout which the individual was resident in Canada an election in prescribed form on or before the day on or before which the individual was, or would have been if tax had been payable under this Part by the individual for the year, required to file a return of income under this Part for the year, there shall be added in computing the individual's taxable income for the year the amount, if any, by which...


[Non souligné dans l'original.]                       [emphasis added]


[6]                 À l'égard de l'année d'imposition 1995, M. Guimond a remarqué que M. Sharma n'avait pas produit de déclarations de revenu pour les années 1987, 1988, 1989 et 1990. Il a produit en retard en mai 1995, ses déclarations pour les années 1991 à 1994 dans lesquelles il a déclaré que [TRADUCTION] « lui et son épouse étaient des résidents du Canada durant cette période et ont réclamé le crédit pour taxe sur les produits et services, le crédit d'impôt pour enfants et la prestation fiscale pour enfants » . Mme Sharma avait reçu plus de 5 000 $ en paiement comptant relativement à ces divers crédits au moment où il est devenu évident qu'elle n'y était pas admissible parce qu'elle n'était redevenue résidente du Canada qu'en février 1994.

[7]                 Quant à la question de la demande de renseignements relatifs à plusieurs années d'imposition, M. Guimond a remarqué que la demande initiale n'avait pas été déposée et qu'il n'était donc pas possible de confirmer précisément ce qui avait été demandé. Toutefois, la réponse avait été envoyée par télécopieur au comptable de M. Sharma et la page de transmission indiquait comme référence [TRADUCTION] « G.C., (gains en capital) renseignement sur l'étalement » .

[8]                 Le rapport concluait comme suit :

[TRADUCTION]


De plus, M. Sharma n'a pas fourni de documents selon ce qui lui avait été demandé afin que puissent être vérifiées les dépenses réclamées pour son entreprise. Pourtant, il est un comptable de profession et devrait être tout à fait au courant de nos exigences quant à la conservation des documents et, par conséquent, nous refusons sa demande de déductions de dépenses d'entreprise pour l'année 1995 et de plus nous n'accordons aucune déduction pour les dépenses d'entreprise pour l'année 1996.

[9]                 Le rapport de M. Guimond a été transmis à L. Paraskake, de la Vérification au bureau, Centre fiscal de Surrey, qui a répondu à la demande de M. Sharma le 28 juillet 1997 en la rejetant. Les motifs du refus étaient que [TRADUCTION] « [...] vous ne satisfaites pas aux critères énoncés dans la circulaire d'information précédemment mentionnée et nous n'avons reçu aucune réponse à notre lettre datée du 1er mai 1997 dans laquelle nous demandions des renseignements et des documents additionnels. Veuillez noter que vous êtes devenu résident du Canada le 15 février 1994 et, suivant le paragraphe 110.4(2) de la LIR, vous devez être résident tout au long de l'année pour être admissible au choix. »

[10]            Il faut remarquer que la lettre du 1er mai 1997 avait trait à la question des dépenses d'entreprise et n'avait pas de lien avec la demande de production tardive.


[11]            M. Sharma n'était pas satisfait de cette réponse et le 13 mars 2000, il a demandé un deuxième examen de sa demande. Ce deuxième examen a été effectué par Michael Patak, agent de la Section de l'examen, Centre fiscal de Surrey, qui a préparé un rapport daté du 12 juillet 2000. M. Patak a commencé son rapport en prenant acte des renseignements additionnels fournis par M. Sharma dans sa lettre du 13 mars 2000, dans laquelle il mentionnait que son comptable avait préparé sa déclaration de revenu pour l'année 1986 et qu'il ne connaissait pas bien lui-même les dispositions de la Loi quant à l'étalement du revenu. Il a aussi noté l'émigration en Nouvelle-Zélande en 1987 et le retour au Canada en 1994. M. Patak a alors effectué un examen des antécédents d'inobservation et a noté ce qui suit :

[TRADUCTION]

-                 un certain nombre de soldes impayés sur le compte et d'arriérés d'intérêts;

-                 le refus de déductions pour des réclamations de dépenses d'entreprise non justifiées quant aux années d'imposition de 1995 et de 1996;

-                 M. Sharma avait reçu un avis écrit quant à la piètre qualité de ses dossiers;

-                 « Le contribuable et son épouse ont de façon frauduleuse produit des déclarations de revenu pour les années de 1991 à 1993 comme résidents canadiens, ont reçu des crédits d'impôts pour enfants, des crédits de TPS et de PFE et des crédits de taxe provinciale auxquels ils n'avaient pas droit. »

[12]            M. Patak a alors examiné en détail les nombreux échanges entre l'Agence et M. Sharma, en référant au rapport de M. Guimond dont il disposait visiblement.

[13]            M. Patak a recommandé de rejeter la demande. Quant à l'année d'imposition 1994, il a jugé que M. Sharma n'avait pas été un résident du Canada tout au long de l'année. À l'égard de la question du défaut de l'Agence d'avoir fourni les renseignements que M. Sharma affirme avoir demandés, M. Patak a simplement remarqué qu'il n'y avait rien au dossier quant à la nature de la demande d'information qui avait été faite. Autrement dit, M. Sharma ne pouvait pas fournir la preuve qu'il avait demandé de l'information quant à l'étalement du revenu au lieu de, ou en plus de, l'information relative aux gains en capital.


[14]            Le dernier paragraphe du rapport est rédigé comme suit :

[TRADUCTION]

Notre examen conclut dans le même sens que le refus précédent de la demande initiale. Le client n'a pas démontré l'existence d'une erreur du ministère ou de l'agence, pas plus qu'il n'a démontré que la prétendue erreur l'a empêché de réclamer le retrait du montant d'étalement accumulé pour l'année 1995 [sic] dans sa déclaration pour cette année d'imposition, tel que prévu au paragraphe 110.4(2). Le client n'a pas été raisonnablement soigneux dans l'administration de ses affaires fiscales suivant le régime d'autocotisation. La production tardive de son choix peut être interprétée comme de la planification fiscale rétroactive. Nous recommandons le rejet de sa demande.

[15]            En conformité avec les politiques de l'Agence quant au traitement des demandes d'équité, le rapport a été transmis à Mme Linda Ditto, Directrice adjointe, Section des déclarations de particuliers et des successions, qui est autorisée suivant le paragraphe 220(2.01) ci-après reproduit, à exercer les fonctions du ministre suivant le paragraphe 220(3.2) de la Loi de l'impôt sur le revenu.


(2.01) Le ministre peut autoriser un fonctionnaire ou une catégorie de fonctionnaires à exercer les pouvoirs et fonctions qui lui sont conférés en vertu de la présente loi.


(2.01) The Minister may authorize an officer or a class of officers to exercise powers or perform duties of the Minister under this Act.


[16]            Mme Ditto a examiné la correspondance du demandeur, le rapport de M. Guimond, le rapport de M. Patak, les déclarations de revenu de M. Sharma pour les années 1995 et 1996, les dossiers informatisés de l'Agence de la déclaration de revenu de M. Sharma pour l'année 1994 et ses antécédents d'inobservation. Elle a alors écrit à M. Sharma le 13 juillet 2000 pour l'informer du rejet de sa demande.


[17]            Dans sa lettre, Mme Ditto a repris la position précédemment adoptée quant à la question de la résidence de M. Sharma pour l'année 1994 en affirmant qu'il ne pouvait pas bénéficier de l'exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre parce qu'il n'avait pas été un résident du Canada tout au long de l'année. Mme Ditto a ensuite mentionné que M. Sharma n'avait démontré aucune erreur du ministère ou de l'Agence quant aux renseignements fournis. Mme Ditto a conclu comme suit :

[TRADUCTION]

L'ignorance de la loi et le fait de se fier à votre représentant ne sont pas des motifs valables d'allégement suivant les dispositions d'équité. Les individus qui choisissent un représentant pour administrer leurs affaires fiscales demeurent en bout de ligne responsables pour tous les gestes ou les omissions de leur représentant. De plus, la production tardive du choix peut être interprétée comme étant de la planification fiscale rétroactive.

[18]            À la suite de la réception de la lettre, M. Sharma a présenté une demande de contrôle judiciaire. Le demandeur soutient que les représentants du ministre n'ont pas tenu compte de l'alinéa 250(1)a) de la Loi lors de l'analyse de la question de la résidence. Cette disposition prévoit que :


250. (1) Pour l'application de la présente loi, une personne est réputée, sous réserve du paragraphe (2), avoir résidé au Canada tout au long d'une année d'imposition si :

a) elle a séjourné au Canada au cours de l'année pendant une période ou des périodes dont l'ensemble est de 183 jours ou plus; [...]


250. (1) For the purposes of this Act, a person shall, subject to subsection 250(2), be deemed to have been resident in Canada throughout a taxation year if the person

(a) sojourned in Canada in the year for a period of, or periods the total of which is, 183 days or more; ...



[19]            De plus, M. Sharma affirme que le processus dans son ensemble est entaché par une crainte raisonnable de partialité à cause du rapport initial de M. Guimond, qui a été examiné par tous ceux qui sont intervenus dans le dossier par la suite, rapport qui était lui-même entaché par une crainte raisonnable de partialité. M. Sharma prétend qu'il existe une crainte raisonnable de partialité de la part de M. Guimond parce qu'il était le vérificateur qui avait mis en doute ses dépenses d'entreprise et qui s'était occupé de son dossier sur la question des crédits d'impôts. M. Sharma prétend que M. Guimond avait, ou du moins un tiers aurait raisonnablement cru qu'il avait, à l'égard de M. Sharma, une impression défavorable qui avait entaché son rapport.

[20]            La prétention du ministre est que l'alinéa 250(1)a) de la Loi a de façon répétée été interprété de façon telle que le séjour et la résidence sont incompatibles, c'est-à-dire qu'une personne qui est résidente ne peut pas séjourner, vu la marque distinctive du séjour, soit son caractère transitoire. Il s'agit d'un passage temporaire alors que la résidence est un état permanent. Quant à la question de la partialité, le ministre fait savoir que M. Guimond n'était pas le décideur. C'est Mme Ditto qui l'était et elle a tenu compte de nombreux facteurs autres que le rapport de M. Guimond pour arriver à sa décision. Toutefois, la prétention principale du ministre est que l'exercice de son pouvoir discrétionnaire n'est pas susceptible de contrôle par la Cour sauf dans les circonstances limitées énoncées dans l'arrêt Maple Lodge Farms Ltd. c. Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, (1982), 44 N.R. 354 :


C'est aussi une règle bien établie que les cours ne doivent pas s'ingérer dans l'exercice qu'un organisme désigné par la loi fait d'un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s'est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision.

[21]            Toutefois, on a beaucoup écrit sur la question de la norme de contrôle judiciaire depuis l'arrêt Maple Lodge Farms, précité. On se demande si la norme de contrôle judiciaire devrait reposer sur la nature du pouvoir discrétionnaire ou si la norme de contrôle judiciaire de toutes les décisions dépend maintenant de l' « analyse pragmatique et fonctionnelle » décrite dans l'arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, (1998) 226 N.R. 201. Dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, (1999), 243 N.R. 22, Mme le juge L'Heureux-Dubé traite expressément de cette question :

[53]    Le droit administratif a traditionnellement abordé le contrôle judiciaire des décisions discrétionnaires séparément de décisions sur l'interprétation de règles de droit.    Le principe est qu'on ne peut exercer un contrôle judiciaire sur les décisions discrétionnaires que pour des motifs limités, comme la mauvaise foi des décideurs, l'exercice du pouvoir discrétionnaire dans un but incorrect, et l'utilisation de considérations non pertinentes :    voir, par exemple, Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [...] À mon avis, ces principes englobent deux idées centrales -- qu'une décision discrétionnaire, comme toute autre décision administrative, doit respecter les limites de la compétence conférée par la loi, mais que les tribunaux devront exercer une grande retenue à l'égard des décideurs lorsqu'ils contrôlent ce pouvoir discrétionnaire et déterminent l'étendue de la compétence du décideur. [...]

[54] J'estime qu'il est inexact de parler d'une dichotomie stricte entre les décisions « discrétionnaires » et les décisions « non discrétionnaires » . La plupart des décisions administratives comporte l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire implicite relativement à de nombreux aspects de la prise de décision.

[55] La démarche « pragmatique et fonctionnelle » reconnaît qu'il y a une large gamme de normes de contrôle judiciaire des erreurs de droit, certaines décisions exigeant plus de retenue, et d'autres moins : [...]


[56] L'intégration du contrôle judiciaire de décisions comportant un large pouvoir discrétionnaire dans l'analyse pragmatique et fonctionnelle en raison d'erreurs de droit ne devrait pas être considérée comme une diminution du niveau de retenue accordé aux décisions de nature hautement discrétionnaire.    En fait, des normes de contrôle judiciaire empreintes de retenue peuvent donner au décideur discrétionnaire une grande liberté d'action dans la détermination des « objectifs appropriés » ou des « considérations pertinentes » .    La démarche pragmatique et fonctionnelle peut tenir compte du fait que plus le pouvoir discrétionnaire accordé à un décideur est grand, plus les tribunaux devraient hésiter à intervenir dans la manière dont les décideurs ont choisi entre diverses options.    Toutefois, même si, en général, il sera accordé un grand respect aux décisions discrétionnaires, il faut que le pouvoir discrétionnaire soit exercé conformément aux limites imposées dans la loi, aux principes de la primauté du droit, aux principes du droit administratif, aux valeurs fondamentales de la société canadienne, et aux principes de la Charte.

[22]            J'en conclus que la Cour suprême a incorporé le critère établi dans l'arrêt Maple Lodge Farms dans l'analyse pragmatique et fonctionnelle, ce qui fait que la question n'est plus de savoir si la décision est une décision entièrement discrétionnaire et, par conséquent, qui n'est susceptible de contrôle que pour les motifs énoncés dans l'arrêt Maple Lodge Farms. La Cour doit maintenant axer son examen sur l' « analyse pragmatique et fonctionnelle » afin de décider de quelle retenue elle doit faire preuve à l'égard du décideur.


[23]            La décision faisant l'objet d'un contrôle est le refus du représentant du ministre de permettre au demandeur de faire des choix suivant les dispositions de la Loi relative à l'étalement sur les années suivantes après la date limite prévue pour le dépôt de tels choix. On remarque, lorsqu'on adopte la démarche « pragmatique et fonctionnelle » à cette décision, et notamment le critère énoncé dans l'arrêt Baker, précité, que la décision en l'espèce n'est pas protégée par une clause privative, mais est une décision pour laquelle il n'existe pas de droit d'appel, bien qu'il y soit possible d'en demander le contrôle judiciaire. L'expertise du décideur est relativement grande étant donné qu'elle requiert une connaissance exhaustive de la Loi de l'impôt sur le revenu qui lui permet de se rendre compte de l'importance pour la personne du choix qu'elle cherche à faire. Il est vrai que la décision en question est une décision particulière qui peut être analysée séparément, mais l'appréciation du rôle dans son ensemble d'une telle décision dans les affaires du contribuable et dans l'administration équitable du système d'imposition requiert une connaissance du système qui va au-delà du cas d'espèce. Comme dans l'arrêt Baker, le décideur est le ministre ou le représentant du ministre. Dans l'arrêt Baker, on a jugé que cela constituait des motifs de retenue en raison de l'expertise du ministre.

[24]            Le but du paragraphe 110.4(2) de la Loi est de permettre au ministre d'accorder une dispense des délais prescrits lorsque nécessaire. Le fait que chaque cas est un cas d'espèce donne à penser que les affaires ont une valeur jurisprudentielle limitée. Par conséquent, il y a peu de raison pour que la Cour intervienne au nom de l'intérêt général. Étant donné que la question en litige est l'accès à des dispositions d'allégement, il n'y a pas de décision sur la question du droit à l'admissibilité, qui, je le répète, impose la retenue. Tous les facteurs pris en compte amènent à l'exercice d'une retenue importante à l'égard de la décision du ministre. Dans les circonstances, je conclus que la norme de contrôle judiciaire est le caractère manifestement déraisonnable.


[25]            J'aborde maintenant les motifs de contrôle allégués par le demandeur. La première question touche l'incidence du paragraphe 250(1) de la Loi, qui considère une personne comme étant résidente tout au long de l'année si elle séjourne au Canada plus de 183 jours. Il existe une volumineuse jurisprudence selon laquelle ce paragraphe ne s'applique pas à ceux qui sont dans les faits devenus résidents du Canada en cours d'année. On arrive à ce résultat en faisant la différence entre le séjour et la résidence au Canada. La jurisprudence établit qu'il y a incompatibilité entre le séjour et la résidence. Voir à cet égard, Zimmer c. M.N.R. (1981), 81 D.T.C. 550 (C.R.I.) et Loukine c. R. (1998), 98 D.T.C. 1566 (C.C.I.). Par conséquent, ce motif ne peut valoir.


[26]            Durant les représentations, j'ai demandé à l'avocat du ministre si le résultat obtenu par suite d'une telle interprétation était raisonnable. De prime abord, la jurisprudence sur laquelle le ministre s'appuie fait qu'une personne qui a séjourné au Canada pendant six mois peut tirer avantage du paragraphe 110.4(2) de la Loi, mais qu'une personne qui a résidé au Canada pendant onze mois ne peut pas le faire. Quelle est la logique de permettre à une personne qui a le lien le plus ténu avec le Canada de profiter des avantages d'une disposition d'allégement alors qu'on le refuse à une personne qui a le lien plus étroit avec le pays? Étant donné que je n'ai pas à répondre à cette question afin de décider de la présente demande, je ne ferai pas d'hypothèse sauf pour faire remarquer que, dans le cours normal des choses, la conséquence de l'alinéa 250(1)a) de la Loi est d'assujettir une personne à l'impôt. Il se peut que la notion de résidence réputée que crée le paragraphe 250(1) de la Loi ne fasse que créer un assujettissement à l'impôt sans s'étendre à des situations pour lesquelles une résidence dans les faits est nécessaire. De toute façon, cette question devra attendre qu'elle soit soulevée dans les faits d'une affaire pour recevoir réponse. En l'espèce, M. Sharma résidait dans les faits au Canada et donc, en se fondant sur les décisions précédemment mentionnées, il ne pouvait pas réclamer l'avantage prévu par le paragraphe 250(1) de la Loi.


[27]            La question de la crainte raisonnable de partialité a été alléguée avec force par M. Sharma. Ce motif pour le contrôle judiciaire allègue un déni de justice naturelle ou d'équité en matière de procédure. La norme de contrôle dans ces affaires est celle de la décision correcte établie dans l'arrêt NAV Canada c. Association canadienne du contrôle du trafic aérien [1999] A.C.F. no 1799 (C.A.F.), (1999), 250 N.R. 321, par M. le juge Rothstein. La prétention de M. Sharma est que M. Guimond, parce qu'il était le vérificateur qui s'était occupé de la contestation des déductions des dépenses d'entreprise et de la contestation des crédits d'impôt, avait déjà une impression défavorable de M. Sharma lorsqu'il a rédigé le rapport quant à l'équité en matière de procédure. Tous les décideurs disposaient de ce rapport et ont par conséquent une opinion entachée. Deux difficultés se posent quant à cette prétention. Normalement, on se fonde sur la situation connue quant à la relation entre deux individus pour conclure qu'il existe une crainte raisonnable de partialité. En l'espèce, on demande à la Cour de tirer une conclusion quant à l'état de la relation pour alors conclure à une crainte raisonnable de partialité. On ne peut conclure à un manque de partialité à partir d'une conclusion tirée quant à l'état d'une relation. Le fait que M. Guimond n'a jamais été le décideur pose, quant à cet argument, une plus grande difficulté encore. Alors que la décision initiale avait été faite à partir de la valeur probante de son rapport, un nouveau rapport a été préparé pour le deuxième niveau d'examen et un autre décideur a pris la décision finale.

[28]            Le critère de crainte raisonnable a été dégagé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty et al. c. Canada (L'Office national de l'énergie et al.), [1978] 1 R.C.S. 369, (1976), 9 N.R. 115, à la page 394 :

     [...] la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d'une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d'appel, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. [...] »

[29]            En l'espèce, il est peu probable qu'une personne raisonnable croirait nécessairement que M. Guimond aurait été partial, même s'il avait été le décideur. Mais parce que le décideur était Mme Ditto, qui a examiné le rapport de M. Guimond parmi de nombreux autres documents, une personne raisonnable et sensée ne conclurait pas qu'il existe une crainte raisonnable de partialité.


[30]            Au cours des représentations, la question des motifs non pertinents a été soulevée. La question était de savoir s'il était approprié pour le ministre, lorsqu'il évalue une demande de prise en considération des dispositions d'équité, de prendre en compte les antécédents d'inobservation. Alors que toutes les mesures correctives en question sont décrites comme étant « les dispositions d'équité » , il existe une différence qualitative entre demander l'autorisation de faire un choix une fois les délais expirés et demander que les pénalités et les intérêts soient annulés. Dans les cas de montants à être annulés, le contribuable a une dette réelle envers le gouvernement du Canada, dont il essaie de se libérer. Il n'existe pas de droit à l'annulation d'une somme due. Dans le cas d'un choix tardif, le contribuable cherche à se faire excuser de ne pas avoir présenté son choix dans le délai prescrit. Son retard pourrait être d'un jour ou de plusieurs années, mais dans un cas comme dans l'autre le contribuable cherche à profiter d'une disposition qu'il aurait pu utiliser s'il avait produit son choix dans le délai prescrit. Ce que le contribuable sollicite au fond, c'est qu'il n'y ait pas déchéance de son droit.


[31]            On peut voir que les antécédents d'inobservation seraient pertinents lorsque le contribuable demande l'annulation de pénalités et d'intérêts. Étant donné que les pénalités et les intérêts découlent du non-respect de la Loi, les circonstances du non-respect sont sûrement déterminantes dans la décision de savoir si les montants en cause devraient être annulés. En outre, tous les antécédents d'inobservation d'un contribuable sont pertinents quant à la question de savoir s'il est équitable de l'exempter d'une obligation existante. Par contre, ces antécédents ont un lien plus faible avec la question de permettre à un contribuable de tirer un avantage auquel il aurait eu légalement le droit, n'eût été son défaut de le demander dans le délai prescrit. Mais, en bout de ligne, étant donné la norme de contrôle, on ne peut pas dire que le fait de tenir compte des antécédents d'inobservation, dans le traitement d'un choix tardif, est manifestement déraisonnable.

[32]            En conclusion, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

ORDONNANCE

Pour les motifs précédemment mentionnés, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                                                                    « J.D. Denis Pelletier »             

Juge                       

   

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


COUR FÉDÉ RALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                       T-1485-00

INTITULÉ :                             HARI CHAND SHARMA c. LE MINISTRE RESPONSABLE DE L'AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :         Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :          Le 24 mai 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :     MONSIEUR LE JUGE PELLETIER

DATE DES MOTIFS :             Le 4 juin 2001

COMPARUTIONS :

Hari Chand Sharma                           POUR LE DEMANDEUR

Elizabeth Junkin                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :    

Hari Chand Sharma                           POUR LE DEMANDEUR

Burnaby (Colombie-Britannique)

Morris Rosenberg                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

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